Accro


OS écrit dans le cadre de la Bangtan Baguette Fest



Il était 23h15 et Jungkook se gelait les miches au sommet d'un arbre.


Ça faisait 3 mois que ça avait commencé. Trois fichus mois à faire ce parcours d'accrobranche quotidiennement, parfois plusieurs fois par jour.

Tout ça pour le voir, lui.


La première fois, ça avait été par désoeuvrement.

Jungkook avait rendez-vous avec Namjoon pour aller à la salle de sport, mais un message de ce dernier lui avait annoncé son retard. 30 bonnes minutes à tuer, Jungkook avait alors cherché quoi faire. A quelques pas de la salle devant laquelle il poireautait, il avait aperçu des arbres, entendu des cris d'enfants. Un parc.

Il s'y était alors dirigé, pensant y commencer son footing en attendant.


Mais quelque chose avait attiré son attention. Quelque chose d'étonnant, d'incongru même en plein centre-ville.

Un pont suspendu au-dessus de l'avenue. Un fichu pont, comme dans les films d'Indiana Jones.

Un pont fait de planches de bois et de cordes, qui balançait à chaque pas que faisaient les trois personnes qui s'y étaient aventurées.

Les cris et les rires fusaient, couvrant les bruits de moteur, les klaxons des embouteillages de cette fin d'après-midi.

Tête levée, Jungkook les avait observé progresser précautionneusement puis finalement rejoindre une plateforme au sommet d'un arbre. Et disparaître. Il s'était approché, curieux, et les avait retrouvés un peu plus loin dans le parc, les fesses sur un tyrolienne.

Il en avait trépigné d'enthousiasme.

Un parcours d'accrobranche s'étalait devant lui.

Jungkook s'était précipité, avait avidement cherché le début du parcours. On ne laisse pas une opportunité comme celle-ci s'envoler, de l'accrobranche au beau milieu d'une grande ville!! Une escapade de verdure, à voler au-dessus des autres, au-dessus de ces voitures, de cette pollution. A oublier un peu le quotidien. Jungkook s'y voyait déjà.

Quand, en plus, il avait trouvé l'entrée et découvert que c'était gratuit et ouvert à n'importe quelle heure, il n'en avait pas cru sa chance.

Il avait revêtu un des baudriers mis à disposition en souriant comme un idiot. Ses doigts tremblaient d'excitation quand il avait empoigné la corde, fermement accroché son mousqueton à la ligne.

Et il s'était élancé.


Les minutes qui avaient suivi avaient été des plus belles, lui avaient fait oublier un instant ses soucis. Les devoirs à rendre pour la fac, le loyer difficile à payer, ses parents qui...

Non, oublier, ne plus penser qu'à cette verdure, s'y noyer.

Il avait progressé rapidement d'arbre en arbre, avide de découvrir, avide de faire marcher ses muscles, de sentir son corps s'étirer, d'avoir du mal, parfois, à attraper une prise.

Mais le parcours s'était terminé rapidement. Trop facile!


Alors Jungkook avait consulté l'heure, et avait recommencé.

En prenant son temps, cette fois.


Il avait observé les enfants jouer, en bas sur le toboggan, nargué les voitures bloquées à un feu rouge, leurs conducteurs qui trépignaient. Senti le rugueux des écorces, perçu les différents verts, les différentes feuilles. S'était senti libre, libre, libre.

Il avait souri à voir la petite silhouette de Namjoon, tout en bas, qui le cherchait devant la salle de sport.

Avait dégainé son téléphone et allait lui envoyer un message, lorsque la fenêtre l'avait happé.

Une fenêtre, simple, à volets de bois bleus. Grande ouverte, sous le soleil de septembre.

Il ne l'avait pas vue la première fois, comment était-ce possible?

Il s'était approché, curieux, voyeur un peu.

Le pont suspendu était un peu plus haut que la fenêtre, lui permettait une vue plongeante sur l'intérieur, sur la petite pièce qu'il découvrait. Une chambre? On apercevait un lit défait, au fond.

Et une toile sur un chevalet, devant, bien à la lumière. Une toile multicolore mais inachevée, trouée de vide.

Jungkook s'était immobilisé, fasciné.


Et c'est là qu'il était apparu.

Lui, ou plutôt ce dos, qui s'était placé devant la toile sans un regard pour l'extérieur, sans voir Jungkook.

Si loin mais si proche, quand même.


Jungkook avait retenu son souffle quand l'homme s'était mis à peindre, ses longs doigts promenant le pinceau sur la toile, puis le nourrissant chaque fois de couleur avant de retourner à sa tâche, grignotant encore et encore le vide blanc jusqu'à le faire disparaître.


Lorsque Jungkook avait repris ses esprits, lorsqu'il s'était arraché au ballet des gestes de l'homme, le soleil commençait à décliner derrière les arbres.

Il s'était secoué, avec l'impression d'émerger d'un rêve obsédant, avait cherché la silhouette de Namjoon, mais plus rien. Un coup d'œil à son téléphone montrait 5 appels en absence.

Il avait juré, avait fait défiler l'écran pour rappeler Namjoon, jetant au passage un dernier regard à la fenêtre.

Et c'est là qu'il l'avait vu.

Ce visage, ce profil. La perfection incarnée.

Jungkook s'était figé, inquiet d'avoir été découvert, mais le jeune homme ne lui avait pas jeté un regard, retournant déjà à sa toile.

Jungkook avait lentement laissé échapper l'air de ses poumons.

— Putain Jungkook, qu'est-ce que tu fous? T'es où?

Il s'était précipité pour descendre, téléphone à la main, avait marmonné des excuses, un "j'arrive".

Poser le pied sur le sol avait presque semblé incongru.

Il avait relevé la tête, regardé cette fenêtre aux volets bleus tournée vers le ciel.

Ressenti une pointe de jalousie pour celui qui pouvait ainsi vivre loin du monde, au milieu des arbres.

Puis Jungkook s'était engouffré dans la salle de sport rejoindre Namjoon et recevoir la belle engueulade qu'il méritait.


****


Il vivait au milieu des arbres mais ne les regardait jamais.

Du moins, c'était ce que Jungkook en avait déduit après être, presque malgré lui, revenu plusieurs fois faire le parcours. Il fallait bien occuper le temps en attendant Namjoon.

Alors Jungkook se précipitait, grimpait sur les arbres et se dépêchait de rejoindre ce pont suspendu, d'où il pouvait contempler la fenêtre aux volets bleus.

Là, il restait de longues minutes à regarder l'autre.

A le regarder peindre.

C'était chaque fois une toile différente, mais chaque fois la nature. La nature dans sa grandeur, dans son immensité. Une immensité qui l'envoûtait.

Un champ de blé sous le soleil doré, et Jungkook avait l'impression de sentir le coupant des tiges contre sa main. Une forêt sombre et il sentait l'humidité jusque sous ses vêtements. Un tapis de fleurs et c'était leurs parfums.

Là-haut, protégé du reste du monde par les arbres qui l'entouraient, par les toiles où il se perdait, Jungkook oubliait cette grande ville qu'il exécrait, retrouvait cette nature si chère à son cœur.

La quitter pour ses études avait été un déchirement.

Mais ici il rejoignait la nostalgie, s'y perdait avec douceur.


Et puis il y avait lui. Cet autre, qui peignait.

Jungkook ne connaissait que son dos, souple devant la toile, à s'avancer, reculer, se pencher pour reprendre un détail. Son dos et son profil divin, qu'il n'avait plus jamais revu, devenu simple souvenir. Un souvenir qui l'obsédait.

Mais Jungkook venait, de plus en plus souvent, chaque jour maintenant, pour ces toiles, pour ce dos. Pour cette ambiance étrange, cette paix.

L'hiver était arrivé et plus personne, presque, ne faisait le parcours.

Jungkook était tranquille.

La fenêtre, elle, restait ouverte.

Au début, il avait eu peur que l'autre se retourne et le découvre, à le contempler ainsi. Mais les jours avaient passé et jamais il ne s'était retourné, se dirigeant tout au plus parfois jusqu'au petit lavabo pour y rincer ses pinceaux, avant de soigneusement les laver d'un produit que Jungkook devinait fort, au geste que l'autre avait de les tenir éloignés de lui le plus possible. Il savait alors que c'était le moment de partir, de s'éclipser, avant que l'autre n'achève sa tâche et ne se retourne pour revenir à la toile.


Jungkook s'était posé tant de questions sur lui.

Il s'était demandé si peindre était l'activité principale de celui qu'il avait surnommé Tae. C'était le nom qu'il avait cru deviner apposé sur une toile, un jour.

Il avait cherché sur internet, n'avait rien trouvé. Il s'était peut-être trompé, après tout la toile était loin, le zoom de son téléphone mauvais.

Mais lui donner ainsi un nom, même faux, l'avait rapproché de l'autre, lui avait donné une réalité douce, une existence moins abstraite. Jungkook se prenait à être curieux à son sujet. A presque vouloir qu'il se retourne, pour voir à nouveau ce visage. Le souvenir qu'il en avait était à la fois si net et si fugace.

Il voulait plus.


Alors il avait essayé d'autres horaires, pour en découvrir plus à son sujet.

Le matin tôt, avant la fac. Mais la fenêtre était fermée, les rideaux tirés, la lumière éteinte. Raté.

Le midi, et c'était mieux, déjà: la fenêtre toujours fermée mais les rideaux ouverts, il apercevait la toile posée sur le chevalet. Mais Tae n'était pas là, jamais.

Pas intéressant.

Alors Jungkook continuait à venir en fin d'après-midi, après la fac, avant le sport.

Mais c'était frustrant, si peu, à peine 15 minutes avant l'arrivée de Namjoon. Et il ne pouvait pas rater le sport, c'était son équilibrant, ce qui l'empêchait de hurler sa claustrophobie des amphis blindés, son horreur des bruits de moteurs et des vapeurs d'essence. Sa haine de la ville.


Il était un jour revenu après le sport. Tae était toujours là, à peindre, le tableau déjà plus avancé que quelques heures auparavant.

Jungkook avait laissé la nuit tomber, le froid l'envelopper. La fenêtre, étrangement, était restée ouverte. Tae avait juste, à un moment, passé un gros pull et une écharpe, puis s'était remis à la tâche.

Il faisait nuit, déjà, la lumière allumée avait détaché sa silhouette, son visage qui émergeait du pull, les boucles ébouriffées.

Jungkook n'avait pas craint d'être découvert, l'obscurité l'enveloppait, le protégeait. Il avait pu contempler à son aise, jouir de ce visage qu'il voyait si peu. Avant que, à nouveau, le dos ne remplace le visage, la main ne se saisisse du pinceau et ne se remette à peindre.

Le froid de décembre avait eu raison de Jungkook.

Il s'était convaincu de partir avant de mourir congelé, se promettant de revenir préparé.


Alors Jungkook était là, à 23h15, à se geler les miches parce que Tae continuait à peindre sans relâche et qu'il aimait ça, le regarder, se perdre avec lui dans cette mer qui naissait sous ses doigts.

Le gros manteau qu'il avait emporté avait suffi, au début, mais plus maintenant, et c'était terrible. Le parc devenait si humide, la nuit. Et cette pluie fine, qui avait commencé depuis 30 minutes, qui ne cessait plus. Il fallait partir, rentrer chez lui, prendre une douche chaude. Mais...

Mais l'autre continuait à peindre, n'avait pas fermé la fenêtre.

Et Jungkook avait perçu quelque chose de différent, ce soir. Quelque chose qui le poussait à rester, qui l'empêchait d'abandonner Tae.

Une rage, une brusquerie dans les gestes du peintre, qu'il n'avait jamais vue.

Une hésitation. Le fait de repasser sans cesse et sans cesse sur les mêmes traits, les mêmes tâches de couleur.

Jungkook était tendu, aurait voulu s'approcher, prendre la main qui tremblait maintenant, le pinceau suspendu dans l'air.

Le consoler.

Car l'autre semblait pleurer. Ou semblait rire, Jungkook ne savait plus.

Ses épaules tressautaient, son corps s'affaissait, doucement, se repliait sur lui-même.

Jungkook se leva, s'approcha au plus près, oubliant toute prudence, le visage presque à la lumière.

Soudain l'autre se pencha vers la petite table sur laquelle il posait ses couleurs, l'attrapa et la balança contre le chevalet avec rage.

Il y avait des larmes le long de ses joues, quand il s'était retourné vers la fenêtre.


Jungkook eut juste le temps de se jeter dans l'ombre avant que la fenêtre ne soit claquée et les rideaux tirés d'un coup sec.

Peu après une musique s'élevait, trop forte pour cette heure de la nuit, qui acheva de le déstabiliser.

Jungkook resta un instant immobile, à tenter de reprendre ses esprits, le froid maintenant disparu.

Tae avait pleuré, pleurait peut-être encore.

Pourquoi?

Parce qu'il ne réussissait pas à peindre comme il le voulait? Pour autre chose?

Ce fut quand il passa la nuit à se tourner dans son lit, incapable de trouver le sommeil à force de s'inquiéter pour Tae, que Jungkook s'aperçut que l'autre avait pris une place essentielle dans sa vie.

Lui et ses toiles étaient son équilibre, ce qui lui permettait de tenir, ici.

Un instant de faiblesse de la part de Tae et son monde à lui s'écroulait, redevenait la survie quotidienne de ces deux dernières années.

La grisaille de sa vie avant qu'un peintre ne vienne l'emplir d'une lumière douce.

Jungkook ne pouvait pas perdre cela, ne pouvait pas laisser Tae flancher.

Il devait rendre un peu de ce qu'il recevait.


*****


Il se leva tôt le lendemain matin, après avoir peu, voire pas dormi.

Mais il avait eu une idée, une idée de génie.

Ou plutôt, une fois le café bu, une idée peut-être pas bonne, peut-être bête, mais une idée déjà, un premier pas.

Jungkook avait besoin d'agir, quel que soit le résultat, pour sentir qu'il faisait quelque chose, qu'il aidait Tae.

Il passa d'abord au supermarché puis se dirigea d'un pas vif vers le parc, désert à cette heure matinale. L'ascension ne fut pas simple, chargé comme il était, mais finalement Jungkook déboucha sur le pont suspendu, se retrouva devant la fenêtre.

Elle était close, les volets maintenant fermés.

Jungkook déposa tout son foutoir et se mit au travail, priant pour que personne n'arrive et ne lui demande ce qu'il fabriquait ou, pire, que Tae n'ouvre la fenêtre et ne le prenne sur le fait.

Après une bonne heure à souffler, attacher, couper, et suer malgré les à peine 2°C de ce matin de décembre, Jungkook se redressa et contempla son œuvre d'un air satisfait.

Ça avait de la gueule.

Il tenta de se projeter quelques mètres plus loin, lorsque Tae ouvrirait la fenêtre. Oui, c'était parfait.

Ou complètement débile, au choix.

Jungkook eut un instant de désespoir à imaginer Tae éclater de rire et se moquer de ce qu'il avait si durement accompli.

Mais au moins il rirait, n'est-ce pas?

Et c'était ce que Jungkook voulait, qu'il retrouve le sourire, même si c'était à ses dépends. Son idée n'était finalement pas si bête.

On essaie de se convaincre comme on peut.

Jungkook se dépêcha de rassembler ses affaires et de redescendre avant que l'autre ne se lève et ne le grille. Il aurait aimé rester là, à guetter l'ouverture de la fenêtre, des volets, à voir le visage que ferait Tae au spectacle.

Mais il avait cours à 10h, il ne pouvait pas rester.

Un dernier regard vers les arbres et le pont, là-haut.

Les dizaines de ballons multicolores se balançaient au vent, tâches éclatantes au milieu du ciel gris.

Jungkook espérait que Tae aimerait.

Lui, il aimait.



Il revint le soir, à pas hésitant, n'osant pas s'aventurer dans le parc avant la tombée de la nuit.

Il devinait encore les ballons, là-haut, signe que personne ne les avait retirés. Tae avait peut-être aimé? Ou peut-être avait-il dormi toute la journée et n'avait pas encore ouvert les volets.

Mais, dès que Jungkook arriva sur le pont, il devina la fenêtre grande ouverte, la lumière phare dans la nuit. Il ne put s'empêcher de sourire.

Il les avait forcément vus.

Jungkook s'approcha à pas de loup, tentant de ne pas trop faire balancer le pont de bois qui grinçait lugubrement à chaque pas. Heureusement le bruit de la circulation était fort, couvrait tout.

Un regard dans la pièce, nulle trace de Tae.

Jungkook eut un instant de déception, avant d'apercevoir la toile posée sur la chevalet.

Plus de mer, plus de vagues.

A la place, un océan de verdure, de feuilles qui s'enchevêtraient, de branches qui s'enlaçaient.

Et au milieu...


Au milieu, une grappe de ballons multicolores.




Jungkook mit quelques jours à se remettre de ses émotions, à oser revenir. A prendre le risque de briser le nuage sucré sur lequel ces quelques tâches de couleur l'avaient projeté.

Tae avait remarqué les ballons. Tae avait remarqué son geste.

Et il avait tant aimé qu'il les avait peints.

Jungkook souriait sans discontinuer, au grand étonnement de Namjoon qui ne l'avait jamais vu... joyeux? Heureux?

— Je sais pas qui te met dans cet état, mec, mais je lui dis bravo. Tu tires toujours une tronche de 6 pieds de long depuis que je te connais!

Jungkook avait marmonné quelque chose en réponse, un peu vexé, un peu rougissant.

Et finalement, il s'était décidé, un mercredi après-midi.

Tae lui manquait trop, ses séances quotidiennes dans les arbres aussi.

Alors il était remonté, plein d'appréhension et d'impatience à la fois.

Quelques ballons étaient encore là, miracles colorés au milieu de cet hiver pluvieux.

Mais Tae, lui, n'était pas là, à nouveau.

La fenêtre était pourtant toujours grande ouverte, une toile à demi achevée toujours sur le chevalet.

Un pont cette fois, un pont suspendu au milieu d'une jungle, qui rappelait étrangement le sien, son pont suspendu.

Jungkook resta quelques instants à le contempler, à sourire, à se demander si Tae voulait lui faire passer un message.

Puis, rien ne venant, Tae ne rentrant pas, il se décida à partir.

Toujours ce petit pincement au cœur au moment de quitter la fenêtre, de lâcher cette bulle hors-temps.

Mais, alors qu'il atteignait l'arbre marquant la fin du pont, le regard de Jungkook fut attiré par une tâche rouge, là, en bas, sur un banc du parc.

Un ballon, rouge, accroché au poignet d'un homme, de dos.

L'homme emmitouflé dans un énorme chandail en laine, rouge lui aussi.

L'homme dont le dos et le profil, lorsqu'il se pencha légèrement en avant pour observer quelque chose sur le chemin, étaient catégoriques.

Tae.

Tae, en train de dessiner quelque chose sur un bloc de papier.

Tae, sorti de sa chambre.

Tae, entré dans le monde.

Tae, en bas, putain!


Alors Jungkook s'affola.

Hésita, dévala quelques marches, s'arrêta.

Remonta, reprit sa place sur le pont, la corde de sécurité s'emmêlant à force d'allers-retours.

Finalement resta là, lui là-haut, et l'autre en bas, à le regarder, à nouveau, à l'admirer.

Au milieu des arbres nus du parc, des arbustes taillés, des fontaines vidées.

Au milieu des enfants qui couraient à perdre haleine, des parents qui râlaient, des mamies qui souriaient.

Tae, au milieu de la vie.


Et ce fût ainsi, désormais, chaque mercredi, puis chaque jeudi aussi, jusqu'à prendre toute la semaine.

Tae absent, Jungkook présent, sur le pont, là-haut, à l'observer déambuler dans le parc, à le suivre perché, chemin parallèles de mondes séparés.

Tae dessinait tout, arbres, nature qui reverdissait peu à peu, enfants, vieillards, couples enlacés, baisers passionnés d'ados.

Et là-haut, dans la chambre, chaque jour une toile, toujours.

Chaque jour un morceau de vie.

Du parc à la toile, de la ville aux couleurs.

Et Jungkook suivait, passait d'arbre en arbre, se balançait à coup de tyroliennes.

Jamais Tae ne levait les yeux vers le ciel.


Le printemps arriva, les arbres se couvrirent de feuilles.

Et Jungkook, désormais, ne voyait plus rien, en bas.

Tae ne semblait pas vouloir remonter.

Il allait donc devoir descendre? Risquer de le croiser?

Mais pouvait-il renoncer à ses virées quotidiennes, à cette étrange émotion qui le liait à ce peintre?

A ses peintures, si belles, toujours, sur le chevalet.

Alors le parc devint un champ de mines, et Jungkook se tourna ninja.

La progression se fit au sol, de massif en massif, à suivre un Tae devenu nomade, soudain, promeneur actif.

Le pas souple, toujours, la démarche nonchalante. Il ne se pressait pas, contemplait calmement, et s'asseyait, parfois, pour une esquisse ou quelques mots.


Et ce fut mai, déjà, les fleurs partout, jusque sur les toiles, et un Tae en canotier, à le faire rire, de ce style si particulier.

Mais Jungkook était fou, fou de lui, aimait tout.

Aimait ces échos qu'il trouvait dans les toiles, ces détails observés un jour, en bas, autour de Tae, retrouvés le lendemain sur le chevalet, intégrés au dessin. Des clins d'oeils silencieux, pour qui? Pour lui?

Et ces vues, souvent, trop souvent identiques à ce que Jungkook pouvait voir, lui, d'en haut.

La fontaine et les enfants qui poussaient les bateaux, oui, mais vue d'en haut, de Jungkook, et pas d'en bas. Pas de là où se trouvait Tae lorsqu'il avait dessiné.

Pourquoi?

Jungkook perdait tête, perdait pied.

Avait cessé de réfléchir.

Revenait, toujours.


Et ce fut le message, un jour, écrit au feutre sur la fenêtre.

Vernissage de mon expo

vendredi 2 juin 20h

galerie La Plume


Jungkook avait hésité jusqu'au dernier moment.

S'était d'abord demandé si c'était bien pour lui

S'était ensuite convaincu que ce n'était pas réel, une histoire de fantômes ou d'aliens

S'était trouvé des choses à faire, soudain, ce vendredi là

S'était demandé comment on s'habillait, pour un vernissage

S'était confié à Namjoon, honteux, rougissant, désespéré

S'était retrouvé avec une bonne tape sur l'épaule, un "fonce, mec!" tonitruant et une chemise stylée à porter

S'était mordu les ongles au sang, avait tourné et retourné devant l'entrée

S'était enfui trois fois, était revenu chaque fois

S'était décidé à entrer quand le vigile était venu le menacer


Avait cessé de respirer, soudain


Englouti de toiles, de vert, de nature, partout, sur tous les murs

La signature nette enfin

"Tae", bien deviné


Alors Jungkook avait souri, avait soufflé, repris contenance

Avait senti son coeur battre de bonheur d'être ici, avait pris son temps, tout son temps pour, enfin, voir chaque toile de près

En détailler chaque parcelle, chaque couleur, chaque forme.


Et puis avait reperdu pied, encore une fois, à la vue d'une minuscule silhouette sur une toile, tout en bas

Puis sur une autre, en haut cette fois, et encore une autre, toujours, partout

Sur chaque toile

Cette silhouette posée là, perdue dans l'immensité de la nature, à la contempler

Une silhouette toute en noir, cheveux bruns, pantalon cargo et T-shirt large

Lui

C'était lui, Jungkook, chaque fois

Nul doute

Posé dans les toiles, au coeur de la peinture

Au coeur de son monde à lui


Il avait pleuré alors, de joie, de beauté, de reconnaissance

Seul devant ces toiles qu'il avait tant admirées, là-haut


Une silhouette s'était approchée, s'était posée à ses côtés.

— Tu aimes?

La voix calme, sereine.

— Oui.

Jungkook avait cessé de pleurer, avait souri face à la toile.

— Il était temps qu'on se rencontre, tu ne penses pas?

— Si.

— Tu ne vas pas le croire, mais je n'ai jamais fait ce parcours d'accrobranche.

Jungkook avait ri.

— Tu veux le faire?

— Maintenant? D'accord.


Taehyung lui avait pris la main et ils étaient partis, ensemble. 


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