48. Dragon Rouge

L'Amiral et ses compagnons embarquèrent dans la navette qu'avait fait affréter, spécialement pour eux, le doyen des Intouchables. Il ne semblait pas avoir d'âge précis, mais se distinguait de ses collègues par le charisme qui émanait de sa personne. Il était grand et mince, à la chevelure grisonnante. L'un des deux membres du Conseil qui l'accompagnaient était beaucoup plus petit que la moyenne ; l'autre affichait un embonpoint amplement supérieur à celui du commun des mortels.

Elle avait réussi à les convaincre de faire piloter leur appareil par celui qui les fit descendre le long du faisceau. Elle prétexta ainsi limiter au maximum le nombre de personnes qui seraient au courant de la mutinerie du TXL1138...

Ce fut dans la plus grande discrétion qu'ils décollèrent de la petite plateforme de lancement. L'accélération fulgurante faillit leur faire perdre connaissance. Les performances de leur engin approchaient celles d'un chasseur FXS, bien que sa taille soit bien plus imposante !

Après s'être remis de leur surprise, ils purent admirer le dôme qui rapetissait au fur et à mesure qu'ils prenait de l'altitude. Ils distinguèrent nettement la vingtaine de petits villages qui y étaient rattachés. Ils devaient tous être originaires de l'un d'entre eux et essayaient de se souvenir duquel il pouvait bien s'agir.

— Cela fait toujours chaud au cœur de se remémorer les années passées au sein du village de notre enfance, n'est-ce pas ? demanda le doyen, parfaitement conscient des émotions qu'ils devaient ressentir à cet instant précis.

— C'est exact, Excellence... quels sont les souvenirs que vous en avez gardé ? répondit l'Amiral afin de tester l'honnêteté de son interlocuteur.

— Tout cela remonte à si loin, mon enfant, lui répondit-il... évitant ainsi de devoir avouer qu'il n'était pas né dans l'un des villages de reproduction. Tant de choses se sont passées dans nos vies depuis lors.

L'Amiral comprit qu'il ne servait à rien de tenter d'approfondir ce sujet délicat. Elle regarda s'éloigner les paysages de son enfance à travers le hublot. Elle pensa à leur nouvelle mission, se rendant compte que l'avenir des enfants de la Terre était, à présent, entre leurs mains !

Leur navette vint alors frôler le faisceau qui reliait le dôme à son astroport. Ses passagers purent assister à l'intense manège des quelques coupoles et des multiples nacelles, en tout genre, qui montaient et descendaient en s'évitant de justesse.

L'Amiral repensa à leur pilote. Il devait se régaler de ce spectacle hallucinant. Elle prétexta vouloir se dégourdir les jambes pour aller le retrouver dans sa cabine... Après en avoir refermé la porte, elle s'adressa à lui :

— Te souviens-tu de la proposition que je t'ai faite lors de notre descente ? Elle tient toujours. Il faudrait juste que tu me rendes un tout petit service...

— Lequel, Amiral ? lui demanda-t-il, semblant fort intéressé.

— Nous avons beaucoup de choses à montrer aux membres du Conseil qui nous accompagnent. J'ai bien peur qu'ils ne veuillent pas rester assez longtemps à notre bord. Il faudrait que tu leur déclares qu'une légère avarie nécessitera quelques opérations de maintenance... et qu'ils seront forcés de passer la nuit sur notre frégate. Nous bénéficierions ainsi d'une journée supplémentaire, qui nous serait grandement utile !

— Cela devrait pouvoir se faire, Amiral, répondit-il un sourire complice aux lèvres. J'ai toujours rêvé de faire partie de l'équipage d'une frégate de combat ; je serais vraiment honoré de rejoindre le vôtre !

Enchantée par cette réponse, plus que satisfaisante, l'Amiral s'empressa de rejoindre les autres passagers. Leur voyage continua dans l'apesanteur jusqu'à ce que l'astroport soit enfin face à eux. Ils purent assister à la délicate manœuvre d'accostage grâce aux écrans qui équipaient chacun de leurs sièges.

Ils furent ensuite menés vers un ascenseur qui les fit traverser l'astroport de bas en haut. Ils se retrouvèrent, à nouveau, hors de la magnétosphère planétaire ! Leur pilote reprit alors les commandes de son appareil afin d'accomplir le rêve de sa vie : venir se poser sur le pont d'une frégate... Le Chef technicien les attendait dans le hangar de maintenance.

— Bienvenue à bord, Excellences, s'exclama ce dernier avec enthousiasme, en s'adressant aux trois membres du Conseil ; tout en admirant le merveilleux engin dont ils venaient de sortir. Amiral, je vous remets le commandement du FXL350. Rien de spécial à signaler, nous avons fait le plein de vivres et de carburant... ainsi que de munitions. Tous nos voyants sont au vert !

— Merci Chef, lui répondit-elle. Je pense que leurs Excellences vont vouloir se reposer avant de commencer leur visite. Nous allons nous rendre dans mes quartiers. Faites-y amener quelques collations.

Ils se dirigèrent, sans plus attendre, vers l'espace gravitationnel afin de se rendre dans la cabine de l'Amiral. Les membres du Conseil furent heureux de quitter ces conditions d'apesanteur auxquelles ils n'étaient vraiment pas habitués. Ils prirent place sur les sièges faisant face au bureau et acceptèrent, avec plaisir, les boissons qui leur furent offertes. Lorsqu'ils se retrouvèrent enfin seuls, le doyen des Intouchables prit à nouveau la parole :

— Votre frégate est vraiment impressionnante, Amiral. Il émane d'elle une telle puissance... je vous envie d'avoir la chance d'assurer son commandement. J'échangerais bien ma fonction contre la vôtre ! Et ce deuxième anneau qui l'entoure lui donne une allure encore plus majestueuse, qui semble la rendre... invincible.

— Vous avez raison, Excellence. Et pour être honnête envers vous, je n'échangerais ma fonction contre aucune autre !

— Vous ne pensez pas si bien dire, Amiral, lui répondit-il avec sarcasme en se remémorant, sans aucun doute, le contrôle impitoyable que leurs maîtres anunnaki exerçaient sur eux... Puis-je vous demander de nous emmener vers la coupole des Indésirables avant que le professeur nous fasse la démonstration de ses merveilleuses inventions ? Nous mourrons d'impatience de rencontrer ces insurgés qui ont eu l'audace de désobéir aux commandements de la Fédération !

L'Amiral les y conduisit en empruntant le long dédale de couloirs qui menait à l'entrée de la coupole. Les trois Intouchables s'y faufilèrent avec beaucoup de difficulté. Lorsqu'ils arrivèrent enfin, le plus petit d'entre eux s'étonna :

— Mais ce sas est ouvert ! N'y avez-vous pas posté de gardes ?

— Cela ne s'est pas avéré nécessaire, Excellence. Vous allez le constater par vous-même...

Les quelques Indésirables, qui se trouvaient dans les environs, se dirigèrent vers eux. Ils reconnurent l'Amiral, mais ne lui montrèrent aucun signe de familiarité. Ils se doutaient bien de l'identité des trois individus qui se tenaient à ses côtés. Ils envoyèrent l'un des leurs chercher le doyen de leur petite communauté.

— Ils ont enlevé leurs anneaux ? demanda le gros Intouchable.

— Lors de leur évasion, lui répondit l'Amiral. Ils ne leur servaient de toute façon plus à rien...

— Difficile d'imaginer à quoi pourrait ressembler notre vie sans eux, remarqua-t-il...

— Je crois que, dans votre cas, la question ne se pose même pas, Excellence ! riposta l'Amiral, bien décidé à jouer cartes sur table avec eux.

Ils semblèrent ignorer cette dernière remarque en observant le vieil homme qui se laissa flotter, avec une extrême élégance, vers eux. Il s'arrêta juste à côté de l'Amiral qui se souvenait de lui pour l'avoir déjà rencontré lors de son séjour sur Éden.

— Bienvenus au sein de notre coupole, Excellences, leur dit-il d'un ton amical... Nous attendions votre visite avec impatience.

— Et pourquoi donc ? répondit le doyen.

— Nous pensons qu'il est essentiel que vous soyez mis au courant des motivations de nos actes. Nous ne nourrissons aucune haine envers vous. Nous comprenons parfaitement la situation dans laquelle vous vous trouvez... Vous n'avez pas vraiment choisi les fonctions que vous exercez, ni les responsabilités qui sont devenues les vôtres. Disons que, tout comme chacun d'entre nous, vous avez été emportés par le fil de votre destinée...

— Ce que vous venez de dire est tout à fait déplacé, rétorqua leur dernier interlocuteur. Ce n'est pas à vous de nous juger ; beaucoup d'innocents sont morts durant votre évasion !

— Vous savez pertinemment bien, Excellence, que nous n'en sommes nullement responsables, répliqua le vieil homme. Nous avons simplement tenté de construire un monde meilleur, loin de votre Fédération. Les forces qui contrôlent nos destinées se livrent, depuis longtemps, une guerre sans merci dont nous sommes, tous et toutes, non seulement les acteurs... mais également les victimes impuissantes ! Ne voyez en nous aucune haine ni rancune. Nous sommes revenus pour nous soumettre à votre décision, quelle qu'elle soit. Nous vous remercions d'ores et déjà de nous avoir permis de vous expliquer les raisons qui motivèrent notre évasion.

Le chef des Intouchables se retourna alors vers l'Amiral en lui demandant :

— Vous ont-ils opposé une quelconque résistance lors de leur capture ?

— Aucune, Excellence. Nous n'avons en fait que le mérite de les avoir poursuivis, et ensuite retrouvés, sur la petite lune où ils choisirent de se réfugier. Leur arrestation fut extrêmement facile.

— Nous reparlerons de cette petite lune plus tard, répondit l'Intouchable en pensant sans doute au projet Genesis II. Merci de nous avoir amenés ici, Amiral. Retournons dans votre bureau, cette apesanteur me donne la nausée !

Ils rejoignirent rapidement la zone gravitationnelle, laissant les Indésirables derrière eux, sans plus leur dire le moindre mot. Une fois de retour dans la cabine de l'Amiral, cette dernière entreprit de leur décrire à quoi ressemblait Éden. Elle s'empressa néanmoins très vite de changer de sujet, de peur que ses hôtes ne lui posent trop de questions concernant la coupole qu'elle était censée y laisser se poser...

Elle leur proposa d'aller visiter la salle de contrôle de la frégate, où les attendait le professeur, dans le but de leur présenter les résultats de ses expériences spatio-temporelles ! Lorsqu'ils arrivèrent dans la salle, les membres d'équipage présents se mirent au garde-à-vous, comme un seul homme.

Le doyen, croyant que cette marque de respect lui était destinée, leur fit signe de continuer leur travail... Mais aucun d'entre eux ne broncha d'un poil. L'Amiral se tenant derrière lui, embarrassée, leur fit signe d'obéir d'un geste discret de la tête. Ils s'empressèrent alors de se remettre à leurs occupations, comme si de rien n'était.

Le professeur leur expliqua les divers sauts qu'il fit effectuer à un nombre, sans cesse croissant, de cobayes, avant d'envoyer la frégate tout entière dans l'espace-temps. Il proposa de leur faire une petite démonstration. Mais ceux-ci refusèrent aimablement, prétextant que leur emploi du temps exigeait qu'ils retournent incessamment vers le Conseil Suprême afin d'informer les autres Intouchables de leurs découvertes.

Un appel du Chef technicien arriva soudain aux implants de l'Amiral. Elle leur fit part du message qu'elle venait de recevoir : le système de contrôle environnemental de la navette, qui les avait amenés jusqu'ici, présentait des signes d'avarie... Il devait s'y être produit une légère fuite d'oxygène ; certains de ses voyants étaient dans la zone rouge.

Une inspection détaillée allait devoir être effectuée afin de détecter d'où pouvait provenir la fuite. D'après les estimations du Chef, cela prendrait facilement... toute la nuit ! L'Amiral, feignant d'être embarrassée par ce contretemps, leur proposa de faire contre mauvaise fortune bon cœur en profitant pleinement de ce qui allait sans doute être leur toute première nuitée dans l'espace... en apesanteur !

Ce fut sans trop d'enthousiasme qu'ils durent se résigner à accepter cette proposition. Ils furent emmenés vers les quartiers réservés aux visiteurs distingués de la frégate. Et bien que leurs suites individuelles soient bien plus luxueuses, et confortables, que celles du reste de l'équipage... ils y entrèrent à contrecœur.

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