14. Ultime solution

Marie avait bien évidemment raison de mettre un frein à notre excès d'enthousiasme... Nous avions déjà envisagé la possibilité de nous installer au fond des océans. Ce scénario nous mettrait à l'abri d'éventuelles substances toxiques, qui pourraient se trouver dans l'atmosphère d'Éden, sans avoir à risquer la vie de nos enfants.

Une fois dans l'eau les coupoles, ainsi que la Nouvelle Chance, garderaient la capacité de se déplacer vers la surface, grâce à leur plus grande légèreté dans l'élément liquide. Il nous serait ainsi possible d'analyser nos options futures de remontée à l'air libre ou d'installation définitive sous les mers.

Mais cela voudrait dire que nous passerions des mois (si ce n'était des années) sous l'eau ! Je ne pouvais me résigner à choisir cette option. Tant d'espoirs étaient venus s'installer en nous depuis le début de nos observations. 

Je lui répondis :

— Marie, ta sagesse nous a maintes fois porté conseil. Tu viens de nous rappeler de ne pas oublier de réfléchir avant d'agir. Mais les événements du passé m'ont également appris à faire confiance à mon intuition... et celle-ci me dit que nous ne courrons aucun risque. Cela ne nous permet néanmoins pas de mettre la vie de nos enfants en péril, j'en conviens ! Comme tu nous l'as rappelé : sans eux, notre communauté n'aurait plus aucun avenir. Et tu sais bien que l'amour que j'éprouve envers eux m'interdit de mettre leur existence en danger !

— Y a-t-il une autre solution que celle de se poser au fond des océans ? me répondit-elle.

— Non, sans les enfants, l'atterrissage serait trop dangereux ; nous risquerions d'endommager une ou plusieurs de nos coupoles en les posant sur une surface non adéquate. La visibilité qu'elles offrent, à leurs pilotes, vers le bas est quasiment nulle... Mais il reste une solution que nous n'avons pas encore envisagée : la Fédération n'a pas jugé bon d'équiper notre vaisseau de chasseur, ni de navettes de sauvetage, de peur que les Indésirables s'en emparent afin d'échapper à leur triste destin. Mais nous possédons une dizaine de scaphandres de secours, d'une génération très récente comme tout le reste de notre équipement. Leur résistance à la chaleur est censée nous donner la possibilité de nous éjecter d'un vaisseau en orbite et de nous laisser tomber, en chute libre, dans l'atmosphère d'une planète. Elles devraient nous permettre de nous y poser, sains et saufs, grâce aux parachutes dont elles sont équipées... C'est ainsi que notre procédure d'évacuation d'urgence du TXL1138 nous a été expliquée. Aucun d'entre nous n'a encore testé cette manœuvre, pour le moins téméraire et impressionnante... pas même en simulation. Nous n'avions jamais cru devoir un jour utiliser cette ultime technique de sauvetage !

— Je m'en souviens, s'exclama Marc... Leur parachute dorsal est sensé nous permettre de nous poser en douceur. Mais la chaleur provoquée par la décélération initiale va sans doute faire bouillir notre sang !

— Pas votre sang, lui répondis-je... le mien ! C'est à moi que revient la tâche de tenter cette manœuvre. Mon intuition m'a forcé à croire qu'Éden était bien apte à nous héberger et que son atmosphère nous serait inoffensive. Je ne pourrais pas supporter de voir, à nouveau, l'un d'entre vous payer de sa vie mon excès d'enthousiasme. Je vais donc me lancer vers la surface, à partir de notre orbite actuelle. Vous attendrez mon signal pour entamer votre descente !

— Mais qui va piloter la quatrième coupole à ta place ? demanda très justement Luc.

— Il n'y a qu'une réponse possible à cette question, reprit Marie Madeleine qui écoutait discrètement notre conversation.

Elle continua, sans me laisser le temps de l'interrompre...

— Dans la même logique que celle qui motive Jean à se porter volontaire, et à risquer sa vie, en allant tester la toxicité de l'atmosphère d'Éden... je suis la mère de son enfant. Les trois aînés accompagneront leur père respectif dans les coupoles. C'est donc à moi que revient la tâche de piloter la quatrième... avec Sara Jean. Vous pouvez considérer cela, dès à présent, comme étant une affaire de famille !

— Mais comment y arriveras-tu ? Tu n'as pas...

Matthieu n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Marie Madeleine le regarda droit dans les yeux, comme elle seule savait le faire. Cela suffit à nous convaincre qu'aucun d'entre nous ne pourrait la dissuader. Nous n'avions d'ailleurs aucune alternative ; elle était de loin la plus agile d'entre nous. Rien ne l'empêcherait d'accompagner ses quatre enfants, dans cette périlleuse mission !

Nous étions revenus à la case départ. Notre entraînement allait recommencer de plus belle en suivant le nouveau scénario que nous venions d'élaborer. Je recherchai dans nos banques de données virtuelles les simulations de chute libre à partir de l'espace, à l'aide de nos scaphandres.

Pendant ce temps Marie Madeleine fut initiée, par mes trois compagnons, au pilotage délicat de nos coupoles. Il lui faudrait séparer la sienne du vaisseau après notre dangereuse descente. Et ensuite, suivre Sara Jean durant la phase, tout aussi délicate, d'atterrissage.

La Nouvelle Chance effectuerait une orbite complète autour d'Éden, après m'avoir largué. Cela me donnerait le temps de respirer assez longuement son atmosphère, afin de me rendre compte de son effet sur mon organisme.

S'il m'arrivait de ressentir la moindre gêne, il ne me resterait plus qu'à admettre mon erreur, en annulant la manœuvre d'atterrissage tout en espérant ne pas succomber aux substances nocives que j'aurais inhalées. Il nous faudrait alors passer à l'option alternative de l'amerrissage. J'irais, dans ce cas, rejoindre notre petit monde sous l'eau à un endroit prédéterminé, non loin de ma position.

Une longue semaine s'écoula... Les enfants en profitèrent pour parfaire leurs techniques de vol, sous la supervision de Marie et de son groupe de femmes, pendant que Marie Madeleine et moi-même finissions nos entraînements respectifs. Elle semblait si sûre d'elle, que je n'avais plus aucun doute quant à ses capacités à mener à bien sa mission. Elle avait fait preuve d'une telle dextérité aux commandes de sa coupole en réalité virtuelle, qu'elle nous relégua littéralement au rang d'apprentis pilotes !

Notre esprit orgueilleux et machiste nous entraîna à expliquer cette dextérité, peu commune, par le fait que cette femme oiseau possédait des dispositions évidentes pour le vol grâce aux gènes qui lui avaient été implantés par notre Maître. Il était donc tout à fait normal que la troisième dimension n'ait plus aucun secret pour cette créature, mi-femme, mi-volatile !

Nous continuâmes d'observer la surface de notre nouveau monde en tentant d'y déceler une quelconque forme de vie animale... Quelle pouvait bien être l'explication de son absence ? Avais-je été trop optimiste ? Marie avait-elle eu raison de nous avertir ? Je commençais à douter de mon intuition initiale ; cela me mettait mal à l'aise. En effet, si les craintes de Marie s'avéraient fondées, je me lancerais bientôt vers une mort inévitable !

N'aurais-je pas mieux fait de me taire et d'accepter notre installation sous l'eau ? Mais il était trop tard pour faire demi-tour. Tout comme pour cette note, écrite à mon intention par Judas, ma fierté m'interdisait de partager mes doutes avec qui que ce soit... excepté Marie Madeleine. Je lui fis enfin part de la découverte de ce petit message ainsi que de mon incertitude quant au déroulement de ma mission.

Cela me fit du bien de pouvoir me confier à un être cher, qui pourrait comprendre mes états d'âme. Ce qui ne l'empêchait pas de partager mon optimisme initial. Elle me réconforta, comme elle seule savait le faire, en faisant miroiter nos merveilleuses perspectives d'avenir dans le nouveau monde qui nous attendait... Et dont j'allais être le premier humain à fouler le sol !

Et en ce qui concernait le mystérieux carnet de Judas ; peut-être avait-il effectivement été le fruit de mon imagination ? Elle me conseilla de ne plus y penser, ce que je fis avec grand plaisir. J'étais prêt à risquer ma vie pour permettre à ce rêve, qui nous avait guidés durant toutes ces années, d'enfin s'accomplir !

Marie Madeleine et mes trois compagnons m'escortèrent lorsque l'instant fut venu de me diriger vers le sas d'éjection. J'y enfilai, une à une, les différentes couches de l'encombrant scaphandre qui allait me permettre de me lancer, tel un oiseau de feu, vers la surface d'Éden. Mon accoutrement formait une véritable carapace protectrice qui m'enveloppait complètement, tout en me laissant suffisamment de liberté de mouvement.

Sa forme aérodynamique, ainsi que ses petites ailes rétractables, me donneraient la possibilité de planer durant ma chute libre ! Mais avant cela il aurait à me protéger de l'échauffement énorme, provoqué par mon entrée à très grande vitesse dans l'atmosphère.

Rien n'était néanmoins prévu pour m'aider à supporter les effrayantes forces de décélération auxquelles j'allais être soumis. Seul mon entraînement de pilote de chasse m'avait préparé à subir de tels supplices.

Toutes les indications concernant mon vol, ainsi que les données nécessaires à ma navigation vers le point d'atterrissage, seraient projetées par un système optique tête-haute à travers ma visière. Celle-ci était faite d'un alliage transparent, capable de résister à des températures proches de six cents degrés centigrades. Mais l'échauffement initial auquel je serais exposé atteindrait des valeurs environ six fois supérieures... Il était en mesure de faire fondre mon harnachement !

C'était pour cette raison que l'épine dorsale de ces combinaisons avait été équipée d'un anneau générateur de magnétosphères, semblable à une version miniature de celle qui protégeait la poupe de la Nouvelle Chance. Seul un tiers de l'anneau était visible au dos du scaphandre. Mais, à l'instant voulu, il libérerait les deux autres parties nécessaires à le transformer en un cercle parfait qui m'entourerait complètement. 

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