Trahison vespérale

Bonsoir, me revoici pour un nouveau thème qui est Les amants au clair de lune ! J'espère que vous aurez autant de plaisir à le lire que j'en ai eu à l'écrire ! Oui, je suis fière parce que malgré le thème, c'est pas un chapitre niais !

Le jeune russe ouvrit les yeux, il resta amorphe durant plusieurs minutes. Il demeura allongé, semi-inconscient sur ce lit qu'il occupait depuis plusieurs heures. Pour son plus grand malheur, son cerveau se remit en marche. Cela ne l'aurait pas dérangé plus que cela si ce dernier n'avait pas eu la bonne idée de se souvenir des évènements de la veille. Ces images revinrent le hanter tels de violents stroboscopes.il allait arriver en retard. Heureusement, personne ne s'en préoccuperait vu l'efficacité dont il faisait preuve depuis qu'on lui avait accordé ce poste. Il était fier de s'investir autant dans son travail qui le passionnait si peu. Il devait admettre que c'était un passe-temps idéal et que cela payait les factures. Ce qu'il faisait lui plaisait, mais cela ne lui apportait pas le bonheur que tout le monde visait. Après tout, être heureux de son quotidien n'était qu'une convention sociale. Dimitri se sentait bien dans les tâches qu'il effectuait et il était satisfait de voir tout ce qu'il était capable d'accomplir. Cela lui suffisait amplement. Dire qu'il n'y a que quelques années, il n'était qu'un vendeur parmi des milliers d'autres. Alors qu'aujourd'hui, il était un des moteurs de la chaîne Dior. Passé cadre supérieur, il était désormais chef des ventes et surveillait le chiffre d'affaires de la boîte. Évidemment, il s'occupait aussi des budgets des filiales de l'entreprise française.

S'il s'investissait tant, c'était pour éviter de se perdre dans des pensées sans queue ni tête. L'argent le rebutait, il en avait besoin, mais il ne l'appréciait pas plus que cela. Il en allait de même pour la gloire qui demeurait un élément superflu de son existence. Quant à la jalousie de ses collègues, il voyait cela comme un moyen de les éloigner. Cette rancœur qu'ils éprouvaient à son égard lui permettait de rester seul. Pourtant, aujourd'hui, pour la première fois en trois ans, il ne voulait pas aller au travail. Il préférait demeurer étendu sur son lit telle une baleine échouée. En ce matin difficile, le jeune russe n'avait aucune envie d'affronter de futiles ennuis, de rendre des comptes à des êtres si sots ou de côtoyer des semblables qu'il méprisait tant. Il aspirait à comprendre ce qui lui arrivait. Trouver la source de ces maux nocturnes lui permettrait de les dompter. Ce qu'il avait expérimenté la veille lui prouvait qu'il ne possédait aucun contrôle sur ces chimères nocturnes qui ne mèneraient qu'à des interrogations dépourvues de réponses. Ce qu'il vivait lui échappait. C'était inéluctable. La solution pour y remédier lui échappait. Du moins, c'était le cas, mais ça ne saurait durer. Il ne tolérerait pas que cela vînt lui gâcher l'existence.

Il finit par se lever malgré toute la douleur qui parcourait l'ensemble de ses muscles, contrarié d'être malmené de la sorte. Ces derniers auraient volontiers profité de quelques minutes supplémentaires d'inertie. Il ne les écouta pas et se traîna tel un mollusque vers sa salle de bain. Il ôta lentement ses habits, gêné de le faire au vu de ce qu'il avait éprouvé la veille. Puis il continua sa longue marche jusqu'à atteindre la baignoire. Dimitri alluma le pommeau de douche et l'eau froide qui entra en contact avec sa peau chaude agit tel un électrochoc. Cela lui fit bénéfique car il fut enfin tiré de sa léthargie. Le liquide frais qui imprégnait son organisme le sortait de toute torpeur qui l'envahissait quelques instants plus tôt. Revigoré par ce jet glacé, il se lava rapidement comme pour entretenir ce regain d'énergie qui venait de le gagner. Une fois fait, il se sécha et s'habilla. Lorsqu'il n'eut plus que sa chemise à boutonner, l'homme aux prunelles vert-gris décida de s'observer dans son miroir. Ce qu'il vit lui fit perdre toute contenance. Celui qui apparut face à lui était un homme dépité, pitoyable et malheureux comme la pierre. Il avait une mine fatiguée, des cheveux en bataille et des yeux vitreux. Tout ce qu'il avait l'habitude d'être était réduit à néant, remplacé par le jeune garçon qu'il était autrefois : sensible, misérable et faible.

Abandonnant son haut, il s'apprêta rapidement à remettre de l'ordre dans sa chevelure de blé. Au niveau de son visage, aucun produit ne pourrait l'aider. Alors il se concentra pour afficher un masque et ressembler le plus possible à celui qu'il était devenu. Retomber dans ses vieux travers était impensable, il ne pouvait décemment pas sortir dans cet état. Alors il se contra. Ses traits fins et relâchés redevinrent stricts et son visage retrouva automatiquement la froideur dont il était toujours orné. Le résultat demeurait délicat. Ce masque de verre pouvait voler à tout instant, mais compte tenu du peu de temps qu'il avait eu pour l'arborer, il s'en suffisait. C'était mieux que rien. Au moins, il devenait plus présentable. Dans cette prestation pour atteindre la perfection, le plus difficile à travailler résidait dans ses yeux. Eux dévoilaient sa véritable nature et exposaient sans scrupule la faille qui l'habitait. Sans pudeur, ses iris révélaient au monde entier qu'il n'était pas bien, qu'il avait besoin d'aide. Cela, Dimitri ne pouvait l'avouer, il ne pouvait non plus le montrer. Il devait se protéger de ces vautours qui profiteraient de son aveu de faiblesse. Il soupira, éreinté par cette tâche fastidieuse, mais il ne comptait pas abandonner si rapidement. De multiples tentatives furent menées, mais ses pupilles demeuraient flasques et ternes. Comme si elles refusaient de se taire, elles criaient en silence tout ce qui n'allait pas, tout ce qu'il refusait de voir. Le propriétaire de ces iris grogna, frustré par sa propre incompétence.

Pour se calmer, il ferma les yeux et expulsa toute émotion de son être. Ces choses que l'on appelait sentiments étaient indignes de lui. Il ne pouvait pas se laisser abattre par ces affects qui ne possédaient nulle logique. Il était au-dessus de tout cela. Du moins, il en était convaincu. La vérité, c'était qu'il tentait de s'en débarrasser pour ne plus être blessé. S'il ne ressentait rien, il ne pourrait pas avoir mal. Persuadé de cela, il avait donc fermé son cœur depuis tant d'années. C'était pour cela qu'il lui fallut si peu de temps pour se concentrer et se défaire de ces idioties. Quand il rouvrit ses prunelles, il fut satisfait par le résultat obtenu. Elles avaient retrouvé leur superbe. Les orbes qui apparaissaient dans la glace qui se tenait face à lui étaient redevenues froides, méprisantes, presque glaciales, hautaines et imposantes. Ce portrait lui ressemblait davantage. Cet être de glace qu'il composait depuis la fin de son adolescence lui saillait à merveille. Il devait juste se départir de toutes ces futilités humaines. L'amour était un bon exemple, ce n'était qu'une faiblesse qui menait à la perte de tout homme. Alors que ne rien ressentir faisait ressurgir le monopole de la raison. Suivre ce personnage qu'il avait composé lui permettait de ne jamais s'égarer. Lui seul était fiable, le reste n'était rien d'autre qu'une chimère trompeuse. Le retrouver le rassurait grandement.

Affublé de cette apparence malsaine, il partit à son travail pour que personne ne vînt s'occuper de son malheur. Même s'il n'avait pas envie de s'y rendre, il savait pertinemment que son absence se remarquerait et qu'on lui poserait des questions auxquelles il ne souhaitait pas répondre. Il voulait juste se fondre dans la masse même si son physique compliquait les choses. En tout cas, ce n'était pas en fuyant ses responsabilités qu'il se ferait oublier. Surtout lorsque cela arrivait à la veille de ses vacances. Enfin, ce terme était un bien grand mot pour une séance de torture familiale. Au niveau de ses congés, cela revenait au même. Décidément, rien ne lui permettait de faire preuve d'une défaillance. Pas en ce moment.

Il décida donc d'agir comme à son habitude. Dimitri faisait semblant d'aller bien. Il feignait de se porter comme un charme tout comme il feignait d'apprécier chaque tâche qu'il accomplissait. Bel acteur, personne ne vit les faux-semblants qu'il déployait pour passer inaperçu. De toute façon, peu de gens se préoccupaient de cet individu atypique. Pour une fois, cela l'arrangeait. Il devait juste agir machinalement et remplir ses objectifs de la journée. Une journée banale qu'il menait avec tout le faux enthousiasme dont il était capable. Alors qu'il se pliait aux exigences de son emploi, il ne possédait qu'une hâte : partir. S'en aller loin d'ici et retourner dans un endroit qui l'apaiserait. Même si sa famille allait détériorer son état psychologique, retrouver sa terre natale ne pouvait que lui faire du bien. Son territoire d'origine était moins pollué que la capitale française. Chaque décembre était synonyme d'un vent glacial et d'une neige enivrante. C'était cela qu'il était pressé de retrouver. Il voulait se retrouver enseveli sous cette tonne de blancheur qui assainirait son esprit et son âme. Et avec un peu de chance, la fraîcheur de l'atmosphère lui arracherait un sourire sincère.

Hélas, il ne pouvait pas s'offrir cette vivifiante retraite tout de suite. Il devait encore affronter cette ultime journée de labeur. Cette journée, Dimitri fit en sorte de ne pas dénoter des autres jours. Cela expliqua son mépris naturel pour les subordonnés qu'il avait sous ses ordres surtout s'il s'agissait de stagiaires qu'il croisait une fois tous les quatre mois. Pourtant, les mots amers qui sortirent de sa bouche lui donnèrent des frissons comme s'ils les regrettaient. Il ne s'excusa pas pour autant, cela aurait sûrement plus étonné qu'autre chose. Puis, après de nombreuses années d'hostilités, un repentir aurait été inutile. Le jeune blond au regard de glace commençait à avoir des remords, ce qui ne lui ressemblait pas. Il étouffa donc ces élans de conscience. Après tout, il l'avait asphyxié pendant plus de dix ans, une année de plus ou de moins ne l'achèverait pas. Au contraire, cela le confortait dans ses idéaux délétères.

Au bout de plusieurs heures, le jour fut finalement remplacé par la nuit. Le jeune russe pouvait enfin recouvrer sa chère liberté. Alors qu'il s'apprêtait à s'évader de son luxueux bureau, son téléphone sonna. Quand il décrocha, il eut le déplaisir d'entendre la voix d'une vieille conquête. Alicia, c'était son prénom, l'invitait chez elle pour dîner. Le ton sulfureux de cette sylphide lui indiquait qu'elle espérait davantage. Tout poussait le blondin à refuser cette invitation. Contre toute attente, il accepta. Simplement parce que sa compagnie lui permettrait de ne pas s'enfermer dans ses sombres pensées. Cela l'empêcherait de replonger dans de vieux souvenirs qui ne feraient que le faire reculer. Rien de bénéfique compare à la nuit qu'il passerait en sa compagnie. Même si se retrouver à jouer de nouveau la comédie le rebutait, il se rendit rapidement compte que se retrouver seul face à ses doutes serait plus éreintant. Entre la peste et le choléra, Dimitri avait déjà fait son choix.

Cependant, ce rendez-vous galant demeurait une distraction. Peut-être plaisante, mais pas moins superficielle. Pour le prouver, il ne fit aucun effort particulier, il ne prit donc pas la peine de se changer. Quitte à sembler formel, il serait parfaitement clair sur ses intentions. Dimitri ne désirait pas envoyer de signal ambigu qui pourrait faire croire à la demoiselle qu'il envisageait de construire une relation sérieuse avec elle. Cette jeune femme ne lui servait qu'à combler ses pulsions primales et il voulait qu'elle le comprît. Elle ne signifiait rien pour lui, c'était une femme parmi tant d'autres. Pourtant, il eut la délicate attention de lui acheter un bouquet de roses jaunes et de pétunias blancs, histoire de ne pas arriver les mains vides. Il avait beau être dépourvu de bonne volonté, sa politesse ne l'avait point quitté. Ne connaissant pas spécialement les goûts de son hôte, il était persuadé que des fleurs lui feraient plaisir. De ce qu'il connaissait de la gent féminine, un cadeau floral était toujours bien reçu. Ces plantes possédaient un certain charme dont la raison lui était inconnue. Tant que cela lui permettait de ne pas passer pour un goujat, cela lui suffisait amplement.

Quand il fut arrivé devant la porte de son hôtesse, il toqua d'un geste nonchalant. Il retira à peine sa main que le battant s'ouvrit sur une magnifique brune. Dimitri avait beau ne rien ressentir pour elle, force lui était d'admettre qu'Alicia était une sublime femme. Cette nymphe lui fit la bise avant de l'inviter à entrer, ce qu'il fit sans broncher. Avant de s'asseoir sur le canapé, le russe lui tendit l'ensemble floral qu'il avait choisi sans grande précaution. Comme il l'avait prévu, ce geste fut bien reçu. Pour ne pas laisser faner ce présent, Alicia mit les fleurs dans un vase, ce qui l'obligea à tourner le dos à son invité. Ce dernier en profita pour jeter un coup d'œil à la tenue qu'elle portait. Elle était affublée d'une robe noire assez moulante qui fit déchanter le jeune homme. L'adonis comprit qu'il ne s'était pas trompé sur les intentions de son amie. En son for intérieur, cela le dégoutait, mais il trouva rapidement que c'était un bien faible fardeau comparé à la solitude qui l'attendait chez lui. Ironiquement, cet homme charmant préférait se laisser séduire sans opposer de résistance plutôt que de devoir affronter ses démons. Face à tout ce qui le rongeait, une jeune femme aguicheuse ne l'effrayait pas. Ses pensées furent coupées lorsque ladite femme engagea la conversation d'un ton enjoué, mais mesuré :

« Je suis ravie que tu aies pu venir....Tu n'avais pas répondu la dernière fois...

— J'étais occupé, répondit-il simplement.

— Ah parce qu'il y a des choses plus importantes que moi, hein ?

— Ce n'est pas ce que j'ai dit, soupira-t-il d'un air las. J'ai juste eu de la pression et je dois bientôt repartir en Russie. Du coup, je ne voulais pas t'embêter avec ça.

— Oh, mais ça ne me dérange pas, argua-t-elle d'un ton suave. Cela ne me dérange pas de réconforter les hommes charmants.

— Je le saurais pour la prochaine fois, rétorqua-t-il en esquissant un sourire forcé.

— Tout de même, je suis surpris que tu m'aies recontacté.

— Tu me manquais, nous nous sommes bien amusés la dernière fois. Puis pour une fois, tu as répondu, sourit-elle d'un air fourbe.

— Tu marques un point. Je suis désolé, vraiment, mais j'ai eu mille choses à faire.

— Tu commences à radoter mon pauvre. Alors que je ne t'ai même pas encore saoulé, le railla-t-elle.

— Tu as tort de ne pas avoir commencé, l'alcool me rend toujours plus distrayant, avoua-t-il.

— Ce n'est pas ton genre d'avouer tes secrets, mon beau, lui fit-elle remarquer d'un air surpris.

— Ce soir, j'ai envie de jouer avec le feu.

— C'est mon soir de chance. ».

Comme pour accomplir les désirs de son compagnon nocturne, elle sortit de la cuisine et le rejoignit avec un plateau contenant leur apéritif. En posant le plateau sur la table basse, elle prit soin de mettre en avant son décolleté plongeant, ce qui eut le mérite de faire sourire Dimitri. Le manque d'habileté de la maitresse des lieux l'amusait plus qu'autre chose. Au moins, cela le déridait et occupait son esprit amer. Comme si son attitude était naturelle, Alicia servit deux verres et en tendit un à son convive. Assise à ses côtés, elle se délectait de sa présence pendant que lui savourait le vin qu'elle lui offrait. C'était sûrement la seule chose qui lui fit oublier le regard langoureux et envoûtant de la prédatrice qui l'abritait sous son toit. Durant cet instant de détente, lui se contenta de profiter de la boisson tandis qu'elle s'évertuait à jouer de ses courbes pour lui faire deviner ses dessins.

Il les avait compris, mais il était surtout venu pour manger et profiter de la présence d'un autre humain. Il voulut donc repousser autant que possible le moment où il satisferait les attentes de la dame qui l'avait appelé. Si ce n'était pas un instant si désagréable pour les deux parties, il n'était pas spécialement exalté à l'idée de conquérir ce corps qu'il connaissait déjà. Quand il s'agissait de charmer une personne, il était sans cesse attiré par la nouveauté. Revenir vers une ancienne proie trahissait son ennui et son désarroi. D'ordinaire, il ne revoyait jamais deux fois une femme qu'il avait simplement mise dans son lit. Il préféra donc retarder le plus possible ce moment fatidique. Pour cela, il trouva mille sujets de conversation. Lui qui n'était pas très loquace se surpassait pour faire bavasser la pipelette qui lui faisait face. Pour une fois, cela lui fit du bien de communiquer. Leurs discussions banales lui permettaient de retrouver un brin d'authenticité. Tout comme il parvenait à remettre de l'ordre dans ses idées et à reprendre le contrôle sur son inconscient. Du moins, il en avait l'impression. Rien que pour cela, il était reconnaissant envers sa compagne d'infortune. Cette dernière ne s'en doutait pas une seule seconde, mais elle l'aidait à se détacher de toute cette crasse spirituelle qui lui avait collé à la peau toute la journée. Elle lui offrit une évasion qu'il n'espérait plus. Après plusieurs heures d'enfermement, il ne se serait pas douté qu'il retrouverait un peu de sérénité aux côtés de cette brune. À la fin du repas, il souhaita débarrasser, mais elle insista pour tout faire. Il n'osa pas la contredire. Il attendit qu'elle fût occupée à nettoyer la vaisselle pour la rejoindre dans la cuisine. Sans un bruit, il se posta derrière elle, mit ses mains sur ses hanches puis susurra au creux de son oreille :

« Je sais très bien ce que tu désires depuis tout à l'heure, ma belle. Ton magnifique corps et ta mine boudeuse ne passent pas inaperçus.

— Alors pourquoi as-tu feint l'ignorance ? demanda-t-elle sur le même ton.

— Pour te faire languir. Si j'étais du genre à te donner tout de suite ce que tu souhaites, serais-tu autant attachée à moi ?

— Ce que tu dis n'est pas faux...

— Alors ne m'en veux pas d'avoir voulu jouer. ».

Elle ne répondit pas immédiatement. Il embrassa alors suavement son cou, mais elle n'esquissa nulle réponse. Il réitéra son opération jusqu'à ce qu'elle fît rapidement volte-face et qu'elle l'embrassât fougueusement. Il recula jusqu'à atteindre le frigo répondant avec tout autant de fougue au baiser de son amante. Pourtant, il ne ressentait aucune passion envahir son âme. Il jouait juste son rôle, répondant aux attentes de leurs corps remplis d'hormones. L'envie n'était pas plus présente que cela, il aurait pu se passer de cela. Il aurait pu faire machine arrière et fuir, mais ce n'était pas son genre. Il avait eu ce qu'il désirait : ne pas être seul. Désormais, c'était à la belle brune d'obtenir ce qu'elle quémandait depuis le début de la soirée. Pour Dimitri, c'était la moindre des choses. Au moment où ils interrompirent leur baiser pour reprendre leur respiration, il hésita tout de même quelques instants avant de continuer d'interpréter son rôle d'amant. Quand la belle brune enroula ses jambes autour de sa taille, il ne possédait plus d'échappatoire possible. Il la porta donc jusqu'à la chambre de sa sulfureuse compagne nocturne. À l'intérieur de cette salle, ils poursuivirent leurs étreintes charnelles. Ils se déshabillèrent rapidement et s'étreignirent avec force avant de s'unir dans des râles d'extase. Quand ils finirent cette union sexuelle, il se défit d'elle et laissa son dos heurter brusquement le lit. Allongé, il soupira, laissant sa complice se coller à lui. Il fixa le plafond, comme soulagé que cette basse besogne prît fin.

Il n'avait mis aucun amour ni aucun plaisir dans cet acte. Il fut consentant, mais tout ce qu'il avait fait était mécanique et physique. Là où cela lui avait été bénéfique, c'était qu'il avait pu se défouler. Il avait pu se vider la tête et oublier tout ce qui détruisait peu à peu son esprit. Il avait pu respirer. Même s'il s'était forcé à accomplir cet acte érotique, cela avait comblé une part de ce vide immense qui cherchait à l'aspirer. Cela lui avait permis de se défaire de tous ces tourments qui envahissaient son esprit. Depuis le début de ses insomnies, c'était la première véritable pause dont il bénéficiait. S'il n'avait craint la Lune qui surplombait le ciel, il serait sûrement parti comme un voleur car il avait obtenu ce qu'il voulait.

Hélas, il demeura coincé parce qu'il savait que le pire restait à venir. Il se devait de rester aux côtés de cette inconnue car elle pourrait lui servir de bouclier. Depuis le début de la soirée, il ne la considérait que comme un objet utile et il continuerait. Il n'éprouvait aucun remords à se servir d'elle de la sorte car Dimitri estimait qu'elle avait bien profité de son corps. De toute façon, tout le monde se servait de son prochain, il ne voyait pas pourquoi il devrait faire exception. Il observa cette dernière et constata qu'elle était plongée dans un profond sommeil. Le jeune russe la jalousait de trouver un repos si apaisant, cela lui manquait tant. Lui savait pertinemment que s'il dormait, il serait confronté à d'absurdes chimères qui ne feraient que le perturber. Il voulait donc fuir cet état de veille que les humains chérissaient tant. La malédiction qui pesait sur lui n'était pas du même avis. Si bien que lorsque minuit sonna et que le jeune blond était déterminé à veiller, il fut plongé malgré lui dans une brume soporifique.

Quand il rouvrit les yeux, rien ne semblait avoir changé. Du moins, il ne se sentait pas différent. L'espace d'un instant, il espérait que ces stupides rêves avaient cessé comme ils étaient apparus. Il fut bien déçu lorsqu'il observa son environnement. Ce qu'il vit n'était autre que sa chambre d'enfance, celle qui l'avait vu grandir en Russie. Ce n'était pas normal car les posters qui ornaient les murs avaient plusieurs années. Il les avait arrachés depuis longtemps...Hébété, il décida de poursuivre son exploration pour mieux comprendre ce qui lui arrivait. Alors qu'il voulait fouiller dans ses affaires, il se rendit compte qu'il avait perdu quelques centimètres et que sa chevelure était beaucoup plus longue. Quant à ses affaires, il s'agissait de vêtements qu'il pourrait arborer en toute circonstance et à toute époque. Il n'avait jamais eu vraiment de style donc porter un sweat à capuche et un jean ne l'étonnait pas. Cela lui ressemblait tellement quand il n'allait pas travailler. Il prenait les premiers habits qu'il trouvait, et ce, quel que fût son âge. Ce qui le perturba fut l'état de sa chambre. Cela le rendait complexe, il avait besoin de plus d'informations pour être sûr. D'un pas rapide, il s'extirpa de sa chambre. Pour une fois, il possédait l'avantage de connaître le terrain dans lequel il était prisonnier. Il le connaissait même par cœur et pourrait s'orienter les yeux fermés. L'esprit encore embrumé, il dévala les escaliers et s'évada par la porte d'entrée sans saluer les autres habitants de cette demeure. Une fois libéré de tout mur, il commença à marcher sans savoir où se diriger. Confiant de se retrouver ici, Dimitri laissa son instinct le guider. Quand il s'arrêta face à un magasin de bibelots, un frisson lui parcourut le dos. Il savait à quelle époque il avait régressé.

Non, ce n'était pas possible. Il ne pouvait pas revivre ça...Ce serait d'une cruauté sans nom. Il ne voulait pas revivre cette période. C'était le printemps, il n'était donc pas encore réduit. À ce stade, c'était du pur sadisme. À moins que ce ne fût une part de son esprit qui regrettait cette époque. Il se demandait ce qu'il y avait à regretter. Avant ses seize ans, il était faible. Elle l'avait tenu dans sa coupe et cet abruti s'était laissé faire. Il était jeune, inexpérimenté et naïf, il ne voyait vraiment pas ce qui pourrait lui manquer. Au contraire, il aurait préféré oublier cette année pour toujours.

Tout oublier serait la solution, mais son esprit ne semblait pas de son avis. Il voulait qu'il se rappelât ce qu'il avait éprouvé. Ou de ce qu'il était avant que cela ne lui arrivât. Ce jeune adolescent resplendissant, plein de joie de vivre. Celui qui avait surmonté une grande perte et qui souriait à la vie qui lui tendait les bras. Ce n'était plus qu'un vaste sourire. Une vague qui s'était perdue dans le lointain et qui n'était jamais revenue. Ce n'était pas raisonnable, mais il pourrait le redevenir. Ne serait-ce que pour une nuit, il pourrait perdre le contrôle. Simplement suivre les évènements qui allaient arriver sans se préoccuper d'autre chose. Pour quelques instants, retrouver cette innocence qu'il avait perdue pour toujours. Le réveil serait douloureux, mais si cela lui permettait de revivre un pur bonheur, il devait se l'autoriser.

Il devait lâcher prise et se laisser sombrer dans les limbes du passé. Il savait que la fin ne serait pas joyeuse, il y était préparé. Alors, il pouvait se délecter de ces précieux instants de clarté et d'insouciance qui ne reviendront jamais. Juste une dernière fois, il devait s'accorder ce moment de faiblesse. Il devait retomber dans ses bras même si cela lui faisait mal. Résolu de profiter un minimum de ce rêve, il entama une course effrénée. Course qu'il ne cessât que lorsqu'il fût devant la maison de son ancienne dulcinée. Celle qui avait fait battre son cœur pendant deux ans avant de le réduire en miettes. Il ignorait si elle se trouvait là, mais il s'en fichait : il devait la voir. C'était comme une pulsion viscérale qui le poussait à agir. Comme s'il avait éteint en lui toute trace de la douleur qu'elle lui avait fait subir, il ne se rappelait que du reste. Une effusion d'émotions lui revint en mémoire et son cœur commença à battre plus vite. Redevenu cet adolescent amoureux, il esquissait un sourire béat à l'idée de la retrouver. Il se sentait vivant et plus puissant que jamais. À le voir, rien ne pouvait l'ébranler. Après avoir repris sa respiration, il fut prêt à sonner à la porte lorsqu'une voix familière l'interpella :

« Depuis quand sonnes-tu aux portes, mon amour ?

— Depuis que je veux paraître poli quand je me rends chez mon amante, rétorqua-t-il en se retournant vers elle et lui offrit un sourire radieux.

— Tu n'es pas crédible dans ce rôle Dimitri.

— Ce n'est pas sympa de l'affirmer Katrina. ».

Elle s'approcha tout de même de lui en souriant. Il admira sa beauté naturelle et dès qu'elle se trouva à quelques centimètres de lui, il l'enlaça et l'embrassa tendrement. Ce baiser d'adolescent témoigna de tout l'amour qu'il portait à l'élue de son cœur. Même au moment où leurs lèvres se séparèrent, il conservait cette flamme dans les yeux qui renfermait tout ce qu'il ressentait pour elle. Et lorsqu'il la regardait de cette manière, elle ne pouvait que sourire de toutes ses dents. L'adulte qui vivait cette scène semblait avoir disparu. Comme il se l'était promis, il savourait cet instant de douceur et de tendresse. Il n'en avait plus vécu depuis belle lurette. Les deux amants passèrent la journée ensemble. Ils s'amusèrent, rirent, s'embrassèrent et se promenèrent main dans la main comme à leur habitude. Ils profitaient simplement de leur idylle sans que personne ne les en empêchât. Pas même celui qui revivait ces souvenirs. Certes, retourner dans cette situation lui paraissait étrange, voire contre-nature, mais c'était tellement agréable ! Dans leur entourage, tous trouvaient qu'ils formaient un magnifique couple et même ceux qui les jalousaient n'osaient pas les séparer. Comme s'ils ne pouvaient exister l'un sans l'autre. Ces deux jeunes âmes subsistaient dans leur bulle de bonheur que rien ne pouvait percer. Ils se complétaient. Si bien qu'ils pouvaient s'isoler du monde pendant plusieurs heures sans s'en rendre compte. Ils n'avaient besoin que de leur présence mutuelle pour atteindre une pure extase. En ce temps-là, ils étaient comblés.

Pour le rêveur, quelques minutes s'étaient écoulées, mais il savait que ce manège avait duré des mois. Cette illusion de sérénité avait perduré jusqu'au bal de printemps qu'organisait leur lycée. Cette soirée qui marqua la fin du bien-être du blondin et réduisit en cendres sa candeur. Ce bouleversement avait donné l'homme d'asphalte et de roideur qu'il était devenu. Le dormeur en était conscient, c'était cette trahison qui avait détruit l'ancien Dimitri qui était encore capable de rêver et de trouver de la magie dans ce qui l'entourait. Pour une nuit, Dimitri retrouva sa joie de vivre. Grâce à elle, son sa vie n'était pas si horrible que cela, elle était même parfois bien. Même le russe insensible se devait de l'avouer, elle lui avait rendu l'existence plus facile. Il lui en était reconnaissant malgré toute la douleur qu'elle lui avait infligée. Avant cette nuit fatidique, ce seul être pourvu de grâce et d'allégresse emplissait son cœur de joie et d'une plénitude absolue qu'il n'avait pas connues depuis longtemps. S'il avait su que ce même cœur serait réduit en mille morceaux, il ne lui aurait jamais fait tant confiance. Pour sa défense, c'était imprévisible, mais il s'en voulait toujours. Les années avaient beau passer, il se trouvait toujours aussi stupide de s'être reposé sur elle. Ce n'était pas si surprenant qu'elle eut pu le briser si facilement. Il aurait aimé que cela se passât autrement, mais personne ne pouvait changer le passé.

Contre son gré, Dimitri revit donc ce fameux bal. Vêtu d'un élégant costume noir et de son plus beau sourire, il était venu chercher sa douce avec la voiture que son père avait bien voulu prêter pour la fête. Chose rare vu que son patriarche lui accordait peu de choses. Il aurait dû se douter que cela était un mauvais présage, mais le russe était trop jeune pour s'en méfier. Toujours aussi ponctuel, il se présenta devant la maison de sa tendre à l'heure qu'ils avaient convenu. Un détail qu'il avait oublié car cela n'avait aucune importance. Tout ce qui l'obnubilait, c'était la jeune femme qui l'accompagnait. Sa prestance éclipsait tout le reste. Sa beauté ne semblait pas avoir d'égal pour cet éphèbe. Il admirait la moindre de ses courbes, mais s'attarda sur un détail : le bracelet de fleurs qu'il lui avait offert. Cela le fit simplement sourire car il constatait que son cadeau avait été apprécié. Outre le fait qu'il allât parfaitement avec la robe violette que Katrina portait, c'était comme un signe qu'elle était à lui. Le spectateur de cette scène se désola du raisonnement limité et puéril. Quand sa moitié le rejoignit dans son véhicule, il conduisit prudemment jusqu'au lycée. Malgré son euphorie, il voulait arriver en un seul morceau sur le lieu de la cérémonie. Même s'il devait s'avouer qu'il était excité de retrouver une dernière fois tous ses amis. Peut-être qu'il se doutait qu'il ne les reverrait pas de sitôt. Pour certains, leurs chemins ne seraient jamais amenés à se recroiser.

Alors que les deux compagnons entrèrent dans le gymnase qui avait été aménagé pour l'occasion, la musique battait déjà son plein. De part et d'autre, les élèves s'amusaient tandis que d'autres bavardaient de tout et de rien. Le blondin rejoignit son groupe d'amis, accompagné de sa bien-aimée, afin de parler de leurs projets. Pour tous ces jeunes gens qui se rassemblaient, l'université ou des formations spécialisées leur tendraient les bras. Dans quelques mois, ils seraient tous séparés dans des établissements différents. Cette cérémonie informelle devenait donc l'ultime occasion de tous les réunir. Une dernière fois, ils profitaient les uns des autres. Ils célébraient une période qui se tournait et espéraient demeurer ensemble dans l'avenir. Hélas, certaines promesses se rompaient. Pour l'instant, nul ne s'en préoccupait. À part celui qui observait la scène en silence. Celui qui épiait ce vieux souvenir malgré lui était plongé dans une profonde nostalgie. Il trouvait cela vraiment dommage de ne pas avoir gardé contact avec certaines personnes qui l'entouraient. Quand il regardait ces mineurs profiter pleinement de cette soirée, il était presque désolé pour lui. Il était navré que la plupart de cette foule vît ses espoirs s'effondrer. De voir que rien n'allait comme on le souhaitait et que l'on était forcé de prendre.

Une majeure partie de la nuit, l'éphèbe russe s'amusa. Tout allait bien, il profitait de cette bonne ambiance et se laissait aller au rythme de la musique qui résonnait dans le gymnase. Son insouciance disparut quand il se rendit compte que cela faisait un moment qu'il ne voyait sa dulcinée. Inquiet qu'il ne lui fût arrivé quelque chose de grave, il se mit à la chercher frénétiquement dans toute la salle. Il hurlait son nom, mais le bruit ambiant couvrait sa voix. Plus il tentait de la trouver, plus l'angoisse montait en lui. Il sentait que ce n'était pas normal qu'elle fût partie sans prévenir. Si elle avait voulu prendre l'air, elle aurait prévenu quelqu'un, mais personne ne semblait savoir où elle était. Ce qui était loin de rassurer son petit-ami qui se faisait un sang d'encre pour elle. S'il avait su où elle était et ce qu'elle faisait, il ne se serait jamais fait tant de soucis. Hélas, il était encore crédule et ne pensait qu'au bien-être de celle qu'il chérissait tant. Chacun de ses pas fut pour lui une torture. Son souffle commençait à lui manquer, ce qui l'obligea à faire une pause. Son rythme cardiaque s'accéléra sans vergogne alors qu'il tentait de se calmer et de réfléchir posément. Même dans un tel état de stress, ce russe était convaincu que seule une réflexion logique pourrait lui venir en aide. Il se décida à fouiller chaque pièce de son établissement pour trouver Katrina. Il passa donc chaque pièce, mais le résultat fut absent. Quand il eut fini de scruter l'intérieur du bâtiment, il ne lui restait plus qu'un endroit à vérifier : le terrain de football du lycée.

Alors qu'il croyait avoir perdu sa petite amie, il la découvrit en train d'embrasser son meilleur ami. Le jeune Dimitri eut l'impression qu'on lui enfonça un poignard dans le myocarde. Le choc et la douleur qu'il éprouvait demeuraient indescriptibles. Il avait l'impression de suffoquer et de mourir sur place. Dimitri sentit également la rage bouillir dans ses veines. Il avait envie de hurler, mais il ne pouvait rien faire d'autre que de les fixer. Le bouleversement qu'il ressentait ne lui permettait pas de faire quoique ce fût d'autre. Alors que Dimitri encaissait le coup, les deux félons s'écartèrent l'un de l'autre. Ils semblaient avoir la mine réjouie par cette intimité qu'ils venaient de partager. Éclairés par la faible lueur du croissant de lune, ils se rendirent compte qu'ils avaient été découverts. Comme un seul être, ils se tournèrent vers l'intrus qui venait les déranger. En voyant le jeune homme blond, les coupables rougirent et tentèrent de se disculper.

Comme cinq ans plus tôt, Dimitri ne les écouta pas. La trahison était trop grande et la blessure trop profonde pour qu'il pût comprendre ce qui les avait poussés à commettre un tel acte. L'adonis aux cheveux de blé retrouva l'usage de son corps. Enragé, il poussa un hurlement presque animal, s'élança sur Nicolai et lui asséna un violent coup à la mâchoire. Le rouquin tituba et ne pensa pas à répondre. Celui qui était désormais son adversaire vit une splendide opportunité pour l'attaquer de nouveau. Il se déchaîna sur lui comme s'il était le seul responsable de son malheur. Alors que son ami tomba par terre, Dimitri ne s'arrêta pas. Au contraire, il le domina de toute sa hauteur et continua de le malmener. Le sang qui gicla sur ses mains n'eut pas l'air de l'émouvoir car le blondin continua de décharger toute la haine qui emplissait son esprit. Rien ne semblait pouvoir l'arrêter, ni les supplications de sa victime ni les pleurs de Katrina. Il ne pouvait pas...Non, il ne devait pas cesser maintenant. Il devait lui faire payer cet affront même si cela revenait à ravir sa vie. Cependant, il fut arrêté par une phrase que Katrina prononça et qui lui parut incohérente :

« Arrête ou je tire. ».

Il fit une pause dans sa rixe et offrit un regard froid à son ancienne bien-aimée. Il remarqua qu'elle était armée d'un pistolet, ce qui n'était pas le cas lorsque cette scène s'était produite pour la première fois. Ce changement ne sembla pas émouvoir Dimitri plus que cela. D'un ton morne, il rétorqua :

« Tu m'as déjà abattu une fois, tu n'as qu'à réitérer l'opération.

— Je ne plaisante pas Dimitri.

— Moi non plus. Même si me faire tuer par une putain serait une belle ironie du sort. ».

Celle qui tenait l'arme continuait de pleurer comme si elle était effrayée. Au vu de sa position, le spectre qui les fixait était d'avis qu'elle avait peur d'elle-même et du monstre qui sommeillait en elle. Le jeune homme eut pitié d'elle. Il céda donc à sa demande qui lui semblait plutôt raisonnable. De toute façon, il n'avait plus aucun intérêt à maltraiter le traître. Il se releva et se tourna pour faire face à celle qui le tenait en joue. Dimitri, la version du présent, tiqua. Il ne se rappelait pas que Katrina eut jamais une arme en sa possession. Cela ne faisait pas partie du souvenir originel. Il se serait rappelé d'un tel détail. Et puis, jamais il n'aurait risqué sa vie pour des enfantillages. Apparemment, son esprit se jouait de lui et s'amusait à déformer son passé. Ce double regarda donc Katrina avec aplomb et la défiait du regard. Lui ne paraissait plus rien avoir à perdre et s'apprêtait à risquer son existence pour des broutilles. Si cela avait été réel, il ne l'aurait pas fait. Dimitri avait beau être entêté, il n'était pas suicidaire. Sauf que celui qu'il incarnait n'avait clairement plus rien à perdre. Son monde venait de se faire balayer, son âme venait d'être brisée. Vivre ne lui semblait d'aucune utilité. Elle sembla le comprendre et alors que l'astre disparaissait dans les ténèbres pour laisser place à une lumière céleste, la jeune adolescente tira sur celui qu'elle avait autrefois tant aimé. Le corps du blondin tomba lourdement sur le sol, inanimé. Et les derniers rayons lunaires furent témoins de la fin de ces amants déchirés pour toujours.

Dimitri revint à lui quand il sentit les premiers rayons du soleil chatouiller ses iris. Étrangement, il n'avait pas été effrayé par ce semblant de cauchemar. C'était curieux, mais cette réaction disproportionnée ne l'étonnait qu'à moitié. Plus qu'une chimère, c'était comme une scène alternative qui s'était déroulée devant ses yeux. Il s'estima donc chanceux que celle qu'il avait courroucée n'avait pas d'arme. Sinon, elle n'aurait pas hésité longtemps avant de l'abattre. Du moins, c'était ce qu'il pensait. Quand il émergea totalement, il jeta un bref regard à l'attention d'Alicia. Par chance, la demoiselle était toujours endormie. Il pouvait s'enfuir sans craindre d'être retenu. Tel un voleur, il fila à l'anglaise, désireux de retrouver son logis. Pourtant, il marcha d'un pas lourd jusqu'à ce qu'il atteignît la porte de son appartement. Lorsqu'il entra, il ferma à clef puis s'étendit sur le sol de son entrée. Subitement, des rivières salées dévalèrent ses joues comme s'il était de nouveau cet adolescent tari. Méconnaissable, il se laissa aller quelques instants. Juste le temps d'apaiser son âme et de faire taire cet organe cardiaque qui ne battait dans sa poitrine que pour des raisons physiologiques. Le reste était mort et enterré, ce jour-là. Et Dimitri comptait faire en sorte que cela durât.

Woila un chapitre 100% Dimitri ! C'est un chapitre spécial, mais même par la suite, on le verra de plus en plus souvent ! J'espère que la suite ne vous décevra pas et elle arrivera demain !

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