chapitre xi

Les prochains jours furent rythmés par la guérison de Henry. Elle ne fut pas instantanée, au grand dam de Sage et de son grand-père, qui passa la majorité de ses journées au lit, assommé par la fatigue. Henry finit par renvoyer Sage chez lui, agacé de voir le jeune homme rôder autour de sa chambre, inquiet et désireux de bien faire.

De retour dans son appartement, Sage se rendit compte qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il était censé faire à présent. Retourner à sa petite vie tranquille, sans magie, en prétendant que cette dernière semaine n'était jamais arrivée ?

C'est ce qu'il fit. Il appela son manager et lui assura qu'il était prêt à revenir. Le soir-même, il était de retour derrière la caisse de la supérette, à accueillir les fêtards et autres clients. Et s'il ne pouvait s'empêcher de jeter des coups d'œil inquiets en direction du parking, craignant de voir débarquer à tout moment le sorcier qui l'avait agressé, c'était son problème.

Mais, malgré tous ses efforts pour se changer les idées, il ne cessait de penser au sanctuaire. Dès qu'il fermait les yeux, il revoyait le jardin de Hopewell, et ses nuits se faisaient atrocement courtes. Il était hanté par le souvenir de ses courts moments aux côtés de Rune et de Cecil, incapable de les oublier ni de passer à autre chose.

Le petit mot de Rune pesait dans sa poche et, d'une certaine manière, sur sa conscience. Il avait enregistré son numéro dans son téléphone mais, à chaque fois que ses doigts hésitaient sur l'icône d'appel, il se dégonflait.

Il ne désirait rien de plus que de sauter le pas et appeler Rune. Si cela ne tenait qu'à lui, il sauterait dans son pick-up et retournerait à Hopewell sans un regard en arrière, mais la raison se rappelait à lui et lui intimait de rester chez lui, dans cette ville où Cecil ne mettait jamais les pieds, et que Rune ne visitait que de temps à autres.

Il n'était pas certain qu'il puisse passer le purgatoire une troisième fois. Son grand-père avait émis une hypothèse, rien de plus, et y accorder trop de crédit ne serait pas raisonnable. Lorsqu'il s'installa derrière son ordinateur, un soir où il n'était pas attendu à la supérette, il découvrit qu'Internet ne lui était pas d'une très grande aide. Les experts étaient divisés sur la magie que contenaient réellement les sang-mêlé désignés comme humains, et il n'était fait mention nulle part du droit d'entrée dans les sanctuaires.

Sage savait qu'il aurait été plus sage d'éteindre son ordinateur et de passer à autre chose, mais la curiosité fut plus forte que tout : il tapa dans la barre de recherche le sanctuaire de Hopewell.

Le site Internet n'avait guère changé, mais ce n'était pas le cas des avis Google. Il y avait une nouvelle addition de la part d'une certaine Jessica Townsend, et elle n'était pas positive. Extrêmement déçue de ce sanctuaire. Le gardien s'est opposé à la volonté du coven du coin et a refusé d'exaucer mon vœu. Je m'assurerai que Loren Harrow soit mise au courant de cette insubordination.

Sage réagit sans réellement réfléchir. Il ne prit conscience de son acte qu'une fois qu'il eut pressé le bouton « publier », et que son propre avis s'était matérialisé sur la page. La nervosité lui apportait des papillons dans le ventre, et la sensation n'était guère agréable.

Combien de temps Rune mettrait-il à se rendre compte du message de Sage ? Quelle serait sa réaction ? Car, s'il voyait celui de Sage, il ne pourrait ignorer celui de Jessica, et Sage avait des doutes sur le fait que Cecil avait dit toute la vérité à Rune sur la visite de la jeune femme. Rune était-il au courant que Loren Harrow allait très certainement fourrer son nez dans les affaires de Hopewell très bientôt, si ce n'était pas déjà le cas ?

La pensée mit Sage mal à l'aise. Il espérait de tout cœur que les menaces de Jessica n'étaient que des paroles dans le vent.

Il resta un long moment immobile devant l'écran de son ordinateur, avant de céder. Il avait besoin de plus de réponses que de simples hypothèses établies dans le salon de son grand-père. Et s'il fallait les chercher lui-même, qu'il en soit ainsi.

Il commença par taper le nom de Cecil sur Google, étant donné que c'était le seul qu'il connaissait en entier. Il ne trouva pas grand-chose : les articles qui apparurent avaient tous un lien avec le coven de High Moon, et il s'agissait pour la plupart de simples recensements. Cecil Singer figurait bien dans les listes jusqu'à il y a neuf ans, ce qui collait avec ce que Henry lui avait dit. Impossible de savoir pourquoi il avait dû couper les ponts avec le coven.

Le seul moyen pour Sage de découvrir la vérité aurait été de demander aux personnes directement concernées, ce qui n'était pas envisageable. Il n'avait aucun désir de parler à sa mère, surtout qu'il risquerait d'attirer encore plus l'attention sur Hopewell, et contacter Cecil était impossible. Non pas matériellement, car il avait le numéro de Rune, mais psychologiquement. Sage avait pris la décision de rester éloigné des sorciers car c'était la chose à faire. Y retourner impliquerait vouloir plus qu'une simple amitié, ce qui, même si c'était extrêmement tentant et était la seule chose qui hantait ses rêves, n'était pas raisonnable.

Il se tourna à nouveau vers l'ordinateur pour éviter de trop s'attarder sur les raisons pour lesquelles il ne pouvait pas revoir les sorciers. Il avait le sentiment que, s'il y réfléchissait trop, il trouverait toute une série de contre-arguments qui rendraient sa décision inutile, voire ridicule.

Il préférait rester dans le déni encore un moment.

Rune fut la prochaine victime de la curiosité de Sage. Comme il s'en doutait, son simple prénom ne le mena nulle part. « Rune Sylvain » lui donna un peu plus de matière. Il tomba sur une série d'articles mettant en scène la famille Sylvain, et plus particulièrement Fallon. Contrairement au cas de Cecil, qui avait une chronologie, Sage ignorait quand Rune s'était disputé avec sa famille, alors il ne pouvait que procéder à l'aveugle.

À force de recherches parallèles, il finit par remarquer qu'une histoire revenait en boucle. Il cliqua sur un énième article qui en avait fait son gros titre. Un incendie meurtrier ravage une demeure elfique. L'article datait d'il y a neuf ans. Sage haussa les sourcils devant la coïncidence. Tiens donc, la même année que le départ de Cecil du coven...

Le texte mentionnait qu'un départ de feu inexpliqué avait eu lieu dans le manoir Crann, une famille faisant partie de la lignée royale du Petit Peuple étant donné que l'époux était connu sous le titre de Grand-Duc Crann. L'incendie avait fait cinq victimes : le couple Crann, deux servants, et un invité dont l'identité demeurait inconnue. Selon le journaliste, le coupable s'était échappé, même s'il n'écartait pas la possibilité que le Petit Peuple eut décidé de délivrer la justice à leur manière.

Fallon Sylvain avait été le lien entre la police et les elfes dans cette affaire. Fallon, la femme qui connaissait intimement le sanctuaire. Qui savait qui était Rune, qui avait une histoire troublée avec le sorcier.

Les sorciers avaient le pouvoir d'invoquer le feu. Les elfes en étaient incapables, pour des raisons évidentes, et même les sorciers l'utilisaient avec parcimonie. Le feu était un outil, mais il pouvait facilement se retourner contre son utilisateur. Seuls les sorciers au style extrêmement offensif savaient le manier.

Rune était un protecteur. Il savait se battre.

Quand Sage se coucha cette nuit, ce fut avec l'esprit bourdonnant de questions sans réponses, et sa détermination de rester éloigné de Hopewell affaiblie.

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Sage eut une impression de déjà-vu quand Cali débarqua à la supérette alors qu'il était occupé à remplir les rayons. Il y avait assez de clients dans le petit magasin pour que Sage ne remarque pas qu'il était observé, et il sursauta quand la jeune femme parla juste derrière lui.

— Alors tu as survécu.

Sage parvint à s'accrocher au carton de nouilles déshydratées qu'il était alors occupé à vider. Il jura en se retournant.

— Pour l'amour de Dieu, Cali, tu vas me filer une crise cardiaque un de ces jours.

L'elfe avait l'air mécontente, mais son expression agacée ne fut pas ce qui sauta aux yeux de Sage.

— Wow, tu vas où habillée comme ça ? ne put s'empêcher de demander Sage.

Cali avait troqué ses vêtements habituels, jeans et blouses légères, pour une tenue qui appartenait plutôt à un podium. Elle portait une robe en tulle noire, aérienne et ultra-courte, qu'elle avait assortie avec des sandales à haut talons. Elle ne pouvait pas être à l'aise dans ces chaussures, c'était impossible.

Elle croisa les bras sur sa poitrine et haussa un sourcil, ce qui fit ressortir le maquillage pailleté qu'elle avait appliqué sur ses paupières et ses pommettes. Ainsi apprêtée, elle paraissait encore plus elfe qu'humaine, presque intouchable. Sage se sentait intimidé.

— Je sors avec des amis, déclara-t-elle. Et tu viens avec moi.

— Pardon ?

Sage n'avait probablement pas bien entendu. Il fit signe à Cali de le suivre au fond du magasin, auprès des congélateurs. Le boucan qu'ils faisaient dissimulerait leur conversation aux oreilles curieuses du manager de Sage.

— Je crois me souvenir d'une certaine promesse que tu m'as faite, Sage Baker, fit Cali. Tu devais me rendre visite dès que tu irais mieux. L'aurais-tu oubliée ?

Sage ouvrit la bouche pour se défendre, avant de se rendre compte que Cali avait raison d'être offensée. Il avait bel et bien oublié de la contacter à son retour de Hopewell. Honteux, il se tordit les mains.

— Je suis désolé, je ne voulais vraiment pas t'ignorer. C'est juste que ces dernières semaines ont été dures. Je n'avais plus toute ma tête.

C'était la vérité. Il était tellement obsédé par le sanctuaire et ses résidents, par les découvertes qu'il avait faites, qu'il lui était désormais impossible de fonctionner correctement sans se mélanger les pinceaux. Et Cali n'avait été qu'une victime collatérale.

Mais il ne lui dirait pas ça.

— J'étais inquiète pour toi, poursuivit Cali en pinçant les lèvres. Heureusement que ma mère a pu m'assurer que tu étais en bonne santé, quoiqu'un peu affaibli. Dois-je être vexée que tu préfères te confier à ma mère qu'à moi ?

— Autant j'apprécie beaucoup ta mère, autant je te promets que je n'avais nullement l'intention de te causer du souci. Je te l'ai dit. Mon séjour à Hopewell n'était pas de tout repos.

— Ça ne s'est pas bien fini ?

— Pas vraiment, non.

— Mais tu es pourtant guéri.

Ce n'était pas une question, mais une affirmation.

— Oui.

Cali pencha la tête sur le côté et détailla Sage des pieds à la tête. Ses narines se gonflèrent brusquement alors qu'elle prenait une profonde inspiration.

— Je comprends mieux... Tu portes une empreinte magique. C'est pour ça que tu broies du noir ?

— Je ne broie pas du noir.

— À d'autres. Je t'ai regardé pendant que tu travaillais, et tu avais constamment l'air prêt à pleurer à tout moment.

— OK, avant que l'on n'aborde le sujet de ma déprime passagère, est-ce que l'on peut s'attarder sur le fait que tu m'espionnais ?

— Je n'aurais pas eu besoin de le faire si tu étais venu me voir.

Elle marquait un point, et Sage lâcha le morceau. Il savait reconnaître une bataille perdue d'avance.

— D'accord, je reconnais ma faute. Que puis-je faire pour me racheter ?

— Je te l'ai déjà dit. Sors avec nous ce soir.

Et Sage céda. Il promit à Cali de la retrouver après son poste dans un bar du centre-ville, l'Eclipse. Il ne s'y était jamais rendu, mais il savait que c'était un lieu de rendez-vous prisé des jeunes de la communauté magique.

À vingt-deux heures tapantes, Sage pointa et se changea dans le petit vestiaire de la supérette. Il doutait que son jeans noir et son T-shirt de la même couleur passerait l'approbation des videurs, surtout en comparaison de la tenue de Cali, mais il n'avait pas vraiment le temps de rentrer se changer. De plus, il doutait d'avoir dans sa garde-robe quoi que ce soit de plus sophistiqué.

Et il appréciait d'être habillé de la même façon que Rune, aussi idiot que cela puisse paraître.

L'Eclipse se trouvait de l'autre côté de la ville, dans un quartier principalement habité par la communauté magique. Il dépassa de grandes maisons qui ressemblaient plus à des manoirs, et il était prêt à mettre sa main au feu qu'elles servaient de résidence à des nids de vampires. Etrangement, ils appréciaient tous le charme de l'ancien et l'art gothique. Les clichés avaient la vie dure quand le sujet de ces mêmes clichés les encourageaient.

Sage gara son pick-up dans une rue parallèle au bar, avant de prendre une profonde inspiration et de se diriger vers l'entrée de l'Eclipse. Il vérifia rapidement qu'il avait son téléphone et son portefeuille sur lui avant de se présenter devant l'homme vêtu d'un costume noir qui vérifiait les entrées.

— Invitation ? demanda-t-il.

— Euh...

— Sans invitation, on n'entre pas, décréta le videur. Ça vaut encore plus pour les humains.

Sage fut sauvé par Cali qui, ayant probablement senti sa présence, passa la tête par les portes.

— Il est avec moi ! Sage, viens.

Le jeune homme adressa un sourire gêné au videur avant de saisir la main de Cali et de se faire entraîner à l'intérieur de l'Eclipse.

Il fut aussitôt plongé dans une pénombre percée par des trombinoscopes multicolores. La musique n'était pas assourdissante, mais les basses étaient juste assez fortes pour faire pulser son cœur en rythme avec le morceau qui passait.

Il prit un moment pour trouver ses marques. L'entrée se trouvait à proximité d'une piste de danse qui jouxtait le long bar. Des escaliers menaient à une passerelle qui surplombait les danseurs et accueillait les tables VIP.

Sage se tourna vers Cali, qui lui adressa un sourire presque carnassier.

— C'est le moment de s'amuser ! cria-t-elle dans son oreille.

Elle et ses amis étaient installés à une table à l'étage, et Sage ne lâcha pas sa main tandis qu'elle l'entraînait à travers les autres clients du bar. L'atmosphère et l'obscurité brouillaient les traits et dissimulaient la véritable nature des gens qui l'entouraient, et Sage s'autorisa à respirer.

Sans grande surprise, la majorité des amis de Cali étaient des elfes, leurs yeux verts luisant faiblement à cause des trombinoscopes. Il y avait même une fée, une délicate jeune femme aux ailes de libellule et aux ongles acérés comme des griffes.

— Tout le monde, je vous présente Sage. Sage, voici tout le monde. Détends-toi : je leur ai interdit de te mordre.

— Ce qui est bien dommage, roucoula un garçon.

Sage n'était guère rassuré quand il l'observa des pieds à la tête avec un sourire qui dévoila deux crocs. Un vampire. Sage se fit la promesse de ne pas se retrouver dans un coin sombre avec lui : il tenait à garder son cou intact, même si le vampire était très mignon.

Mais il n'arrivait pas à la cheville de Cecil et de Rune.

— Pourquoi est-ce qu'il pue comme un sorcier ? demanda la fée en fronçant le nez. Je croyais qu'il était humain.

— C'est une très bonne question, Holly. Pourquoi, Sage ?

Sage hésita à répondre que ce n'était pas leurs affaires, avant de soupirer.

— Je vais avoir besoin d'un verre.

Cela ne faisait pas partie de ses plans, mais il n'avait pas non plus prévu d'être sous l'attention d'un groupe de créatures magiques qui étaient très intriguées par son odeur corporelle. Un verre ne lui ferait pas de mal.

Non ?

Cali commanda la première tournée, frappant la main de Sage quand il eut l'audace de sortir son portefeuille pour participer.

— J'ai vu où tu habitais, et sans vouloir t'offenser, je n'ai pas envie de t'endetter sur trois ans.

Pardon ?!

Les boissons arrivèrent à ce moment-là, sauvant par la même occasion Cali. À l'exception d'un grand verre rempli d'un liquide sombre et épais qui fut tendu au vampire, il s'agissait principalement de petits shots de liqueur fruitée.

— Fais attention, le prévint Cali. C'est fort. Genre, vraiment. Ils rajoutent généralement une goutte de filtre d'ivresse aux cocktails.

Malgré tout ce qu'il avait vécu ces dernières semaines, ses rencontres avec la magie, le sortilège, le rituel, le sanctuaire, Sage fut perdu le moment où ses lèvres touchèrent le liquide. Les saveurs explosèrent sur sa langue, un mélange de sucre et d'épices qui lui montèrent aussitôt à la tête et lui firent voir le monde sous un autre angle, bien plus merveilleux.

Les prochaines heures passèrent sans que Sage ne tienne compte de l'horloge qui tournait. Il enchaîna les verres sous les encouragements des amis de Cali, jusqu'à ce que cette dernière lui arrache sa prochaine boisson des mains.

— Tu as assez bu, trancha-t-elle. Allons danser !

Ils descendirent sur la piste de danse en une masse ivre et dépourvue de la moindre coordination. Même Holly trébuchait alors que ses ailes la faisaient planer à un bon mètre de hauteur, ce qui fit rire Sage.

Sage ne se considérait pas comme un mauvais danseur, mais l'alcool qui pulsait dans ses veines, la musique qui faisait trembler les murs et la compagnie qui l'entourait lui donna la liberté de se jeter à cœur perdu dans le rythme. Il avait conscience de la présence de Cali à ses côtés, s'assurant qu'il ne s'éloigne pas et ne se perde pas dans la foule, mais la surveillance de l'elfe ne le dérangea pas, bien au contraire. C'était une preuve qu'elle tenait à lui.

Il ne la méritait pas. Il s'était comporté comme un goujat en ne respectant pas sa promesse, et la culpabilité le poussa à s'excuser avec profusion entre deux refrains endiablés.

— Je ne t'en veux pas, lui assura-t-elle en l'entraînant dans une succession de pas compliqués. Juste... Ne me refais plus ça, OK ?

— Je te le promets !

Rassuré qu'elle n'était pas – ou plus – en colère contre lui, Sage jeta la tête en arrière et se remit à onduler.

Quand ils retournèrent à table, une éternité plus tard, Sage était essoufflé et physiquement fatigué. Le seul avantage à cet effort était que l'alcool avait diminué son emprise sur lui juste assez pour qu'il puisse raconter à Cali ce qui lui était précisément arrivé. Il ne lui cacha aucun détail, que ce soit le baiser qu'il avait espionné entre Rune et Cecil puis partagé avec eux, ou encore ses découvertes sur Internet, sa langue allégée par la boisson.

Quand il eut terminé son récit, Cali contempla la situation avant de vider son verre et de reprendre la parole.

— Et donc ? Que vas-tu faire ? Retourner à Hopewell ?

— Je ne sais pas si c'est une bonne idée...

— Ces deux sorciers te manquent, et ils t'apprécient assez pour t'ouvrir leurs portes et pour te marquer de leur empreinte. Ça ne trompe pas, ce genre de signe.

— Mais ma vie est ici, avec mon grand-père... Même si je retourne au sanctuaire, je serai forcé d'en partir à la rentrée scolaire. Ce ne serait que retarder l'inévitable.

— Qui est dans deux mois, souligna Cali. Vas-tu vraiment renoncer à deux mois de possible bonheur à cause de la rentrée scolaire ? Et je suis certaine que ton grand-père n'aimerait pas que tu te rendes malheureux à cause de lui. Pour moi, la situation est plutôt simple. Tu retournes les voir, et tu aviseras plus tard. Si tu dois partir, tu partiras, mais rien ne t'empêchera de revenir. Les relations longue distance, ça marche, tu sais ?

Sage saisit un verre sur le plateau et le renifla : on dirait de l'eau. Sa bouche était terriblement asséchée et cela lui donnait le temps de réfléchir avant de continuer leur discussion.

— Ouais, ce n'est pas idiot...

— Normal. C'est mon idée.

— Mais cela ne fonctionnerait que dans l'éventualité qu'ils veuillent me revoir. Cecil a été très blessé de mon départ...

— Sage Baker, tu as le don de faire du mal en voulant faire le bien, c'est inquiétant.

— À qui le dis-tu...

Cali s'installa plus confortablement dans le petit canapé qu'ils partageaient. Elle renversa la tête sur le dossier ; et Sage craignit pendant un instant qu'elle s'était assoupi.

— Admettons qu'ils acceptent de te donner une seconde chance. Serais-tu prêt à la saisir ?

La réponse de Sage lui parut évidente.

— Bien sûr.

— Alors qu'attends-tu ? Le festival du solstice d'été aura lieu ce week-end. La mairie a déjà commencé à aménager le champ autour du saule pleureur. Ce n'est pas loin du sanctuaire, non ? Invite tes sorciers.

Sage ouvrit la bouche pour protester, avant de se rendre compte que ce n'était pas une mauvaise idée du tout. Convaincu, il pêcha dans sa poche son téléphone et sélectionna le contact de Rune, les mains légèrement tremblantes. Cali gloussa.

— Tu es complètement mordu...

— Oh, tais-toi.

Il rédigea à plusieurs reprises le message, s'assurant que la tournure ne paraissait ni trop détachée, ni trop insistante.

Salut, Rune (et Cecil) ! C'est Sage. J'espère que je ne vous dérange pas. Ce week-end aura lieu le festival du solstice, et je voulais savoir si vous comptiez vous y rendre. Je sais que Cecil ne quitte que rarement le sanctuaire, mais le festival en vaut vraiment le coup. J'y serai, donc si vous décidez d'y aller, on pourra peut-être se voir ? À samedi (je l'espère).

— Tu as réussi à les inviter sans confesser ton amour pour eux, c'est incroyable, remarqua Cali en lisant par-dessus son épaule.

— Dois-je dire qu'ils me manquent ?

— Veux-tu l'écrire ?

La pensée faisait rougir Sage, alors il secoua la tête.

— Tu as ta réponse. De toute façon, c'est sous-entendu. Envoie ce message avant de te dégonfler.

C'est ce que Sage fit, empochant son téléphone pour s'empêcher de traquer l'écran dans l'attente d'une réponse.

— Il se fait tard, déclara-t-il, mais je pense que j'ai le temps pour un dernier verre et un tour sur la piste.

— J'aime entendre ça.

Sage parvint à oublier son audace pendant quelques temps. Ils finirent par quitter le bar alors que la nuit laissait peu à peu sa place à l'aube. Cali récupéra les clés de Sage pour le ramener à la maison, tandis qu'une seconde voiture les suivait.

— Je me suis bien amusé, murmura Sage quand Cali se gara devant son immeuble.

— Je suis heureuse de l'entendre. On se revoit au festival ? Comme ça, tu ne seras pas seul.

Sage hocha la tête. Alors qu'il s'apprêtait à descendre, son téléphona brisa la quiétude. Sage se figea, avant de s'empresser de décrocher sans vérifier qui l'appelait, le cœur battant à tout rompre.

— Allo ? Rune ? Cecil ? C'est vous ?

Il n'entendit qu'une respiration avant que la ligne ne se coupe et que son écran redevienne noir.

Peut-être qu'il aurait dû prendre le temps pour vérifier qui l'avait appelé, mais il était bien trop fatigué pour cela. Plus tard. Cela pouvait attendre.

Il déposa un baiser maladroit sur la joue de Cali quand elle le ramena jusqu'à sa porte, où elle lui conseilla de prendre une aspirine et de boire un grand verre d'eau pour ne pas se réveiller à moitié mort.

Sage fit un brin de toilette pour se débarrasser de l'odeur d'alcool et de sueur qu'il avait ramenée depuis l'Eclipse avant de se mettre en pyjama et de se glisser sous les draps, basculant dans le monde des rêves avant même que sa tête ne touche l'oreiller.

A/N : j'ai beaucoup aimé écrire ce chapitre, et surtout la scène à l'Eclipse ! j'espère que ça vous aura au moins autant plu que moi 🥰 on se retrouve donc mercredi pour la suite ! (on y croit ??)

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