1. Miles
J'attends mon tour dans ce couloir gigantesque. Deux jeunes filles sont en face de moi. Elles semblent totalement dépassées et je vois dans leur attitude qu'elles ne sont pas rassurées d'être ici. Je ne sais pas si elles sont victimes ou coupables, dans tous les cas, il est trop tard pour faire machine arrière.
Personnellement, je ne suis pas peu fier de me retrouver là. La vérité, c'est que si je suis si actif, c'est pour une seule et unique raison : voir Billy. Il est mon avocat depuis six ans, mais il est bien plus pour moi. C'est un homme bon, généreux et surtout droit. Il fait respecter la loi, et bien qu'il soit en colère à chaque fois que je viens pour une nouvelle connerie, je continue. Je devrais m'arrêter, être un bon jeune homme, concentré et travailleur à l'école, sauf que je n'y arrive pas. Les quelques familles d'accueil qui m'ont laissé crécher chez eux, ça c'est toujours mal terminé. Pas d'effort, aucune communication, violence et asocial sont les adjectifs qui me correspondent. Billy, lui, ne m'a jamais traité de la sorte. Il m'a toujours vu comme un garçon paumé et blessé, mais avec un potentiel de reconstruction. Je dois dire que son idée de psy ne m'a vraiment pas plus, mais j'y suis allé juste pour lui faire plaisir. Sauf que ça n'a rien donné.
Rester là, dans un fauteuil, fixé a un type que je ne connaissais pas m'a refroidi direct. Et pour quoi faire ? Lui raconter mon passé glauque, à la limite du malsain ? Non, merci. C'est déjà assez dur de vivre avec toute cette merde derrière moi, alors, hors de question de donner des informations sur ma vie détruite.
J'attends patiemment, presque euphorique à l'idée de faire fermer son clapet au flic chauve qui est avec moi, et je remarque que les deux filles de tout à l'heure ont disparu. Elles ont dû être prises avant moi, donc j'ai le temps de me griller une clope. Je me lève discrètement, le maton sur mes talons qui n'enlève pas les mains de sa matraque au cas ou et je file dehors.
Je roule mon tabac, en silence, sans regarder l'autre con qui me suis partout. Quand il m'a arrêté cette nuit, parce que j'étais, je cite, dans l'illégalité, je n'ai pas rechigné. J'aurais pu me barrer ou lui péter la gueule, histoire de me défouler, mais j'ai vu là une occasion de voir Billy.
Je sais que c'est puéril, presque idiot, mais j'aime bien aller dans son bureau. En dehors de son travail, il n'a pas le droit de rentrer en contact avec les gamins qu'il reçoit. C'est une règle stricte qu'il respecte avec beaucoup de minutie. Trop pour moi.
A seulement onze ans, quand mon monde s'est écroulé, quand je n'avais plus de repères, le seul qui me faisait sentir à l'aise ne pouvait pas être présent auprès de moi. Et ce constat m'a encore plus détruit. Je n'arrivais pas à comprendre. Aujourd'hui, je saisis ses obligations professionnelles, mais je pensais qu'il aurait fait une exception de temps en temps. Il est vrai que quand il m'a trouvé, mis en confiance pour la première fois, j'avais dans l'idée qu'il soit mon tuteur, celui qui prendrait soin de moi. Mais il m'a juste jeté dans des familles trop bizarres pour que je puisse lui foutre la paix. Et chaque fois que je revenais, il avait ce petit sourire qui voulait tout dire. Il avait capté mon manège et malgré ça, il a toujours fait en sorte de me trouver un endroit où je puisse me sentir bien.
Je n'ai jamais eu le courage de lui dire tout. De mon espoir qu'il soit plus que mon avocat. De mon envie d'être un membre de sa famille. Je sais que je n'ai aucune chance, mais parfois, lorsqu'il s'énerve sur moi, ou qu'il me donne un peu de son temps, mon cœur vit à nouveau, comme pour me montrer que j'avais raison de lui faire confiance.
━ Tu vas la fumer, oui ou merde ? M'agresse le maton de sa voix criarde. J'ai pas que ça a foutre, moi !
Je ne prends pas la peine de le regarder et allume ma clope. Mon bonheur au quotidien, si j'oublie évidemment le chit, qui est plus une dépendance, je souffle avec plaisir. Je m'amuse avec la fumée, consulte mon téléphone datant de la Seconde Guerre mondiale et apprécie le bruit incessant des voitures. Plusieurs types en costard se pointent et je sais qu'ils sont associés à Billy. L'un d'eux, qui m'a probablement reconnu me fait un signe de tête avec un drôle de regard. Il ne devrait pourtant pas être surpris de me trouver là.
C'est vrai. Je suis la pire espèce du quartier. Je vole, j'emprunte, je profite des bénéfices d'une baignoire de riche, je prends le temps de manger un bon repas. En fait, je m'installe tranquille, sans honte de quoi que ce soit. Je prends, je me fais plaisir, je revends, en gros tout un business cool et sans prise de tête. Sauf quand les flics m'ont sur le cul. Là, c'est moins cool. Heureusement, que j'ai un bon avocat.
Mes poumons se remplissent et cette odeur qui m'enivre à un contrôle total de mon esprit. Je suis même trop à l'ouest, puisque je m'imagine quelle vie j'aurais pu avoir, si j'avais eu des parents normaux. Pas des tarés aux penchants sexuels assez particuliers.
Je m'arrête dans ma vie imaginaire quand le flic m'empoigne le bras avec force. Il retire ma clope non terminée avec fureur et me pousse à l'intérieur du palais. Je me tourne et le toise de toute ma hauteur pour lui signifier que son petit numéro bidon était pourri. Sa gueule de machiste, ses yeux globuleux et son crâne à blanc me répugnent. Pour autant, je garde mon calme et ne tape pas dans le tas. J'ai déjà pas mal de bagages dans mes conneries, je ne vais pas rajouter cogneur de flics par-dessus cela ferait vraiment mauvais genre.
J'ai juste le temps de lisser ma vieille veste en cuir, qu'une femme apparaît dans l'embrasure de la porte. Ses yeux verts me détaillent, ses longues jambes sont bien bronzées, signe de vacances au soleil et son air autoritaire me foudroie sur place avec ses lunettes de prof tyrannique. Elle m'interpelle de façon rapide et railleuse.
Je bug aussitôt en comprenant que ce n'est pas Billy que je verrais. Mais je n'ai pas le temps de poser des questions que le connard me gueule dessus pour entrer.
Bordel, c'est une mauvaise blague ! Réveillez-moi !
J'entre dans la pièce, bizarrement moins enthousiaste qu'il y a quelques minutes. La femme, un peu militaire à mon goût, me fait signe de m'asseoir. Je le fais par automatisme et explore de mes yeux son environnement.
Les murs de couleur taupe donnent une lumière presque trop sombre pour des enfants en difficulté. Une vieille cheminée non utilisée est travaillée par le temps. Et le reste est à l'image de la propriétaire. Un petit bureau rempli de dossiers, une plante verte qui pue le champignon pour selon moi évacuer l'odeur de tabac, de divers magazines jonchent le sol et les rideaux de ses fenêtres sont bons à changer, tant le teint jaune de la clope à terni le blanc immaculé de la dentelle.
Mon constat ou plutôt mon analyse ne m'inspire pas confiance. Cette femme - happé à chercher les feuillets qui constituent mon dossier - est une mauvaise avocate, prête à en découdre avec les racailles dans mon genre.
Mon instinct me dit de courir, de m'échapper, seulement, le flic aux dents acérées, main sur sa ceinture ne me dit rien qui vaille. Prendre la poudre d'escampette est la seule chose qui me reste à faire, et pourtant je ne tente pas le diable. Parce que si j'aggrave ma situation, qui est déjà un fiasco, alors je ne donne pas cher de ma peau dans une cellule de trois mètres carrés, avec pour seule compagnie un matelas en futon.
━ Ah, le voilà ! S'écrie l'avocate, victorieuse, en indiquant un dossier long comme le bras. Alors Miles Sanchez, fait-elle, en rivant son regard au mien.
Je la vois sourire, ce qui m'inquiète encore plus. Elle sort un rapport concernant mes ventes de cette nuit, qui pour dire vrai, a été fluctuante. La femme, elle, me répète les faits, pour me culpabiliser, ce qui ne fonctionne pas le moins du monde. Ce n'est certainement pas la première fois que je vends de la coke et probablement pas la dernière.
Surprise de me voir si imperturbable, elle continue son discours et enchaîne mes nombreux délits de ces deux années passées.
Je la fixe, ou plutôt je la mitraille du regard. En consultant mon dossier, je l'ai vu soupirer. Mon cas est probablement un des pires qu'elle a vu dans sa jeune carrière, pourtant, elle me baratine sans cesse sur le respect des lois. Comment dire ? Je me fiche pas mal si je dégomme une vitrine ou si j'entre par effraction chez les gens. J'ai besoin de tunes, de fringues, et de clopes aussi. Mais ça, elle s'en bat les couilles. Tout ce qui compte pour elle, c'est de rester dans la ligne de conduite. Les conneries habituelles quoi !
━ Bien, soupire-t-elle, un peu plus agacée. Qu'allons-nous faire, Monsieur Sanchez ? Peu importe mes paroles, vous restez impassible, totalement indifférent. Peut-être qu'un électrochoc vous fera du bien.
Quand elle me prononce « maison correctionnelle », je déglutis. Putain de merde, elle ne rigole pas la garce. Pourquoi Billy n'est pas présent ? Lui, il m'aurait engueulé cinq minutes, m'aurait payé a bouffer et aider dans mes démarches. Elle, je ne la sens pas. Et manque de pot, j'ai un instinct pour les bonnes donneuses de leçons à la con.
━ C'est à vous de voir ! Soit, vous faites le choix de vous tenir à carreau pendant deux ans près de Brooklyn.
━ Soit quoi ? Je réponds avec virulence. Quelle est la deuxième idée merveilleuse que vous avez trouvée ?
L'avocate, Garner, d'après son porte-nom, me sourit et déclare :
━ Soit, une cellule bien au chaud vous attend !
Je me raidis !
La taule ? Impossible. Je n'y survivrais pas.
Elle me fixe, impatiente. Elle se délecte de me voir si miné par ses deux options de merde. Pour la première fois de ma vie, je me sens coincé. Ouais, d'habitude, j'arrive à me dépatouiller et à trouver une autre alternative. Là, j'ai l'impression que rien n'est dans mon sens. Et ça, ce n'est pas normal.
━ Je veux voir mon avocat !
Garner, toujours peu surprise de ma façon de faire me cloue le bec d'un ton assez radical.
━ Maître Lawrence est en vacances. Et puis c'est moi qui prend les décisions. Je vous rappelle que je suis juge.
Je reste complètement con face à cette révélation. Bordel ! Ce n'est pas du tout une avocate. Après tout, comment j'aurais pu le deviner ? Elle ne s'est même pas présenter. Ou alors j'ai vraiment perdu les pédales et je ne me souviens de rien.
━ Et puis, estimez-vous heureux que je vous propose ce choix, parce que certains finissent directement derrière les barreaux Monsieur Sanchez ! Considérez donc, que cette opportunité est un cadeau de ma part !
Je bouillonne, je pète un câble intérieurement. Mon sang-froid est vraiment mis à mal et je veux exploser ce connard de flic qui discrètement ricane à mes côtés. La femme relève la tête, montre qu'elle n'a pas peur de ma violence répétée. Elle veut prouver que je suis celui qui doit écouter et accepter les choses, pas l'inverse.
━ Je veux bien, dis-je, après un long silence.
Je veux bien ? Putain !!! Mais non ! Je ne veux pas être surveillé et interdit de liberté.
Garner, satisfaite, me félicite de ce choix. Comme si je l'avais eu, pétasse !
Voilà qu'elle me transfère dans une maison avec d'autres gamins paumés. Putain, mais autant me tirer une balle tout de suite.
Elle prépare un contrat, elle m'explique bon nombre de choses, mais je n'écoute pas. Je suis trop sous le choc pour le faire. Ma vie d'avant n'est plus qu'un lointain souvenir et je me sens oppressé, mal à l'aise. Et je sais pourquoi.
Mes jambes tremblent, mon cœur sursaute et quand elle me promet que tout cela est pour mon bien, je relève la tête prêt à lui défoncer ses lunettes rondes d'intello, qui lui donne un visage d'une petite pré-adolescente mal baisé. Mon subconscient est vraiment vulgaire quand j'y pense.
━ Vous verrez, fait-elle, en m'accompagnant jusque-la sortie, un jour, vous me remercierez.
Je ne lui réponds pas, je ne lui dis pas au revoir. Je préfère me tirer au plus vite de ce bureau minable qui ne m'a apporté que des malheurs, tout ça pour voir Billy en plus.
Quelle idée de merde !
━ Alors le morveux, glousse doucement le maton en s'approchant, cette fois tu n'as pas eu gain de cause !
Je serre les poings et me retiens de lui foutre sur la gueule. Il le mérite amplement ce connard en plus. Je soupire et il m'indique la bagnole de flic pour me conduire dans « mon nouveau chez moi ».
Vivement que Billy revienne de vacances et qu'il me sorte de l'enfer ridicule dans lequel je me trouve.
***
Bonsoir, les amis !
Oh lala ! Oui. Sacré Miles, n'est-ce pas ?
Le pauvre, lui qui voulait voir Billy, se retrouve en maison correctionnelle à la place. (Pas de bol, quand tu nous tiens).
Alors, qu'avez-vous pensé de ce premier chapitre ?
ps: le chapitre est remis en ligne car j'ai modifié quelques petites choses.
Pleins de baisers.
Cynthia.
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