Le soir venu, les quatre héros du jour regagnèrent leur cale pour profiter d'une nuit de sommeil bien méritée. Comme d'habitude, une longue conversation s'installa entre eux, tout doucement, dans l'obscurité.

— Il va falloir travailler vos manœuvres défensives, les gars. On a bien failli se faire avoir cette fois-ci, lança la fille.

— Tu as raison, dès demain tu seras en charge de nous apprendre tes bottes secrètes, répondit l'aîné.

— On verra, reprit-elle. Ce dernier combat m'a complètement vidée.

— Moi aussi rétorqua l'indiscipliné, qui n'en revenait toujours pas d'avoir été à deux doigts d'être abattu. C'est comme si nous avions subitement pris un coup de vieux. On n'a plus la pêche d'antan.

— Je crois que le problème vient d'ailleurs, conclut le quatrième... J'ai remarqué que je ne dormais plus très bien depuis le retour de notre dernier saut. Je ne sais pas pour vous, mais je n'arrête pas de faire des rêves d'un réalisme intense.

— Bon sang, moi aussi. Je ne vous en avais pas encore parlé en espérant que cela cesserait bientôt. Mais ça a l'air bien plus sérieux que je ne le pensais... De quoi rêves-tu ? lui demanda la fille d'un ton inquiet.

— D'une rencontre étrange, répondit le quatrième ; elle semble se passer à chaque fois que l'on fait un saut, quelque part, de l'autre côté du temps.

— Merde, vous me faites flipper les mecs ! s'exclama son interlocutrice. C'est exactement la même chose pour moi... De quoi a-t-elle l'air, votre rencontre ?

— Difficile à expliquer, répondit l'indiscipliné. Ce sont des voix, venant de partout et de nulle part.

— Qu'est-ce qu'elles te disent ces voix ?

— Elles me parlent d'un continent qui existait il y a très très longtemps...

— Attends, je m'en souviens aussi, la Lémi, Lému...

— La Lémurie, s'exclama enfin l'aîné, les mettant tous d'accord quant aux souvenirs qu'ils partageaient.

— Qu'est-ce qu'ils vous ont raconté ? reprit-il.

— Ils habitent dans une ville flottante, comme ils disent, reprit le quatrième larron. Ils se déplacent, à leur guise, hors du temps... entre les molécules de la matière.

— Leur cité aérienne... c'est bien ça ! rétorqua l'indiscipliné.

— Ils m'ont révélé avoir un message très important ; vous en savez plus vous ? demanda finalement la fille.

— Non, répondit l'ancien. Notre prochain saut ne se fera plus dans les magnétosphères, nous allons l'effectuer à bord de nos chasseurs. Mais il nous faudra attendre encore quelque temps avant qu'il ait lieu. Le professeur s'efforce de les transformer pour qu'ils puissent effectuer leurs voyages dans le temps... question de mettre les différentes vibrations en phase m'a-t-il dit. Allez comprendre !

— Tu as raison, c'est bien au-dessus de notre Q.I. tout ça. Il est temps de nous endormir ; je suis vannée ! conclut la fille en s'enfonçant dans son couchage.

— Bonne nuit les Bleus, Clair Éther... rétorqua l'ancien afin de mettre fin à leur conversation.

Le lendemain, l'Amiral et son Second s'en allèrent visiter le professeur. Il ne lui restait plus beaucoup de temps pour atteindre les résultats escomptés. Et comme le jeune savant avait l'habitude de s'enfermer dans son laboratoire ; ils décidèrent d'aller voir, de leurs propres yeux, où en étaient ses travaux.

L'Amiral prit immédiatement la parole après être entrée, sans frapper, dans l'atelier :

— Nous avons entendu que vous envisagiez de transporter des chasseurs avec leurs pilotes dans votre prochaine tentative de saut...

— C'est exact Amiral, je suis en train de modifier une formation de quatre appareils pour en faire de véritables « bulles spatio-temporelles ».

— Et comment allez-vous réussir à accomplir cet exploit ? demanda le Second. Nous n'avions pas prévu cette étape dans notre plan d'action. Nous pensions que vous prépariez notre frégate pour son voyage retour.

— Cette phase intermédiaire est absolument nécessaire Commandant... Si quelque chose ne fonctionne pas, je préfère que ce soit avec l'un de ces petits chasseurs FXS, plutôt qu'avec notre vaisseau tout entier. J'ose espérer que vous serez d'accord avec moi à ce sujet. Et pour répondre à votre question... Je crois pouvoir y arriver, comme cela s'est passé avec les sphères virtuelles, en les entourant d'un anneau supplémentaire placé à un angle de 90 degrés par rapport à celui qui les équipe déjà. Je ne voudrais pas vous importuner avec un tas de formules et d'explications rébarbatives... Le principe de base de mes expériences est de combiner l'effet de deux magnétosphères agissant perpendiculairement l'une par rapport à l'autre.

— Pensez-vous qu'il vous sera possible de faire effectuer son saut à notre frégate avec l'entièreté de ses occupants lorsque nous aurons accompli notre mission ? demanda l'Amiral.

— Je n'en suis pas encore certain Amiral, je désire tout d'abord effectuer quelques derniers tests avec les chasseurs que j'aurai transformés. Si ma théorie s'avère exacte, le transport de notre frégate dans le temps nécessitera la construction d'un deuxième anneau générateur de magnétosphères autour d'elle... ainsi que d'une quantité énorme d'énergie !

— Merci Professeur, répondit-elle. Nous n'allons pas vous retarder plus longtemps... Tenez-nous au courant de l'évolution de vos travaux.

L'Amiral se rendit dans ses quartiers, suivie du Second, qui referma la porte derrière lui en s'assurant que personne ne les ait aperçus... Elle s'adressa à lui sans plus attendre.

— Nos ordres étaient de réactiver notre deuxième coupole, peu avant notre arrivée dans le système d'Alpha. Il nous faudra ensuite l'abandonner sur la planète où se sont réfugiés les Indésirables... Croyez-vous que nous puissions nous permettre de perdre une de nos deux « chaloupes de sauvetage » si notre voyage retour devait durer à nouveau une trentaine d'années ?

— J'aurais préféré ne pas avoir à le faire Amiral, répondit-il. Surtout si notre équipage se voit augmenté de je ne sais combien de prisonniers que nous sommes censés ramener sains et saufs vers la Fédération. Mais le professeur a l'air sûr de lui... Ses travaux ont été couronnés de succès jusqu'à présent. Et quoi que ce soit qu'il y ait dans cette mystérieuse coupole, son activation semble d'une importance primordiale pour le Conseil Suprême. Son écosystème a été mis en hibernation. Si nous voulons nous en servir pour notre voyage retour, il nous faudra de toute façon la réactiver...

— Nous n'avons donc rien à perdre, conclut l'Amiral, bien décidée à suivre les ordres qu'elle avait reçus de la Fédération... tant que ceux-ci ne mettaient pas en danger la sécurité de son équipage !

Une impulsion émanant de son implant frontal diminua l'éclairage de la pièce et alluma l'un des écrans muraux de son bureau. Les Intouchables y apparurent, prêts à s'adresser à elle.

Étant donné la distance qui les séparait de la troisième planète ; il s'agissait d'un enregistrement, destiné à être activé à un instant précis de leur mission... instant qui semblait enfin être arrivé.

— Toutes nos félicitations, Amiral. Vous êtes pratiquement parvenus au terme de votre voyage. Et nous avons bon espoir que le projet de saut temporel, prévu lors de votre trajet retour, pourra être effectué... Vous venez d'entamer la prochaine étape de votre mission. Il est temps d'activer le projet « Genesis II », code Alpha Oméga 258-2814.

Les deux officiers se regardèrent sans rien dire. Le code initia, via leurs implants, une réaction automatique de leur part. Ils placèrent la paume de leur main droite aux emplacements, prévus à cet effet, sur le bureau de l'Amiral. Ils récitèrent de façon parfaitement simultanée la clef qui venait de leur être donnée, en fermant les yeux afin de mieux pouvoir se concentrer...

Une impressionnante batterie de lampes à chaleur s'alluma brusquement à l'intérieur de la deuxième coupole. Elles sortirent son paysage, blanc et glacial, de l'ombre dans laquelle il était resté jusqu'à présent. Cet apport soudain de lumière et de chaleur vint éclairer une multitude d'œufs, hauts d'une cinquantaine de centimètres, méticuleusement alignés sous la rangée de projecteurs. La glace et la neige qui les entouraient se mirent lentement à fondre...