8. Proxima

Les années passèrent, dans la joie et le bonheur de voir grandir notre enfant, entourée de ses deux frères et de sa sœur. Nous avions décidé de l'appeler Sara, que mes recherches avaient révélée avoir été le nom de la fille de Jésus Christ et de Marie Madeleine... En effet, certains extraits de notre Bible mentionnaient, sans vraiment trop s'y attarder, la possibilité que le Messie ait eu une relation avec cette dernière.

Mais le fait qu'une descendance ait été issue de cette union illégitime, et que de surplus celle-ci fut une fille ; la condamnait à subir la censure d'une société qui n'était pas prête à accepter de voir une femme jouer un rôle aussi primordial dans l'ouvrage qui allait changer la face du monde! Le Maître m'avait prévenu que notre Bible avait été maintes fois corrigée, remaniée par un groupe restreint d'individus, dans le but de dominer leurs semblables, en utilisant la religion pour arriver à leurs fins.

J'avais consacré la plupart de mes instants de liberté à son étude. Cet ouvrage avait été effacé de toutes nos banques de données, de même que les autres manuscrits ayant trait aux anciennes croyances. Ceux-ci faisaient désormais partie des «livres interdits» à cause des terribles attentats nucléaires qui furent perpétrés, au nom du fanatisme religieux, au début du troisième millénaire.

La Fédération avait, de façon compréhensible, bien que discutable, jugé bon de bannir toute religion dans la crainte d'avoir un jour à revivre de tels événements... Mais la petite Sara Jean ne se souciait guère de toutes ces considérations. Elle aimait se faire appeler Sara, tout simplement, car ce nom lui plaisait!

Nos jeunes enfants grandissaient à une allure impressionnante. Ils contrôlaient parfaitement leurs ailes dans l'apesanteur ambiante et leurs jeux avaient progressivement fait place à un entraînement très strict, orchestré par Marie et son groupe des femmes.

Tous les membres de notre communauté avaient pris Sara comme petite protégée. En tant que dernière-née elle bénéficiait d'une affection toute spéciale! Elle le méritait bien. Elle savait allier son aspect juvénile à un charme féminin, déjà très prononcé, qui ressemblait à s'y méprendre à celui de sa mère. Marie Luc en était parfois même un peu jalouse, mais l'amour qu'elle avait pour sa petite sœur prenait toujours finalement le dessus!

Marie Madeleine et moi-même avions assuré le rôle de parents envers nos quatre chérubins avec la permission tacite de mes trois compagnons qui étaient devenus chacun parrain de leur enfant respectif... Ces derniers s'étaient accoutumés à cet état de fait. Ils prenaient parfois beaucoup plus de plaisir à jouer avec eux qu'à satisfaire mes exigences de père, lorsqu'elles paraissaient trop strictes à leur goût.

Mais tout cela était bien normal et Marc, Matthieu ainsi que Luc m'étaient reconnaissants d'accepter cette complicité, qui venait très souvent amoindrir l'autorité que j'avais sur ces petits anges... qui pouvaient, de temps à autre, se transformer en de véritables démons. Ceux-ci ne faisaient alors plus preuve d'aucune pitié lorsqu'ils avaient décidé de s'en prendre à l'un d'entre nous en l'emmenant dans les airs, pour l'y laisser dériver pendant d'interminables instants!

Le temps s'écoulait sans que nous nous en apercevions. Seules les disparitions des membres les plus âgés de notre communauté venaient entacher le cours de notre vie quotidienne. Nous étions encore une bonne centaine... L'espoir s'éveillait enfin, pour la plupart d'entre nous, d'atteindre la fin de notre voyage. Cela nous motivait d'autant plus à jouer un rôle actif dans la préparation de notre installation sur Éden!

Le groupe des anciens avait fondu comme neige au Soleil. Mais il avait parfaitement rempli sa tâche, en réglant de façon magistrale l'organisation de notre vie quotidienne et en assurant l'ordre et l'harmonie au sein de notre communauté. Il était également, grâce à l'aide précieuse de Marie Madeleine, arrivé à établir un contact étroit avec l'Ange de notre coupole.

Ce dernier était devenu un membre, à part entière, de leur petit groupe. Ils l'avaient inclus dans leur processus de décision. Il nous avait permis d'optimaliser notre symbiose avec les Dévas de la nature et d'ainsi profiter un maximum du produit de nos récoltes. Il nous avait conseillés et aidés à comprendre les lois de la nature en nous enseignant les secrets des plantes, des arbres et des minéraux.

Notre cimetière était devenu bien trop petit pour abriter les centaines d'hologrammes de nos défunts. Nous avions décidé de ne plus laisser activé que celui de notre Maître, tout en triplant sa taille. Ce dernier s'élevait à présent, semblable à une statue animée, au-dessus de son socle de pierre, au milieu des autres sépultures.

Marie Madeleine quant à elle s'était finalement habituée à mes marques d'affection. Cela me réconfortait grandement. C'était la preuve évidente de son attachement envers moi. Les instants d'intimité que nous partagions étaient devenus la source d'un bonheur intense qui avait pour effet de littéralement recharger mes batteries tout en me donnant une énergie que je n'avais encore jamais possédée auparavant!

Nos conversations me rappelaient celles que j'eus avec ma compagne, il y avait de cela bien longtemps déjà. Elles n'en finissaient pas, nous abordions tous les sujets possibles et imaginables. Ceux-ci allaient de l'éducation des enfants jusqu'aux domaines profondément théologiques, inspirés par cette Bible qui avait déjà tant influencé notre destinée.

L'approche de l'étoile naine Proxima vint interrompre la routine de notre voyage. Comme son nom l'indiquait, elle était l'étoile la plus proche de notre système solaire. Elle faisait partie du système d'étoile triple du Centaure et était parfois nommée Alpha du Centaure C, se situant à 4,22 années-lumière de notre planète originelle.

C'était une naine rouge de type M, de magnitude apparente 11, beaucoup trop faible pour être vue à l'œil nu de la Terre. Elle était éloignée de 13 000 UA d'Alpha du Centaure et orbitait autour de cette étoile double en environs 500 000 ans! Ce triplet se déplaçait de concert, uni par un lien invisible, à travers notre galaxie...

Le diamètre minuscule de ce petit astre rougeâtre était à peine 1,5 fois celui de Jupiter : 1/7 e de celui de notre Soleil. Mais il s'agissait bien là d'une étoile naine et non d'une planète. Sa masse était 150 fois supérieure à celle de notre géante gazeuse.

Il ne fallait pas trop nous en approcher, de risque que celle-ci nous attire vers elle de façon irrémédiable! L'intensité de son rayonnement pouvait doubler ou même tripler en quelques minutes... ce qui nous rendait extrêmement vulnérables à un éventuel embrasement de sa part!

Le spectacle que nous avions en face de nous était néanmoins de nature à nous faire oublier le danger que représentait cet astre si particulier. Nous aurions aimé le voir d'encore plus près en le frôlant de la même manière que nous l'avions fait avec Jupiter, une petite trentaine d'années auparavant.

Mais nous n'avions ni le carburant ni le temps de nous permettre de modifier notre trajectoire. Et nous n'allions pas prendre le risque d'être littéralement avalés par l'énorme force d'attraction de cette naine rouge, à l'allure si inoffensive. Nous aurions pourtant bien voulu en savoir un peu plus à propos de cette étoile solitaire, n'étant accompagnée d'aucune planète, condamnée à suivre ses deux grandes sœurs dans leur course vers nulle part...

Nous oubliâmes néanmoins bien vite l'énigmatique Proxima pour ne plus avoir d'attention qu'envers le but de notre voyage qui grandissait, jour après jour, devant nous... Alpha du centaure A allait enfin pouvoir nous révéler ses merveilleux secrets! Nous avions identifié les trois planètes orbitant autour de cet astre, légèrement plus gros et lumineux que notre Soleil.

Éden était la plus grande des six lunes de la seconde de ces trois planètes. Il nous fallait à présent faire les choix opportuns et élaborer un plan efficace afin d'atteindre notre but. Nous n'avions pas le droit à la moindre erreur. L'emplacement et la procédure d'atterrissage que nous choisirions détermineraient nos conditions de vie futures!

Mon groupe avait déjà effectué la plupart des calculs de trajectoire nécessaires à notre mise en orbite d'observation autour d'Éden. Au fur et à mesure que nous nous en approchions, les détails prometteurs s'accumulaient, ne faisant qu'attiser notre impatience d'en savoir encore plus à son sujet.

Bien que très semblable à la Terre, elle était de taille plus modeste. Son rayon d'à peine 3000 kilomètres et sa masse deux fois moins importante occasionnaient une force gravitationnelle équivalente à un tiers de celle qui régnait sur notre planète originelle. Cela n'allait pas sans trop nous déplaire, nous qui avions passé tant d'années en conditions d'apesanteur!

Comme elle était très proche de la géante gazeuse autour de laquelle elle orbitait, sa vitesse de rotation atteignait près de 65 kilomètres par seconde... ce qui lui permettait d'accomplir une orbite complète en un peu plus d'une journée terrestre!

Nous y avions identifié de gigantesques océans d'où émergeaient de très hautes chaînes de montagnes. Celles-ci étaient flanquées de grandes étendues boisées, creusées par de multiples rivières qui venaient s'engouffrer dans une série de vallées escarpées. Certaines d'entre elles se transformaient parfois en énormes chutes d'eau, hautes de plusieurs centaines de mètres. De très nombreux nuages venaient malheureusement occulter une grande partie de sa surface, où aucune trace de vie animale n'avait encore été détectée.

En nous rendant compte que l'aspect d'Éden était fort semblable à celui de notre Terre, nous étions arrivés à la conclusion qu'il nous serait sans doute possible de nous y installer... Mais notre verdict final ne pourrait être rendu que lorsque nous serions en orbite rapprochée et que nos sondes pénétreraient son atmosphère. Ces dernières nous permettraient d'analyser, plus en détail, sa composition. Ce serait seulement à cet instant que nous prendrions la décision de nous poser, ou non, à sa surface.

Si, pour l'une ou l'autre raison, cela s'avérait impossible, nous serions forcés d'élaborer de nouveaux plans... tels que notre installation au fond d'un de ses nombreux océans. Nous y serions à l'abri d'éventuelles conditions météorologiques trop inhospitalières, de terribles prédateurs ou de substances nocives que nous aurions décelées au sein de son atmosphère. Nos centrales de recyclage seraient alors utilisées au maximum de leur capacité afin de régénérer l'air et l'eau dont nous aurions besoin, en attendant d'avoir résolu nos problèmes d'adaptation en surface...

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