J'attendis que mes compagnons viennent me rejoindre près du feu, tout en essayant de mettre un peu d'ordre dans mes pensées. Nous avions pris l'habitude de l'allumer chaque nuit, durant notre pleine lune, à l'endroit où nous avions passé notre première soirée du Wesak.

Mon récit fut bref, je ne voulais pas tarder à aborder le sujet principal : l'arrivée imminente d'une des frégates de la Fédération qui s'était lancée à nos trousses ! Ses occupants devaient être exténués à la suite du trajet qu'ils venaient d'effectuer. Que pouvaient-ils bien avoir vécu, isolés de tout, durant ces longues années ? Nous ne devions être à leurs yeux, que d'horribles assassins... des renégats qu'il fallait à tout prix capturer et punir !

Nous commençâmes alors à analyser comment il nous serait possible de nous emparer d'une frégate, armée jusqu'aux dents. Nous n'avions que quelques armes de poing, des arcs et des flèches pour nous opposer à sa force de frappe phénoménale... sans même parler de ses multiples chasseurs, qui allaient sans aucun doute bientôt venir voler au-dessus de nos têtes.

Après avoir passé de longs instants à ne trouver aucune solution à nos problèmes, nous décidâmes d'attendre que j'entame mon entraînement avec mon Guide. Peut-être pourrait-il nous indiquer la voie à suivre ?

Je ne perdis donc pas de temps. Le lendemain matin, aussitôt levé, je me dirigeai vers mon petit drapeau que je réussis à retrouver sans trop de problèmes. Je ne pris avec moi qu'une lampe de poche, mon carnet de notes, un sac et quelques cordages. J'enfilai mes vêtements les plus chauds, car il faisait froid dans la grotte que mon Guide avait choisie comme salle de cours. La végétation camouflait parfaitement l'orifice par lequel la lumière pénétrait dans le gouffre. Il m'aurait été bien difficile de le retrouver sans mon subterfuge, simple, mais efficace !

Je me servis des cordes, que j'avais emportées avec moi, pour descendre jusqu'au fond de ce trou béant. Il avait dû être creusé, par je ne savais quel animal cauchemardesque, dans la roche friable de la falaise. On pouvait aisément voir des traces de ses griffes parsemer les murs de la caverne. Les oiseaux les avaient utilisées comme petites plateformes afin de venir s'y reposer. Cette bête devait avoir une taille gigantesque et une force incroyable pour arriver à entailler la roche de telle façon. J'osais à peine imaginer ce qu'il adviendrait de nous si nous venions à la rencontrer, ou pire : si elle venait à s'attaquer à notre cité...

D'énormes ossements, étalés au fond de la grotte, me rassurèrent un bref instant. Il pourrait bien s'agir d'une race de dinosaure marin disparue depuis longtemps. Mais en les observant de plus près, j'y vis attaché çà et là quelques morceaux de chair fraîche, déchirée en lambeaux ! Il valait mieux penser à autre chose...

Lorsque je fus arrivé à mi-chemin le long de ma corde, les oiseaux décollèrent d'un commun accord. Ils vinrent m'accueillir de la même façon que lors de ma première visite dans leur demeure, dont ils ne semblaient plus être les seuls habitants ! Je me doutais de ce qu'il allait se passer... Je ne fus donc nullement étonné de me retrouver, quelques secondes plus tard, flottant dans l'espace, entouré d'étoiles. J'attendis que mon Guide s'adresse à moi... Il ne se fit pas trop attendre :

— Bonjour, Jean... félicitation pour ton ingéniosité ; c'est un très bon début ! As-tu bien dormi ?

— Oui... Comment voulez-vous que je vous appelle... mon Guide ?

— Je sais que vous venez de découvrir ce qu'étaient les noms, et que votre nouvelle identité vous enthousiasme au plus haut point. Mais souviens-toi de ton enfance. Pas besoin de noms pour communiquer. Ils ne sont pas de mise là d'où nous venons. Non pas parce que nous n'accordons pas d'importance à chaque individualité, mais parce que nous nous sommes débarrassés de nos « egos ». Nos âmes ont atteint ce que l'on appelle l'état de « Conscience Christique », pour laquelle tout n'est qu'UN. Mais que cela ne t'empêche pas de me tutoyer !

Cela commençait bien... Moi qui pensais être en pleine évolution. Voici que je venais de faire un bond en arrière, aussi surprenant que décevant. Fini les prénoms entre nous. Mais qu'à cela ne tienne ! J'avais décidé de me lancer dans cette aventure et il n'était plus question de faire demi-tour. Le temps n'était plus aux hésitations... et moins encore aux changements d'avis !

Tout comme ce vieillard qui organisa notre évasion resterait toujours dans mes pensées, notre Maître. Cet être, qui prétendait m'avoir suivi depuis toujours, resterait à tout jamais pour moi, mon Guide !

— D'accord, « qui que tu sois », mais puis-je au moins savoir en quoi consistera mon entraînement ?

— Bien sûr, « qui que tu sois, toi-même ». Je vais brièvement te l'expliquer... Je suis très heureux de t'avoir enfin retrouvé. Tu n'as vraiment pas changé. Tu as gardé cette arrogance et cette curiosité qui te caractérisent si bien. Nous allons procéder de façon progressive à ton éducation. Elle aura initialement pour but de t'aider à te rappeler tout ce que tu as oublié en revêtant ce corps de chair et d'os, qui te va si bien. Nous irons donc de l'infiniment petit vers l'infiniment grand, de l'intérieur vers l'extérieur, du microcosme au macrocosme, de l'Alpha vers l'Omega...

— Mais si TOUT est UN, je suis donc à la fois l'un et l'autre. Ou bien suis-je tout simplement au milieu des deux ?

— J'aime tes questions, nous allons nous amuser, j'en suis certain... Ma réponse EST précisément ta question. Tu es à la fois l'un, l'autre ET le milieu, tu es le TOUT ! C'est ce que vous appelez « l'Éther », dans votre Fédération, et que nous appelons « la Force »... Il s'agit d'une énergie d'Amour et de Lumière, omniprésente au sein de l'univers. Le vide, sombre et infini, de l'espace qui nous entoure n'est qu'une illusion inventée par les forces de l'Ombre, pour vous maintenir dans l'ignorance et la peur !
Vos émotions ont depuis longtemps, été contrôlées, manipulées par ceux qui vous ont enfermés dans cette prison dorée, dont vous n'êtes même plus conscients. Votre peur constitue pour eux une énergie vitale dont ils se nourrissent. Lorsque vous serez arrivés à la transformer en amour, ils devront s'en aller chercher ailleurs d'autres victimes.
Souviens-toi de ce principe de base : « les êtres sont faits pour être aimés, les choses sont faites pour être utilisées ». Et votre société vous enseigne exactement le contraire ! Ta nourriture fait déjà partie de toi avant qu'elle entre dans ta bouche et l'air que tu respires fait toujours partie de toi lorsqu'il sort de tes narines.
Les infimes molécules qui te composent, les galaxies qui t'entourent, tout ce qui transite à travers cette fine membrane, que tu associes à ton « véhicule charnel », fait partie de TOI ! Il est essentiel de respecter le TOUT, de le vénérer ; comme l'on se respecte et se vénère soi-même.
Remercie et bénis cette nourriture qui t'apporte force et amour, avant de la manger, ainsi que l'air qui vient te purifier et la lumière qui vient t'informer... Ce ne sont que de simples marques de gratitude envers toi-même et tout ce qui t'entoure. L'univers te le rendra au centuple. Retiens bien ces trois concepts primordiaux :
La Peur ne peut être vaincue que par l'Amour.
L'Ombre ne peut être vaincue que par la Lumière.
L'Ignorance ne peut être vaincue que par la Connaissance...
Ton monde est emprisonné par les premiers de ces concepts, et ne pourra être libéré que par les seconds !
Recherche dans ta Bible le « Psaume 23 ». Mémorisez-le comme une prière. Récitez-le avant vos grandes batailles, il vous rendra invincibles ! Il illustre parfaitement tout ce que je viens de te dire...

— Mais mon corps n'appartient qu'à moi. Le monde extérieur n'en fait pas partie...

— C'est ce que nous sommes tous programmés à penser. Il s'agit là d'un concept profondément ancré dans tous les êtres vivants afin d'attiser leur ego et leur instinct de survie primordial. Je vais te démontrer, très simplement, qu'il est erroné. Craches un peu de salive dans le creux de ta main...

Je m'exécutai, sans trop savoir à quoi mon Guide voulait en venir. Une glaire de salive se logea dans ma main. Son contact tiède et gluant me gêna subitement. Je ne savais qu'en faire. Où allais-je bien pouvoir m'en débarrasser ? Il continua ses explications :

— Remets cette glaire dans ta bouche, et avale là...

— Mais c'est dégoûtant ! répondis-je. Ne puis-je pas tout simplement l'essuyer sur ma tunique ?

— Tu vois... Cette salive faisait partie de toi, elle était dans ta bouche il y a à peine quelques secondes. Et maintenant qu'elle en est sortie, elle te dégoûte. Alors que tu l'aurais avalée sans aucun problème si tu ne l'avais pas crachée dans ta main. Nous sommes tous programmés pour rejeter ce qui ne fait pas, ou plus, partie de notre corps !

— Et qu'y a-t-il à l'intérieur de moi ?

— L'entièreté de l'univers ! Tout comme à l'extérieur, tu n'es en fait que le miroir, la membrane qui se trouve entre les deux. L'univers n'est qu'UN. La physique quantique a démontré que certaines particules étaient reliées à travers l'espace. Elles réagissent instantanément au fait que l'une d'elles soit observée... quelque soit la distance qui les sépare ! Souviens-toi de l'instant précédant le « Big Bang ». Tous les atomes qui composent la multitude d'étoiles et de planètes qui nous entourent étaient alors concentrées en un petit point microscopique. Et ils sont restées liés entre eux après la gigantesque explosion qui donna naissance à l'univers tel que nous le connaissons. Ce dernier est enchevêtré dans une toile de liens invisibles qui relient ses particules. Et celles-ci sont, de ce fait, indivisibles. Vos savants ont appelé cela, « l'intrication ». D'après cette théorie, l'univers est donc bien un TOUT unique où tout est lié... intriqué !