Noyé par le passé
Bonsoir, je tiens à m'excuser d'avance pour la niaiserie que vous risquez de lire sur ce chapitre qui suit les pas du thème Au péril de la mer.
Suite aux évènements de la veille, Dimitri avait cru que ses géniteurs l'auraient laissé en paix. C'étaient mal les connaître. Il avait oublié qu'il était chez ses parents et non dans un hôtel. Tout comme il avait oublié qu'il avait hérité la détermination sans failles de sa mère. Alors que son père s'était totalement adouci en un an par un miracle dont Dimitri en ignorait la raison, sa mère était devenue une véritable plaie. Il la supportait de moins en moins car dans ses mauvais jours, elle pouvait se montrer plus bornée que son fils. Le pire, c'était qu'elle était la version enflammée de sa progéniture. Si sa procréation avait hérité d'un cœur de glace, d'un sang gelé et d'une main de fer dans un gant de velours, la génitrice était tout feu tout flamme. Et quiconque allumait le brasier le regrettait immédiatement jusqu'à ce qu'ils cessent leurs chamailleries. Mais il risquerait de se rendre de nouveau coupable d'un crime aux yeux de ceux qui étaient coupables de son existence. Et, cette fois, il le serait aussi au niveau de la loi. Ce n'était donc pas la meilleure idée qu'il pouvait commettre. Le mieux fût d'endurer leurs hurlements. Mais, très vite, bercé par les légères secousses de la voiture, il fit une légère sieste emplie de brumes, de formes et de mélodies indistinctes. Il se fit réveiller par Alexei qui lui avait secoué l'épaule avec insistance. Et son aîné l'avait brusquement repoussé. Grognant, il finit par se réveiller et sortir de la voiture. Même s'il traînait des pieds, il sourit avec nostalgie en voyant le vieux manoir de son aïeule. Il ressemblait ironiquement aux vieux manoirs que l'on voyait dans les histoires de vampires. Et Dimitri avait maintes fois utilisé cet aspect inquiétant pour effrayer sa cousine, plus jeune que lui de deux mois, à savoir la seule personne à tourmenter dans le coin.
En y repensant, la commissure de ses lèvres s'étendit davantage mêlant nostalgie, douceur et tristesse. Rien qu'à voir l'effigie de la demeure encore debout après avoir bravé tant des siècles, il se souvint ces jours heureux de son enfance. Il se rappelait ces temps presqu'immémoriaux où il riait aux éclats, où il débordait de joie et d'énergie de vivre. Cette époque où il faisait brailler tous les adultes de sa famille. Ce vieux passé poussiéreux, gardien de ses jeunes années qu'il avait partagé avec Yelena tantôt la faisant pleurer, tantôt la faisant geindre, tantôt la faisant sourire. À ce moment, son innocence inondait son cœur qu'il avait perdu depuis fort longtemps et ce simple vestige mémoriel de ces jours où il éprouvait encore de la compassion le fit frissonner de dégoût et de regret. Pourtant, ce dont il se rappelait n'était plus. Il n'était plus ce garçonnet joufflu aux yeux pétillants de malice qui souriait pour un oui ou pour un non. Cette facette de son être était éteinte depuis presque une éternité et elle n'avait aucune raison de resurgir. C'était même stupide de rêvasser à ces scabreuses hallucinations. Il ne redeviendrait jamais comme cela. Il était devenu quelqu'un d'autre et il n'en n'avait nulle honte.
Ce à quoi il pensait était révolu, il fallait s'y faire. Il devait désormais penser au présent. Et faire en sorte de ne pas passer pour un jeune impertinent comme on le lui avait tant reproché par le passé. Alors qu'il reprit enfin sa marche vers la porte d'entrée, s'arrachant à cette morose contemplation suivant le reste de ceux qui l'accompagnaient. Celle qui vint leur ouvrir n'était pas leur grand-mère, mais sa femme de ménage qui la suppléait dans les tâches qu'elle ne pouvait plus accomplir. Elle les invita alors à entrer même si ses prunelles demeurèrent fixées sur Dimitri quelques secondes, ce dernier lui renvoya un froid glacial qui intimida la jeune femme. Et le jeune innocent se prit une réflexion qu'il préféra ignorer. Alors que la marmaille prit ses aises dans le salon de leur hôte. Quelques instants plus tard, ils l'entendirent arriver avant même qu'elle n e prît la parole. En effet, la vieille dame boitait légèrement et sa hanche grinçait quelque peu, ce qui fit qu'on savait toujours lorsqu'elle approchait. De prime abord, elle ne remarqua pas Dimitri qui demeurait en retrait et elle salua tout le monde et son regard s'illumina lorsque l'aîné de la fratrie s'avança vers lui. Elle le serra dans ses bras, étouffant son petit-fils, tout en incendiant sa belle-fille :
« Eh bien, pourquoi ne m'as-tu pas prévenue que mon petit-fils venait enfin me voir alors que ça fait une éternité que je ne l'ai pas vu ?
— Nous voulions te faire une surprise, répliqua l'accusée.
— Et puis, ce n'est pas vrai, je t'ai vu l'année dernière grand-mère, contra Dimitri.
— N'importe quoi, répondit-elle en lâchant son prisonnier, me faire une surprise m'empêche de recevoir comme il se doit mes invités. Et venir me voir une fois par an n'est pas suffisant.
— Je ne peux pas venir plus souvent vu que je n'habite plus en Russie.
— Ce qui est absolument stupide. Pourquoi es-tu parti ? Préfères-tu les étrangers ?
— Non. J'y ai juste trouvé un bon travail que je n'aurais pas forcément trouvé ici.
— Hum, rétorqua-t-elle d'un air suspect.
— Sinon comment vas-tu ?
— Et bien, à part ma jambe et l'absence chronique d'un petit-fils que j'ai à moitié élevé, je n'ai pas à me plaindre au vu de mon âge. ».
Il se contenta de grogner face à cette remarque qu'il trouva déplacée. Mais il n'osa répondre impoliment à cette seconde mère qui l'avait tant choyé. Bien qu'elle s'évertuât à prodiguer le même amour à toute sa progéniture, elle avait toujours eu plus d'affection pour Yelena et Dimitri. Ces enfants étaient si proches et se ressemblaient tant physiquement qu'on aurait pu les prendre pour des jumeaux. À l'époque, la vieille femme avait l'énergie suffisante pour supporter l'agitation de ces garnements et elle avait interdit à sa fille et à sa belle-fille de fourrer ses petits trésors dans une crèche. Elle s'était donc occupée de ces deux monstres tandis que leurs parents partaient travailler. Elle était attristée de voir que l'un de ses protégés conservait sa froideur propre à lui. Aucun autre être humain ne pourrait préserver la même rigueur car le flegme de Dimitri était spécial. Elle était assumée, tout le monde pouvait discerner au premier abord qu'il était atypique, mais il n'avait rien d'anormal. Il avait même un charme auquel personne n'était indifférent. Pourtant, il restait indifférent au reste du monde, enfermé dans sa précieuse bulle que rien ni personne ne pouvait briser.
Malgré cette rigueur hors norme, elle restait persuadée que ce n'était pas un mauvais bougre et elle espérait vraiment qu'une âme saurait briser ses défenses et lui faire retrouver sa splendeur d'autrefois. Même si cela pouvait paraître absurde, elle était convaincue que cette étincelle qui avait habité son cœur conservait une petite place dans cette obscurité qui noyait ses yeux si purs. Pourtant, elle ne se formalisa pas davantage. Elle savait pertinemment que le bousculer ne servirait à rien. Cela ne ferait que le renfermer et renforcer la coquille qu'il avait forgée durant toutes ces années. Alors elle se contenta de jouer la vieille gâteuse qui ne se préoccupait que du bien-être de ses enfants. Elle fit semblant de ne pas voir le chagrin, le spleen et le mépris qui régnaient dans les prunelles de son petit prince. Cela n'aurait pas été juste de gâcher une journée avec lui alors qu'elle ne le verrait plus avant le prochain hiver. Lui joua le même jeu. Il fit mine de ne pas discerner l'inquiétude, les interrogations silencieuses et les préoccupations qui hantaient les iris de celle qui possédait toute son estime. Il pensait que ce n'était pas juste de lui délivrer tous ses secrets au risque de détruire cette magnifique journée de décembre alors qu'elle ne se renouvellerait pas avant l'année prochaine. Il n'avait pas le droit de la blesser, elle qui avait tant fait pour lui. Il n'avait pas le droit de l'offenser ni de paraître malheureux en sa compagnie, ne serait-ce que pour la rassurer. Ils passèrent ainsi leur journée à discuter de tout et de rien. Tout le monde fut naïf, personne ne vit rien. Durant toute cette journée qu'ils avaient passé à parler, à s'esclaffer et à reparler du passé, personne ne vit la supercherie de ces deux imposteurs.
Excepté ces deux comédiens hors pair, nul ne vit les mensonges qui s'enchaînaient les uns les autres. Ces deux acteurs se donnaient corps et âme à leurs personnages. Se défiant l'un l'autre à savoir qui dévoilerait son jeu en premier, ils n'y prenaient aucun plaisir, mais ils s'amusaient de savoir lequel d'entre eux serait découvert en premier. Cependant, ils furent tant virtuoses que leurs facéties demeurèrent leurs secrets et ils échangèrent un regard complice comme pour se promettre silencieusement de ne jamais révéler leur secret. Ce même silence scella leur harmonie et leur amitié que les autres ne pouvaient pas comprendre. À la nuit tombée, elle ne voulut pas les laisser repartir. Pour lui faire plaisir, Dimitri et les autres restèrent dormir chez elle, ne pouvant laisser une pauvre femme âgée seule par une nuit de froideur extrême. Les jumeaux furent logés dans une ancienne chambre d'amis qui se trouvait à côté de la chambre attribuée à celle de leurs parents car les enfants étaient tout autant effrayés que Yelena à leur âge. Quant au plus âgé, il retrouva aisément sa chambre qui demeurait dans le grenier. C'était probablement la pièce la plus horrible dans un manoir qui a certainement vu venir au monde la légende de Dracula. Mais le jeune Apollon ne se laissait point impressionner par cette sombre baraque dont il avait exploré maintes et maintes fois chaque recoin de chaque pièce qui la composait. Comme s'il se trouvait chez lui, il s'allongea sur son lit et il gagna rapidement le monde de Morphée.
Au moment où 'il rouvrit les yeux, il se retrouva dans une église où le prêtre prononçait son sermon. Il maudit derechef ce stupide songe qui l'obligeait à une messe alors qu'il cherchait à y échapper chaque fois que sa mère cherchait à l'y emmener. Là, il ne possédait aucune échappatoire, il était forcé d'écouter les ignominies d'un homme qui se pensait représentant de Dieu sur Terre. Stupide. Il n'avait aucun autre adjectif pour qualifier ce guignol qui les exhortait de toutes ses forces, à tel point qu'il en devint rouge. Tous les autres membres de la paroisse le regardaient avec béatitude tels des moutons qu'on aurait hypnotisés. Peut-être que c'était une réincarnation du serpent Kaa du livre de la jungle. Cela fit sourire le jeune rêveur. Il observa ceux et celles qui l'entouraient. Au vu de leurs vêtements, il jurerait qu'il se trouvait aux XVIIIème siècle. Il se dit alors que c'était une coutume de se réunir dans cet endroit comme si c'était leur seul loisir. Les conversations qui suivirent le prêche lui furent presque plus insupportables que ce qui précédait. Il profita de voir une grande foule s'agglomérer à la sortie, il se fondit dans cette masse informe et il s'enfuit de cette mascarade sociale. Il emprunta des ruelles sombres et isolées qui semblaient l'appeler pour échapper à son morne quotidien lorsqu'il fut hors de danger, il s'arrêta afin de reprendre son souffle. Il se rendit rapidement compte qu'il portait une longue robe vert pâle, ce qui le fit grommeler. Il hésitait à savoir ce qui était le mieux entre être un travesti ou une femme à cette époque. Pour mettre fin à ses doutes, il marcha jusqu'à la maison la plus proche et il profita de la réflexion sur une vitre des fenêtres de la demeure pour inspecter l'aspect physique qu'il avait revêtu. Il jura à voix haute, choquant quiconque passerait par là. Il n'avait vraiment pas de chance parfois. Mais bon....Ça ne durerait pas longtemps, il n'avait qu'à patienter pour retrouver son lit comme toutes les autres nuits.
Il laissa donc ses pas le mener vers le port de Londres. Il ne reconnut pas la ville jusqu'à ce qu'il aperçut l'immense Big Ben que tout le monde connaissait. Une fois arrivé sur les docs, il observa certains bateaux amarrer, d'autres partir en mer et il surprit son alter ego à rêvasser en contemplant ces gigantesques navires voguer sur l'eau. En effet, elle rêvait depuis toute petite de partir. Elle ne supportait pas d'être enfermée chez elle et elle ne se voyait pas se faire marier de force pour ensuite jouer la parfaite petite femme au foyer. Féministe avant l'heure, elle voulait échapper à ce funeste Destin qu'on lui réservait.
Enfant de nobles, la jeune femme se devait de faire honneur à son nom. Pour ce faire, elle devait soit épouser celui qu'on lui avait prévu soit entrer dans les ordres et dévouer sa vie au service de Dieu. Dans le premier cas, on la féliciterait de faire perdurer sa ligne, dans l'autre, on saluerait sa grande foi et on la citerait comme un exemple de vertu. Mais aucune de ces deux voies n'illuminait les prunelles de Kaytlin. Le premier chemin qu'on voudrait lui faire emprunter l'inciterait à se soumettre et à forniquer avec un étranger pour qui elle n'aurait qu'aberration et mépris. Quant au second, il lui était méconnu car elle ne se sentait pas plus religieuse que cela. Que son âme fut damnée, mais elle pouvait aisément reconnaître qu'elle préférait les plaisirs du monde terrestre que ceux qu'on lui promettait dans l'au-delà. Et si elle devait écouter plusieurs offices par jour, elle assassinerait sûrement le prêtre au bout de deux semaines. Et elle se ferait pendre pour son meurtre. Quitte à mourir, elle voulait au moins tenter de réaliser son rêve.
Elle se rappela alors son plan. Dans deux jours, un cargo partirait pour le Nouveau-Monde. Il suffisait qu'elle se cachât dans la soute de l'embarcation et elle pourrait voyager avec le reste des marins en se dissimulant dans la cave de l'engin naval. Il n'y avait aucune raison que son plan vint à échouer. Si personne ne la dénonçait, elle ne pouvait que réussir. Mais cela ne pourrait jamais arriver car aucun membre de sa pulluleuse fratrie n'était au courant de ses projets. La seule personne humaine au courant de ce périlleux danger était son amant en qui elle avait une totale confiance. Elle était consciente du fait que même s'il désapprouvait désespérément sa stratégie, il ne la trahirait jamais de la sorte. Du moins, elle le croyait et se tromper sur cette évidence détruirait son cœur en mille morceaux. En parlant du loup, elle sentit deux bras l'enlacer et elle balança sa tête sur le côté pour le voir et lui offrir un sourire émerveillé, ce qui fit également sourire sa moitié. Il posa furtivement ses lèvres sur celles de Kaytlin avant de lui demander dans un murmure ;
« Encore en train de rêver ?
— Bientôt, ce ne sera plus un rêve.
— Mais c'est beaucoup trop dangereux pour toi Kaytlin !
— Et pourquoi donc ? Est-ce parce que je suis une femme ?
— Oui, c'est parce que tu es une femme, il se prit une gifle et il couina. Cesse de faire ta tigresse. Je sais que tu détestes ces idées arrêtées, mais c'est hélas une réalité. La plupart des hommes ne sont pas pleins de bonnes intentions....Et Dieu seul sait ce qu'ils pourraient te faire, ajouta-t-il en caressant tendrement la joue de celle qu'il aimait tant.
— Alors viens avec moi comme ça tu pourras me protéger... ».
Elle s'était retournée fixant ses prunelles océan dans les iris noisette de son âme sœur, elle le regardait emplie d'espoir comme muée par la douce illusion qu'il avait changé d'idée depuis la dernière fois. Son espérance fut redoublée par le silence de son petit-ami qui hésitait terriblement. Il savait qu'il devait refuser, mais il n'avait pas le cœur à le lui dire. Il ne désirait pas la briser, il ne comptait pas détruire ce beau sourire qui avait orné tant de fois ses magnifiques lèvres. Il ne voulait pas non plus assister à son chagrin, il ne souhaitait pas voir cet océan qui le fascinait tant se strier de vifs éclairs. En un mot, il ne voulait pas la perdre. Mais il savait qu'il ne pouvait pas la retenir. Il n'avait jamais su le faire.
Depuis leur rencontre, trois ans plus tôt, il avait su que cette âme vagabonde le perdrait dans un univers inconnu. Il ignorait qu'il serait si beau. Et il ne voulait pas y mettre fin, il préférait davantage finir sa vie derrière des barreaux plutôt que de décevoir sa belle. Mais il savait qu'elle ne resterait pas à ses côtés, ce n'était pas son genre et c'était l'une des raisons pour lesquelles il l'aimait tant. Cet air farouche qui régnait toujours au fond de ses yeux...il savait que cela allait la perdre. Et même s'il avait juré de la protéger pour toujours, il avait des obligations qui le retenaient à Londres. Contrairement à elle, il ne pouvait pas fuir. L'impatience de celle qui lui avait posé une question de la plus haute importance se fit plus que ressentir. Alors, après avoir poussé un soupir, il se décida à répondre le plus franchement possible :
« Je suis désolé mon amour...mais je ne peux pas venir.
— Est-ce toujours pour les mêmes raisons ?
— Oui, répondit-il honteux.
— Je ne t'en veux pas, répondit-elle calmement bien que l'orage commençât à menacer ses orbes. Je comprends que tu te sentes attaché à certaines obligations ici, mais....
— Ça ne t'arrêtera pas. Je le sais, je ne suis pas stupide.
— Poudrant, tu t'obstines à rester.
— Et toi, tu es bornée à partir.
— Parce qu'ici, je n'ai aucun avenir. Tu te vois peut-être succéder bien gentiment à la charge de ton père pour t'assurer que l'on s'occupera bien de tes frères, mais ce n'est pas mon cas. Je ne me sens redevable envers personne.
— Mais si je lui succède, je pourrais t'épouser !
— Ethan, mon cher Ethan, rétorqua-t-elle d'un ton désabusé. Le temps que tu amasses suffisamment d'argent pour assurer notre avenir, je serais soit pendue pour avoir tué un prêtre soit génitrice de minimum six enfants.
— Tu ne me fais pas confiance, je sais que je peux réussir.
— Tu réussiras, mais cela importera peu à mes parents. Ils ont déjà choisi mon Destin. Et ils pensent que tu n'es rien de plus qu'une amourette d'adolescents. Ma mère n'est pas aussi compréhensive que la tienne et mon père est bien plus rude que le tien. Ils ont déjà fixé le reste de ma vie....Qu'ils aillent au diable avant que ça n'arrive !
— Donc tu préfères sacrifier ton honneur et ta vie pour échapper à une vie que je pourrais peut-être changer.
— Si tu y crois, c'est que tu es bien plus naïf que moi. Quitte à perdre mon honneur et ma vie comme tu dis, autant découvrir une pleine jouissance de ma liberté. Je ne veux pas gâcher le reste de mon existence à pleurer mon manque d'audace.
— Décidément, je ne t'arrêterais pas....n'est-ce pas ?
— Dis-le à mes parents si tu y tiens vraiment.
— Tu sais très bien que je ne le ferais jamais.
— Et pourquoi ne le ferais-tu pas ?
— Quitte à te perdre, je préfère me dire que ce sera le cas.
— Et tu auras probablement raison.
— Ah oui ?
— Oui et merci.
— Pourquoi donc ma belle ?
— Pour préférer mon amour à ta volonté de me garder auprès de toi, avoua-t-elle avec tendresse.
— Je détruis déjà une partie de ton bonheur en refusant de te suivre, je ne veux pas être responsable de la perte de toute trace de bonheur sur ton visage pour le reste de ta vie ma belle, lui répliqua-t-il avec tout autant de douceur. ».
Afin de conclure cet échange à la fois douloureux et plein de douceur, elle enroula ses bras autour du cou d'Ethan et elle l'embrassa avec toute la passion qui animait son cœur. Il lui répondit avec tout autant d'ardeur. Mais dans le fond, chacun d'entre eux savait que ce baiser n'était nul autre qu'un baiser d'adieu.
Une fois qu'ils s'écartèrent l'un de l'autre, ils ne se regardaient plus qu'avec de la tristesse et du regret. Mais chacun avait fait une promesse à l'autre et se devait de la tenir. Néanmoins, ils décidèrent de passer le reste de la journée ensemble, conscients que ce serait la dernière dont ils profiteraient pleinement avant que chacun ne prît sa propre voie. La nuit venue, ils se perdirent dans d'ultimes étreintes charnelles. Ils oublièrent tout le temps d'une nuit chassant au loin la tristesse et les regrets. Alors la lune fut témoin de leur amour mutuel qui survivrait par-delà les eaux et par-delà le temps.
Le lendemain matin, Ethan se réveilla en premier, mais il hésita longuement avant de partir. Il ne voulait pas la laisser s'envoler, elle qu'il chérissait plus que tout au monde. Mais s'il attendait trop longtemps, le soleil se lèverait et les parents de Kaytlin ou quelques-uns de ses domestiques les surprendraient, ce qui détruirait leur avenir à tous les deux. Avant de se retirer comme un voleur, il embrassa le front de sa princesse endormie et il lui susurra un ultime « Je t'aime » au creux de l'oreille, ce à quoi il eut droit à un grognement en guise de réponse, ce qui le fit sourire. Il caressa tendrement une dernière fois le bras de celle avec qui il aurait voulu partager le reste de sa vie avant d'éloigner son corps du sien. La jeune femme frissonna tandis qu'il se releva silencieusement. Il se rhabilla sans faire un bruit alors qu'il avait l'impression qu'on lui plantait une épée dans le myocarde, rendant ternes ses orbites oculaires et meurtrissant son esprit. Il déposa le cadeau qu'il lui avait amené sur le lit accompagné d'une lettre. Il essuya le torrent d'eau salée qui coulait le long de ses joues. Il la contempla une dernière fois puis il partit. Il ouvrit la fenêtre qu'il referma comme il pût avant de descendre le mur comme il avait l'habitude de le faire. Une fois en bas, il leva une dernière fois la tête vers la chambre de celle qu'il se devait d'abandonner. Il poussa un dernier soupir et il se retourna, partant sans piper mot, il marcha droit devant lui, regrettant déjà sa décision, mais il ne pouvait en être autrement.
Lorsque le soleil fut assez brillant, la jeune brune se tourna à l'opposé de la fenêtre, gémissant d'être dérangée de la sorte par cet incongru astre qui ne faisait que la tourmenter. Elle ouvrit à moitié les yeux et son âme fut désagrégée lorsqu'elle comprit que son prétendant n'était plus étendu à son flanc. Cette information lui fut confirmée par une fine brise matinale qui vint effleurer son bras pour la sortir de la torpeur dans laquelle elle était plongée. Enroulée dans ses draps, elle se leva jusqu'à cette vitre transparente qu'elle s'occupa de fermer puis elle tira les rideaux pour se retrouver dans une nouvelle obscurité. Elle revêtit à la hâte sa robe de nuit. Puis elle se rallongea dans son lit, elle hissa les couvertures jusqu'à son cou et elle saisit le coussin qui conservait encore l'odeur de son bien-aimé afin de se rendormir sans difficulté.
Lorsque le soleil fut au zénith, on la réveilla sans ménagement, pensant qu'elle avait trop dormi. Personne ne la dérangeait jamais avant cette heure car parfois, elle se réveillait à l'aube et demeurait dans sa chambre pour coudre ou pour écrire. Elle fit mine d'agir comme d'habitude, mais avant de quitter sa couche, elle avait pris soin de cacher la lettre et le paquet qui avait été laissé sur son sommelier. Elle ne découvrit la lettre que le soir venu tout comme elle découvrit une arme où étaient gravées leurs initiales. En découvrant cette dernière trace d'amour, elle pleura toutes les larmes de son corps avant de préparer son baluchon pour son départ.
Le jour de son émancipation était enfin venu. Elle se leva de bonne heure pour échapper à toute question. Elle emmena le peu d'affaires qu'elle pouvait discrètement emporter dans une petite valise. Elle avait évidemment emporté la lettre et le cadeau que lui avait offerts Ethan car c'était tout ce qui lui restait de lui. Ça et les souvenirs. Mais elle ne devait pas s'appesantir sur ça. Aujourd'hui, sa véritable vie allait commencer et rien ne pouvait gâcher cela. Elle se rendit aux docks alors que l'astre solaire ne s'était même pas encore levé. Elle avait dû partir tôt pour que personne ne remarquât son absence. La cargaison devait de toute manière partir le plus rapidement possible. Elle attendit que tout le monde débarquât sur la terre ferme pour s'introduire illégalement dans cette magnifique bâtisse maritime qui subjuguait l'esprit de la jeune femme. Après avoir vérifié que personne ne se trouvait à l'intérieur, elle descendit dans la cave du bâteau et elle se dissimula derrière quelques meules de foin.
On pourrait trouver cela étrange qu'elle pût s'introduire si facilement dans un navire commercial, mais elle était devenue professionnelle dans l'art de se camoufler. Que ce soit dans les grands banquets qu'organisaient ses parents ou dans des forêts dépeuplées, elle avait toujours su s'esquiver de ces insalubrités qui composaient sa vie. Fuir et se cacher, c'est ce qu'elle avait appris à faire durant toute son existence, mais une fois que ses pieds auront foulé la terre promise, elle ne le fera plus jamais. Fermant les yeux, elle huma l'humidité de ce lieu qu'elle ne voyait que dans ses fantasmes les plus fous. Elle arrivait à peine à croire que ceci était réel. Qu'elle avait réussi. Elle ne parvenait pas à se dire qu'elle avait enfin tout abandonné. Elle craignait presque de se faire découvrir même si elle savait que c'était impossible. Après tout, ils n'étaient pas encore partis, le capitaine n'avait pas encore ordonné de lever l'ancre. Alors son cœur se serra de peur de ne pas réussir à partir de ce maudit trou londonien.
Elle se cramponna à ce qu'elle put agripper, le cœur battant la chamade, l'ouïe épiant un quelconque bruit. Elle entendit les marins charger de la poudre de canon, ils emportèrent également des tissus, des soies, de l'or et surtout de la bière. Elle les entendit se marrer, faire des blagues plus sordides les unes que les autres. Des clameurs autoritaires parvinrent aux oreilles de Kaytlin. Elle déduisit que c'était le capitaine ou du moins son second car dès qu'il aboya tel un molosse, le silence emplit le bateau et les hommes de la mer se remirent à travailler dans une ambiance presque morbide.
Au bout de quelques heures, elle se rendormit, éreintée par sa folle course et par son manque de sommeil de la nuit précédente. Roulée en boule, recroquevillée sur elle-même, bien que sa position ne fût pas convenable, les bras de Morphée l'accueillirent avec joie. Quand il la renvoya dans le monde de la réalité, elle sentit les flots de la mer agiter la cave dans laquelle elle se trouvait. Elle se hissa discrètement jusqu'à la fenêtre la plus proche et elle admira la mer d'un air béat. Elle parvint à étouffer un cri d'émerveillement en voyant ce bleu s'étendre à perte de vue même si ces flots vinrent se fracasser avec violence contre le navire. Cette force titanesque ne la faisait même pas frémir alors que tant d'hommes frissonnaient d'effroi dans les étages supérieurs. Elle sentit son estomac se nouer tandis qu'elle défaisait sa valise. Elle ne mangea rien de plus qu'un morceau de pain et elle but deux lampées d'eau. Elle espérait que ce périple ne serait pas trop long pour ne pas épuiser toutes ses réserves.
Une puissance supérieure eût dû l'entendre puisque ce voyage fut assez court. Au bout de quelques heures, l'eau s'entrechoquait de plus en plus violemment contre le gros paquebot qui espérait la défier. Pourtant, elle fut plus puissante et les hommes semblèrent s'en rendre compte car le maître de ces lieux avait hurlé à tout le monde de se rendre sur le pont. Nombreux furent ceux qu'elle entendit vomir, nombreux furent ceux dont elle perçut les cris de folie. La plupart d'entre eux assuraient qu'ils allaient périr, d'autres prétendaient qu'ils n'auraient jamais dû monter sur ce bateau de malheur. Rien ne rassurait celle qui se terrait dans le caveau autant secouée par le capharnaüm qui se déroulait au-dessus de sa tête que le murmure qui s'abattait brusquement contre les flancs de cet animal de mer. Et rien ne venait l'apaiser. Ni le chant qu'elle se rappelait dans sa tête, ni l'odeur ambiante qui lui témoignait d'une réussite plus que réduite. Rongée par la terreur, elle se décida à fermer les yeux, elle plaqua ses mains sur ses oreilles et elle se balança d'avant en arrière comme si cela pouvait éloigner tout malheur qui aurait voulu s'en prendre à elle.
Ceci ne marcha que fort peu. Au bout de quelques instants, elle entendit les hommes du dessus hurler à pleins poumons sans comprendre ce qu'il se passait. Cela eut l'avantage de la faire sortir de sa torpeur, elle vit que des flots marins commençaient à s'incruster dans la coque, elle imita les cris de ceux qui se trouvaient à l'étage supérieur. Elle prit la lettre qu'on lui avait abandonnée et elle emporta son couteau avant de s'élancer vers les escaliers. Sans réfléchir, elle monta à l'étage supérieur, rejoignant le pont pour ne pas périr noyé. De longues perles aussi humides que celles qui engouffraient peu à peu le bastion marin. Tous la remarquèrent, mais personne ne s'en préoccupa, persuadé qu'elle décédera comme les autres. Ils préféraient s'occuper de leurs compagnons plutôt que d'une clandestine, venue d'on ne sait où. L'orage stria le ciel comme voulant mettre fin à cet esclandre mortel. Mais cela eut l'effet inverse car les gémissements de peur et de douleur redoublèrent.
Parmi ces hommes qui n'étaient plus que des bêtes sauvages, elle cherchait un moyen pour se sortir de là. Elle n'acceptait pas de succomber là et maintenant. Elle devait survivre. Elle n'avait pas le même sang que celui de ces êtres masculins qui ne faisaient que geindre et qui s'épuisaient à maintenir leur machine à flot. Son hémoglobine bouillonnait et il s'évertuait à garder une certaine prestance même dans ce drame. Lorsqu'elle vit tout un pan de la coque avant se détacher du reste du bâtiment, elle fourra ses précieux effets dans le creux de son corsage, consciente que la lettre périrait sûrement. Mais elle n'eut pas l'occasion de s'en préoccuper, elle grimpa sur le bond du bord avant et elle se jeta à corps perdue dans cette étendue aqueuse.
Quelques secondes seulement. Ce fut le temps pendant lequel elle fut plongé dans l'obscurité et le calme le plus total. Elle aurait voulu que cela durât une éternité. Mais céder à ses caprices serait revenu à se perdre dans les limbes de Thanatos. Alors, elle remonta rapidement à la surface, reprenant de l'air, suffoquant presque. Elle aspira goulument tout l'oxygène qui arrivait dans sa bouche et qui permettait le bon fonctionnement de ses poumons tout en nageant rapidement vers la carcasse. À force de grands efforts, elle parvint à atteindre ce bout de bois de plusieurs mètres de long. Cela lui permit de se hisser dessus et d'échapper aux dangers que représenter les terres de Poséidon. Elle se recroquevilla sur ce refuge de fortune et elles e laissa chavirer sans opposer nulle résistance. Elle vit les autres tenter de l'imiter sans succès, elle fut témoin de ceux qui sombrèrent dans le noir aussi anonymement qu'ils étaient montés sur cet ensemble de bois dont les derniers résidus disparaissent du décor. Elle laissa les larmes inonder sa face car elle n'avait vraiment plus rien à perdre. Tout ce qu'elle avait lui avait été ôté : sa jeunesse, son amour, son rêve.
Elle se laissa chavirer vers une destination inconnue dont il ignorait la fin. Elle ne bougea pas, elle préférait se faire brûler par les rayons du soleil que de se faire engloutir par ces flots qui avaient déjà emprisonné l'équipage qu'elle avait vu déchanter. L'astre solaire brûlait sa rétine, d'autant qu'elle ne voyait que du bleu encore et encore. Elle dériva plusieurs heures et ces heures se changèrent en jour. Elle sentit sa salive se bloquer dans sa gorge, elle sentit son corps transpirer et trembler comme réclamant de trouver une eau potable et quelque chose à grignoter. Elle tressaillit, mais la douleur qui enflait son être n'impactait que très peu sur sa personne. Elle était ailleurs. Tout spectateur de cette vision aurait cru qu'elle était défunte. Mais cela aurait été une trop grande clémence envers cette pauvre âme en perdition. Au lieu d'expirer son dernier souffle, elle agonisait sur place. Elle ignorait si on retrouverait son cadavre tout comme elle ignorait si son périple ne trouverait jamais une fin. Elle avait désespéré. Elle pensait sérieusement qu'elle mourrait sur cette bicoque de fortune. Elle gémissait sans retenue, dévoilant sa peine à qui voulait l'entendre car après tout, il n'y avait personne. Absolument seule, elle attendait ce moment où la vie la quitterait pour de bon. Personne n'assisterait à sa funeste fin. Mais c'était aussi bien comme ça. Aucun ne pourrait se moquer de son stupide rêve qu'elle avait voulu accomplir au péril de sa vie. Ils avaient raison ceux qui disaient que tout ce qu'elle avait entrepris était ridicule et sans avenir. Elle ne les avait pas écoutés et elle en payait le prix fort.
Elle espérait que sa mort vint rapidement, mais elle ne devait pas se faire d'idées. Elle ne possédait aucune plaie qui aurait pu accélérer son agonie, elle n'avait aucune fracture, aucun hématome, aucune blessure .Rien qui ne pourrait l'aider à dépérir plus vite. Elle était condamnée à se dessécher sur cet ilot de fortune qu'elle avait rejoint par miracle. Mais ce n'était rien d'autre que son cercueil. Au bout de ce qui lui parut être une éternité, ce qui la portait depuis tout ce temps la déposa sur un sable fin et légèrement rocailleux. Elle se laissa glisser sur le sable chaud. Dénuée de toutes forces, elle ne pouvait que ramper avant de s'évanouir sur le sol, crasseuse. Elle avait avancé suffisamment pour qu'on la remarquât. On lui prodigua des soins, on l'abreuva, on l'alimenta. Ceux qui l'avaient recueilli firent tout pour la maintenir en vie. Mais malgré leur bonne volonté, malgré la réussite de cette jeune aventurière, elle ne croyait plus en cette existence qu'elle pouvait mener. Sans se suicider, elle laissa son âme quitter peu à peu ce monde. Elle arrêta de se nourrir tout comme elle cessa de boire et après d'atroces souffrances inhumaines, la Faucheuse vint enfin cueillir son âme.
Dimitri se réveilla en sursaut. Connaîtrait-il la même fin que cette jeune femme ? Était-il condamné à connaitre la même fin ? Réussirait-il à survire pour achever les maigres rêves qui subsistaient en lui ? Toutes ces questions tourmentèrent le jeune homme qui ne put refermer l'œil. Il se leva alors de son lit et il se mit à esquisser les cent pas dans ce grenier qui habitait les souvenirs de son enfance. Des fantômes. Il ne vivait plus qu'entouré que par des fantômes. Rien d'autre ne l'entourait et le silence de la nuit ne faisait que redoubler cette incertitude qui tambourinait son crâne. Il ne devrait peut-être pas s'inquiéter autant pour des broutilles. Pourtant, ce qu'il avait vu, ce qu'il avait imaginé, il avait l'impression que ce n'était que le simple reflet de son âme. Que ce n'était qu'une exposition de sa morne vie ; un cauchemar sans fin dont il ne se réveillerait jamais. Cela le condamna à passer le reste de la nuit à songer, à réfléchir à tout et à rien, évitant de penser que dans le fond, il connaissait déjà les réponses aux questions qu'il se posait.
Woila, j'espère que vous avez apprécié ce chapitre ! A demain pour la suite des aventures de Dimitri !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top