ERIKA

18 octobre 2019, 1 h 02.

Son réveil affiche une heure du matin. Ni elle, ni moi n'avons retiré nos vêtements sombres et tristes.

Funèbres, en fait.

J'avais cessé de me ronger les ongles le soir de sa mort. Et la nuit précédant son enterrement, je suis à nouveau en train de bousiller ma manucure inexistante.

Je me sens si vide. Je n'ai même pas la force de maintenir une expression sur le visage, c'est pour dire à quel point je suis dans le déni. Demain et les prochains jours seront tellement épuisants moralement. Je vais devoir accepter un poste, un statut qui ne m'a jamais intéressée. Je vais devoir me comporter telle la leader que mon défunt père a toujours vue en moi, et que je ne suis pas. Mais tout à son honneur, à la vie, à la mort je protégerai son gang. Mon gang. Parce qu'il en va de notre serment dont j'ai accepté de prêter allégeance à l'âge de treize ans.

Les Rock'n'Bears sont une famille. Pour toujours et à jamais unis dans la force mentale comme dans la brutalité physique.
Les Rock'n'Bears ne déshonorent sous aucun prétexte la famille de sang, comme de choix.
Les Rock'n'Bears sont rancuniers, car ils mordent comme des ours. Alors, il ne vaut mieux pas les chercher.

Bref. Tout un long discours de lois qui régissent notre communauté de motards. L'avantage avec les Rock'n', c'est que nous ne faisons rien - à proprement parler - d'illégal. Nous défendons nos croyances, nous protégeons notre loyauté. Malgré tout, nous sommes toujours mal vus par le monde, parce que nous avons beaucoup de tatouages, un blouson arborant fièrement notre blason d'honneur et une façon de parler qui déplaît.

C'est ma famille. De sang et de choix. J'avais le droit, en tant que fille légitime du roi des Bears, de décider si je voulais rejoindre le gang ou non. J'ai choisi d'en faire partie de mon plein gré, juste après la soudaine disparition de ma mère. Peut-être en est-ce la raison ? Peu importe.

Je suis à présent la reine par héritage. Enfin, « reine » est le terme employé. Je dirais cheffe pour être plus dans l'air du temps.

Un titre dont je ne voulais pas. Un titre que je ne pense pas mériter. Simplement parce que mon père est décédé dans un accident de moto. Quelle ironie, n'est-ce pas ?

Je n'aurais pas surmonté tous ces changements si cette femme n'était pas à côté de moi, allongée dans le même pieu que le mien, en train de ronfler.

Je passe mes doigts à travers ses mèches de cheveux pour les écarter de son visage. Elle est si paisible lorsqu'elle dort. Elle a un sommeil si profond que je me suis souvent demandé si elle n'exagérait pas. Elle tient ça de son père, il me semble.

Julie, je l'aime. C'est ma Ève et je suis son Adam au féminin. J'embrasse sa joue, dont la douceur du duvet accueille mes lèvres pleines. Je sens son pied bouger sous le drap, mais elle ne se réveille pas et ne me surprend pas à la regarder avec amour.

Si elle n'était pas arrivée dans ma vie, je ne serais pas ce que je suis aujourd'hui. En fait, si elle avait refusé d'être ma petite amie, je l'aurais quand même tatouée sur mon cul pour ne jamais l'oublier. Elle ne se rend pas encore compte à quel point je suis folle amoureuse. Je remercie le destin, ou peu importe qui, de nous avoir réunies dans son bureau d'avocate le 14 novembre 2018.

J'espère qu'un jour, elle mesurera enfin la portée de mes sentiments et qu'elle me le rendra en retour. J'espère qu'au travers de mes pensées, en cette nuit pluvieuse, elle m'entendra lui dire de me faire confiance et de ne pas m'abandonner.

Parce qu'à ce jour, si je la perds, j'en mourrais. Putain.