Toi
Tu ne parles pas beaucoup.
Nous sommes à la mer. C'est l'hiver, le vent fouette nos visages et je n'ai jamais été aussi heureux.
Tu es là, à mes côtés, ce sourire un peu timide encore. Mais la lueur dans tes yeux, cette chaleur qui me réchauffe, ici, sur la plage.
Tes cheveux sont emmêlés, tu pleures un peu, parfois, le sable ou le vent sans doute.
Mais tu souris, tu me souris. Toujours.
Nous sommes venus ce matin, après avoir roulé quelques heures en silence. La musique nous accompagnait, je chantais, tu me regardais. Tu chantais aussi un peu, parfois, tes lèvres bougeaient.
Ici nous sommes seuls, ici nous sommes bien.
Allongés sur le sable un peu humide, emmitouflés de laine. Pull, écharpe, gants. Et ce bonnet, que je t'ai fait enlever. Je voulais voir tes cheveux.
Tes cheveux, doux sous mes doigts.
Cuivre ces jours-ci. D'un rouge orange intrigant, séduisant. Leur couleur s'illumine sous ce soleil d'hiver, transforme ton simple pull de laine écrue en ornement.
Ornement de cette flamme, ornement de ton visage. De ton corps.
Le téléphone ne cesse de tomber dans le sable, je peste. Puis, te regardant à nouveau, je souris, puis ris, à ton visage amusé.
Te voir me déride, toujours.
Te voir me rend heureux.
Te voir me fait vivre.
Autour de nous on nous scrute, les quelques promeneurs ralentissent, examinent. Tendent l'oreille à mes paroles, scrutent nos moindres gestes.
Je voudrais cacher le téléphone.
Mais ils finissent par repartir, nous laisser, enfin.
Ton regard s'est voilé, un peu.
Je nous secoue, je jure.
Je m'en fiche, et toi aussi, on n'a pas besoin d'eux, n'est-ce pas?
N'est-ce pas, qu'on se suffit, toi et moi?
****
C'est ce jour-là, que tout a commencé. Cet instant là.
L'instant où je t'ai découvert, où je t'ai vu comme pour la première fois.
J'étais dans la loge, assis, fatigué. Frigorifié. J'avais fermé les yeux sous les gestes experts, pour m'enfuir, me perdre, me retrouver peut-être.
Un simple instant avant le travail, avant les flashs, avant la tête qui tourne à trop faire semblant.
Un instant qui s'est prolongé, étiré. On me laissait tranquille, enfin.
Puis on m'a appelé.
Quand j'ai rouvert les yeux, tu étais là.
Divin.
Je t'ai regardé en silence, je t'ai détaillé. L'infini de ta peau, sa pâleur affolante. L'onde de tes cheveux. L'ébène lourd qu'ils revêtaient.
Ces fleurs, ces feuillages, légers contre ta peau. Caresses subtiles où, hésitant, j'ai porté mes doigts.
Moi aussi je voulais, moi aussi je devais...
Tu as frissonné, tes yeux se sont agrandis soudain, ta bouche entrouverte.
Tu venais de comprendre.
De sentir ma main tiède contre ta peau et de comprendre.
Tu m'as souri.
Ton premier sourire, à moi seul destiné.
*****
Tu as continué à me sourire, toujours, dès que tu me voyais, dès que tu m'attrapais quelque part.
J'étais fou, te cherchais dès que je pouvais. Je me languissais de ton visage, de tes yeux, dès que tu m'étais ôté.
De tes lèvres, aussi.
Tu le savais, tu en jouais.
A me regarder ainsi, à m'attirer.
Tes yeux de fausse innocence, cachés derrière tes boucles, qui m'appellent, m'ensorcellent.
Disparaissent, réapparaissent.
Dieu que j'aime tes boucles.
Dieu que j'aime ta bouche.
Offerte.
Offrande aux dieux de l'éphémère, offrande à moi et à moi seul.
J'ai fait sortir tout le monde, d'un geste, d'un cri.
Ne restait que moi dans la loge.
Ne restait que toi.
Je me suis approché, tu as continué à sourire.
Mes doigts sur la peau fine, mes doigts sur le cou à peine libéré du pull.
Un frisson.
Puis tes yeux, encore, qui m'appelaient.
J'ai relevé une mèche, j'ai dénudé tes yeux.
Ce sourire, encore, mutin.
J'ai voulu demander, éviter de voler.
Mais ta bouche s'est ouverte, s'est offerte, d'elle-même, et ton souffle a tremblé.
Alors j'ai pris.
Ta peau glacée m'a fait gémir.
On m'a regardé étrangement quand je suis sorti.
*****
Aujourd'hui tu décides.
Aujourd'hui tu me prends, et fais de moi poupée.
Marionnette en tes mains, si nu devant tes yeux, enchaîné à ta bouche.
Je me sens faible, soudain.
Faible et heureux, faible et conquis.
Aujourd'hui tu es si différent.
Ton regard m'a pétrifié d'un sort, et tes lèvres closes, serrées, ont pris mon souffle en elles.
Tu me domines. Tu me perds en moi-même, en toi, en nous.
J'ai peur.
Mais je veux, encore, continuer. Avancer toujours plus vers toi, en toi.
Devenir nous.
*****
La buée a tout envahi, ici.
Elle s'est répandue peu à peu, au fil de la baignoire qui se remplissait.
Ton corps a perdu corps, n'est resté que silhouette, claire et nue.
Je peux à peine voir ton visage, ton sourire, je les devine plutôt.
Je sais tes yeux hagards, ta bouche offerte, ta poitrine qui danse le désir.
Je sais ton coeur qui bat fort.
Je sais ton sexe dur et chaud.
Ma main sur toi s'est faite avide, patience dépassée.
Tu as gémi, longuement, doucement.
Un souffle d'abandon à l'inconcevable.
Et tandis que mes mains t'exploraient et te jouaient, tu me souriais, encore.
Le souffle bruyant et lourd, la tête renversée sur le bord.
Le froid de l'émail qui rafraîchit, la brûlure de l'eau, chaude, trop chaude.
La tête tourne.
Tu cries mon nom. Bref et urgent.
Le désir. L'envie. De toi. De moi. Ainsi.
Enfin...
Ton visage en jouissant s'est paré du sublime.
Je t'aime.
*****
Je n'en peux plus.
Plusieurs jours que la souffrance a remplacé le bonheur de t'avoir.
Je veux plus, toujours, je veux tout, de toi.
Tu me manques.
Te voir de-ci de-là ne me suffit plus, je te veux à moi, toujours, tout le temps.
Je ne veux plus avoir à te chercher, je ne veux plus avoir à te guetter.
Je te veux en moi, toujours.
Mais face à moi.
Et toi...
Toi aussi tu souffres, de vivre si peu.
Je vois tes traits tirés, ton regard fatigué.
L'horreur que tu as de tout ça, de ces faux-semblants de réalité.
De cette prison rose qui te décore, te pare pour mieux t'asservir.
Enfermé, tu es.
Enfermant, je suis.
Enfermé, aussi.
Rien ne peut continuer ainsi, mais tout DOIT continuer.
Je mourrai sinon.
Et tu mourras aussi.
Je vois ton regard qui me supplie, je vois ta bouche oser.
Oui, je vais t'écouter.
Tout doit continuer, autrement.
Et nous serons ensemble, toujours.
*****
Ils m'ont retiré de toi.
Ils t'ont retiré de moi.
Je suis seul, si seul ici.
Ces murs, blancs de froid, ces gens, figés, faux.
Ils m'ont tout pris.
Ils ont pris tout ce qui importe: toi.
Tu ne peux plus me rejoindre, la porte est fermée, à clé. Je ne peux recevoir de visites.
Comment te sens-tu?
Te sens-tu aussi seul que moi? Aussi perdu? Aussi amer, aussi haineux?
Je les tuerai, un jour.
Eux, tous ceux de blanc vêtus
.
Le blanc est si froid.
Les draps sont rèches, toujours, le carrelage glaçant.
Les murs nus, complètement nus.
La télévision fonctionne en sourdine, ils disent que ça me tiendra compagnie.
Jusqu'à...
Jusqu'à ce que je t'oublie, disent-ils.
Je ris.
Tu es en moi, pour toujours.
Jamais je ne t'oublierai.
Aujourd'hui premier jour d'un vrai repas, j'ai cessé de lutter.
Cessé de refuser de m'alimenter, cessé de tout renverser, tout casser.
Je pense à tes yeux, je pense à la peur que tu aurais de me voir ainsi, presque sauvage.
Je pense à tes yeux alors je mange, pour tenir, et te retrouver, un jour, peut-être.
L'odeur de la soupe est écoeurante, trop de jours sans aliments.
Je vais pour reposer la cuillère et abandonner sans même tenter, lorsque je vois.
Je fixe, longtemps.
L'espoir est petit, tout petit dans ma main. Tout de gris vêtu.
Tu es là.
Revenu.
Renversé et renversant.
Je te retourne.
Le teint pâle, plus pâle encore qu'à l'habitude.
Les cheveux emmêlés, hirsutes.
Tu es lointain, déformé même, je ne peux voir clairement l'expression de tes yeux.
Mais je te devine triste, toi aussi
Seul, toi aussi, sans moi
Sans toi
Cette blouse d'hôpital ne te va pas du tout.
Mais tu es là, mon âme, mon coeur
Je te porte à mes lèvres et vais pour t'embrasser
Je te mange
La cuillère est froide sur ma langue
Ici, ils m'appellent Narcisse. Je déteste ce surnom.
Mon nom c'est Min Yoongi.
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