28. Exploration

Ces derniers mots prononcés de façon télépathique par l'assemblée extraordinaire que j'avais en face de moi me réveillèrent en sursaut. Ils me rappelèrent ceux qui sortirent de la bouche de ma mère, pour mettre fin à notre ultime rencontre... Il y avait de cela si longtemps déjà !

Les ailes de Marie Madeleine étaient toujours enroulées autour de moi. Nous n'avions pas bougé d'un centimètre... heureusement d'ailleurs. Le promontoire sur lequel nous nous trouvions s'avéra être bien plus petit que j'en eus l'impression lorsque nous décidâmes d'y passer la nuit.

Je me mis à observer tendrement cette jeune femme, si belle et si forte malgré son jeune âge. Ce sourire qui semblait ne jamais vouloir quitter la commissure de ses lèvres venait décupler mes forces. Était-elle cette fameuse « âme sœur » qui allait venir m'épauler dans ma mission ? Et si c'était le cas, quand se rappellerait-elle sa tâche ? Je savais pertinemment que je ne voulais, de toute façon, plus jamais m'en séparer !

Les oiseaux étaient venus nous rejoindre. Par leurs cris et battements d'ailes saccadés, ils semblaient avoir l'intention de vouloir réveiller ma compagne encore assoupie. Le souffle de leurs ailes sur nos visages finit par tirer Marie Madeleine de son sommeil. Elle me regarda brièvement en s'étirant et souriant de plus belle, comme elle seule pouvait le faire, avant de prendre son envol pour aller rejoindre nos nouveaux compagnons dans les airs...

Le spectacle féerique auquel j'eus l'honneur d'assister, à cet instant, me fit presque oublier le rêve que je venais de faire. Les oiseaux engagèrent un fantastique ballet aérien avec cette femme ailée, qui devait les impressionner par son envergure démesurée. Ils semblaient vouloir tester son sang-froid, en frôlant sa trajectoire. Mais elle avait compris qu'il ne s'agissait que d'un jeu, destiné à établir une hiérarchie au sein de leur groupe.

Mes yeux se remplirent de larmes lorsque je m'aperçus qu'ils s'étaient regroupés en formation serrée à ses côtés. Ils entamèrent alors un large vol circulaire, juste au-dessus de moi, comme pour venir me narguer ; pauvre rampant que je devais être à leurs yeux !

Ma fierté de bipède me poussa à ne plus attendre l'aide de Marie Madeleine pour quitter notre promontoire. Je me mis à escalader la dizaine de mètres qui nous séparaient du sommet de la falaise. La faible pesanteur qui régnait sur Éden facilita grandement ma tâche...

Je me retrouvai très vite face à notre feu. Ce dernier brûlait encore de quelques flammes éparses, générant une épaisse fumée grise. Le vent du large avait dû se calmer durant la nuit, car celle-ci stagnait dans les creux du relief, s'étendant comme un mystérieux brouillard jusqu'au pied de Magdala. Ce phénomène donnait à notre nouvelle cité des allures de ville fantôme...

Soudain un courant d'air impressionnant dissipa la brume qui m'entourait. Marie Madeleine venait de se poser à mes côtés.

— Jean, as-tu bien dormi ? me demanda-t-elle. Tu n'as pas arrêté de bouger et de murmurer toute la nuit.

— J'ai de nouveau fait un rêve, lui répondis-je.

Mais alors que je m'apprêtais à lui raconter ce qui m'était arrivé, elle me coupa la parole en disant.

— Toi et tes rêves... Tu ne cesseras donc jamais !

Je compris qu'il n'était pas nécessaire d'insister. Je raconterais tout cela à mes camarades lors de notre réunion prévue, autour du feu, durant la pleine lune de ce soir. Ce phénomène se reproduirait en milieu de nuit, lorsque Luna remplirait notre ciel d'un cercle parfait. Sa luminosité était telle que l'on aurait pu se croire en pleine journée !

Nous retrouvâmes nos compagnons, encore assoupis, dans l'épais brouillard qui tapissait le sol au pied des coupoles. Marie Madeleine le fit rapidement se dissiper à grands battements d'ailes, avec pour effet de réveiller les derniers dormeurs. J'en profitai pour prendre la parole, sur un ton plus sûr et plus ferme que celui avec lequel j'avais essayé d'expliquer mon rêve à ma compagne...

— Écoutez-moi les amis... Il m'est arrivé quelque chose d'extraordinaire cette nuit. J'ai été contacté par une assemblée étrange se faisant appeler le « Cercle de Lumière ». Ses membres habitent un lieu nommé « Shambhalla ». Je sais que vous allez encore croire que je divague, mais cette expérience me sembla si réelle que je suis convaincu qu'il nous faut les écouter. Cela ne présente aucun risque et ne nous engage à rien. Ils ont simplement demandé que nous nous réunissions ce soir, auprès du feu, durant la pleine lune. Ils s'adresseront alors à nous... à travers moi !

Je m'arrêtai un instant, réalisant que j'étais en train de perdre le peu de crédibilité qui me restait en essayant de décrire les détails de ce rêve aussi extraordinaire qu'incroyable ! Je décidai donc de ne pas me lancer dans des explications qui risqueraient bien plus de me ridiculiser que de m'aider à les convaincre de m'écouter.

— D'accord Jean... répondit Marie, venant à mon aide comme elle avait pris l'habitude de le faire dans les situations difficiles. Nous allons chercher du bois, pour raviver notre feu. Nous tenterons également de trouver quelques plantes et fruits qui pourraient nous servir de nourriture sur cette nouvelle planète. Divisons-nous en quelques groupes afin de quadriller notre périmètre de façon efficace. Nous nous retrouverons ce soir, lorsque les deux étoiles qui nous servent de soleils se coucheront à l'horizon. Tu m'accompagneras avec Marie Madeleine et les enfants. Notre groupe ira explorer l'autre côté de la rivière... là d'où tu viens !

Cette remarque me fit sourire, en me rappelant la description qui m'avait été faite par le Cercle de Lumière de ces âmes hébraïques. Marie devait, elle aussi, être habitée par l'une d'elles. Sa destinée était certainement liée à la mienne !

Nous nous mîmes en route, après avoir rassemblé les quelques affaires et outils qui pourraient s'avérer nécessaires durant notre expédition. J'avais donné mon arme de poing à Marie. Et je m'étais équipé de cordages ainsi que d'un couteau, pour pouvoir protéger les femmes et les enfants de mon groupe si le besoin s'en faisait sentir.

Marie Madeleine me prit par la taille avant de s'élancer dans le vide. Nous fûmes suivis de près par Marie emmenée, tête la première, dans les airs ; chacun de ses membres étaient soutenus par un de nos quatre petits chérubins. Nos prévisions concernant leur capacité de voler de leurs propres ailes dans l'atmosphère d'Éden avaient été bien trop pessimistes. Ils arrivaient, après à peine quelques jours d'entraînement, à y évoluer avec autant de talent que leur admirable mère !

Le spectacle que nous offrîmes fit s'exclamer de joie et d'admiration le reste de notre communauté assistant à notre envol, accompagné d'une nouvelle nuée d'oiseaux blancs. Celle-ci était venue, comme d'habitude, de nulle part, pour traverser le cours d'eau à nos côtés. Les mystérieux volatiles se mirent en formation serrée autour de nous, comme ils l'avaient fait quelques instants plus tôt avec Marie Madeleine.

Je pus enfin les voir de près... Leur forme ainsi que leur façon de voler étaient, pour le moins, étranges. Leurs corps ne bougeaient pratiquement pas. Ils semblaient littéralement suspendus dans les airs. Il émanait d'eux une lueur intense, qui les rendait presque transparents.

Leurs ailes, au lieu de se toucher, s'interpénétraient lorsqu'ils étaient en formation serrée. Et leur longue queue flottait dans leur sillage, semblant se dissoudre dans l'air comme le faisaient les traînées des réacteurs de nos petits chasseurs à haute altitude. Ils n'avaient ni pattes ni bec et leurs yeux étaient si lumineux qu'il m'était presque impossible de soutenir leur regard.

Je portai mon attention vers la zone que nous survolions. Il s'agissait d'une plaine verdoyante, parsemée de quelques gros bosquets, s'arrêtant brusquement en bordure de notre énorme falaise. C'était à cet endroit précis que j'avais atterri la veille...

En apercevant mon scaphandre, étendu sur le sol, à côté de mon parachute ; je fis signe à Marie Madeleine de nous y poser. Les oiseaux disparurent quelques instants plus tard, comme ils en avaient pris l'habitude. Toute mon attention était à présent dirigée vers le matériel que j'avais laissé ici, quelques heures auparavant.

Mon scaphandre, et mon parachute pourraient encore nous être utiles. Je ne voulais pas les abandonner. Mais comment les ramener de l'autre côté de la rivière ? En remarquant mon air penseur, Marie s'adressa à moi...

— Ne nous as-tu pas dit que tu étais arrivé à remonter le long de la falaise avec ton parachute, grâce aux courants d'air ascendants ? Lorsque le vent se lèvera, tu n'auras qu'à enfiler ton harnachement et redécoller en te dirigeant le long du relief, vers notre campement...

— Quelle idée géniale ! lui répondis-je. Mais bien sûr, cela vaut le coup d'essayer. Il faudra juste attendre que la brise de mer devienne plus forte. Allons explorer les alentours en attendant l'instant propice.

Nous nous avançâmes vers la plaine que j'avais survolée en arrivant. Elle était parsemée de buissons épais et de quelques arbres isolés. Les plantes crissaient sous nos pieds, semblant vouloir s'agripper à nos jambes. En nous approchant de la forêt nous nous retrouvâmes entourés d'énormes champignons. Ces derniers devinrent de plus en plus grands à mesure que nous nous enfoncions dans cette jungle étrange qui ne semblait offrir aucun fruit ni racine comestible...

Ce fut alors que les enfants firent une découverte extraordinaire. Leur petite taille leur avait permis de se faufiler sous certains buissons où ils découvrirent une multitude de petites sphères de couleur rouge qui ressemblaient à de grosses tomates allongées. Elles étaient parsemées de taches blanches, se déplaçant lentement à leur surface !

Étant le seul équipé de gants, ce fut à moi que revint la tâche ingrate d'essayer de cueillir l'une d'entre elles... ce qui se révéla assez facile. Leurs connexions aux branches des buissons se détachèrent immédiatement lorsque je les pris en main, comme si ces dernières attendaient d'être cueillies. Et leurs étranges taches s'arrêtèrent, bien heureusement, de bouger dès qu'elles furent détachées de leurs tiges !

Nous emportâmes quelques-unes de ces grosses tomates, tout en continuant notre exploration. Nous trouvâmes encore certains autres fruits qui éveillèrent notre curiosité. Mais il fut bientôt temps pour notre petit groupe de retourner vers le bord de la falaise où m'attendait mon impressionnant équipement de vol. L'éclipse de milieu de journée arriva, nous plongeant brusquement dans une obscurité quasi totale. Nous en profitâmes pour nous reposer à même le sol, bercés par le chant des vagues et des embruns...

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