32. Un grain de sable dans le désert

Perdus entre Proxima et les deux étoiles sœurs d'Alpha ; quatre petits chasseurs venaient de surgir de nulle part aux environs de leur frégate. Des dizaines de petites navettes s'affairaient à la construction de son deuxième anneau : cet imposant tube de métal d'un kilomètre de diamètre qui viendrait bientôt entourer l'entièreté du vaisseau, perpendiculairement à son premier anneau générateur de magnétosphères.

Les quatre chasseurs flottaient dangereusement l'un à côté de l'autre. Leurs pilotes, quelque peu surpris de se retrouver soudain en dehors du hangar de la frégate, reprirent rapidement le contrôle de leurs engins...

— Bleus, reprenez vos positions pour la formation d'approche, s'exclama l'ancien tout aussi étonné que ses équipiers de se retrouver en plein milieu du vide spatial.

— Mais nous venons à peine d'entamer notre saut, répondit l'indiscipliné. Il était censé durer quelques semaines. Est-il déjà fini ?

— Bienvenu au sein de la Cavalerie Spatio-Temporelle... là où rien ne se passe vraiment, répondit le leader. Vous savez bien que nos sauts sont instantanés. Ce sont les autres qui ont passé de longues semaines à nous attendre ! Regardez, ils ont déjà entamé la construction de notre deuxième anneau. Préparez-vous pour notre appontage. Approche par secteur arrière, formation de combat.

— J'ai gagné mon pari ! s'exclama le quatrième. Vous voyez bien que nous avons gardé la même vitesse que notre frégate. Vous qui aviez peur que note réapparition se fasse à vitesse nulle... Le professeur me l'avait expliqué : les objets que l'on envoie dans le temps gardent le vecteur vitesse qu'ils avaient avant leur saut. Il appelle ça l'inertie spatio-temporelle. Un truc avec la loi de conservation de l'énergie. « Rien ne se perd et rien ne se gagne », m'avait-il dit... Heureusement d'ailleurs. Pas facile de passer de zéro aux cinquante-mille kilomètres par seconde qui nous seraient nécessaires pour venir apponter notre frégate !

— C'est bien joli tout ça, répondit la fille. Mais comment allons-nous faire avec les anneaux supplémentaires de nos chasseurs ? Ils passent sous leur ventre. Nous allons les détruire en appontant !

— Tour de contrôle aux Bleus, interrompit un appel radio venant de la frégate. Bienvenus de retour dans notre espace-temps ! J'espère que votre saut s'est bien passé...

— Tout est OK, contrôle, répondit le Chef de patrouille... À part un petit problème : comment diable voulez-vous que nous atterrissions sur le pont avec ces anneaux supplémentaires que vous avez fixés autour de nos appareils ?

— Pas de problème les enfants, répondit le Second qui supervisait, comme à son habitude, la manœuvre d'appontage... Le professeur a oublié de vous briefer à ce sujet. Il vous suffit d'actionner vers le bas la nouvelle manette qu'il a placée juste à côté de celle de votre train d'atterrissage. Elle fera pivoter votre deuxième anneau en position horizontale. Il s'alignera ainsi avec votre anneau générateur de magnétosphères. Cela devrait résoudre votre petit problème...

— Bien compris, répondit Bleu 1 reprenant rapidement le contrôle de sa formation. Configurez vos appareils pour notre appontage, trains sortis et anneaux horizontaux...

Les trois ailiers exécutèrent promptement les ordres de leur Chef de patrouille qui les emmena vers le secteur arrière de la frégate. Après une série de virages serrés, effectués avec dextérité, les quatre engins se posèrent enfin sur le pont en engageant leur câble respectif.

— Bon sang ! s'écria le numéro quatre. Avez-vous vu ça ? Notre deuxième coupole. Ses lumières se sont rallumées. Sa surface semble couverte de taches rouges... Y avait-il quelqu'un à son bord ? Si c'est le cas, il faudrait aller y jeter un coup d'œil. Ils doivent être dans un piteux état !

— Tais-toi, lui répondit l'ancien. Tu sais bien que nous ne sommes pas censés nous intéresser à ce qu'il y a là-dedans. Pas un mot de tout cela sur la fréquence de la tour. Je ne veux pas avoir d'ennuis avec l'Amiral...

Ce fut donc dans le plus grand silence que les quatre chasseurs regagnèrent la plateforme qui les descendit dans le hangar où les attendait un impressionnant comité d'accueil.

Le Second, l'Amiral, accompagnés du professeur ainsi que de la totalité du personnel de quart était venu les accueillir. Les chaleureux applaudissements de cette foule enthousiaste leur fit rapidement oublier la remarque du numéro quatre concernant la mystérieuse deuxième coupole... 

Ils se laissèrent flotter vers le cockpit du chef de la formation. Lorsque sa verrière fut entièrement ouverte, le professeur ne put s'empêcher de lui sauter au cou pour lui exprimer sa gratitude d'avoir mené à bien cette mission essentielle à l'avancée de ses travaux. L'Amiral et le Second lui serrèrent ensuite la main sous les clameurs hystériques de l'assemblée. Ils ne comprenaient pas vraiment la raison d'une telle ovation.

Le professeur leur expliqua qu'après avoir si brillamment réussi ce saut, les chances étaient très grandes que leur frégate puisse également voyager dans le temps, comme ils venaient d'en démontrer la possibilité. Ils furent rapidement portés, de façon triomphale, vers la salle de briefing où le reste de l'équipage les attendait.

L'Amiral et le professeur prirent place à leur côté sur l'estrade qui surplombait l'audience. Elle attendit quelques instants que les clameurs se calment pour prendre la parole.

— Chers compagnons, collègues, amis... Je ne sais quels qualificatifs donner à cette famille que nous formons depuis notre départ... si lointain déjà. Nous sommes tous réunis ici pour célébrer une étape primordiale de notre mission. Nous n'aurions pas pu l'atteindre sans le professionnalisme ainsi que les nombreux sacrifices, de chacun et chacune d'entre vous. Je voudrais tout d'abord bien sûr, en votre nom à tous, remercier et féliciter de vive voix les cinq personnes se trouvant à mes côtés sur cette estrade. Sans leur courage et leur dévotion, notre projet de saut temporel n'aurait jamais été réalisable...

Une nouvelle clameur de joie vint brièvement interrompre les paroles de l'Amiral. Elle y mit rapidement fin, tout en souriant, d'un simple geste de la main.

— Mais, comme je vous l'ai déjà dit, c'est à vous tous que nous devons d'être arrivés jusqu'ici. Nous sommes finalement à proximité de notre destination : l'étoile double dénommée Alpha. Lorsque nous avons appris que c'était là que se rendaient ceux que nous poursuivons, celle-ci nous semblait encore si lointaine... et pourtant elle est là, toute proche à présent. Elle grandit sans cesse sur nos écrans de contrôle ; nous révélant, de jour en jour, un peu plus de détails quant à la composition de son système planétaire... Nous allons bientôt entamer notre phase de décélération. Celle-ci nous permettra de nous mettre en orbite autour de la planète sur laquelle se sont installés les Indésirables et leur vaisseau cargo. Elle durera plusieurs jours et nous soumettra à une gravité égale à celle de notre planète d'origine. Cela fait très longtemps que nous n'y avons plus été soumis de façon constante... Faites tous bien attention, arrimez tout ce qui doit l'être dans les espaces qui furent, jusqu'à présent, en conditions d'apesanteur. Et attendez-vous à subir les symptômes bien connus d'une réaccoutumance à la gravité. La mise à feu de nos réacteurs aura lieu juste après notre manœuvre de retournement sur notre axe longitudinal. Vous avez exactement cinq heures pour vous préparer ! Clair Éther à vous tous et toutes...

L'équipage quitta la salle dans une ambiance bien plus silencieuse qu'il n'y était entré. Chacun reprit rapidement son poste en révisant les procédures de freinage applicables à leurs fonctions. Pendant ce temps l'Amiral, le professeur, le Second ainsi que les autres membres du commandement se regroupèrent au centre de la salle afin d'y analyser les prochaines étapes de leur mission. Ce fut le Second qui prit à son tour la parole face à une projection tridimensionnelle de l'étoile Alpha et des diverses planètes et lunes qui orbitaient autour d'elle. Cette dernière venait remplir, de façon impressionnante, l'espace au-dessus de l'assemblée.

— Comme l'Amiral nous l'a expliqué, nous sommes en train de rassembler un maximum d'informations sur le nouveau système planétaire que nous venons d'atteindre. Le peu que nous en savions avant notre départ se voit journellement précisé par les informations emmagasinées grâce à nos différents radars et télescopes.

D'un geste rotatif de la main, le Second fit pivoter puis s'agrandir la projection pour pouvoir clairement distinguer le carrousel des différents astres qui tournaient autour de leur soleil...

— Comme vous pouvez le voir, trois planètes orbitent autour de cette étoile. La première d'entre elles possède une surface solide. Elle est fort semblable à la quatrième planète de notre système. Les deux autres, beaucoup plus grosses, sont des géantes gazeuses respectivement semblables à nos cinquième et sixième planètes.

— Si les évadés se sont installés sur l'une d'entre elles, ce ne pourrait donc être que sur la première, reprit le Chef technicien, d'un ton maladroit, en regrettant de s'être mêlé d'un sujet qui ne la concernait pas vraiment.

— En effet, répondit le Second en pardonnant cet excès d'enthousiasme. Mais cet endroit est aussi inhospitalier que notre quatrième planète... Sa surface désertique et rocailleuse est brûlante le jour et glacée la nuit. Et son atmosphère, très peu dense, semble bien être irrespirable. Elle ne possède aucun satellite. Nous pensons donc que ce serait plutôt vers l'une des différentes lunes des deux autres planètes que nous devrions axer nos recherches.

— Mais il y en a une multitude, reprit le navigateur en chef... Cela équivaut à chercher un grain de sable dans le désert !

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