29. Vol mouvementé

Nous nous réveillâmes environ trois heures plus tard, lorsque la lumière de nos deux soleils réapparut de l'autre côté de Luna. Le vent s'était déjà mis à faire danser la cime des arbres qui nous entouraient. Mes compagnes m'aidèrent à enfiler rapidement mon scaphandre.

Mon parachute, bien qu'encore à plat sur le sol, commençait déjà à s'agiter sous l'effet des rafales qui s'intensifiaient. Je pris les cordages reliés à l'imposante surface de tissus en les roulant en boule par-dessus mon épaule, afin de me diriger vers le bord de la falaise. Mes spectateurs me suivirent silencieusement. Je sentais le doute s'installer en eux... Était-ce vraiment une bonne idée que de me jeter, accoutré de telle sorte, dans le vide ? Mais je faisais entièrement confiance aux enfants et à leur mère. Ils viendraient certainement à mon secours si le besoin s'en faisait sentir !

Après l'avoir redéposé en face de moi, j'entrepris de démêler les suspentes de mon parachute qui se cabrait déjà comme un cheval sauvage. Je n'aurais que quelques secondes pour le dompter si je ne voulais pas m'écraser contre les flancs de la falaise. Le comportement de ma monture diminua quelque peu mon optimisme légendaire. Si elle venait à se refermer tout près des rochers, aucun volatile au monde n'arriverait à m'empêcher de m'y écraser !

Mais il était trop tard pour revenir sur ma décision. Tous ces yeux fixés sur moi, avec tant d'admiration, m'encouragèrent à ne plus penser à rien d'autre qu'à tirer un coup sec sur mes suspentes et à décoller ! Je me mis dos au vent, pour pouvoir amener en douceur mon aile au-dessus de moi. Je pris un malin plaisir à la voir s'élever, tout en la contrôlant avec dextérité. Cela me procura quelques instants de fierté et de bonheur intense. J'essayais de ne pas trop penser aux surprises que la suite des événements pourrait m'apporter...

Marie Madeleine s'envola en poussant un de ces cris stridents que seuls ses amis les oiseaux pouvaient comprendre. Ceux-ci venaient d'ailleurs de réapparaître du côté de la falaise. Je perçus instinctivement la signification de son geste... Il m'indiquait que je devais me lancer, sans plus attendre, dans le vide ; car la force des rafales s'intensifiait dangereusement !

Je me retournai vers l'océan en essayant, tant bien que mal, de maintenir mon parachute au-dessus de moi. Cette manœuvre faillit me faire perdre l'équilibre. Ma sensation de fierté fut très vite remplacée par une terrible angoisse. Un cri strident, venant du plus profond de mes entrailles, tenta de camoufler en héroïsme mon comportement aussi téméraire qu'irréfléchi !

Je me lançai dans le vide, soutenu par quelques fines suspentes, accrochées à un simple morceau de tissus auquel je venais de confier ma vie ! Il s'agissait bien encore là d'une de ces stupides décisions dont j'avais le secret...

Mais le temps n'était plus aux doutes quant au bienfondé de mes décisions. Il me fallait contrôler ma trajectoire. Celle-ci devenait de plus en plus chaotique, emportée par les bourrasques de la brise de mer. Les conditions atmosphériques étaient devenues encore plus turbulentes que lors de mon arrivée ! Je remerciai en pensées Marie Madeleine de m'avoir rappelé qu'il ne fallait plus perdre de temps.

Les ascendances dans lesquelles je m'étais lancé me firent très vite prendre de l'altitude. Elles m'amenèrent, en à peine quelques secondes, bien au-dessus de la falaise. Une idée stupide me vint alors à l'esprit. Au lieu de suivre la trajectoire que ma compagne et mes amis les oiseaux m'indiquaient, je décidai de faire demi-tour afin d'aller fièrement survoler mon petit groupe d'admirateurs... Ceux-ci me criaient des mots que je ne pouvais comprendre à cause de l'intensité du vent et de mon altitude.

Ce virage brutal provoqua le décrochage du côté droit de mon aile qui s'abattit vers moi, tel un énorme chiffon, n'ayant plus aucune portance aérodynamique ! Ma trajectoire, assez bien contrôlée jusqu'à présent, devint erratique. En moins d'une seconde, mon parachute entama une vrille serrée qui me fit tomber comme une pierre !

La force centrifuge à laquelle je fus soumis faillit me faire perdre connaissance. Mais le fait de voir le sol se rapprocher à grande vitesse provoqua un tel sursaut d'adrénaline que je me débattis comme un beau diable tentant de regagner le contrôle de ma monture affolée par la stupidité de son piètre pilote.

En arrivant à la hauteur du sol, j'eus l'impression que tout était fini... Plus rien ni personne ne pourrait venir me sauver ! Je fermai les yeux, en priant très brièvement cette Source qui avait placé tant d'espoir en moi. Tout en m'excusant envers le Cercle de Lumière qui devait bien regretter d'avoir passé, en vain, tout ce temps à m'expliquer les plans qu'il avait élaborés. Mon âme hébraïque avait décidément choisi un corps bien stupide pour s'y incarner !

Ces réflexions, bien que me donnant l'impression d'avoir duré une éternité, ne prirent que le temps d'un tour de carrousel. Je m'aperçus en rouvrant les yeux que je tombais toujours ; comme si je venais de passer à travers le sol !

Je voyais alterner le bleu de l'océan avec le gris du mur de la falaise que je frôlais dans ma chute effrayante. C'est à cet instant qu'un message me parvint. Il semblait émaner du groupe d'oiseaux qui m'avait rejoint. Ces derniers me donnèrent l'ordre de tirer de toutes mes forces sur la commande du côté de mon aile qui était restée ouverte, ce que je fis sans même réfléchir.

Grâce à cette manœuvre, la moitié de l'aile qui s'était vidée de son air se regonfla rapidement. Mais je faisais à présent face à la falaise, qui se rapprochait dangereusement de moi. J'entamai alors un virage serré, afin d'éloigner ma trajectoire de ses roches escarpées.

Marie Madeleine, qui était venue voler à mes côtés, me fit signe de la suivre. J'avais bien l'intention de ne plus la quitter d'une plume ! Les courants d'air ascendants nous permirent rapidement de remonter vers le sommet de la falaise. Je réapparus, comme par enchantement, aux yeux encore apeurés de Marie et de nos quatre chérubins.

Ils se remirent en vol pour nous suivre vers Magdala où nous rejoignîmes le reste des membres de notre groupe. Ces derniers rassemblaient du bois pour le feu, comme je leur avais demandé. Nos deux soleils, l'un d'un blanc éclatant et l'autre légèrement plus petit et d'un jaune plus nuancé, se rapprochaient déjà de l'horizon.

La pleine lune allait arriver dans quelques heures, exactement au milieu de notre nuit. Je m'empressai d'aller me poser près des miens, en sécurité, pour qu'ils puissent m'aider à maîtriser ma monture toujours excitée par la force du vent. Mes pensées étaient tellement confuses, tant de choses venaient encore de se passer en si peu de temps. Et, comble de l'ironie, je n'avais aucune idée de ce que j'allais bien pouvoir leur raconter !

Quelques instants plus tard, après nous être relatés les récits de nos aventures et découvertes respectives, l'entièreté de notre petite communauté décida d'aller se coucher en attendant la pleine lune... Je ne parvins pas à m'endormir. Mes pensées étaient confuses, tentant de se remémorer ce message que j'aurais bientôt à divulguer.

Nous nous réveillâmes, presque automatiquement, après une courte période de sommeil ; lorsque la luminosité de notre pleine lune eut atteint son apogée. Notre communauté se rassembla alors, comme je l'avais demandé, auprès du feu que nous venions à nouveau d'allumer.

Nous nous installâmes face au splendide spectacle que nous offrait Luna. Elle présentait un cercle parfait, remplissant plus de la moitié de notre ciel étoilé. La lumière de nos deux soleils s'y réfléchissait en une panoplie de couleurs variées, allant de l'ocre au rouge éclatant.

L'ombre d'Éden apparut à sa surface, me signalant que l'instant était venu de m'adresser à l'assemblée. Ce décor féerique me fit quelque peu oublier la raison de notre réunion... Ce ne fut qu'après quelques interminables secondes que je me rendis compte que tous mes camarades étaient pendus à mes lèvres, en attendant que je prenne enfin la parole.

Marie me souriait tendrement. Son regard, plein de confiance, me donna la force de me diriger de l'autre côté du feu et d'entamer mon allocution... sans avoir encore la moindre idée du message que j'allais leur transmettre !

J'attendis quelques secondes interminables que l'inspiration m'arrive. Je leur fis remarquer la splendeur de cette pleine lune qui viendrait illuminer chacune de nos nuits à partir de maintenant...

Les regards sévères de Mathieu, Marc et Paul me firent comprendre que tout le monde s'impatientait... Je me mis timidement à raconter le rêve incroyable que j'avais eu la nuit précédente, en essayant de n'oublier aucun détail, afin de gagner un peu de temps et de le rendre aussi crédible que possible...

Ce fut alors que j'eus la sensation que quelqu'un d'autre prenait lentement le contrôle de mes pensées et de mes paroles. J'eus l'impression de sortir littéralement de mon propre corps. C'était comme si j'étais allé prendre place auprès de mes compagnons pour y écouter ce que cet individu, que je ne connaissais plus, avait à leur dire !

L'être qui s'était introduit en moi s'adressa alors, sur un ton bien plus confiant que le mien, à notre audience ; tout étonnée de mon changement d'attitude et de mon nouveau timbre de voix... 

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