Symphonie du fond des bois

Bonsoir, le chapitre qui va suivre est inspiré par le thème : Le reste est silence ! Cette partie me paraît détâchée du reste de l'histoire, mais cela permet au lecteur d'en savoir plus sur ce que pense et ressent Dimitri ! Bonne lecture !

Dimitri vit le soleil se lever. Lui qui s'était hissé sur le toit, il vit sa ville natale s'éveiller peu à peu. D'où il était, il pouvait voir de magnifiques bâtiments dont le palais des Romanov, mais il voyait surtout la neige qui imbibait tout ce monde éphémère et fragile. Lui qui se trouvait sur de la charpente gelée par la glace, il songea soudainement que s'il tombait, il glisserait jusqu'à la limite du bois, il tomberait dans le vide et cela sonnerait le glas de son existence. Néanmoins, il n'était pas suicidaire et cela ne pourrait pas lui arriver par accident. Il avait trop l'habitude de venir se réfugier sur ce bout de tuiles et de glace pour réfléchir à ce qui le tourmentait. Il songeait à ce qu'il avait vu la veille et qui venait torturer son esprit. Tandis que la neige trempait sa peau nacrée ains que ses cheveux oscillants entre le blond et le châtain, il revoyait ce navire sombrer encore et encore. Il se demandait ce que signifiait cet instant de son rêve qui lui semblait plus symbolique que le reste. Ce moment précis paraissait l'obnubiler plus que tout comme si ce naufrage avait un impact dans sa vie réelle. Il secoua la tête. C'était stupide de penser ainsi. Il ne devait pas se laisser affecter par ces songes dont il ne connaissait toujours pas la source. Il savait que ce n'était pas normal.

Avant ce mois de décembre, il n'avait jamais vu de chimères nocturnes si précises. Il se rappelait quelques vagues visages et d'évènements incongrus, mais ce n'était rien d'aussi précis que ce qu'il subissait depuis quelques jours. Peut-être que trouver l'origine de ces tourments les ferait cesser...C'était sûrement naïf, mais c'était le seul espoir qui pouvait le faire tenir jusqu'à ce qu'il trouvât une solution viable.

Sa carcasse humanoïde fut soudainement secouée par de violents tremblements. Il n'avait pas ressenti le froid s'infiltrer par les pores de sa peau, ce qui n'avait pas échappé à son système organique. Il était temps pour lui de rentrer. Précautionneusement, il redescendit du toit en se dirigeant vers la fenêtre du grenier par laquelle il repassa et il sauta, arrivant sur ses deux pieds au milieu de sa pièce. Sa grande taille lui permit d'éviter à ses chevilles un trop grand choc. Une fois fait, il s'échappa discrètement de sa chambre et il descendit jusqu'à la cuisine du manoir encore endormi. Il prit un bref petit-déjeuner avant de remonter dans ce qui lui servait de chambre à coucher. Il ne pouvait pas se permettre d'aller lentement sinon on l'empêcherait de faire ce qu'il voulait.

N'ayant d'autres habits que ceux de la veille, il les remit avec une mine de dégoût. Puis après avoir enfilé ses chaussettes, il se pressa de redescendre rapidement les escaliers. Là, il revêtit ses chaussures, son manteau, un bonnet et il sortit, se dérobant comme un voleur. Il s'éloigna à grandes enjambées de la maison austère, redoutant de se faire arrêter par une autre âme matinale. Emplein de cette crainte, il se décida à courir. Il aurait pu emprunter une des deux voitures qui trônaient dans l'allée. Mais alors, il n'aurait pas pu se défouler, il n'aurait pas pu profiter de l'air frais tout comme il n'aurait pas pu se vider la tête comme il le faisait présentement en courant.

Crachant de la fumée blanche, il garda ce rythme de cours pendant près d'une heure. Il se sentit revivre alors qu'il suivait une destination indéterminée. Il ignorait où il allait et peu lui importait tant qu'il ressentait ce bien-être qui remplissait son être à chacune de ses respirations. Suite à cette heure de course, il se stoppa curieux de voir où il s'était arrêté. Il vit plusieurs allées de rues qui lui étaient peu connues soient qu'elles furent nouvelles soit qu'elles eurent été renommées. Plongé devant la contemplation d'une des rues, il entendit son téléphone sonner à de nombreuses reprises. Il le consulta et lorsqu'il vit que ce n'étaient nul autre que ses parents qui le harcelaient pour savoir où il se trouvait, il mit son téléphone sur silencieux et il continua sa marche errante avec un léger sourire incrusté dans le fond de ses pupilles.

Rabattant sa capuche sur sa tête, geste qu'il avait l'habitude de faire sans avoir pour autant froid, il se remit à marcher, cherchant une occupation qui trouverait grâce à ses yeux. Il espérait que rien en vint gâcher ce pur moment d'allégresse. Il ne pourrait pas croiser des membres de sa famille, mais il pouvait très bien recroiser un vieil ami qu'il aurait abandonné depuis quatre ans. Il espérait juste que ces personnes l'eussent oublié. Après tout, même s'il était plutôt spécial, il n'était pas inoubliable. Il songeait qu'il était plus inconvenant d'errer dans Saint-Pétersbourg que dans Paris. En effet, quand sa folie de vagabond le prenait dans la capitale française, il se promenait sans craindre de ne rencontrer personne avec qui il devrait sociabiliser un minimum. Hélas, sa ville natale comportait autant de désagréments que de charmes même si les désagréments étaient purement humains.

Pourtant, il ignora ce risque de croiser une ancienne connaissance qui lui serait sorti de l'esprit. Se promener dans les rues de sa ville lui importait davantage. À l'intersection d'une rue, il vit qu'un marché se tenait là, il s'y aventura quand bien même il ne pourrait rien y acheter pour admirer les produits qu'on y vendait. Son âme d'enfant le guida vers un présentoir de vieilles bricoles magnifiques comme une cafetière vaseuse, un œuf en porcelaine, un service de vodka fait d'argent, des gobelets timbales... Il s'émerveilla devant ces objets venus d'un autre temps. Pour lui, c'était absurde de vendre de tels bijoux lors d'un marché. Ils méritaient au moins leur place dans une vente aux enchères où les prix pouvaient aisément grimper. C'était du gâchis de vendre tous ces bibelots précieux à moins de cent euros. Et il n'avait pas son porte-monnaie pour les acquérir. Il se défit difficilement de l'observation de ces trésors, il fixa son attention sur de vieux manteaux polaires, des stands de bonnets, de gants, d'écharpes, de chaînes en or ou en argent, des livres en tout genre, mais davantage politiques que fantastiques, ce qui attristait quelque peu le jeune homme.

Au bout de plusieurs heures, son estomac se mit à gronder, signe que la famine envahissait l'organisme de Dimitri qui en fit fi ; il continua sa ballade plus qu'atypique. Il quitta ce marché peu commun et il entra dans un quartier si simpliste où les princes ne se promenaient jamais. Il arpenta les allées de ces pavés qu'ils n'avaient jamais foulés. Il s'aventura dans le cœur de la misère sans se mettre des œillères. Il vit autant les petits enfants voler les passants que ces mendiants qui mouraient à moitié de froide. Il ne craignait rien au niveau de ses finances, mais il aurait bien voulu donner ne serait-ce qu'une pièce à ces clochards qui dépérissaient à vue d'œil sur les trottoirs. Il vit aussi des femmes faire des allers-retours sur ces pierres enneigées, ce qui lui fit ressentir une immense compassion pour celles qui se faisaient traiter comme des objets.

Néanmoins, il n'en fit rien paraître. Lorsque la felle rousse qui déambulait le regarda, les traits tirés par la fatigue, il lui lança un léger regard froid avant de secouer sa tête de gauche à droite pour lui signifier qu'il n'était pas intéressé. Le visage et le cœur de marbre, il reprit sa promenade tandis qu'elle continuait de le fixer comme si elle espérait qu'il allait la sauver, cet homme à l'allure valeureux qui débarquait de nulle part. Sauf que le bel Adonis n'était pas un héros. Il n'était qu'un homme peu recommandable au vu de son cruel manque d'humanité. Il sentit ce regard de détresse posé sur lui, mais il choisit de l'ignorer et de passer son chemin. Il n'était pas là pour jouer les bons samaritains après tout.

Il aurait pu faire demi-tour et rejoindre directement les beaux quartiers qui se donnaient bonne conscience par leur belle apparence. Mais il se demandait jusqu'où pouvait aller la misère et la détresse humaine. Il s'aventura alors davantage dans cette obscurité qui l'appelait comme le chant des sirènes attirait les marins. Il continuait d'avancer sans faire un bruit tel un chat qui prendrait ses aises lors de la nuit tombée. Au détour d'un carrefour, il surprit deux amants copuler en pleine rue, mais il s'en détourna prestement car ce genre de voyeurisme ne l'intéressait pas. En revanche, quelques enjambées plus loin, il contempla un troc plus que frauduleux entre un motard et un homme d'affaires qui portait un costume impeccable. Cela fascina la jeune ombre qui se dissimulait dans le noir et qui suivit le moindre mouvement de ces hommes plus qu'étranges tentant de deviner la magouille qu'ils organisaient dans le secret du jour qui tombait. Mais rester trop longtemps l'aurait fait repérer. Alors, il s'échappa pour rejoindre des quartiers aux apparats plus fréquentables.

Il ne s'arrêta pas pour admirer les magnifiques bâtiments qui se défiaient les uns les autres. Cela ne l'impressionnait pas vu qu'il avait connu le luxe autrefois quand son grand-père était encore en vie et que l'argent importait peu à Dimitri. Quoique ce point n'eut pas changé, il s'en moquait toujours. La seule raison pour laquelle il aurait pu jeter un coup d'œil à ces immenses bâtisses, ça aurait été pour s'interroger sur la nature de ceux qui y vivaient. Il pourrait s'attarder une seconde et critiquer leur hypocrisie sans pareille, mais il n'en fit rien. Il n'en n'avait pas le temps car déjà le soleil se couchait et il devait rentrer chez ses procréateurs même si cette idée le mortifiait. Il avait promis à ses parents de ne pas errer pendant la nuit, mais il n'avait rien convenu durant le jour. Il avait fait cela pour éviter de se prendre une quelconque remarque de la part de ses géniteurs sur l ses escapades nocturnes, il les cessait pendant qu'il venait crécher chez eux. Mais même s'il était parti se perdre en plein jour, il avait besoin de ces précieux instants où il était seul et où il assainissait son corps et son esprit.

Arrivé devant le palier de sa porte, il caressa affectueusement la tête de ce chien-loup qui commençait à se faire vieux pour un animal de son espèce. Avant de tourner la poignée de la porte, il se tourna vers le reste de la ville et bien qu'il ne fut pas perché sur un toit, il put profiter d'une vie du ciel vespéral qui possédait de nombreuses couleurs chatoyantes se mélangeant entre le violet, le bleu, le rouge et l'orange. Ces ondes colorées dansèrent devant les prunelles du jeune homme plein d'une admiration inconnue. Il imprima cette image sur sa rétine avant de faire volte-face et de fouler enfin le seuil de sa porte. Il eut le temps d'enlever son manteau, son bonnet et ses chaussures sans se faire agresser par qui que ce fût, ce qui lui parut étrange. Alors qu'il allait monter, il passa lentement devant la cuisine et le salon où il jeta un coup d'œil et il vit ses parents prostrés sur le canapé du salon.

Il prit une profonde inspiration, il se dit alors que ça avait été une erreur d'être rentré. Il aurait mieux fait de demeurer dehors même si cela voulait dire se faire avaler par le froid hivernal de la Russie. Pourtant, il ne l'avait pas fait. Au lieu de cela, il s'avança jusqu'à se retrouver face à ses parents. Une fois à quelques centimètres des deux silhouettes parentales, il demeura debout. Il ancra son regard tour à tour dans celui de la matriarche puis du patriarche. Il resta immobile face à eux, tel un pantin qui aurait perdu son ventriloque. Il n'exprimait aucune crainte, aucune peut, aucune faille, aucun frisson ne parcourait son échine. Il les toisa même du regard, il les regarda presque avec mépris comme si c'était lui qui allait leur reprocher une quelconque offense. Les trois individus se regardèrent en chiens de faïence. Aucun d'entre eux n'émit le moindre son jusqu'à ce que le père de famille, qui avait retrouvé la mine sombre que Dimitri lui connaissait si bien, fut le premier à rompre le silence :

« Dimitri, qu'est-ce qui t'as pris de partir sans donner de nouvelles ? Est-ce que tu te rends compte du mouron que tu nous as fait endurer ? tonna-t-il tel un éclair.

— Alors ça y est, tu abandonnes enfin le masque du père affectueux et bienveillant que tu n'as jamais été. Je t'avoue que cela me rassure, j'ai cru que j'avais loupé une étape, en France. Mais ce n'était qu'un leurre comme toujours.

— Ça suffit, arrête de te moquer de nous en changeant de sujet et réponds à ton père, ordonna sa mère d'un ton plus venimeux.

— Soit, répondit-il en s'asseyant sur l'accoudoir du fauteuil. Ce qui m'a pris...je me suis juste plu à me promener dans ma ville natale. Il faut croire qu'elle m'avait plus manqué que ma famille. Enfin, elle m'avait manqué plus que vous quatre.

— Tes frères pourraient t'entendre, grogna-t-elle d'un ton hargneux.

— Et bien, tu devrais prendre garde à baisser le ton, répartit-il d'un ton neutre et d'un calme déconcertant. Moi je n'en n'ai rien à faire qu'ils nous entendent ou non. Je reste toujours honnête avec tout le monde, vous êtes bien placés pour le savoir. Pourtant, vous répugnez toujours de choisir ce mode de vie.

— Ferme-là petit insolent, rugit son père.

— Ou sinon ? Vas-tu me frapper comme un petit garçonnet ? le défia-t-il. Hélas, tu arrives trop tard. Je suis désormais un homme. Alors si tu veux me frapper, fais-toi plaisir, mais sache que je rends coup pour coup.

— Tu n'es rien de plus qu'un pisseux, argua son géniteur, le teint rougi par la colère.

— Et bien, je te laisse tenter ta chance, papa, prononça-t-il avec la plus grande des arrogances, le teint toujours neutre et le regard calme.

— Calmez-vous tous les deux. Vous n'êtes pas des gosses de dix ans, il est hors de question que vous vous battiez sous mon toit ! s'insurgea la femme fatiguée par le comportement de ces deux hommes.

— Tu le protèges beaucoup trop Elena ! C'est à cause de toi qu'il est une chiffe molle !

— On peut toujours aller se battre dehors. Après tout, elle n'a parlé que de la maison, le défia-t-il d'un ton impérieux. Et je ne suis pas une chiffe molle. Je suis un gosse ingrat, un connard de la pire espèce, un enfoiré, un homme trop honnête, une grande gueule et une détermination beaucoup trop imposante. Mais ça, on me dit que c'est soit parce que j'ai un patrimoine génétique de merde soit parce que j'ai eu une éducation de merde. ».

Personne ne répondit aux accusations lancées par ce jeune homme qui méritait sûrement de se prendre une baffe. Mais personne n'en fit rien. Son paternel semblait réfléchir silencieusement à la proposition qu'i lui avait été fait comme si cela aurait pu être une solution. Pourtant, il se ravisa quant à ce geste puéril, il se devait de montrer l'exemple à ceux qui pouvaient encore être malléable, à savoir les jumeaux qui les épiait sûrement. Ses iris vert-gris exprimèrent un profond mépris et un brin de dérision face à cette réticence incongrue de la part de cet homme autrefois si virulent et rustre. Il fut tenté de le provoquer, mais cela aurait été de la bêtise pure et dure. Au lieu de cela, il se contenta d'esquisser une mine triomphante et d'afficher un léger sourire narquois. Celui qui avait été injurié serrait les points, se retenant de lui asséner un violent coup de poing. Quant à celle qui avait voulu tempérer leurs ardeurs, elle suppliait presque la tornade qu'était son fils de ne pas aller plus loin et de ne pas raviver l'ancienne nature de cette pourriture qui lui servait de père.

Le jeune blond hésita plusieurs secondes. Il désirait secrètement se mesurer à celui qui l'avait tyrannisé par le passé. Mais la raison se mêlait toujours aux passions qui l'animaient. Et il pensa alors à ses cadets qui subiraient peut-être les représailles de cette altercation lorsqu'il ne serait plus là. Alors, il se retint. Il se releva tel un prince et il se dirigea vers les escaliers, d'un pas lent, félin, souple et majestueux. Sans adresser un mot à qui que ce fût, il alla s'enfermer dans sa chambre. Une fois enfermé dans son repaire à l'abri de tout ce qui pourrait venir le déranger, il tourna en rond pendant quelques secondes, ignorant ce qu'il pouvait faire pour occuper son esprit. Il soupira en fixant la fenêtre de sa chambre. Il aurait aimé pouvoir devenir un oiseau pour s'envoler loin de ces humains qui ne cessaient d'effriter son âme. Il aimerait seulement être libre. Même si cela ne dissoudrait pas la peine qui emplit son être, cela le rendrait plus léger, il serait beaucoup mieux. S'il pouvait juste vivre au jour le jour et s'affranchir de toute règle ou coutume, il jouirait d'une existence simple et sans souci. Mais alors, il n'aurait plus accès à la sagesse humaine. Il ne pourrait plus lire ni tenter d'écrire lorsque les mots lui venaient à l'esprit. Il ne pourrait plus réfléchir à des idées qui n'avaient pas forcément de sens ni d'intérêt.

À choisir entre un idéal qu'il ne pourrait jamais atteindre, autant se satisfaire des bons côtés de son existence. Il n'avait d'autre choix que de faire cela sinon, il serait devenu fou depuis longtemps, peut-être qu'il le devenait. Cela ne l'étonnerait même pas. Tant qu'il ne perdait pas son intellect, devenir fou ne le dérangeait pas outre mesure, si seulement cela pouvait chasser ses maudits rêves trop lucides pour qu'ils n'aient jamais pu lui appartenir. Il souffla et s'allongea sur son lit, son dos heurtant le moelleux matelas de son sommelier, un livre en main. Ce livre finit sur son torse lorsque celui qui le feuilletait finit par s'endormir, à quelques minutes des douze coups de minuit.

Sa respiration s'accéléra légèrement. Ses yeux s'agrandirent dans l'obscurité, il cherchait probablement à imiter ces animaux nocturnes qui pouvaient survivre avec la simple lueur de la lune. Il se demandait ce qui lui avait pris d'accepter de mener cette excursion avec ses amis. Il déglutit difficilement lorsqu'il se rappela ce qui était arrivé aux autres membres de son groupe. Ils étaient tous morts, mais par miracle, les bêtes l'avaient épargné. Il se demandait encore pourquoi. Pourquoi avait-il survécu alors que tous ses amis avaient péri ? Comment lui, le plus froussard d'entre tous avait pu échapper à une meute de loups affamée ? Son aspect presque cadavérique était-il si répulsif pour qu'ils n'aient pas pensé à le déchiqueter ? Ou s'étaient-ils dit qu'une boule ne pouvait pas faire un diner respectable ? Il l'ignorait, mais il ne méritait pas d'être encore de ce monde. Le brun n'avait jamais été doué pour la survie, il savait à peine faire un feu. Cela faisait plus de vingt-quatre heures qu'il errait alors que son ami Sam aurait immédiatement retrouvé son chemin. John aurait pu faire un feu. Lizzy et Clara auraient réussi à attraper une belle bête pour se sustenter. Mais lui ne savait rien faire et il se retrouvait seul.

Après le massacre auquel il avait été confronté, il était resté prostré plusieurs heures si bien que des charognes avaient tenté de le dévorer, mais il les avait repoussés. Ironiquement, c'est grâce à ces oiseaux de la mort qu'il avait retrouvé un semblant de vie. Il s'était remis sur pied et depuis, il marchait sans faire de pause dans l'espoir de quitter cette végétation de malheur au plus tôt. Alors, il se retrouvait seul à gambader dans cette forêt plus inquiétante qu'autre chose. Éreinté, il se faisait harceler par les ombres inquiétantes de quelques broussailles qui barraient son chemin. Parfois, il trébuchait sur quelques racines qui se semaient sur son passage. Il ne cessait de se retourner toutes les cinq secondes, terrifié par sa simple présence. Après tout, il ne connaissait pas ce lieu où il avait mis les pieds. Il ne savait pas quel danger le guettait dans cette zone hostile.

Ce qui effrayait le plus ce jeune homme n'était pas les créatures qui pouvaient apparaître à tout moment, ce n'était pas non plus ce paysage trépignant de vie austère qui le mettait dans un état de peut panique. Ce n'était pas non plus le fait d'être perdu dans cet inconnu qu'il commençait à reconnaître à force de voir les mêmes choses. Non, ce qui lui faisait véritablement peur, c'est que ce sombre antre de la nature était régi par le silence le plus pur et le plus absolu que le jeune homme mat n'avait jamais vécu. Il troublait à peine ce calme qui trônait dans cette. Il n'entendait que deux bruits ; son corps et un diapason qui s'amusait à jouer dans cette obscurité imposante. Concernant son corps, il ne pouvait pas être plus discret sous peine de finir de manière cadavérique. Cette mélodie qui le harcelait de jour comme de nuit l'obsédait de plus en plus. Magnétique, elle l'attirait et le repoussait en même temps, lui faisant éprouver une méfiance et un rebut étrange envers cette splendeur humaine.

Une part de lui avait ignoré pendant plus de quatre jours cette mélodie ambiante qui était toujours aussi bruyante. Il se disait que c'était sûrement son imagination qui lui jouait des tours. Après tout, s'il n'entendait aucun insecte fourmiller, aucun félin miauler, aucun loup hurler, aucun oiseau hululer aucun rapace grogner lorsqu'il refermerait ses griffes acérées sur sa proie désolée. Rien d'autre que le noir béant qui aspirait toute vie et ce diapason. Ce diapason le rendait fou. Il devenait fou de savoir qu'il y avait quelqu'un là qui jouait sa foutue musque au lieu de venir l'aider. Il aurait pu aider ses amis à survivre. Il aurait pu éviter tout ce qui était survenu jusqu'à aujourd'hui. Et évidemment, il n'arrivait pas à trouver la source de cette symphonie entêtante. Il voulait se défaire de cet étau qui enserrait son crâne et qui détruisait son cerveau comme la chanson horrible des carrousels qui entraient si facilement dans la tête. C'était une ritournelle que personne ne pouvait oublier peu importe les efforts qu'il fournissait pour se faire.

Cette affreuse musique satanique avait percé les dernières défenses du jeune homme aux yeux d'or. Il n'appartenait plus à la réalité, mais il n'avait pas encore été emporté par la mort. Alors, il se contentait de se mouvoir dans cet espace étrange qui lui semblait de plus en plus familier. À force de tourner en rond, il commençait à bien connaître cet empilement de nature qui le narguait. Au bout de quelques jours, il ne possédait plus aucune ressource, il fut également dépourvu de toute force. Pourtant, il éprouvait le pernicieux besoin de découvrir la source de ce son maléfique.

Il devait savoir qui profanait le vide de cette luisante jungle broussailleuse. C'était actuellement son seul objectif, sa seule raison de survivre. Il devait connaître ce qui le tourmentait sans vergogne. Par miracle, il trouva une source d'eau, ce qui lui permit de gagner quelques heures de plus. Au lieu de poursuivre ses recherches, il s'abandonna à se reposer contre un arbre afin de récupérer. Une fois qu'il reprit quelques couleurs, il se remit sur pieds et il reprit sa route. Il se releva doucement comme si chacun de ses mots risquait de se briser. Une fois remis sur pieds, il s'obstina à suivre ce qui le torturait depuis plusieurs jours. À dire vrai, il avait perdu la notion du temps, il se contentait de suivre le chant mélodieux de cette source introuvable et incommensurable.

Cela fut véridique jusqu'à ce qu'il arrive près d'une falaise. Dès qu'il s'approcha du ravin, il se figea de stupeur. Il découvrit une créature qui possédait plus de merveilles que tout ce qu'il avait pu contempler durant sa courte existence. Celle qu'il voyait posséder la beauté d'une déesse. Il l'admira tandis qu'elle jouait de son instrument maudit. Lorsqu'elle le remarquées, elle recula jusqu'au bord du précipice, invitant son jeune spectateur à la suivre. Aveuglé par la maladie qui rongeait son esprit, d'un simple regard, sans rien dire, elle l'invita à le rejoindre. Alors, il s'approcha d'elle. Il esquissa un pas vers elle tandis qu'elle reculait d'un pas jusqu'à se retrouver dans les airs. Là, il s'arrêta à la pointe du pic de la falaise consciente que s'il esquissait un mouvement de plus, il se retrouverait six pieds sous terre. Ils se défièrent du regard se demandant qui l'emporterait.

La divinité joua une dernière fois de ses charmes se tâtant même à effleurer ses lèvres à celles du jeune homme, lui faisant miroiter mille espérances. Il crut en ses desseins honorifiques, ce qui le poussa à s'approcher davantage de son corps céleste. Elle lui murmura tant de promesses qui s'accompagnèrent par de délicieuses caresses. Il s'abandonna alors à elle, lui vouant son corps et son âme. Mais cela n'était pas suffisant pour cette entité supérieure : elle réclama sa vie, il la lui donna. Cela le fit tomber du haut du ravin. Sa chute était presque hors du temps. Il tombait, mais il avait juste l'impression de se diriger vers sa dernière demeure. Il n'était pas ébranlé par la rapidité fulgurante de sa chute. Insensible, il n'était pas même mû par la frayeur de la mort. Plus rien ne lui importait. Il s'en moquait à présent, il ne voulait pas s'inquiéter pour une chose qui serait inéluctable. Alors, il se laissa aller telle une pierre que l'on lancerait au loin.

Cependant lorsqu'il s'écrasa au sol, le choc de sa rencontre avec le sol lui arracha de nombreux hurlements stridents. Sa respiration fut coupée court, ses os se brisèrent, la douleur envahit son corps, mais avant qu'il ne fermât les yeux, il vit le corps sans vie d'une fillette qui reposait près de ce fameux diapason. Peu à peu des orbites mi-vertes, mi-grises se rouvrirent et fixèrent le plafond de sa chambre. Il se leva mollement de son lit. Puis il prit une longue douche chaude. Le rêve qu'il avait fait lui ressemblait tellement. Il vivait la même vie que lui, perdu dans le néant de ses pensées et dans le tourbillon de ses réflexions existentielles. La vie ne devrait pas être si cruelle tout comme elle ne devrait pas être si compliquée. Il ne devrait pas se torturer l'esprit à ce point tout comme il ne devrait rien ressentir. Cela serait parfait pour lui. Devenir un robot qui ne ressentait plus rien : ni douleur, ni peine, ni compassion, ni désir de vengeance.

Pourtant ce trou noir d'émotions, il paraissait déjà le posséder. Mais ce n'était qu'une apparence, un simple masque ou plutôt une carapace. Il avait oublié pourquoi il se l'était forgée. Mais il se rendait souvent compte qu'elle lui était fort utile. Elle lui permettait de se protéger du monde et se préserver de sa famille. Lorsqu'il finit sa douche, il enfila son caleçon, son pantalon et son tee-shirt à manches longues. Puis, au lieu de retourner dans sa chambre, il descendit dans le salon, il emprunta un plaid ainsi que le livre qu'il lisait la veille. Il sortit sur la terrasse et enveloppé dans cette couverture aussi bien physique que psychologique, il se roula en boule et il reprit sa passionnante lecture.  




Et woila ! J'avais oublié la dispute entre Dimitri et ses parents ! Vous aurez d'ailleurs les raisons de leurs liens si conflictuels dans la suite de cette histoire !

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