Chapitre 6: Dernier jour

C'est notre dernier jour ensemble. Qui sait jusqu'à quand? Au final, on l'a passé au cinéma, devant des films d'animation et un drame. Après ça a été le musée une dernière fois. Enfin de retour dans la chambre d'hôtel, de la salsa se fait entendre. Je lève les yeux des lamentations de Charles Baudelaire, pour voir Holden me tendre la main en souriant. Je laisse mon regard trainer sur sa lèvre inférieure, plus pulpeuse que la supérieure. Je suis ensuite la forme de vague séparant les deux. Je survole aussi des yeux son nez en bouton, ses pommettes et son regard bleu-brun intense surmonté par ses longs sourcils noirs à l'air opinionnés. Je ne veux pas les oublier. Il passe sa main dans ses cheveux en bataille et rit avant de me demander:
-Pourquoi tu me fixes?

-Rien, rien. Qu'est-ce qu'il y a?

Cette fois, il prend ma main et me tire. Je me lève et le suis. Il s'arrête au milieu de la pièce puis me dit:
-On va danser.

Je ris et doucement. Il met ma main sur son épaule. La sienne est sur ma hanche et tient ma main restante avec la sienne, mais en l'air. Par-dessus la musique du téléphone à peine assez forte, il me dit tout près:
-Il y a huit temps. Tu sais ce que c'est?

-Oui.

-Ok regarde, au premier temps tu fais ça, au deuxième ça...et tu bouges avec tes hanches aussi, trois, quatre tu pauses. Cinq, six, sept, huit pause ou fin. On peut caler un moment où je te fais tourner et à 5, 6, 7, on tourne tous les deux ensemble en même temps. En se tenant.

Il rit face à ma tête devant son talent surprenant pour la danse et ses instructions submergeantes. Il me dit:
-T'inquiète tu vas y arriver.

Quand je finis effectivement par maîtriser notre petite danse, je ris pendant qu'il me fait tourner puis demande:
-Où t'as appris ça?

-Les tutoriels, je regardais ça quand je me faisais chier au cinéma.

-Vraiment aucune tenue.

-Heureusement pour toi, maintenant tu sais danser la salsa.

Je souris et il s'arrête de danser pour m'embrasser. Je fais durer son baiser tendre, mais il commence à s'enflammer juste quand on manque d'air. On rit et le ciel coloré derrière la fenêtre me gifle, hors de mon euphorie. Je dis doucement:
-C'est fini...le soleil se couche. On ne peut plus attendre.

Il dit:
-Oui, on aurait dû y aller plus tôt. On a risqué de finir par sauter dans un bus pour le New Jersey ou je sais pas où à notre prochain pic d'euphorie.

Je souris un peu et il prend doucement mon menton pour tourner ma tête vers lui. Avec son regard vivide, il m'assure:
-Mais c'est pas fini.

Je hoche la tête et ses lèvres me rassurent.

Plus tard, on attend devant l'hôtel où on était allé en premier. On ne nous a pas laissé récupérer nos téléphones, car ils nous ont grillés. Holden leur a lancé que de toute façon nos parents viendraient les chercher et qu'ils n'allaient pas rater leur arrivée. On a donc appelé sur l'autre téléphone d'Holden, ses parents puis ma mère. On n'a pas dit grand chose à part qu'on allait bien et où on était. Le reste est trop long et confus. Au bout d'un moment, j'entends des ambulances.
Putain non, sérieusement? Holden avait raison, ils les ont ramenés. En même temps, on pourrait être dans n'importe quel état. Je me rends compte de quelque chose et ne peux pas me retenir. Je me mets à pleurer. Holden me prend dans ses bras chauds à l'odeur d'une forêt qui va me manquer. Je lui dis:
-Ce sera fini. On n'a même pas nos téléphones et cette SIM va expirer. En plus bien sûr on ne connait pas encore nos numéros par cœur. Il a fallu que je vienne de débarquer et que tu changes d'opérateur. Et nos parents nous laisseront jamais nous contacter après tout ça. Ma mère, sûrement pas.

-Eh, regarde-moi.

Je le fais et il me met sa casquette sur la tête avant de me dire:
-C'est pas fini, je te l'ai déjà dit. On va se retrouver, on a qu'à revenir au musée. Un samedi. Ok? Samedi et tu me rendras ma casquette. T'as intérêt parce que j'y tiens et pas qu'à ça.

Je souris et hoche la tête. Ses lèvres douces me réchauffent puis je vois qu'une des ambulances s'est garée pas loin. Je dis:
-On a à peine commencé un sevrage de médocs, pas d'héroïne pour qu'ils soient venus, vraiment.

Le rire d'Holden s'évapore quand les secouristes nous repèrent et s'approchent accompagnés par d'autres gens, dont nos parents. Les cris, les pleurs et les câlins ont suivi puis les examens d'urgence dans les ambulances. À part pour la partie sur son visage altéré par notre bagarre à l'hôtel, les parents d'Holden avaient l'air cool, par rapport à la façon dont ma mère hurlait comme une banshee. Au moins, elle s'intéressait à nouveau à moi, même si elle doit encore plus compter les jours avant mes 18 ans, quand elle sera débarrassée de ses obligations par rapport au problème que je suis.

On a seulement pu se faire signe moi et Holden, avant d'être délibérément séparés et j'ai gagné un sale regard de ma mère pour ça. Après j'ai subi d'autres examens à l'hôpital et répondu à une tonne de questions. Le tout afin de me faire réprimander des jours après. En plus j'ai découvert un truc encore plus bête. J'avais déjà fait plus de la moitié de ma durée d'hospitalisation prévue quand j'ai suivi Holden. Je n'en suis pas sûre, mais je pense que lui aussi.
C'est parce que je me souviens d'avoir entendu notre infirmier super discret, lui dire qu'il était vraiment sur la bonne voie une fois. C'était quand il sortait de la prise de médicaments. Bref, en tout cas on a grillé toutes nos chances de remettre les pieds à Icarus un jour.
Le docteur Ross essayait de cacher son amusement, mais je suis sûre qu'elle est aussi un peu déçue. Elle va me manquer, mais je suis contente d'avoir été stupide. J'ai gagné de beaux souvenirs comme le réveil dans les grands bras doux et chauds d'Holden.

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