Sombre, sombre puis tombe

Bonsoir, ce chapitre est beaucoup moins court car j'ai pris la peine de le réécrire. J'espère que cette nouvelle version vous plaira ! Il s'inspire du thème : Ceux qui marchent dans l'ombre !

Dimitri vit avec affolement que le vingt-deux décembre était arrivé. Il savait ce que cela signifia. Et il espérait sincèrement qu'il vivait un de ses cauchemars. Ce serait bien mieux que la sombre réalité qui allait s'abattre sur lui. Cette date sonnait le glas de sa confiance en ces lieux familiaux. Il allait devoir prendre sur lui et arborer son plus grand sourire. Tout cela pour plaire à des oncles, des tantes, des cousins et des cousines qu'il n'allait pas revoir avant l'hiver prochain. C'était stupide et hypocrite, mais il n'en avait guère le choix. Dieu qu'il aurait préféré se retrouver six pieds sous terre. Ce serait toujours mieux que de jouer l'enfant modèle. Il allait devoir faire des courbettes à une famille qu'il tolérait à peine. Étonnamment, cela l'effrayait presque. Il avait peur de tous ces étrangers qui allaient s'introduire de force dans a demeure si paisible. Oui, des étrangers, c'était ce qu'ils étaient dans le cœur de Dimitri. Leur compagnie ne lui était pas agréable et il ne les aimait pas comme on devrait aimer toute sa famille. À ses yeux, ce n'étaient que des nuisibles qui profitaient d'une hospitalité qui ne devrait pas leur être due. Il ne les détestait pas, mais leur présence allait les déranger. Tout simplement parce qu'il ne connaissait que le strict minimum sut la quasi-totalité de ces êtres qui partageaient son sang. Ils étaient l'ombre de son tableau de tranquillité car il allait devoir s'accommoder de leur existence indésirée.

En réalité, ce qui l'effrayait le plus, c'était qu'il ignorait s'il allait réussir à tenir la pression cette année. Avec tous ces cauchemars qui ne cessaient de hanter son cerveau, il n'allait pas avoir al même patience face à eux. Il allait moins supporter que d'habitude leur faux intérêt et leur fausse empathie à son égard. Il ne savait pas s'il allait pouvoir s'accommoder de ces faux élans de fierté qui n'étaient que pure jalousie. En somme, il ignorait s'il allait pouvoir endurer toutes les questions qu'il allait subir tout en gardant son calme légendaire. Il avait peur de s'emporter. De ne pas supporter cette torture suffisamment longtemps. Il avait peur de s'acharner sur chacun des convives et leur déballer leurs quatre vérités en face. Enfin, il avait peur de détruire cette magnifique fête que devait être Noël. Évidemment, il allait tout faire pour se contenir, mais vu son état, il ne pouvait rien promettre. Les seuls membres de sa famille qu'il allait être heureux de revoir étaient sa cousine Yelena et sa fille, Alexandra. En même temps, sa cousine, Yelena, était comme une sœur pour lui. Ils avaient fait les quatre cents coups avec ou sans Dana. C'était d'ailleurs l'une des seules qui avait considéré l'ampleur de son malheur suite à la perte de sa jumelle. Dès lors, elle avait été son seul soutien, une de ses rares alliées en ce monde cruel. Il avait l'habitude de la contacter même lorsque des milliers de kilomètres les séparaient. Tout simplement parce qu'aux yeux du jeune russe, elle était comme sa sœur.

Quant à sa fille, Alexandra, c'était un joyau de lumière et de liberté. En plus d'être son oncle, il était son parrain. Et depuis la naissance de la petite brune aux yeux saphir, il était fier d'avoir une telle nièce. Si elle possédait quelques similitudes avec son père, elle avait hérité du caractère de sa mère. Ou plus particulièrement, de celui de Dimitri. Tous s'accordaient à dire qu'elle lui ressemblait quand il était encore ce petit garçon plein de vie. Et quelque part, force lui était d'admettre que son entourage avait raison. Aussi têtue que son oncle, un rien suffisait à émerveiller cette fillette. Son rire était une tendre mélodie qui accompagnait chacun de ses pas. En effet, elle était d'une telle nature qu'il était rare de la voir triste. Comme son oncle à une époque, elle n'arrivait pas à tenir en place plus de cinq minutes et avait un incessant besoin de courir. Heureusement, elle n'avait pas hérité de son flegme. Au lieu de cela, elle avait conservé la délicatesse de sa mère et c'était ce qui la différenciait de Dimitri. Malgré son agitation et son tempérament flamboyant, Alexandra était incapable de faire du mal à une mouche. Alexandra était une boule de lumière qui éclairait tout son entourage. Lorsqu'elle était présente, même le jeune russe perdait son air froid et laissait un doux sourire bienveillant orner sa face. Elle était magique, c'était tout simplement une perle précieuse. Elle était une des rares raisons qui donnait encore l'envie de vivre à Dimitri et il avait juré de la protéger contre vents et marées.

Il aurait aimé que les autres membres de son clan familial fussent aussi parfaits. Hélas, on avait rarement ce que l'on voulait dans la vie. Pour l'instant, il souhaitait juste de la tranquillité. La maison était encore vide et calme, ce qui donna un élan de nostalgie à Dimitri. Il était mélancolique de son foyer parisien où il était toujours seul. Contrairement aux autres, la solitude était son amie et il l'accueillait bien volontiers. Ici, il était incessamment plongé dans un tourbillon de vie, de bruit et de sonorités infernales. Ce n'était pas parce qu'il aimait ses frères qu'il ignorait tout le boucan qu'ils étaient capables de faire. En y repensant, leur aptitude à être bruyants relevait presque du don. Ce dont il se serait bien passé. Après avoir fini les tâches ménagères qui lui incombaient, le jeune russe observa son milieu. C'était étonnamment silencieux et il pouvait même entendre les quelques bêtes qui osaient encore s'aventurer à l'extérieur. Ce moment de répit et de sérénité n'allait pas tarder à s'évanouir. Il voulait en profiter avant que tout cela ne devînt qu'un lointain souvenir. Avant qu'il ne fût de nouveau acculé par ses responsabilités familiales, il fallait pour lui s'évader un dernier instant. De plus, il en était plus ou moins capable. Il n'avait désormais besoin que d'une seule béquille pour se mouvoir. C'était un fardeau qui s'affaissait de ses épaules. Même s'il devait faire attention, il retrouvait une certaine liberté de mouvement. S'il boitait ou s'il avançait lentement, c'était mieux que d'être flanqué de ces deux engins de malheur qui l'empêchait de faire autre chose que de lutter pour marcher. Avec une seule canne mécanique, il était toujours lent, mais il se mouvait beaucoup plus facilement. Il pouvait presque déambuler normalement. Physiquement, il n'avait plus cette sensation d'être un boulet inutile et cela l'apaisait. Si cela n'avait tenu qu'à lui, il se serait débarrassé de la deuxième béquille depuis plusieurs jours. Néanmoins, il ne fallait pas aller trop vite si'l ne voulait pas que ses efforts pour guérir fussent réduits à néant. Il avait fait des progrès en quelques jours et il était hors de question pour lui de faire demi-tour. Une chose était certaine : il n'était plus aussi réduit qu'au lendemain de son opération. Et c'était déjà une petite victoire en soi.

En se rendant compte de cette amélioration, il soupira de tristesse. Ce n'était pas suffisant pour lui car il ne pouvait pas chevaucher. D'ordinaire, il ne serait pas planté, là, dans le salon à ruminer ses petits exploits. Il ne resterait pas là à se morfondre de l'arrivée prochaine de sa famille. Non. En temps n normal, il serait en train de chevaucher Raspoutine. Il irait explorer cette forêt qu'il connaissait si bien. Il profiterait de ce magnifique spectacle enneigé qui ravissait toujours autant ses prunelles. Frigorifié, il serait revigoré par cette ballade hivernale qui lui apporterait la force mentale dont il manquait cruellement. Au lieu de gésir sur un canapé, il talonnerait sa monture pour traverser des sillons immaculés à la vitesse de l'éclair. Le vent serait leur compagnon de route, il viendrait taquiner Dimitri sans jamais vraiment le perturber. Assurément, il serait dehors, à profiter des rayons solaires qui illumineraient son chemin. Enfin, il ne rentrerait que lorsque le ciel vespéral viendrait le couvrir et que l'obscurité prendrait sa place. Alors oui, il pouvait se féliciter de ne marcher qu'avec une seule béquille, mais cela le privait de retrouver l'harmonie que lui procurait la nature. Au fond, qu'est-ce qui le retenait ici ? Sa jambe ? Il pouvait très bien passer outre la douleur. Il ne devait pas se mentir à lui-même, il mourrait d'envie d'aller chevaucher dans ce bois sacré. Il ne pouvait pas tenir en place, il ressentait le vicieux besoin de retrouver sa monture. Il devait se balader une ultime fois avant d'être prisonnier de multiples obligations et de ne plus pouvoir bouger seul. Il se moquait de sa santé, ce n'était pas une promenade équestre qui allait le tuer. Il s'était suffisamment reposé pour pouvoir faire un minimum de sport. Ce n'était pas judicieux. Sauf qu'il n'y avait personne pour le forcer à se montrer raisonnable. Il était seul. Il n'y avait que lui et cette envie de plus en plus grande de retrouver cette forêt mystique. Plus il y réfléchissait, plus la tentation grandissait. Ce serait du gâchis à attendre sa potence dans cette demeure au lieu de s'évader une dernière fois avant d'être pris au piège. Il n'allait pas si mal que ça, ça pourrait aller. Et puis, il n'y avait personne pour réfréner son ardeur. L'occasion était trop belle. S'il hésitait trop longtemps, elle pourrait lui passer sous le nez. À tout moment, on pourrait le croiser et lui demander d'accomplir une ultime tâche. Alors que là, il n'y avait personne pour le surveiller, nul témoin pour gérer sa folie. Il ne pouvait pas louper cette occasion qui semblait être le fruit du Destin. Sans plus d'hésitation, il déroba les clefs de voiture de sa génitrice avant de s'élancer dehors. Il allait céder à son propre caprice.

Prudemment, il conduisit jusqu'au ranch. À mesure qu'il s'approchait de sa destination, ses yeux s'emplissaient d'étoiles. Quiconque l'aurait vu aurait pu croire qu'il n'y était pas allé depuis plusieurs décennies. C'était pour lui comme une drogue. Qu'on le comprît ou non, c'était son seul véritable moyen d'aller bien. C'était sa manière de se vider la tête et de ne plus penser rien que pour quelques instants. Quand il descendit de son véhicule, il tiqua. Il semblait s'être rappelé de l'existence d'Ania qui pouvait potentiellement l'empêcher de réaliser son rêve de revoir Raspoutine. Tant pis, ce n'était pas ce minuscule détail qui allait l'arrêter. Déterminé à retrouver son fidèle destrier, il abandonna sa béquille dans la voiture comme pour faire croire qu'il s'était parfaitement remis de sa blessure. Encore une fois, n'avait pas emporté de vivres, mais cela lui importait peu. Il n'allait pas en mourir. Serein, il se dirigea vers l'accueil du centre équestre et au moment où il y arriva, il vit que c'était le frère d'Ania qui tenait le commerce. Décidément, c'était son jour de chance. Après quelques amabilités échangées, il le laissa prendre Raspoutine. Dimitri harnacha donc son étalon, surpris d'être si vite repris par son maître. Cela ne l'embêta pas, bien au contraire. Le cheval avait henni lorsque son maître était revenu. Il lui avait manqué. L'attitude de Raspoutine accentuait l'impression de Dimitri de ne pas être venu depuis si longtemps. Ce qui le rendait triste, mais l'amusait malgré tout. Il allait rattraper tout ce temps perdu à végéter sur un canapé. Il était de retour et il ne comptait abandonner sa monture de sitôt. Il allait profiter de son cheval préféré et de la quiétude de la forêt de Vologda. Malgré son enthousiasme, Dimitri se hissa difficilement sur l'animal. Ce qui ne l'arrêta pas pour autant. Le plus rapidement possible, il fit sortir son étalon du ranch et s'engouffra dans les entrailles de la forêt attenante.

Durant plusieurs heures, tout se passa à merveille. Un soleil radieux illumina les divers chemins qu'il empruntait. De fins flocons, gracieux et légers tombaient du ciel et agrémentaient sa chevelure ainsi que ses habits de petits éclats immaculés. Un vent presque glacial, mais qui parut agréable au jeune russe volait avec entrain. Il en vint à ébaucher un sourire sincère. Cela faisait longtemps qu'il n'avait esquissé un tel sourire. Il se sentait bien au milieu de la nature somnolente. Tout comme elle, il se trouvait bercé par la symphonie de cette forêt et le pas régulier de sa fourrure. Pendant de longues heures, il se sentit serein. Pour une fois, il se sentait à sa place. Hélas, cela ne pouvait durer éternellement. Subitement, il se sentit faillir. Cela était peut-être dû au manque d'alimentation et d'hydratation. À moins que ce ne fût sa fatigue qui le rattrapait. Pu encore était-ce sa blessure qui l'amoindrissait. Quoiqu'il en fût, sa vue se fit opaque et ce cavalier blond devint maladroit. Cela ne lui était jamais arrivé. Il attendit quelques secondes que cela passa, mais son cas s'aggrava. Lorsqu'il sentit qu'il allait tomber, il prit enfin une sage décision. Il arrêta son cheval près d'un grand arbre majestueux que le trouble l'empêcha de reconnaître. Là, il descendit de sa monture, mais à peine ses pieds du cavalier eurent touché le sol que son corps s'effondra par terre. Le choc lui fit écarquiller les yeux. Naturellement, il tenta de se relever, mais tout son être protesta. Son organisme ne pouvait plus supporter tout l'effort que Dimitri lui faisait endurer. Et il le lui faisait payer. Alors qu'il sombrait inéluctablement dans l'inconscience, il entendit Raspoutine hennir avant de s'enfuir au galop.

Lorsqu'il reprît conscience, il habitait le corps d'une femme d'âge mûr. Il ne pouvait déterminer précisément son apparence car il était dépourvu de tout miroir. Il ne put que voir une peau d'asphalte trop maigre, usée par le temps et le supplice. Il pensait que ce n'était qu'une erreur de jugement, mais il fut rapidement détrompé. Surpris, il releva rapidement ses prunelles pour découvrir le lieu dans lequel ils étaient enfermés. Elle ne connaissait que trop bien cette chambre blanche qui était la sienne. Si elle restait roulée en boule sur son lit, c'était parce qu'elle n'avait que trop de fois tenté de s'enfuir de cet enfer quotidien. Une fenêtre lui permettait d'espionner les allers-retours ds malheureux. Celles qui se trouvaient des d sur le mur droit et le mur gauche de sa cage lui permettaient de communiquer avec ses voisins. Enfin, quand ils étaient assez lucides pour pouvoir parler. Elle demeurait dans cette prison blanche depuis plusieurs années. Son attitude résignée ne le prouvait que trop bien.

Elle observait plus ou moins cet environnement qui composait son habitat si...spécial. Elle voyait ses compagnons qui habitaient les cellules d'à côté vivre comme des légumes. Curieusement, elle avait préservé une lueur de vivacité dans son regard désespéré. Elle se demandait chaque jour s'il avait disparu. Elle avait peur de devenir comme ses colocataires. Elle avait peur de se faire avoir par tous ces cachets qu'on lui forçait d'avaler. Elle craignait qu'on ne lui volât le peu de force qu'elle avait su conserver. Égarée entre la jeunesse et la vieillesse, elle se perdait également entre la folie et la raison. Pourtant, elle n'était pas assez folle pour croire qu'elle vivait bien. Elle ne faisait que survivre dans cet endroit dans lequel on l'avait recluse. Simplement parce qu'elle avait fait une dépression et qu'elle avait attenté à sa vie. Alors on avait jugé qu'elle ne devait plus vivre parmi les siens. Qu'on devait la séparer de tout ce à quoi elle tenait pour l'aider à guérir. C'était tellement stupide. La défaire de ses êtres chers et de son quotidien familier pour l'aider à aller mieux. Il voulait surtout ne pas avoir sa mort sur la conscience. Ceux qui l'avaient interné se fichaient totalement de son sort.

S'ils s'inquiétaient pour elle, ils ne l'auraient pas envoyé ici. En vérité, un seul homme était responsable de son sort. Il s'agissait de son mari. Celui avec qui elle avait partagé la moitié de son existence lui avait planté un couteau dans le dos et l'avait lâché dans cet endroit infernal. Un lieu où tout amour et espoir avaient fui. En réalité, ce n'était pas totalement le cas car ses enfants venaient toujours la voir. C'étaient les seuls qui lui permettaient de ne pas perdre pied. Eux, sa lumière existentielle la maintenait en vie. Même s'ils ne s'en doutaient pas, chacun de leurs sourires la rendait plus déterminée que jamais à s'en sortir. Cela ne durait jamais suffisamment pour qu'elle tînt ses résolutions. Néanmoins, ils lui transmettaient un peu de courage et de joie. Assez pour ne pas succomber à cette tristesse et cet effroi qui peuplaient ses jours. Et c'était pourtant à cause de l'un de ses fils qu'elle avait voulu s'offrir à la mort. Elle était certaine qu'elle ne méritait que cela. Qu'elle avait été une mauvaise mère car elle avait été incapable de le protéger. Rapidement, elle avait compris que ce n'était pas sa faute. Elle s'en était remise. Ce qui n'était pas l'avis des médecins. Ces monstres qui pouvaient aller et venir comme bon leur semblait sans être retenus par des camisoles ou des menottes. Ils se prenaient pour des dieux à tester de nombreux médicaments sur eux. Ils appelaient ça des thérapies, mais ce n'étaient que des méthodes de torture pour voir si leurs prisonniers étaient capables ou non de guérir. Drôle de manière de sauver des gens tout de même. Cette inconnue qui abritait l'esprit de Dimitri les soupçonnait de simplement vouloir les dominer. Ce qui était sûr, c'était qu'ils ne servaient que de cobayes. Ces médecins, maîtres de génie, utilisaient ces pauvres âmes en détresse pour confirmer leurs invraisemblables expériences.

Évidemment, aux yeux du monde, ils étaient des êtres charitables qui venaient en aide aux plus démunis. Pour ceux qui n'avaient jamais pénétré à l'intérieur de cet austère établissement, ils étaient des héros.Ils avaient même beaucoup de courage de travailler avec des créatures instables. Ceux qui pensaient cela méritaient de mourir aux yeux de cette femme. Ici, les médecins avaient tout pouvoir car ils faisaient office de loi. Et ceux condamnés à demeurer à l'intérieur de ces murs blancs devenaient les victimes de leurs expériences plus ou moins douloureuses. De vrais savants fous que personne ne viendrait arrêter. En tous cas, ce qu'ils faisaient avait toujours laissé des séquelles. Ceux qui prétendaient leur venir en aide ne faisaient que les enfoncer davantage. Certains avaient perdu toute volonté de vivre et se roulaient en boule quand on les ramenait dans leurs chambres. Pourtant, ils se mettaient à hurler et à se débattre dès qu'on les emmenait pour les soigner de nouveau. Ces patients-là étaient ceux qui étaient le plus au bord du gouffre. Et peut-être qu'ils ne pouvaient plus être sauvés. Ils étaient totalement détruits et rien ne pouvait les ramener à la raison.

Quelle importance cela avait-il ? Aucune. Après tout, ce n'étaient que des déchets de l'humanité. Ceux dont personne ne désirait réellement s'occuper. Ils n'avaient d'importance pour personne. Personne ne se préoccupait quand un fou décédait. En même temps, ils n'avaient aucune importance aux yeux de leurs congénères. Ce n'étaient que des erreurs que l'on avait voulu écarter pour qu'elle ne pût plus déranger. De même, personne ne s'intéressait aux maltraitances psychologiques que subissaient ces êtres aux esprits si fragiles. Ils n'en étaient pas au courant. À moins qu'ils ne fissent tout pour s'en détourner. Peut-être qu'ils cherchaient seulement à se donner bonne conscience. Certains se montraient assez naïfs pour voir leurs proches sortir de cet antre du diable. Tandis que les autres cherchaient juste à conserver leur bonne conscience. Quand ils en avaient une... Le véritable objectif de ces asiles était de les bannir de la société. Faire en sorte qu'ils ne purent jamais côtoyer ceux qui se revendiquaient comme des êtres sains. Il fallait préserver ces êtres purs de ces âmes condamnées à la folie et à l'oubli. Ces cinglés n'étaient qu'un problème social dont il fallait se débarrasser. Par contre, il fallait faire croire que l'on respecter leur humanité. Les euthanasier sans autre forme de procès était donc inconcevable. Non, il avait fallu trouver une situation plus subtile.

C'était pour cela qu'étaient nés ces refuges de fortunes pour ceux que l'on considérait mentalement instables. Cela permettait de préserver les autres. Ceux qui avaient assez de jugeote pour penser clairement et sereinement. Il ne fallait sûrement pas les contaminer. Il ne fallait pas les mêler à ces êtres si différents par peur de leur ressembler. À cause de cet abandon lâche de la masse, ceux qui étaient internés, parfois de force, avaient perdu toute humanité. Ils avaient perdu toute conscience à force d'être humiliés et blessé. Pâles reflets d'eux-mêmes, ils n'étaient plus que des bêtes intelligentes que l'on tentait vainement de dresser. La quinquagénaire qui logeait l'esprit de Dimitri en était parfaitement consciente. Contrairement à ce que tout le monde croyait, elle n'était plus sénile. Elle faisait juste mine de l'être pour éviter de se faire broyer par ces charlatans nommés médecins. Elle ignorait pourquoi elle s'évertuait à préserver son esprit. Ce serait plus facile de se laisser happer par la folie. Cette lucidité qui subsistait en elle ne faisait que l'effrayer. Singulière compagne, elle ne faisait que lui rappeler qu'elle n'était plus rien. Pourtant, elle ne voulait pour rien au monde l'abandonner. Même si elle luttait chaque jour pour ne pas devenir un corps en lambeaux, elle savait qu'elle n'était rien. Rien qu'une illusion qu'on effacerait facilement si cela arrangeait tout le monde. Son existence n'avait plus aucune valeur.

Ils vivaient cachés même si on les exposait aux yeux de tous. Tous ces hommes sains connaissaient leur existence, mais aucun ne les regardait véritablement. Personne ne voulait le faire. Il était tellement plus aisé de les parquer quelque part. Quelque part où l'on prétendait leur venir en aide. Alors qu'on les faisait simplement survivre. Sans se préoccuper de leur santé mentale alors que c'était leur mission. Ironique, c'était pourtant la vérité. Celle qui dérangeait tout le monde. On les maintenaient en vie, mais que valait une telle vie ? Elle l'ignorait. Sa lucidité lui paraissait être un fardeau dans cette prison de l'horreur. Elle en venait presque à envier ses compagnons de galère qui s'étaient effondrés depuis si longtemps. Elle ne pouvait pourtant pas les imiter. Pour ses enfants, mais aussi pour elle-même. Elle ne pouvait pas se laisser faire alors qu'elle n'avait rien demandé. Elle ne voulait plus mourir, mais elle n'avait pas signé pour une telle existence. Elle ne méritait pas d'être ici. Quand elle y réfléchissait, elle se disait qu'aucun d'entre eux ne méritait d'être là. Du moins, et cela était certain, aucun ne méritait les traitements qu'on leur infligeait. Elle ne savait plus depuis combien de temps elle était prise au piège dans cette infernale prison. Néanmoins, elle avait eu le temps de voir ses voisins de cellule changer, d'en voir d'autres se consumer, des vies se briser et des corps, de se vider et de décéder. Ou de devenir un mort-vivant. Nul n'était parvenu à se sortir de cet acharnement mis à part elle. Et cela la terrifiait. Elles e demandait ce qui lui avait permis de tenir tout ce temps. Tout ce temps qui avait réduit les autres condamnés à devenir rien...Et cela la désespérait.

Secrètement, leurs âmes se faisaient aspirer par le néant. Et elle ne pouvait rien faire pour les aider. À défaut de s'évader de cet endroit, elle souhaitait au moins faire quelque chose pour secourir ceux qui étaient plus faibles qu'elle. Si elle passait le restant de ses jours ici, elle voulait se rendre utile. Peu à peu, elle avait perdu espoir. Elle était sûre que personne ne viendrait la sauver. Elle allait certainement mourir dans cette prison blanche. Celle-là même qui avait brisé tous ces rêves qui avaient jadis animé son corps. Dans cette prison de fer aux barreaux émaciés alors que tout semblait détériorer, elle avait plus ou moins quitté ce monde. Même si une étincelle de vie allumait toujours ses pupilles, elle ne faisait plus vraiment partie de ce monde plein de ténèbres. Elle avait décidé de se défaire de cette triste réalité pour qu'elle devînt plus supportable. Alors qu'elle cherchait à s'en sortir, elle se rendit compte que c'était impossible. Qu'elle ressemblait plus aux autres prisonniers que ce qu'elle voulait bien admettre. Fatalité ou simple conséquence de ce qu'elle vivait. Elle avait tenté de survivre, mais elle avait fini comme tous les autres. Dans ce lac de noires pensées, dans cette masse de crimes immondes, cette femme n'était plus qu'une ombre.

A suivre...demain !

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