29. Miracle
Nos senseurs nous signalèrent le départ de trois croiseurs d'interception à partir d'un des astroports en orbite autour de la cinquième planète. Ce fut encore Luc, chargé de notre protection, qui nous annonça leur apparition sur nos écrans radars. Son visage était devenu si pâle que nous le reconnaissions à peine. Il me rappelait celui de ces Indésirables que j'avais rencontré quelques jours auparavant.
— Les croiseurs semblent être suivis par un écho plus important... C'est une Frégate ! s'exclama-t-il.
Notre vitesse était encore bien supérieure à celle de nos poursuivants. Mais ces engins étaient capables de nous placer dans le rayon d'action de leur armement en quelques minutes à peine.
Notre avantage providentiel était que, par la géométrie de l'interception qui était en cours, nos assaillants se trouvaient, dès à présent, à portée de nos ogives nucléaires ! Ils formaient un amas compact d'échos sur nos écrans radars. Leur groupement les rendait vulnérables à une seule explosion d'importance suffisante... que j'étais en mesure de provoquer avec nos missiles. Il ne me restait que quelques secondes pour ajuster mon tir avant qu'ils ne se dispersent.
Durant un instant, qui me sembla une éternité, je me mis à penser à ces hommes et ces femmes embarqués à bord des vaisseaux lancés à notre poursuite... Combien étaient-ils ? Quel crime avaient-ils commis ? Quel droit avions-nous de mettre fin à leur existence ? Ils exécutaient leur mission, tout comme nous l'aurions certainement fait à leur place. La Fédération les avait formés et entraînés à assurer sa protection.
Ils devaient être des centaines... Nous étions cinq rebelles, accompagnés d'un bon millier d'Indésirables, condamnés à l'exil pour ne pas avoir respecté les règles de cette société que nous tentions de fuir. Comment les blâmer d'obéir aux ordres qui leur avaient été donnés ?
Par une étrange ironie du sort, certains d'entre eux devaient avoir été assignés à la tâche dont j'avais tant rêvé : piloter l'un de ces merveilleux chasseurs FXS, équipant les Frégates d'interception. Ces derniers avaient même peut-être fait partie de notre promotion de Cadets de l'Espace au sein de la pyramide...
Je n'aurais sans doute pas non plus hésité si je m'étais trouvé à leur place ! Ils protégeaient des valeurs qui leur avaient été inculquées durant leur passage dans le Système Préparatoire. Leur seul crime était de ne pas avoir eu l'occasion d'exprimer cet élan d'espoir, cette étincelle qui nous donnait, à moi et mes compagnons, la force d'agir.
Nous avions déjà tué trois des nôtres, et je me souvenais clairement des sentiments que ces actes avaient provoqués en moi. Nous n'avions pas pensé à inclure cette tournure d'événements dramatiques dans les plans de notre évasion. Je n'étais pas prêt à sacrifier tant de vies innocentes à notre liberté. Mon silence fit réagir Luc, pris de panique.
— Grouille-toi Jean, ils n'hésiteront pas une seconde à nous abattre lorsque nous serons à leur portée !
Ces paroles, déformées par l'énorme facteur de charge que nous subissions, résonnèrent longuement dans mon esprit. Tout le monde les avait entendues, même nos passagers qui écoutaient le déroulement des opérations par l'entremise des haut-parleurs des coupoles que nous avions connectés à notre poste de commandement.
Une clameur, venant du plus profond des entrailles du vaisseau, parvint alors jusqu'à nous. Des centaines de voix émanèrent des conduits d'accès aux coupoles. Il s'agissait des Indésirables qui devaient être littéralement écrasés contre le sol à présent. D'un commun élan de révolte, combiné à une énorme vague télépathique, ils m'enjoignaient de tirer !
Mais je n'eus pas le courage de faire feu. Notre évasion avait déjà fait assez de victimes. Cette folie avait assez duré... Je désactivai d'un geste brutal, et pratiquement incontrôlé, la séquence de lancement de nos missiles. Luc, incapable d'intervenir à cause de notre accélération, s'exclama d'un ton désespéré.
— Jean, tu es fou ! Nous allons être réduits en poussière...
Je n'eus pas le temps de lui répondre, car les alarmes de collision frontale résonnèrent soudain à pleine puissance. Elles nous annonçaient l'approche des anneaux qui, vu l'angle sous lequel nous allions entrer en contact avec eux, allaient de toute façon nous transformer en bouillie. Ces milliards de petits fragments de roche et de glace, allant de la taille d'un grain de sable à celle d'une grosse alvéole, tournant à des milliers de kilomètres-heure autour de leur géante gazeuse, allaient nous désintégrer comme le ferait une gigantesque meule !
Notre vitesse était devenue phénoménale. Nous venions, grâce à notre accélération fulgurante, de parcourir la distance qui séparait la cinquième de la sixième planète en moins de trente minutes. Toute notre attention était à présent fixée vers notre secteur avant où l'impressionnant mur de glace s'avançait inexorablement vers nous.
Je vis à nouveau surgir dans ma mémoire cette vision d'horreur qui m'avait tourmenté depuis ma plus tendre enfance. La situation dans laquelle nous nous trouvions me la rappela immédiatement. Était-ce donc ici que ma courte existence allait se terminer ?
Je fermai les yeux, en attendant que cette explosion, que j'avais déjà maintes fois vécue dans mes rêves, vienne mettre fin à notre aventure, bien éphémère. Je me voyais à nouveau flottant dans le vide glacial entouré de mes compagnons, de ces Indésirables que nous ne connaissions même pas, ainsi que d'une multitude de débris émanant de ce qui resterait du magnifique vaisseau que la Fédération avait, si stupidement, mis entre nos mains.
Lorsque soudain ; un cri de joie, émanant de Mathieu, me réveilla. Le mur de glace était en train de se dissiper... Nous vîmes les étoiles réapparaître une à une devant nous. Une brèche venait de s'ouvrir à la surface des anneaux, nous offrant un passage providentiel à travers ces derniers !
Des alarmes d'une tout autre tonalité attirèrent alors notre attention, vers nos arrières cette fois-ci. Une nouvelle salve de missiles nucléaires se dirigeait vers nous. Elle était suivie de tout près par l'impressionnante flottille qui s'était lancée à nos trousses... Soudain, nos écrans se remplirent d'un brouillard blanc et opaque masquant nos poursuivants ainsi que leurs dangereux missiles, qui les précédaient de peu.
— Les Anneaux, ils se referment ! s'exclama Luc, semblant avoir oublié les griefs qu'il avait contre moi. Ils ont l'air encore plus denses qu'avant leur ouverture...
Le mur de roches et de glace venait de se reformer derrière nous. Il s'illumina immédiatement, suite à la déflagration des ogives nucléaires qui s'écrasèrent contre lui. Celle-ci fut suivie d'une multitude d'autres petites explosions. Il s'agissait certainement de l'impact des vaisseaux de la Fédération lancés à nos trousses. Ces derniers, ainsi que leurs malheureux occupants, finirent leur course broyés par les anneaux de la sixième planète...
L'énorme accélération à laquelle nous fûmes soumis s'arrêta quelques minutes plus tard. Nous nous retrouvâmes soudain en conditions d'apesanteur ! Le délai limite de mise à feu de nos réacteurs avait atteint son terme. Ils se mirent en veilleuse de façon tout à fait automatique. Un silence providentiel nous accorda enfin quelques instants de répit bien mérité...
C'est alors que j'aperçus une étrange forme géométrique, parfaitement hexagonale, recouvrant le pôle Nord de la sixième planète. Quelle pouvait bien être la signification de ce gigantesque hexagone ? Il semblait vouloir nous rappeler l'emblème, ainsi que les commandements, de cette société que nous venions de trahir.
Qui avait bien pu provoquer ce phénomène d'ouverture et de fermeture providentielle des anneaux ? Avions-nous, quelque part dans l'univers, un mystérieux allié assez puissant pour exécuter un tel miracle de façon si précise et coordonnée ? Toutes ces intrigues resteraient sans doute à tout jamais sans réponse...
Mais rien ni personne ne pourrait plus nous empêcher d'entamer notre voyage vers Alpha. Notre formidable accélération nous avait fait atteindre près d'un sixième de la vitesse de la lumière. Si tout se passait comme prévu, nous y arriverions dans trois décennies.
Trouverions-nous, en orbite autour d'elle, une planète qui nous permettrait de nous y installer ? Où serions-nous condamnés à errer dans nos coupoles jusqu'à l'extinction complète de notre petit groupe ? Nous n'aurions les réponses à toutes ces questions que dans une trentaine d'années. Mes quatre compagnons et moi-même en avions à peine plus de dix-huit !
Ces considérations temporelles me rappelèrent brusquement que nous étions à la fin du 31e jour du douzième mois de l'année 2399. La Fédération tout entière devait s'apprêter à fêter l'arrivée du prochain centenaire. La date et l'heure universelle ayant été fixées pour tous à celle du méridien de référence de la troisième planète. Il était exactement 23 h 43. Dans quelques minutes commencerait l'année 2400, le 25e siècle de notre ère ! Nous ne connaîtrions jamais cette nouvelle période. Le temps venait littéralement de s'arrêter pour nous...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top