5. Lindsay
Mon bâillement est révélateur quant au manque de sommeil que je subis depuis bientôt dix jours. Miles, le diable, comme le surnomme Katie, crie toutes les nuits. Et même si j'ai une patience d'ange, intérieurement, c'est le chaos. Mon corps est flaque, fatigué, pire qu'une vielle de quatre-vingt-dix ans. Mais essayant de ne pas me faire remarquer, je décide de garder le silence sur ce problème omniprésent qui agace tout le monde.
Je passe une main dans mes cheveux et constate qu'ils sont gras. Vive les colorations non naturelles, Lindsay !
Vraiment pas réveillé, je me faufile sous la douche avec appréhension. L'eau fraîche me fait frissonner et je peste contre Beth et Jennifer qui profitent tous les matins d'une douche plus longue que le marathon de New York. Ma peau ne supportant pas cette froideur, je sors aussi vite que je suis rentré.
Audrey, la seconde veilleuse de nuit, nous presse davantage afin de nous réunir pour le petit déjeuner. Ce qui est étrange, c'est que chez moi, je ne prenais pas le temps de manger le matin. Pas l'envie, pas de famille à qui parler, pas de convivialité. La solitude n'a jamais été mon point fort et je dois avouer, qu'ici, je me sens dans une sorte de famille recomposée. Bien que ce ne soit pas vrai, j'apprécie ces moments avec des jeunes de mon âge.
Bon, ils ne sont pas bavards. Leurs secrets et leurs façons de garder chaque sentiment pour eux est très troublant, mais je l'accepte. Et puis ma curiosité me renseigne sur des petits détails qui donne des réponses à mes nombreuses questions.
Miles à un paquet de problèmes. Ses cauchemars donnent une vague idée de l'ampleur de son passé. Sa peur se ressent en un regard. Noir et si mélancolique. Une réalité qui me fou la trouille et qui m'obsède tant je suis terrifiée par un bout de vie si brisée.
Beth est celle qui ne montre pas grand-chose. Elle a sur son visage une fragilité et un secret troublant. Un truc qui m'empêche de cerner sa personnalité.
Katie, elle, est une fille douce et effacée. Mais certains de ses gestes me confirment son stress permanent. Cela est dû à une dévotion sans limite et à une emprise bien réfléchie. Un mariage forcé, sans aucun doute.
Joey est droit, silencieux, mais observateur. Il aime regarder les uns et les autres, sans pour autant prendre la parole. Sa façon de faire est très sournoise, mais intelligente. Il a une maturité et une distance impressionnante. Il ne se fond pas dans le groupe, de peur d'être pris au piège.
Jennifer est la rageuse. Elle tape, obtient et détruit sans prendre de pincettes. Son éducation est une manipulation extrême qui la pousse à dominer tous ceux qu'elle croise. Elle avoue et martèle ses ennemis sans une once d'humanité. Parce que la faiblesse est tout sauf son credo.
Dean, mon chouchou, mon petit protégé est le mal-aimé. Il est dans une conspiration maladroite et le meilleur moyen de s'en sortir est de faire les choses selon les règles. Sans renier ses idéaux. C'est le plus jeune et le moins à l'aise.
Chacun d'eux a une bonne ou une mauvaise conscience. Et parfois, il peut se produire des batailles sans fin. Comme aujourd'hui.
━Putain, Lindsay, bouge ton cul, râle Jennifer. Parce que, là, tu exagères !
Je souffle, non surprise par ses mots si merveilleux de bon matin.
━ Dit, celle qui prend toute l'eau chaude et qui est égoïste de ne pas en laisser, je crie à plein poumons.
Délicatesse, mon deuxième prénom !
━ Va te faire foutre.
Mon sang ne fait qu'un tour, mes poings se serrent et je suis prête à lui donner une bonne leçon. Elle peut me bousiller le nez, je vais la démonter.
Mes cheveux emmêlés, mes vêtements collés sur mon corps et les pieds nus, je déboule en un temps record à la cuisine. Miles, me fixe, surpris par ma tenue négligée. Dean, lui, tente de calmer les choses. Mais en voyant mon regard froid, sans compassion, il recule, totalement sous le choc.
Je me poste devant Jennifer, qui me dévisage d'un air hautain. Tout ce que je déteste.
Ces longs cheveux châtains lissés et brillants me fou la rage supplémentaire pour lui cracher dessus. Le petit cri d'effroi de Katie me réveille et Beth, qui jusque-là observait la scène d'un œil, grimace de dégoût.
Je suis une pile électrique. Gentille, mais avec des limites. Je peux être la meilleure amie de tous, comme leur pire cauchemar. Au foyer, les enfants n'étaient pas patients, ni même compréhensifs. Ils me traitaient différemment de par mes origines et de mon manque de famille. La solitude, les brimades des autres, je connais. Et ce n'est pas cette petite ingrate au passé troublant et dévastateur, qui va me faire peur. Bien au contraire.
Jennifer se lève, attrape un torchon et se nettoie le visage en me fusillant du regard. Mon rythme cardiaque s'affole, je suis à deux doigts de la planter tant ma colère est extrême. Je suis une violente, une hystérique quand je perds le contrôle. Et jusqu'ici, j'arrivais à me contenir, à ne pas montrer ma vraie moi. Celle qui a la rage, qui est en colère contre le monde entier.
━ T'as vraiment un problème, sale garce.
Ces paroles, je les ai entendues tellement de fois que ça ne me fait plus d'effet. Ma haine est si forte pourtant. Mais un bout de moi, la plus sage, m'ordonne de me tenir tranquille et de ne pas entrer dans sa provocation. Parce que c'est ce qu'elle attend. Elle veut me faire péter les plombs. Et je refuse de lui donner cette victoire.
Je lui fais mon plus beau sourire et attrape le torchon, encore plus garce que je ne le suis déjà. Je m'approche suffisamment pour l'humilier et d'un geste, je m'attelle à lui enlever ce vilain crachat que je lui ai fait. Sa confiance vole en éclat et je la vois vriller. Je l'énerve, j'agis de la même façon qu'elle. D'un mouvement, elle m'arrache le torchon et le jette sur le plan de travail.
Le silence s'installe.
Il est lourd, intense, terrifiant. La lave est en fusion, prête à brûler tous les pêcheurs. Parce que nous le sommes. Des délinquants, des hors-la-loi, des âmes perdus dans l'abysse d'une spirale infernale. Douloureuse, longue et sans fin.
Des ados paumés réunis pour remonter la pente. Pour arrêter nos conneries. Cet endroit est une mauvaise blague. Ma liberté est mise à mal par ses fous. Tout ça, pourquoi ? Pour un simple cambriolage. Ok, j'adore les diamants, mais soyons honnêtes, les riches vivent déjà dans l'opulence. Qu'ils laissent un peu de bouffe aux autres, merde !
J'aime l'argent, les chaussures, la bonne nourriture. Ce n'est pas un crime, c'est une façon d'être. Et je n'ai fait de mal à personne, j'ai juste volé pour mon bon vouloir. Pour enfin accéder à un peu de bonheur. Je ne demande rien aux gens, je m'occupe de ma propre vie, de mes envies, de ce qui me rend, moi, heureuse.
Et maintenant, je me retrouve avec des gosses, des gens qui me maltraitent sans me connaître, sans me parler. Et ça m'est insupportable.
Audrey, qui était occupée ailleurs revient tout sourire. Son intervention jette un froid encore plus glaçant. La cuisine est si calme, si morte, que la jeune femme en perd ses couleurs. Sa figure basanée et joviale n'est plus. Elle est perturbée, curieuse de comprendre cette atmosphère pesante.
━ Du coup, ce gâteau ? Demande Miles, qui brise le silence.
Tout le monde se tournent et l'observent, un peu étonné de le voir sauver la situation délicate dans laquelle nous étions, il y a peu.
━ Mais tu m'as dit que tu ne voulais pas, souffle la veilleuse, surprise.
━ Un gâteau ? Pour quoi faire ? Ronchonne Jennifer.
Miles, lui jette un regard exaspéré et marmonne tout seul dans son coin.
━ C'est l'anniversaire de Miles, répond Audrey, un fin sourire aux lèvres.
J'écarquille les yeux et les autres, sont encore silencieux. Personne n'ose dire quoi que ce soit et Miles, agacé, se tourne vers Audrey pour ne pas avoir à expliquer plus qu'il ne nous à confiés en une seconde.
C'est son anniversaire.
Raison de plus pour ne pas envenimer les choses avec la pimbêche nullement intéressée par cette nouvelle. Pas aujourd'hui, en tout cas.
━ Alors, puisque Miles a changé d'avis, nous allons préparer ce fameux gâteau. Dix-sept ans, ça se fête, ajoute Audrey, pétillante de bonheur.
Miles, lui, reste en retrait. Je vois à son comportement, qu'il se force. Il ne veut pas faire ça. Faire semblant de sourire, d'apprécier cette drôle de mise en scène. Il a seulement détourné l'attention pour ne pas que l'une de nous soit obligée de subir une double peine. Sans sa remarque, nous serions sûrement enfermés pour la journée. Et tout à coup, mon cœur gonfle de soulagement. Audacieux, énervant, rageur, mais sensible, il a pris sur lui pour nous. Il n'est pas le garçon froid et sans cœur que j'imaginais.
Il est juste brisé. Peut-être plus que nous.
Jennifer, Joey et Beth trouvent une alternative pour ne pas participer à la confection du gâteau. Dean, préfère s'occuper du linge et Katie prétend un mal de tête. Sauf que c'est un mensonge. Cela se voit à des kilomètres qu'elle souhaite partir. Audrey, n'ayant pas compris les entourloupes de chacun accepte sans soucis.
Miles, est carrément blessé par cette ignorance. Bien sûr, il fait le mec fort, sans sentiment, mais je vois qu'il se sent seul au monde. Un peu comme moi finalement.
━ Et toi, Lindsay, tu nous aides ? M'interroge Audrey, avec un espoir non dissimulé.
━ Avec plaisir. J'adore la pâtisserie.
Elle me sourit, rassurée que je dise oui. Miles reste impassible, mais ses épaules se relâchent signe d'un effort considérable pour lui. Il est touché par mon geste, bien qu'il ne l'admettra jamais.
Je m'installe tout près de lui. Audrey, elle, s'active pour nous donner tous les éléments nécessaires à la fabrication du futur gâteau. Farine, sucre, œufs et chocolat. Audrey supervise les opérations en nous donnant la recette. En préparant la pâte de ce gâteau, je salive d'avance. Le chocolat est le meilleur remède face à la tristesse de tous. Et je dois dire qu'il remonte le moral un peu morose de Miles, qui fête pourtant son anniversaire.
Avec la spatule, je claque énergiquement la préparation sous l'œil inquisiteur de Miles, qui semble se poser un tas de questions.
━ Je préparais le dessert du dimanche midi avec ma mère, je lui explique.
Il hoche la tête et me fixe une nouvelle fois curieux d'en savoir plus.
━ Le dimanche est le jour du seigneur et ma mère disait toujours qu'il fallait le fêter de la plus belle des manières. La nourriture était un cadeau, un privilège que nous devions respecter. Alors, elle invitait tous les voisins et chacun emmenait son plat favori pour remercier Dieu de nous donner la chance d'être en vie.
Ces mots, je les connais par cœur. Ma mère, croyante et saine d'esprit m'a inculqué l'esprit de famille, l'entraide et surtout, le partage. C'est cette Lindsay-là, qui aide Miles en ce moment. La Lindsay enfant, avide de tout, heureuse de chaque minute passée dans une famille aimante et vivante.
Oui, elle a bel et bien existé. Avant, quand ma vie était belle, sans drame et si joyeuse. Mais la joie est souvent de courte durée, je l'ai appris à mes dépens.
━ Elle est morte, affirme-t-il, d'une voix peiné.
Il n'a pas besoin de mes confidences ou de mes explications pour comprendre que ma famille n'est plus de ce monde.
Je suis seule. Avec mes souvenirs bien enfouis et cachés aux yeux de tous.
━ Et toi ? Tu as déjà cuisiné avec tes parents ? Lui demandais-je, pour changer de sujet.
Son regard s'assombrit et je viens tout juste d'appuyer sur un point sensible. Il ne semble pas heureux de mon initiative, alors, je dévie sur une autre conversation de peur qu'il ne se referme sur lui-même.
Nous avons tous des secrets.
Lui, avec ses cauchemars terrifiants. Moi, avec une vie en millions de morceaux.
***
Coucou, la famille !
Je suis de retour avec un nouveau point de vue. Et pas n'importe lequel !
La jolie Lindsay rentre dans l'arène et sa complexité est aussi troublante que les secrets de Miles. Impulsive, méfiante et sur ses gardes, elle observe pour mieux se défendre. Jennifer n'a d'ailleurs pas compris ce qui lui arrivait.
Et c'est également l'occasion d'apprendre quelques bouts de sa vie d'avant. Sa mère, ses croyances, ses petits délits qui l'a conduit jusqu'ici.
Pleins de baisers.
Cynthia.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top