24. Sortie dans l'espace
Lors du tour de quart suivant, le numéro 1 vint me trouver en me faisant signe de le suivre. Nous nous dirigeâmes discrètement vers le vestiaire qui contenait nos combinaisons spatiales, près du sas tribord. Je lui fis confiance et enfilai ma tenue, sans savoir ce qui allait se passer. Nous nous rendîmes, sans rien dire, vers la porte du sas qu'il ouvrit en m'y entraînant.
Une lumière rouge, accompagnée des sirènes habituelles nous signala qu'il était en train de se vider de son air. Ma combinaison m'annonça d'une voix douce et calme qu'elle venait de se pressuriser. Mon compagnon me regarda en souriant à travers sa visière. Une fois la porte extérieure ouverte, il me poussa dans le vide, comme si notre toute première sortie dans l'espace n'était qu'un simple jeu d'enfants !
Je fus soudain paralysé... Le cauchemar qui m'avait poursuivi jusqu'ici était revenu saturer mon esprit de visions d'horreur. Je ne voyais plus mon compagnon, ni le vaisseau, ni même la sixième planète qui était pourtant encore assez proche de nous. Je pouvais juste entrevoir mon corps, sans vie, flottant dans l'espace. Je m'en détachais lentement au long d'une corde argentée... Lorsqu'un appel radio me ramena à l'intérieur de ma combinaison.
— Numéro 6, bon sang, réveille-toi ! me lança celui qui venait de m'amener ici de façon si brutale et inattendue. Qu'est-ce qui te prend ? Nous n'avons pas de temps à perdre...
Une étrange sensation de vertige s'empara de moi. J'avais l'impression de tomber, comme aspiré vers la sixième planète. Le merveilleux spectacle offert par ses anneaux gigantesques me fit, pour quelques brefs instants, oublier la terrible vision que je venais d'avoir.
J'eus alors la surprise de voir cinq autres scaphandres flotter autour de nous. Il s'agissait sans doute précisément de ceux qui étaient parvenus à entrer en contact avec les Indésirables. L'ordinateur nous avait demandé de vérifier l'état de la surface extérieure du vaisseau dès que nous nous serions suffisamment éloignés des derniers anneaux.
En effet, après les avoir frôlés de si près, la probabilité qu'un bloc de glace ou qu'une petite météorite ait pu causer quelques dégâts, indécelables de l'intérieur, était non négligeable. Nous exécutions donc ses ordres à la lettre tout en profitant, par la même occasion, de cette opportunité unique qui nous était offerte d'être enfin réunis à l'abri de sa surveillance constante.
Nous nous rendîmes, sans plus attendre, derrière le miroir protecteur du vaisseau. Aucun signal radio n'était censé pouvoir le traverser. Mais il nous fallait agir vite. Un trop long silence de notre part pourrait paraître suspect.
Un échange chaotique de messages, presque inaudibles, s'installa immédiatement entre nous. Nous avions tous acquis le réflexe de parler à voix basse, de peur que nos conversations soient entendues. Tant de questions venaient pourtant brûler nos lèvres. Le numéro 1 prit alors la parole d'un ton sûr et autoritaire, pour mettre fin à cette cacophonie.
— Silence ! Nous n'avons que très peu de temps... Il n'existe qu'une seule façon de déjouer le système de surveillance du vaisseau. Ce dernier est relié directement au Centre de Contrôle de Mission, ainsi qu'à l'attention vigilante de notre ordinateur. Il nous faudra enregistrer des scènes de nos activités quotidiennes. Avec un peu de chance, dans quatre jours nous aurons suffisamment de séquences pour pouvoir nous diriger n'importe où au sein du vaisseau à son insu ; excepté les coupoles qui font l'objet de sa principale surveillance.
— Ce plan me paraît assez efficace pour être tenté, rétorqua avec enthousiasme l'un d'entre nous, sans même lui laisser finir sa phrase. Nous n'avons de toute façon rien à perdre... Mieux vaut partir à jamais d'ici que de rester prisonnier, que ce soit de ce vaisseau ou de nos fichues alvéoles au sein de notre dôme.
— OK, répondit le numéro 1. Procédons à l'inspection et retournons à nos postes au plus vite. Je m'occupe des enregistrements. Je vous fais signe lorsqu'ils seront prêts, conclut-il avec l'assurance d'un enfant... devenu homme en bien trop peu de temps !
Je n'eus ni le courage ni le temps de leur faire part de mon opinion à l'égard de cette folle idée d'évasion. J'étais persuadé que la plupart d'entre nous partageraient ma réserve lorsque nous pourrions enfin discuter de ce plan ridicule, à l'insu de notre ordinateur.
Personne n'avait mentionné nos trois compagnons absents ; ceux qui n'étaient sans doute pas encore entrés en contact avec nos passagers. J'étais persuadé qu'ils arriveraient à convaincre les quelques têtes brûlées, que nous avions parmi nous, d'abandonner ce plan stupide et désespéré.
Nous nous séparâmes rapidement en reprenant le cours de nos communications radio normales pour effectuer notre inspection. Jour après jour, les scènes furent patiemment enregistrées, comme prévu, par le numéro 1 et stockées sur des banques de données portables, inaccessibles à l'intelligence artificielle du vaisseau.
Perdus au fin fond de l'espace, nous continuâmes notre course vers l'orbite de la cinquième planète, toute proche durant cette conjoncture de l'Équinoxe. Ce léger détour allait nous permettre d'utiliser l'énorme énergie gravitationnelle de cette géante gazeuse afin d'être, tout d'abord aspirés vers elle, et ensuite littéralement catapultés vers le point de largage des coupoles dans la direction de leur mystérieuse destination.
C'était à l'aide de cette technique ingénieuse que les vaisseaux de la Fédération voyageaient, d'une planète à l'autre, à très grande vitesse. Ils exploitaient ainsi la force d'attraction des différents astres qu'ils rencontraient durant leur trajet, soit pour se stabiliser en orbite autour d'eux, soit pour accélérer en se faisant propulser vers leur prochaine destination...
Lorsque nous eûmes rassemblé une quantité suffisante de séquences, nous décidâmes de réunir notre équipage au complet dans la salle de repos, à l'insu de l'ordinateur central. Nous espérions enfin pouvoir dialoguer tous ensemble, à l'abri de tout regard ou oreille indiscrète.
Nous nous retrouvâmes réunis, à l'heure du changement de quart, sept d'un côté, et nos trois compagnons qui n'étaient pas encore entrés en contact avec les Indésirables de l'autre. Ces derniers n'avaient pas encore étés mis au courant de notre stratagème. Ils furent étonnés d'apprendre que l'ordinateur n'avait plus accès à ce qu'il se passait à l'intérieur de son vaisseau.
Ils flottaient, en face de nous, dans l'apesanteur et la pénombre de cette salle située hors de notre espace gravitationnel. Le numéro 1 leur expliqua les plans qu'il avait élaborés pour échapper au contrôle de la Fédération... Un long silence suivit son allocution. Nos compagnons s'observèrent brièvement sans rien dire. Que pouvaient-ils bien penser à cet instant précis ?
J'allais enfin prendre la parole pour tenter de convaincre l'assemblée de ne pas exécuter cet acte suicidaire , lorsque les trois compagnons qui nous faisaient face sortirent leur arme de poing. Ils ouvrirent immédiatement le feu, sans aucune sommation préalable. Un petit projectile autopropulsé toucha le numéro 3 au visage. Le malheureux ne se rendit même pas compte de ce qui lui arrivait !
Nous pûmes heureusement profiter de ce bref instant de confusion pour nous retrancher derrière la protection de fortune qu'offraient les meubles de la salle aux tirs de nos adversaires. Nos armes étaient de faible puissance afin de ne pas transpercer la structure du vaisseau en créant ainsi une brèche vers le vide spatial, ce qui nous aurait été fatal.
Un échange de plusieurs nouveaux coups de feu maladroits fut suivi d'un long silence après l'impressionnante série de ricochets qu'ils entraînèrent. Nous avions tous été complètement surpris par cette réaction, aussi brutale qu'imprévisible. Notre malheureux camarade flottait à présent entre les deux camps.
Le jet de sang émanant de l'ouverture béante qu'avait provoqué l'impact du projectile dans sa boite crânienne avait libéré une quantité importante de petites bulles rouges dans l'espace réduit où nous nous trouvions. Celui-ci était inondé de centaines de gouttelettes qui venaient se coller à nos visages et se mélanger à l'air que nous respirions. Ce spectacle sordide eut pour effet de calmer nos assaillants, aussi choqués que nous par le résultat effrayant de leurs actes.
_____________________________________________________
Quelles vont être les conséquences des terribles événements qui viennent de se dérouler ? L'équipage du TXL1138 va-t'il avoir à subir le sort de ces malheureux Indésirables ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top