Marie Madeleine et mes trois compagnons s'étaient glissés dans l'espace restreint du sas pour m'aider à enfiler mon scaphandre. Ils me permirent de m'introduire, non sans peine, dans cet équipement encombrant et peu maniable. Après m'avoir souhaité bonne chance, les garçons sortirent du sas, me laissant seul avec ma compagne pour quelques brefs instants.

Je réalisai une fois de plus l'amour infini qui nous unissait. Il me fut pourtant impossible de l'embrasser une dernière fois à travers mon casque qui avait été irrémédiablement scellé. Je n'étais censé l'enlever que lorsque je me serais posé, sain et sauf, sur le sol d'Éden. Ce désir intense de sentir une dernière fois ses lèvres, si douces et tendres, contre les miennes me torturait pourtant douloureusement.

L'envie me prit soudain de me débarrasser de ce stupide accoutrement pour la sentir tout contre moi ! Elle semblait lire mes pensées. Sa main descendit vers mon entre-jambes pour ouvrir, à ma plus grande surprise, une à une les fermetures assurant l'étanchéité de mes différentes couches de protection à cet endroit précis. Je n'en croyais pas mes yeux, j'avais l'impression de rêver. Après m'avoir lancé un dernier sourire, elle disparut de mon champ de vision...

Nous dérivâmes pour quelques instants, dans l'apesanteur ambiante, unis par un baiser aussi intense qu'imprévu ! Je décidai alors de fermer les yeux et de me laisser flotter au gré de ses caresses rythmées par ses légers battements d'ailes... Il ne fallut pas longtemps pour qu'elle me fasse pousser un hurlement de plaisir, qui couvrit complètement ma visière de buée !

Je me souviendrai toujours du sourire coquin qu'elle me lança ensuite. Je ne savais plus où j'étais ni pourquoi j'avais enfilé ce stupide scaphandre qui m'empêchait de la toucher. Je m'empressai néanmoins de refermer ma combinaison lorsqu'elle ouvrit la porte du sas pour aller rejoindre les autres.

Il ne me restait plus qu'à attendre l'ordre de mon éjection, qui serait donné par Noé. Il le ferait à l'endroit précis où ma trajectoire balistique m'entraînerait vers l'emplacement que nous avions choisi pour notre installation.

Je saisis cette occasion pour ressortir de ma poche ventrale le carnet de bord de notre astronaute solitaire qui venait également d'atterrir sur sa petite lune. J'avais décidé de retarder la lecture de ce passage jusqu'à ce que nous soyons également arrivés à cette phase de notre voyage. J'avais donc pris son carnet avec moi, de façon toute symbolique, afin de lui permettre de partager mon aventure qui s'avérait être tellement similaire à la sienne...

2e jour sur Europa

Je me suis posé exactement à l'endroit prévu par mon plan de vol. La couche de glace de cette région est assez grosse pour ne pas céder sous le poids du Komrad. Elle va néanmoins me permettre d'envoyer mes sondes sous sa surface, après y avoir foré un petit trou d'à peine une dizaine de mètres de profondeur !

Il me faudra tout d'abord déployer mon imposante foreuse laser pour la laisser accomplir cette longue et fastidieuse tâche, qui ne devrait pas durer plus d'une journée terrestre... Après avoir vérifié la programmation de chacune de mes vingt petites sondes, je pourrai les diriger une à une sous la glace vers les endroits où nous avons choisi de les envoyer.

Il s'agit, pour la plupart, de sources de chaleur que nos satellites infrarouges ont détectées au fond des océans de cette minuscule lune de Jupiter. Nous espérons y trouver des bactéries ou même peut-être d'autres formes de vie aquatiques encore plus évoluées, semblables à celles qui peuplent les profondeurs des océans de notre bonne vieille Terre.

J'ai l'impression de me retrouver dans la peau d'un de ces pêcheurs de phoque du pôle Nord allant creuser son trou dans la glace afin d'y appâter sa proie... En espérant que les phoques locaux ne soient pas d'horribles serpents de mer géants !

21e jour sur Europa

Mes sondes sont toujours en train de chercher un signe de vie, sans aucun résultat... Le Centre de Contrôle de Mission vient de m'envoyer un message bien plus alarmant via sa connexion IPN : six mystérieuses explosions nucléaires ont à nouveau eu lieu sur la Terre. Et cela dans un laps de temps très court, provoquant la panique des habitants et la colère des dirigeants de la plupart des grandes puissances mondiales !

La première anéantit Pyongyang : capitale de la Corée du Nord qui n'hésita pas à utiliser son petit arsenal nucléaire contre ses ennemis jurés : la Corée du Sud et le Japon qu'elle suspectait d'avoir construit, dans le plus grand secret, la bombe qui venait de détruire sa capitale.

Le petit état nord-coréen s'attaqua ensuite à la flottille américaine, stationnée dans la mer Jaune, afin de limiter ses capacités de riposte. Les navires et sous-marins de l'US Navy réagirent immédiatement en lançant une salve de missiles nucléaires tactiques vers leur agresseur. D'autres, lancés directement des satellites du Bouclier Spatial américain, survolèrent la Chine, provoquant ainsi de sérieux incidents diplomatiques !

À la suite du passage des fusées américaines au-dessus de son territoire, la Chine vit sa capitale Pékin, à son tour, détruite par une deuxième mystérieuse explosion nucléaire. Outragée par cette attaque elle n'hésita pas à lancer ses ogives en direction des États-Unis. Elle effectua également une série de frappes punitives vers son ennemi de toujours : le Japon, soupçonné d'être à l'origine de l'attaque initiale contre son allié du Sud.

Une nouvelle salve de missiles américains, destinée à contrer l'attaque chinoise, passa directement au-dessus de la Russie, attisant la colère de son gouvernement et de ses citoyens. Restée neutre jusqu'à présent, elle fut emportée dans la crise par une troisième explosion qui détruisit Moscou... Considérant que cette attaque émanait des USA, elle se joignit à la Chine et à la Corée du Nord, dans leur conflit contre l'Amérique et ses alliés capitalistes.

Cette réaction entraîna l'escalade dramatique du conflit à l'échelle mondiale ! Les pays de l'OTAN, liés par leur pacte d'alliance avec les USA, attaquèrent à leur tour la Russie. Celle-ci riposta immédiatement en bombardant les principales capitales européennes et en envoyant ses chars vers l'Ouest.

Le conflit, jusqu'à présent principalement politique, prit une teneur religieuse lorsque la Mecque fut victime d'une quatrième explosion nucléaire. La totalité du monde musulman fut révoltée par cette attaque inattendue. L'Iran envoya ses missiles vers la ville de Jérusalem, où la reconstruction du temple du roi Salomon venait à peine d'être achevée... Cette attaque fut immédiatement suivie d'une riposte israélienne contre la ville de Téhéran !

L'Afrique du Sud, partenaire nucléaire de l'état hébreux, déclara également la guerre aux nations islamiques, lançant ses frappes vers l'Arabie Saoudite, l'Afghanistan et l'Irak. Les batteries de défenses de la capitale de l'état juif réussirent à arrêter en vol la totalité des missiles iraniens. Jérusalem et son temple étaient sauvés, mais une nouvelle Guerre sainte venait d'éclater !

Une cinquième mystérieuse explosion annihila le Vatican, endeuillant la Chrétienté après la destruction de Rome et de l'état papal. Les pays catholiques d'Amérique du Sud et d'Afrique se lancèrent dans la croisade, sans pour cela adhérer totalement à la cause des riches pays capitalistes de l'hémisphère Nord.

Leur but n'était pas d'attaquer le communisme, mais bien d'éradiquer les extrémistes musulmans de la face du monde. L'Australie se joignit à leur cause, de peur d'être envahie par les puissances musulmanes qui l'entouraient. La plupart des pays pauvres furent dévastés par des combats opposant les populations chrétiennes et musulmanes.

La sixième et dernière explosion détruisit New Delhi, la capitale de l'Inde. Sa réplique fut terrible envers son voisin et ennemi de toujours le Pakistan : puissance nucléaire contrôlée par une dangereuse majorité d'extrémistes musulmans. L'Inde lança également quelques frappes préventives vers la Chine qui menaçait ses frontières du Nord.

Le Pakistan et la Chine ripostèrent aux attaques indiennes, sans pour cela devenir des alliés. Ni le communisme ni le capitalisme n'étaient faits pour coexister avec l'Islam, comme l'avaient prouvé les invasions successives de l'Afghanistan par l'Union soviétique dans les années 80, suivies des Américains et de l'OTAN au tout début du 21e siècle...

Qu'a-t-il bien pu se passer ? Que va-t-il advenir de ma famille ? Ma demande d'avancer mon retour de quelques jours a été refusée par le centre de contrôle, bien trop accaparé par la crise pour avoir le temps d'altérer le cours de ma mission. Nos communications se font de plus en plus rares et brèves...

Ces quelques lignes ne sont plus destinées à mes enfants, mais plutôt aux survivants de cette humanité désormais vouée à l'autodestruction. Je les ai écrites afin d'établir un témoignage des événements qui se déroulèrent sur le monde que je viens de quitter... Et que je ne suis plus du tout certain de pouvoir rejoindre un jour !