9. Nouvel allié
Après quelques séances d'expérimentation dans notre espace gravitationnel, le groupe des femmes arriva à la conclusion que nos enfants oiseaux ne parviendraient pas à s'envoler dans l'atmosphère d'Éden. Leurs muscles n'avaient pas encore acquis le tonus nécessaire à les élever dans les airs. Elles eurent l'idée géniale de leur confectionner une paire d'ailes supplémentaires, qui seraient fixées aux extrémités de leurs petits bras, afin de les aider à vaincre la faible force d'attraction de notre nouveau monde.
Nous les vîmes décoller avec émerveillement, pour la toute première fois au sein du cylindre gravitationnel de notre vaisseau, semblable à d'énormes papillons virevoltant au-dessus de nos têtes. Ils s'y déplaçaient avec une aisance inouïe ! Le cylindre générait, par sa vitesse de rotation ajustable, une pesanteur similaire à celle que nous allions bientôt rencontrer.
Les bras de nos petits chérubins étaient prolongés par de longues lattes de bois enveloppées d'un fin tissu imperméable. Ce stratagème leur permettait de brasser une quantité importante d'air à chacun de leurs battements d'ailes. Leurs ébats étaient accompagnés d'un très léger sifflement que nous prenions plaisir à entendre !
Enthousiasmées par ces résultats prometteurs, nos compagnes nous avaient proposé de libérer nos quatre jeunes oiseaux lors de notre descente vers la surface, pour qu'ils puissent guider les coupoles... Nous avions trouvé cette idée excellente car le poste de pilotage de ces dernières ne permettait pas de choisir aisément l'emplacement le plus propice à leur atterrissage. Cette décision délicate dépendrait essentiellement de la nature du sol, pour ne pas qu'elles s'embourbent sous leur propre poids.
La zone devait également être suffisamment grande et plane, pour que les quatre coupoles puissent s'y poser côte à côte. En effet elles devraient impérativement se fixer l'une à l'autre afin de maintenir une position verticale. Elles se connecteraient juste avant de toucher le sol, en formant une énorme plateforme, surmontée de nos quatre dômes, tenant en équilibre sur leurs demi-anneaux inférieurs. Le vaisseau, quant à lui, finirait sa course en venant se poser à proximité...
Seuls nos enfants seraient capables de choisir, de façon efficace, l'emplacement idéal. Ce serait là que nous établirions notre camp de base. Il devrait se trouver près de sources de nourriture et d'eau, dans une région au climat favorable à notre survie. Les réacteurs de notre vaisseau seraient alors mis en veille, pour se transformer en une source d'énergie quasiment inépuisable ! Nous avions décidé de baptiser notre nouvelle cité du nom de « Magdala », en l'honneur de Marie Madeleine.
Notre but était de plus en plus proche. Nous nous sentions fins prêts à entamer notre installation sur Éden. Mais il nous restait encore à franchir une étape très importante de notre préparation... Il nous fallait rétablir les fonctions conscientes de notre ordinateur de bord, que nous avions déconnecté il y avait bien longtemps déjà.
Les capacités de ce dernier s'avèreraient essentielles lors de notre mise en orbite et surtout durant notre délicate pénétration dans l'atmosphère d'Éden. La moindre erreur de pilotage pourrait entraîner une catastrophe qui anéantirait notre vaisseau, de même que les coupoles !
Si notre trajectoire était trop horizontale, nous ricocherions sur les couches gazeuses les plus denses. Et si celle-ci était trop verticale, notre bouclier protecteur ne résisterait pas à l'échauffement ainsi provoqué... Nous serions brûlés vifs lors de notre descente !
En l'absence de notre regretté Judas, ce fut à moi qu'incomba la lourde responsabilité de réactiver notre ancien chef de mission. C'était une tâche délicate, car personne ne pouvait prédire quelle serait sa réaction lorsqu'il s'apercevrait que nous avions enfreint les directives de la Fédération.
En effet, celui-ci avait été programmé pour n'obéir qu'aux ordres du Centre de Contrôle de Mission. Et non aux cadets que nous étions certainement restés à ses yeux ! Sa réactivation s'avérait néanmoins indispensable à notre survie. Il n'était pas question d'effectuer les manœuvres d'approche d'Éden sans son aide.
Je me dirigeai donc, tout comme le fit Judas une trentaine d'années auparavant, vers le conduit qui menait au réacteur principal où se trouvait son centre névralgique. Ce faisant, je ne pus m'empêcher de penser à notre ami défunt... Que lui était-il passé par la tête lors de sa périlleuse descente vers l'endroit le plus dangereux de notre vaisseau ?
Je m'étais bien gardé d'expliquer à Marie Madeleine les risques que présentait le fait de venir s'aventurer de l'autre côté de notre miroir protecteur. J'avais enfilé l'une des combinaisons spécialement conçues à cet effet. Elle était supposée me protéger de la quantité énorme de radiations qui régnaient en cet endroit.
L'arrière du vaisseau baignait dans la pénombre, depuis que les fonctions non essentielles de l'ordinateur de bord avaient été désactivées. Jean alluma la lampe torche, fixée à son casque, déclenchant un faisceau doré en face de lui. Attirés par ce jet de lumière, des diamants scintillants flottaient mollement dans l'air ambiant. Cet endroit n'avait plus reçu de visiteurs depuis bien longtemps ; une fine poussière s'était accumulée dans ces coursives abandonnées, balayées à présent par un mystérieux pinceau lumineux.
J'arrivai enfin au sas qui menait vers la minuscule salle de contrôle des diverses fonctions de base de l'ordinateur. Elle était si étroite que je pus à peine m'y faufiler. Je regrettai de ne pas avoir utilisé ma forte corpulence comme excuse pour ne pas avoir à effectuer cette tâche ingrate ! Je me déplaçai, tant bien que mal, dans cet espace exigu et sombre. Ce dernier me donnait l'impression de vouloir m'avaler, au fur et à mesure que je m'y aventurais.
Une fois arrivé en face du panneau de contrôle principal je dus me livrer à un énorme effort de concentration, afin de me rappeler les détails de la procédure de réenclenchement des fonctions conscientes de l'intelligence artificielle qui habitait ces lieux.
Petit à petit les gestes, qui avaient été imprégnés dans ma mémoire, lors de mon entraînement dans la pyramide, me revinrent de façon automatique. Je réactivai, un par un, les circuits essentiels permettant à l'ordinateur de reprendre le contrôle de son vaisseau. Je n'osais m'imaginer quelle serait sa première réaction. Je me préparais mentalement à répondre à ses questions...
L'instant fatidique arriva plus tôt que prévu. Je fus surpris d'entendre cette voix métallique, que j'avais pratiquement oubliée, s'adresser à moi en disant :
— Trajectoire de catapultage orbital autour de la cinquième planète adoptée...
Un interminable silence suivit ces paroles restées figées dans sa mémoire volatile depuis si longtemps... Il avait gardé le souvenir de cette manœuvre que nous nous apprêtions à exécuter, autour de Jupiter, avant que Judas ne le déconnecte... en nous permettant ainsi d'enclencher la pleine puissance de nos réacteurs ; qui nous éjecta ensuite de notre système solaire.
Il énuméra les procédures d'un ton froid et autoritaire :
— Données de positions incorrectes, avortement d'urgence ! Cadets établissez l'état de la situation ! Coordonnées spatio-temporelles erronées ! Rapport immédiat au Contrôle de Mission...
Il continua quelques instants à réciter les procédures de dérive spatio-temporelle. J'attendis que la cadence de ses ordres se calme, pour enfin lui adresser la parole :
— Changement de mission... Remise à jour des données... Nouvel objectif : établissement d'une trajectoire orbitale autour de la plus grosse lune de la deuxième planète du système solaire en approche.
Un silence interminable suivit mes nouvelles directives... Il n'était certainement pas habitué à recevoir d'ordres d'un jeune cadet. Seul le Contrôle de Mission était habilité à lui parler sur ce ton. Il me répondit :
— Procédure non réglementaire... Requiers directives du Contrôle Central de Mission... Cadets, établissez rapport de l'état de nos systèmes de communication... Raison de l'absence de réponse ?
Mes prochaines paroles allaient être d'une importance capitale... J'allais devoir trouver les mots qui le persuaderaient d'exécuter la nouvelle mission que nous tentions de lui assigner.
Je lui répondis lentement, de façon autoritaire, en essayant de ne pas mâcher mes mots :
— Manœuvre de catapultage elliptique autour de la cinquième planète avortée... Un dérapage spatio-temporel a entraîné une nouvelle situation d'urgence. La mise en orbite autour de l'unique astre habitable de ce système planétaire est indispensable à la survie du vaisseau et de son équipage !
Son absence de répartie me donna l'impression qu'il avait accepté le dialogue. Et sa réponse ne fit qu'augmenter mon réconfort :
— Manœuvre entamée... Réinitialisation des données spatio-temporelles... Tentatives de rétablissement des communications avec le Contrôle de Mission... Distance trop éloignée pour établir le contact... Trajectoire orbitale proposée acceptée... Établissement d'un rapport immédiat sur les circonstances du dérapage dans le journal de bord... Procédure alternative de prise en charge de la mission par l'intelligence humaine embarquée acceptée... en attente de nouvelles directives du Centre de Contrôle.
J'avais réussi ! Cette conversation n'avait pas été entendue de l'autre côté du miroir qui bloquait toutes nos transmissions radio. Personne ne pouvait encore partager l'euphorie qui m'envahissait et que je tentais, tant bien que mal, de dissimuler pour ne pas trahir mon subterfuge... Lentement et avec énormément d'application, je me mis à réactiver la totalité des fonctions de l'ordinateur qui allait à présent devenir notre plus précieux allié !
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