12. Éden
Nous étions enfin arrivés au but de notre voyage. Éden remplissait la majeure partie des écrans de contrôle de notre poste de commandement. Elle semblait si minuscule, comparée à l'énorme géante gazeuse autour de laquelle elle orbitait. Cette petite perle de vie, perdue au fond du cosmos, réveillait en moi les sensations que je ressentis lorsque je vis pour la toute première fois notre Terre depuis l'espace.
J'admirais à présent cette magnifique lune bleue, ressemblant comme deux gouttes d'eau à notre monde. Je me souvenais de l'émerveillement qui s'empara de moi lorsque je pus voir, de mes propres yeux, la marque de la vie ; du haut de l'orbite qui nous emmenait vers notre vaisseau cargo... il y avait de cela si longtemps déjà.
Fort des connaissances que j'avais accumulées durant mes longues séances d'étude de notre précieux manuscrit, je m'interrogeais à nouveau... Tout cela n'était-il vraiment que le fruit du hasard, comme voulaient nous le faire croire les savants de la Fédération en essayant de tout nous expliquer à force d'équations ? Leur savoir me sembla bien futile, à partir de l'instant où je compris que la vraie science n'était pas celle que les hommes avaient créée mais, bien au contraire, celle qui avait créé les hommes !
Le journal de bord de l'astronaute échoué sur Europa m'avait encore confirmé que nos infimes connaissances faillirent, maintes fois, être à l'origine de notre annihilation ainsi que de celle de notre planète toute entière ! Notre savoir ne se limitait qu'à une tentative maladroite d'expliquer ce que nul ne pourrait jamais comprendre, sans avoir foi en l'existence d'un créateur suprême ! Nos scientifiques ne voulaient pas admettre que quelque chose ou quelqu'un de supérieur à eux puisse contrôler notre destinée...
Pourquoi avaient-ils décidé de remplacer cette énergie d'amour et d'intelligence extrême, qui les avait créés, par des organisations n'ayant pour seul objectif que d'agrandir leur puissance et de contrôler la totalité des individus de la planète ? Cette peur chronique de nous revoir assujettis à une quelconque religion nous avait fait sombrer dans l'athéisme le plus complet.
Mais comment le hasard aurait-il pu occasionner l'apparition d'une merveille aussi complexe et savamment organisée que la vie intelligente dans cet endroit hostile qu'était le vide spatial ? Des milliards d'étoiles s'y trouvaient en explosion permanente. Certaines d'entre elles étaient entourées de planètes. Mais ces dernières étaient, pour la plupart, inhospitalières ; et leur atmosphère, s'il en existait une, était irrespirable ! Pourtant, entre cette nouvelle étoile et le vide glacial qui nous entourait, était apparue une de ces rares perles bleues qu'étaient les planètes et les lunes abritant le genre de vie que nous connaissons...
Comment cette explosion initiale, soi-disant issue du néant, aurait-elle pu être à l'origine de l'univers et de tout ce qui existe, sans l'intervention d'une conscience supérieure ? Le miracle de l'apparition de la vie ne pouvait être seulement le fruit du hasard et d'une énorme déflagration émanant de nulle part !
Notre Bible expliquait, dans sa « Genèse », comment le « Tout-Puissant » avait construit le monde en six jours. Chacun de ces jours décrivait, de façon toute symbolique, comme le Maître me l'avait enseigné, la création des étoiles, des planètes et enfin de la vie... durant les différentes ères qui nous précédèrent.
Je me plaisais à croire qu'il n'y avait ni début ni fin à l'existence de toute chose. Que tout n'était que transformation vers un état de conscience suprême nous menant vers l'Éternel... Mais nos soi-disant « scientifiques » n'arrivaient pas à accepter ce concept d'éternité. Ils pensaient tout pouvoir expliquer à force d'équations !
C'est en refusant cette dimension infinie de la Vie, en essayant de tout quantifier et justifier par des théories plus incompréhensibles les unes que les autres, qu'ils tentèrent de se rendre seuls maîtres de la connaissance. Et cela en allant jusqu'à espérer venir remplacer notre créateur lui-même, en découvrant le secret de l'immortalité ! Ils le craignaient, car ils n'arrivaient pas à comprendre son message pourtant si simple aux esprits éclairés par la foi !
C'était cette véritable science, dont nous n'avions encore jamais entendu parler, que j'aspirais à découvrir et à comprendre. Celle des hommes me paraissait bien futile et destructrice, comparée à la beauté et la pureté de ce décor magique que nous avions sous les yeux !
Il était impossible de ne pas rêver, face au spectacle merveilleux qui nous était offert à présent que l'ordinateur de bord avait repris le contrôle de notre course. Nous étions redevenus ses passagers, ayant à nouveau mis notre destinée entre les mains de ce pilote bien plus chevronné que les jeunes cadets de l'espace que nous étions restés à ses yeux, malgré tout le temps qui s'était écoulé !
Sa voix métallique vint interrompre mes rêveries :
— Trajectoire orbitale établie dans 25 secondes, 20, 15, 10... 5, 4, 3, 2, 1, effective !
Nos réacteurs s'arrêtèrent brusquement et nous nous retrouvâmes à nouveau en conditions d'apesanteur. Un voyant lumineux clignota dans la pénombre ambiante, nous annonçant que le moment de maintenir notre altitude et notre vitesse était arrivé. Tout se passa exactement comme une trentaine d'années plus tôt, lors de notre mise en orbite autour de Saturne.
Bien des choses avaient pourtant changé entre-temps. Nous étions devenus des adultes... Mais la liberté que nous avions acquise, conjuguée aux rêves qu'avait fait naître en nous cette magnifique petite lune, faisait de nous de simples enfants remplis d'espoir envers le futur exaltant dont nous rêvions depuis si longtemps.
Nous avions décidé de ne pas brûler les étapes. Les informations nécessaires au choix de notre installation à la surface devaient encore, en grande partie, être collectées. Nous ne savions que très vaguement à quoi ressemblait notre nouveau monde. Nous disposions à bord du TXL1138, comme c'était le cas pour la plupart des vaisseaux de la Fédération, d'une bonne dizaine de petites sondes.
Ces dernières étaient destinées à être employées dans le cas où nous passerions près de satellites inexplorés. La Fédération était friande de renseignements concernant les astres et petits astéroïdes se trouvant à portée de ses colonies. Certains auraient pu receler des substances intéressantes et exploitables, inconnues de ses banques de données. Nos sondes nous aideraient à déterminer l'endroit de notre atterrissage et à rechercher d'éventuelles formes de vie, intelligentes ou non.
Lorsque notre vitesse fut suffisamment réduite, elles furent immédiatement envoyées vers les différents continents d'Éden. Leurs caméras nous révélèrent les premières images de la surface. Celles-ci étaient d'une beauté époustouflante ! D'immenses cours d'eau, sculptant de très hautes chaînes de montagnes, me rappelaient étrangement le relief de certaines régions escarpées de la Terre.
Cette petite lune était semblable à une oasis de vie au milieu d'un désert de glace et de feu. On pouvait clairement distinguer une épaisse atmosphère bleue, entourant la totalité de cette merveilleuse sphère flottant dans l'espace. Nos senseurs commencèrent immédiatement à analyser sa composition.
Les océans, les lacs et les cours d'eau représentaient les quatre cinquièmes de sa surface. La majorité de ses îles et continents abritaient une végétation abondante... à l'exception des cimes de ses hautes montagnes et de ses deux petits pôles, recouverts de neige et de glace.
C'était comme si nous survolions une Terre qui aurait rétréci et dont les océans se seraient élevés, comme par magie, réduisant ainsi la taille de ses continents. Mais nous n'aperçûmes aucun signe de civilisation ni d'une quelconque vie intelligente.
Soudain, un spectacle fantastique monopolisa notre attention : un deuxième Soleil, plus petit qu'Alpha du Centaure A, s'élevait à l'horizon. Il était d'une magnitude bien plus importante que celle des autres étoiles et des planètes qui nous entouraient.
— Regardez, Alpha du Centaure B ! s'écria Luc, notre spécialiste astronome.
En effet, la couleur de cette étoile était légèrement plus jaune que celle de sa grande sœur. Mais elle prenait à présent la place d'un deuxième astre du jour dans notre firmament. Elle devait être proche de son éloignement minimal, pour briller avec une telle intensité. C'était comme si Jupiter s'était soudain transformée en étoile dans notre ancien système planétaire !
Cela faisait si longtemps que notre vaisseau baignait dans l'obscurité de l'espace intersidéral. Et voici que deux soleils venaient nous éclairer ! Ils avaient étés, jusqu'à présent, occultés par la géante gazeuse autour de laquelle orbitait notre petite lune. Cette source de lumière inattendue inonda l'intérieur de la coupole, comme une apparition irréelle nous souhaitant la bienvenue dans ce nouveau monde. Ce signe nous encouragea, de plus belle, à préparer notre descente dans l'atmosphère d'Éden.
Lorsque notre tour de quart toucha à sa fin, mon équipe et moi-même rejoignîmes l'espace gravitationnel du vaisseau. Nous y passions à présent plusieurs heures par jour à nous entraîner en regardant les enfants virevolter au-dessus de nos têtes. Cette activité physique intense était destinée à nous préparer aux conditions de pesanteur auxquelles nous serions soumis d'ici peu de temps.
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