Inconnu au bataillon

Bonswaaaaar, je reviens en force avec mon dernier chapitre écrit en avance ! A partir de demain, ça risque d'être davantage...fait au feeling ? Bref, je vous préviens que ce chapitre traite du harcèlement scolaire et du suicide : âme sensible s'abstenir ! J'ai pris la peine de réécrire ce chapitre, j'espère qu'il vous plaira ! Pour les plus téméraires, ce texte suit le thème : Son nom est...


Le jeune homme se réveilla en pleine forme. Cela lui parut étrange. S'il n'avait pas rêvé, il avait reçu une balle donc il devrait souffrir un minimum. Pourtant, il ne ressentit aucune douleur. Cela n'était pas normal. Pris d'un incroyable doute, il s'élança jusqu'au miroir qui gisait dans un coin de la chambre. Quand il vit son reflet dans le miroir, il écarquilla les yeux, pris d'un énorme vertige qui le fit vaciller. Ce qu'il vit n'était autre qu'un adolescent au teint pâle, aux prunelles onyx et aux cheveux de jais. Il n'y croyait pas. Cela était impossible, cela ne pouvait plus advenir. Non, ce devait être fini....Ce devrait être fini....Alors pourquoi se trouvait-il ici ? Pourquoi se retrouvait-il de nouveau plongé dans ce rêve ? Que faisait-il en ces lieux ? Quand cette torture allait-elle prendre fin ?

Cela commençait à ressembler à une bien mauvaise blague. Il n'admettait pas qu'il pût encore être enchaîné à ces fadaises oniriques. Cela devait être une erreur. Cette farandole de cauchemars aurait dû prendre fin vu qu'il avait frôlé la mort. Alors qu'apparemment, cela n'avait pas la moindre incidence sur son calvaire nocturne. Le seul côté rassurant que cela avait, c'était que rêver prouvait que lui, Dimitri, n'avait pas encore passé l'arme à gauche. Si cela était vrai, il devrait se réveiller et rejoindre son quotidien monotone au lieu de subir encore une de ces stupides machinations. Ce n'était pas normal. Il n'avait pas sa place dans ce nouveau songe sordide. Pourtant, il était coincé dedans et ne semblait posséder aucune échappatoire. Cela ne cesserait-il donc jamais ?Et si...c'était un cercle sans fin ? Et si ce manège durait toute sa vie ? Il ne pourrait pas le supporter. Si cela continuait, il risquerait de devenir fou. S'il trouvait le responsable de son malheur, il le tuerait sans hésiter. Mais pour l'heure, le plus urgent était de se débarrasser de ce fardeau qui l'étouffait peu à peu s'il voulait survivre à cette épreuve. Peut-être qu'il perdrait la raison, lui qui avait tant œuvré à protéger son cœur.

Pris d'un accès de rage, il se mit à hurler, expulsant dans l'air toute la haine que contenaient ses poumons. Tout en proférant des cris gutturaux, il se mit à jeter des objets à travers sa chambre, en cassant quelques-uns au passage. Cela lui important peu, tout ce qu'il recherchait, c'était de se délester de ce fardeau qui lui comprimait l'esprit. Son carnage ne dura que quelques secondes. Néanmoins, ce court laps de temps lui fut salvateur. Il lui permit de se défaire de ce surplus de colère qui martelait contre ses tympans. Au bout de quelques secondes, il n'était pas calmé, mais déjà il allait mieux. Il aurait souhaité continuer de se déchaîner sur cet environnement dont il ignorait tout. Il aurait voulu se défouler sur tout ce qui lui passait sous la main quitte à dévaster tout ce qui l'entourait. Il aurait désiré exprimer tout ce qu'il ne pouvait dire même si cela impliquait de tout détruire. Hélas, on l'en empêcha. Il fallait croire que tout le bruit avait attiré l'attention des autres occupants de cette demeure. Il ignora qui intervint, mais deux bras puissants entourèrent sa poitrine, appuyant légèrement sur sa cage thoracique, ce qui apaisa instantanément sa haine. Celui qui l'avait calmé devait être habitué à ses crises car il avait agi avant même de savoir ce qui était arrivé. Le jeune russe en déduisit qu'il envahissait l'enveloppe charnelle d'un être habité de beaucoup d'ire. Une fois qu'il fut immobilisé, les seules traces de son courroux demeurèrent en de perles salées qui roulaient le long de ses joues. Dès qu'il fut relâché, il se laissa glisser sur le sol. Et une fois à terre, il se roula en boule comme pour se protéger de ces coups qui provenaient de son propre esprit.

Cette crise ne fut que passagère, elle ne dura pas plus d'un jour. Une fois que son hôte fut remis sur pied, il devait le suivre, il n'en avait guère le choix. Il était condamné à le poursuivre jusqu'à ce qu'il décédât. En principe, c'était ce qui arrivait. Dès que les êtres qu'il incarnait approchaient du trépas, il se réveillait. Il n'y avait pas de raison que cela fut différent pour ce cauchemar. Quand bien même l'ironie du sort décidait de modifier les règles du jeu, Dimitri achèverait lui-même cet adolescent presque corbeau. Il voulait mettre fin à tout ça. Et même s'il était patient, il possédait ses limites. Limites qui risquaient bientôt d'être dépassées. Réduit à cet état de presque pantin, il tenta de parler, mais tout ce qui sortit de sa bouche fut des grognements indistincts qui ressemblaient à des cris d'animal en détresse. Décidément, cet être semblait être dépourvu d'humanité. Rapidement, le jeune russe se plia à sa condition de silence total. Il était hors de question que l'entourage de ce pauvre garçon vit toute la bestialité qu'avait remarquée Dimitri de prime abord. Même si ce n'était pas son corps, il n'admettait jamais qu'on se moquât de son infirmité. Il ne donnerait pas le bâton pour se faire battre. Plutôt mourir que de se tirer une balle dans le pied.

S'il s'était accoutumé à son sort, il se demandait tout de même pourquoi il ne pouvait exprimer aucune phrase lucide. En tombant sur quelques photos, il eut sa réponse. L'image se résumait à un garçonnet prisonnier d'une chambre d'hôpital, mais cela fit resurgir de vieux souvenirs que Dimitri put également voir. Cela l'aida à mieux comprendre la situation. Celui qui consistait en une cage d'os et de chair avait subi un grave accident de voiture lors de son enfance. Sa mère et lui avaient failli décéder, mais on avait réussi à les sauver. Cependant, pour calmer l'hémorragie cérébrale du petit, on avait dû endommager une partie de la sphère de Broca. Cela aurait pu lui causer un Alzheimer à ses dix ans ou plus tard, au cours de son adolescence, mais après de nombreux examens, on avait constaté que sa mémoire était intacte. La séquelle qui lui était restée était bien plus grande : il ne pouvait plus parler. Au début, il ne faisait que de se tromper sur quelques mots, ce qui n'avait éveillé les soupçons de personne après le choc qu'il avait subi. Mais ce problème s'aggrava et il peinait de plus en plus à formuler correctement de longues phrases. Sans explication, les choses s'accélérèrent et à dix ans, l'enfant ne pouvait plus parler. Il ne pouvait communiquer ni avec ses pairs ni avec sa famille. Son châtiment pour avoir été au mauvais endroit au mauvais moment avait été le silence éternel. Alors qu'il n'avait rien fait pour mériter cela.

Ce mutisme avait fait de lui un être solitaire qu'on essayait de rendre plus convivial. Mais cela ne fonctionnait très clairement pas. D'un côté, il avait ses parents qui le surprotégeaient et qui s'inquiétaient de sa santé dès qu'il avait un rhume. Et de l'autre, il avait ses deux frères et ses deux sœurs qui le jalousaient d'être constamment le centre de l'attention parentale. Ce qui créait toujours un climat de tension lorsque la famille se réunissait au complet. Et dans ces moments-là, tout le monde semblait atteint de la même maladie que lui, ce qui le faisait sourire malgré lui. Ce cocon familial fragile le poussait à systématiquement trouver une excuse pour s'isoler dans sa chambre. Cet endroit était son repaire secret. Il s'y planquait chaque fois qu'il se sentait mal ou anxieux car personne n'osait y venir. Anciennement un grenier glauque et effrayant, il l'avait rénové et en avait fait son nid douillet. Lorsqu'il y était, il pouvait enfin se reposer et échapper aux paroles acerbes du reste de sa fratrie. Il s'y sentait bien, c'était le seul endroit où il se sentait à son aise. C'était un refuge qui lui permettait d'être simplement lui. Son handicap n'avait plus d'importance. En ces lieux, il était le roi et aucun fléau ne pouvait l'atteindre. Il adorait cet endroit. Ce qui n'était pas le cas de sa fratrie, toujours traumatisée par la certitude qu'un meurtre y avait été commis. Cela n'était pas plus mal si cela les repoussait et les empêchait de profaner son sanctuaire.

Ils appelaient ça une cage, il appelait ça son havre de paix. Même s'il y demeurait seul, pendant qu'il s'y trouvait, c'était le moment où il se sentait le moins solitaire. Lorsqu'il s'y trouvait, il n'y avait nul d'yeux moqueurs pour se rire de lui ou de sa maladie ou des tocs qu'il avait développés. Solitaire, il se portait mieux que lorsqu'il était en de mauvaise compagnie. Dans ce cocon, il se pensait en sécurité. Ici, personne ne pouvait l'atteindre. Rien ne pouvait l'étouffer ni lui poser problème. Enfermé, il se sentait pourtant plus libre que jamais. Il n'existait plus d'entrave à sa liberté, personne ne pouvait l'y juger et les seuls qui pouvaient le surveiller étaient les livres qui s'empilaient un par un au fil des ans. Il y avait des bouquins plus vieux que d'autres parce qu'il se refusait à en jeter ne serait-ce qu'un seul. Ces compagnons de galère allégeaient quelque peu ses peines car il se laissait happer par les mots marqués à l'encre noire. Le temps d'un récit, il n'était plus, il se plongeait involontairement dans une ataraxie suprême et superbe en son absence de douleur. Malheureusement, toujours, il lui fallait quitter ce royaume factice à un moment donné et il se faisait rapidement déchiqueter par la réalité. S'il croyait que ses frères étaient cruels, il avait aussitôt appris que le reste du monde était bien pire envers les infirmes. Enfin, presque tout le monde. Il y avait cette jeune fille qui pour une raison quelconque lui avait apporté de l'aide. Il sourit en repensant à ces vieux souvenirs nostalgiques. Cette rencontre ne datait que de deux ans auparavant. Pourtant, elle lui semblait si éloignée. Quel dommage d'avoir perdu une si fidèle alliée ! Au moins, elle pouvait se flatter de conserver une belle position dans ses pensées malgré ce qu'elle était devenue.

Ils n'avaient que quatorze ans, mais déjà, on le rejetait pour sa différence et pour sa compagnie plus froide que les glaces de l'Alaska. Pourtant, elle était venue le voir et dès qu'elle avait compris qu'il ne pouvait pas parler, elle sortit son cahier et un stylo qu'elle lui avait tendu. Au début, il lui avait lancé un regard de défiance comme si ce simple geste humain pouvait le détruire. Il pensait bêtement que c'était un geste de compassion, alors, il le refusa. Mais l'adolescente insista et le jeune homme avait fini par céder. Elle lui avait souri et même s'il ne le lui avait pas rendu, il avait senti qu'elle avait fait naître en lui de l'espoir. Il avait côtoyé cette jeune flamme de vie pendant un an avant de pouvoir la qualifier d'amie. Il lui avait fallu douze mois pour comprendre qu'elle était sincère. On pouvait qualifier sa défiance de stupide. Sauf que dans le cas de ce jeune muet, elle était presque naturelle. Lui qui n'avait été que rabroué, trouver quelqu'un qui le traitait comme l'humain qu'il était lui faisait presque peur. Au fil des mois, il avait réussi à surmonter sa peine et à accepter à cette alliée d'entrer dans son cœur. Il avait fini par comprendre et voulait vraiment l'aider. C'était la seule personne qui le désirait réellement à ses yeux. Il ne l'aimait pas, mais il lui vouait une admiration sans bornes qui ressemblait presque à de l'adoration. S'il avait perdu la voix, il n'avait guère perdu la raison. Il l'estimait car c'était entièrement grâce à elle s'il restait une once d'existence au creux de ses prunelles. Il ne le savait pas, mais lui aussi l'avait sauvé d'une mort certaine l'année de leur rencontre. Par honte, elle ne le lui avait jamais avoué.

Hélas, il n'y avait qu'elle pour faire preuve d'autant de délicatesse. Les autres êtres humains ne possédaient pas autant d'intelligence ni de tact. Il se donnait au contraire une grande joie à le rabaisser et l'humilier. Au début, on croyait que les enfants l'embêtaient parce qu'ils ne comprenaient pas la nature de son handicap. Mais plus le jeune homme grandissait et plus les maltraitances que lui admonestaient ses camarades gagnaient en violence. Au début de ses quatorze ans, quand il avait rencontré Emilia, il ne subissait que des chuchotements lorsqu'il passait et il savait bien qu'on parlait dans son dos. Cela lui importait vraiment peu. Ce n'étaient pas des ragots qui allaient le démonter. Pas après tout ce qu'il avait fait pour posséder une vie à peu près normale. Cela lui passait donc au-dessus de la tête et il ne s'en préoccupait guère. Cela fut une erreur monumentale.

Voyant que ces rumeurs le laissaient indifférent, on lui demandait sans cesse de parler. Toutes les deux heures, un ou une élève de son collège l'abordait et lui posait cette simple question ; « Comment t'appelles-tu ? ». Il ne pouvait y répondre et tous le savaient. Ce n'était qu'un vil stratagème pour lui rappeler sa différence. Et s'assurer qu'il n'oubliait pas qu'il ne pourrait jamais être leur égal. Aussi cruel que cela fût, personne n'était intervenu pour mettre fin à ce harcèlement. Quand il était dans ses bons jours, il toisait simplement celui qui lui parlait du regard, lui offrant un air impérieux et méprisant comme insensible à ce stupide char. Et lors de ses mauvais jours, il jetait tout ce qu'il pouvait sur son adversaire. Une fois, un garçon qui devait le dépasser d'une tête et qui faisait au moins vingt kilos de plus que lui l'avait humilié. Or, le muet était entré dans une colère noire si bien qu'il avait roué de coups celui qui l'avait provoqué sans que ce dernier ne pût se défendre. Quand on parvint enfin à les séparer, le garnement avait la main ensanglantée à force d'avoir trop frappé tandis que sa victime avait fait un long séjour à l'hôpital. C'est à compter de ce jour que ses pires souffrances avaient commencé. Ils voulaient le punir de s'être défendu. Alors qu'ils auraient fait pareil, si ce n'est pire, dans pareil cas. Ils étaient fourbes et hypocrites. Hélas, ils avaient pour eux l'avantage du nombre. Donc rien ne pouvait stopper la frénésie de leur acharnement.

Si ses ennemis demeuraient peu redoutables, mais assez intelligents pour ne pas subir les coups de leurs propres offensives. Au vu de la force surhumaine dont il avait fait preuve, on décida qu'il était plus prudent de l'approcher toujours en groupe. Dès lors, ils se mirent à cinq pour l'attacher, le brûler à l'aide de mégots de cigarettes et pour le passer à tabac. Au commencement de ces violences, il se défendait comme il le pouvait et ses opposants repartaient avec un nez cassé ou une dent arrachée. Cependant, ils continuèrent de s'acharner sur lui. À ses quinze ans, il avait arrêté de se battre. Il s'était dit que c'était normal, il pensait qu'il méritait d'endurer tout ce qui lui arrivait. Il était même persuadé que c'était sa punition céleste pour ne pas avoir honoré avec tant de ferveur ce vœu de silence que la vie lui avait imposé. Mortifié de l'extérieur comme de l'intérieur, il avait cessé de lutter. Il se contentait de subir les agressions qui constituaient son quotidien. Ces êtres ignobles se déchaînaient sur lui car il ne se défendait plus. À quoi bon se défendre quand on se sentait aussi mortifié à l'extérieur qu'à l'intérieur.

Rien.

En tout cas, c'était ce dont il s'était persuadé. C'était plus facile de se résigner que de résister pour un résultat nul. Autant se laisser faire quand le résultat était le même. Pourtant, Emilia tenta de nombreuses fois de mettre fin à ce cirque, mais seule face au reste du monde, elle était impuissante. Lui, cette loque, se laissait aller d'un poing à un autre, servant de punching-ball humain. Et ses attaquants ne s'arrêtaient pas avant qu'il devînt inconscient comme si leur but était de l'assassiner. Ces brimades supposées enfantines avaient tourné au véritable lynchage. Le plus dur était de cacher les hématomes, les brûlures et les saignements qui marquaient son corps pour que ses parents ne s'en rendissent pas compte. Il ne fallait pas que quiconque de sa famille sût ce qu'il éprouvait tous les jours au lycée. Ils voudraient sûrement intervenir. Et le jeune adolescent sentait que cela empirerait les choses. Si son entourage se doutait de quelque chose, ils ne s'affolaient pas puisqu'il avait toujours été discret et renfermé. De plus, son mutisme forcé lui épargnait de répondre aux questions indiscrètes qu'on lui posait de temps à autre.

A seize ans, ses camarades avaient arrêté de le molester physiquement comme si le ruer de coups les avaient lassés. Ils avaient alors décidé de tester des tortures psychologiques. Une chose était sûre ; les sévices n'étaient pas prêts de cesser. Ils changeraient juste de méthode de torture. Parfois, il se demandait pourquoi ils lui faisaient ça. Est-ce qu'ils trouvaient ça drôle de le rabaisser et de l'humilier continuellement ? Étaient-ils heureux de le voir souffrir ? Le prenaient-ils comme autre chose qu'un humain simplement parce qu'il était dépourvu de parole ? Il l'ignorait. Et même s'il le savait, rien n'assurait que cela les ferait arrêter...il ignorait si quelque chose pouvait les stopper. Ils semblaient inarrêtables, insatiables d'assouvir leur soif de violence...Finalement, c'étaient peut-être eux les bêtes...Quoiqu'il en fût, il était facilement attaquable car il n'en parlait à personne. Mais son comportement trahissait parfois la peur constante dans laquelle il vivait. Un malheureux coup sur la table par inadvertance ou par accès de passion suite à un discours enflammé et il sursautait comme s'il était la table. Il était devenu craintif alors que sa seule peur n'avait jamais été que la mort. Inquiets, ses parents l'emmenèrent voir un psy, mais il ne réagit pas et pour la première fois de sa vie, son mutisme fut une arme.

Il avait rompu tout contact avec Emilia quand elle l'avait menacé de tout révéler à sa famille. Mais face à la détresse de son ami, elle avait vite renoncé à son plan. Pourtant, il ne parvenait pas à le lui pardonner et il s'éloignait le plus possible d'elle. Au fond, il faisait également ça pour la protéger. Il avait peur qu'ils s'en prissent également à elle. Elle ne devait pas payer car elle avait eu l'audace d'être gentille et bienveillante. Il ne le supporterait pas. Au cours de l'année, elle commit une seconde erreur en sortant avec l'un de ses bourreaux. Lorsqu'il l'apprit, il savait que leur amitié n'était plus qu'un aimable souvenir. Même s'il était la cause principale de leur séparation amicale, cela l'avait brisé. Le peu d'espoir qui le maintenait encore debout s'était effondré. Il pensait avoir tout perdu. Plus rien n'avait d'intérêt à ses yeux. Malgré tout l'attachement qu'il éprouvait pour elle, ils ne pouvaient pas rester amis, ça aurait été néfaste autant pour lui que pour elle. Il était persuadé que son nouveau copain la pousserait à le molester comme le reste des gens de son lycée et il préférait se dire que c'était une inconnue plutôt que sa comparse qui le ferait. Quand bien même, par miracle, elle ne s'abaisserait pas à accomplir une si basse besogne, elle se retrouverait le cul entre deux chaises et cela finirait par lui être insupportable. Il ne voulait pas lui imposer cette horreur de faire un choix impossible. Dans les deux cas, leur relation amicale finirait mal, autant l'achever quand elle allait bien pour qu'ils en gardassent tous les deux un merveilleux souvenir.

Il se retrouva donc seul et vulnérable face à ces petits diables qui tentaient tout pour tuer son esprit. Il eut droit aux douches froides, à de la farine dans les cheveux, à de la neige dans son pantalon au retour du cours de sport, à des insultes, à des boules puantes, à des bousculades, à des coups dans le ventre ou dans le dos sans raison apparente. Tant de bassesses qu'il vivait chaque jour et cela le fatiguait de plus en plus. Le pire dans tout ça, c'était que ces ordures qui lui demandaient de dire son prénom encore et encore et encore. Dans ces moments-là, il se mettait à frapper ses agresseurs même s'il se reprenait les coups qu'il recevait, il se vidait en frappant quelque chose d'autre. Toutes les injures ne valaient pas cette vexation suprême ; souligner son incapacité à s'exprimer. C'était toujours ce qui lui faisait le plus mal. Se rendre compte qu'il ne serait jamais normal, qu'il sera sans cesse moqué parce qu'il serait incapable à jamais de prononcer le moindre mot. Il tentait de ne pas y penser, mais on le lui rappelait jour et nuit. Quand le soleil habitait le ciel, c'étaient ces atroces individus qui le harcelaient et lui chantaient presque son invalidité d'humain. Ils roucoulaient à cœur joie que c'était un déchet car il était incapable de parler comme si cela l'empêchait d'être comme eux voire mieux qu'eux.

Et lorsque l'astre lunaire se mit à briller dans le ciel et lorsqu'il s'abandonnait à un profond sommeil, il se retournait dans tous les sens car même dans ce refuge somnaique, il se faisait harceler par ses pairs. On lui enfonçait un couteau dans la poitrine, mais il ne mourrait pas, et on lui reprochait de ne pas parler. Il avait beau se boucher les oreilles, les voix s'égosillaient dans sa tête et perçaient son crâne avant qu'il ne se réveillât en sursaut, s'époumonant à crier sa peur. Bientôt, il ne put plus vivre ainsi. La mort habitait son être chaque jour. La vie qui avait toujours habité ses prunelles pourtant sombres comme les ténèbres n'existait plus : anéantie, désagrégée et broyée. Il n'espérait qu'une chose : mourir. Mais pendant deux semaines, il avait tout fait pour provoquer ses ennemis comme il ne l'avait jamais fait auparavant. Et même s'il avait dû faire un long séjour à l'hôpital, il avait survécu à leurs beignes. À croire qu'à force de les encaisser, il était immunisé à leurs rossées quotidiennes.

Il soupira, cela ne mettrait pas un terme à son malheur. Alors, toujours emmuré dans sa solitude sans bornes, il se mit à réfléchir à sa mort. Il se demandait comment en finir. Il tentait d'échapper à toutes ces oppositions de son âme qui s'exclamait que s'il le faisait, il donnerait raison à tous ceux qui l'avaient harcelé. Il ne pouvait plus mener cette vie, il ne pouvait pas la changer, c'était trop tard, elle avait fait trop de dégâts sur sa personne. Tout ce qu'il voulait, c'était en finir. Avant cela, il devait écrire une lettre. C'était la moindre des choses avant de partir pour toujours : expliquer son mobile. Ce mobile, il était simple à écrire, mais il craignait qu'il ne soit compliqué à comprendre. Il ne savait comment l'exprimer pour que ce fût le moins douloureux possible. Eut-il existé en ce monde un trépas qui ne causait pas de peine à son entourage ? Il craignait que non. Il mordit le bouchon de son stylo, réfléchissant aux mots à employer pour rédiger ce dernier message qu'il laisserait à sa mort. Il réfléchissait à toute vitesse, il commença à rédiger quelque chose, mais cela ne lui plut pas, alors il réduit sa feuille en boule et il la jeta à la poubelle. Il réitéra cette action de nombreuses fois car il était toujours insatisfait de ce qu'il écrivait.

Il avait l'impression qu'une part de son cerveau faisait tout pour l'empêcher de réussir afin de survivre un peu plus. Mais il n'en était pas question. Il devait mourir ! Il avait besoin de trépasser pour ne plus endurer cet Enfer terrestre ! Si jamais il devait véritablement brûler dans un châtiment infâme, il voulait que ce soit au moins pour un péché qu'il ait commis. Il soupira en regardant sa feuille inlassablement blanche qu'il ne parvenait pas à ternir d'encre noire. Après plusieurs heures de blocage, il réussit enfin à écrire ce qu'il avait besoin qu'on apprît à son sujet, à ce qu'il vivait, à ce qu'il pensait et le plus important, à ce qu'il ressentait. Une fois qu'il eut achevé d'écrire sa lettre, il la posa sur le bureau, espérant qu'on la lirait. Il se saisit ensuite d'une écharpe qu'il accrocha au plafond après être monté sur sa chaise de bureau. Il enfila le nœud de l'écharpe autour de son cou, les mains tremblantes, les yeux en pleurs, mais il ne pouvait faire autrement. Avant d'accomplir cet actefatal, il fit une prière. Cela pouvait paraître paradoxal, mais son dernier geste terrien fut de s'adresser à Dieu. Il pria pour que personne d'autre ne pût connaître ce fardeau et cette immense tristesse. Il pria pour que tous ceux qui l'avaient abattu mentalement trouveraient le bonheur et apprendraient à aimer leur prochain. Il pria pour qu'ils apprissent la tolérance. Il pria pour que les autres, les spectateurs agiraient et ne resteraient pas pantois face à ce genre de drame. Ensuite, il implora pour que ses proches ne fussent pas tristes longtemps lorsqu'ils devraient vivre sans lui. Il s'en excusa presque, mais il ne pouvait faire marche arrière. Enfin, il pria pour que, dans un avenir proche ou lointain, Emilia trouvât un homme qui la mériterait vraiment, avec qui elle pourrait fonder une famille et réaliser ses rêves.

Une fois que cela fut fait, il prit une grande inspiration, il hésita quelques secondes avant de bondir en avant, perdant le socle que lui offrait sa chaise. Son poids tirant sur le mince fil noué autour de sa nuque, il se retrouva à se balancer dans le vide. Cela le fit suffoquer et, par réflexe de survie, il agrippa le tissu qui lui coupait la respiration. Il ne faisait que s'agiter car ses gestes qui auraient pu le faire renoncer à la Mort étaient trop imprécis et brusque pour que cela fût efficace. Assez rapidement, il fut assailli par un sommeil de plomb et il se laissa entraîner par un sommeil sans fin. Quand on ouvrit la porte pour qu'il vînt dîner, on découvrit un corps inerte et qui faisait des allers-retours de gauche à droite. Sa sœur cadette fondit en larmes et elle hurla pour qu'on vînt l'aider, incapable de faire le moindre mouvement, tétanisé par la panique et l'horreur de la scène qui se déroulait devant ses yeux. Toute la famille monta au grenier et ils furent horrifié de voir ce qui s'était passé. La mère tomba par terre, le souffle coupé par la perte d'un de ses petits. Sa sœur la plus âgée tenta de calmer sa cadette qui avait découvert le cadavre de leur frère. Le père de famille resta choqué par cette vision, figé dans un trop plein d'émotions.

Seuls les deux jumeaux de la famille réagirent et ils décrochèrent la carcasse de leur frère du plafond non sans verser des litres de perles salées. Il se retrouva au sol et un des deux, dans un élan d'espoir écouta le cœur de son aîné, mais il constata avec dégoût qu'il ne battait plus. Il allait commencer des gestes de réanimation, mais la froideur de celui qu'il aurait aimé sauver ne pouvait laisser place à nul doute. Il avait réussi son coup. Pour lui, plus de torture, plus de prison, plus de douleur. Il avait mis fin à ses jours. Pourtant, Dimitri dut rester sur place. Pourquoi ? Cela ne lui était jamais arrivé avant aujourd'hui. Avant, il suffisait que la personne fût morte pour qu'il fût réveillé. Mais là, ce fut différent...Cela ne l'étonnait pas, tout dans ce rêve était différent...Il fallait donc que la fin se démarquât aussi. Alors, il assista aux funérailles de cette âme partie trop tôt. Personne ne sut qu'il s'était suicidé, sa génitrice refusait qu'on fasse de sa progéniture une créature faible alors qu'il avait lutté toute sa vie. Ça aurait été injuste. Tout autant que son mutisme qu'il n'avait apparemment pas surmonté. Elle en avait tellement voulu à tout le monde.

Elle s'était rendue dans le bureau du proviseur du lycée de son fils où elle avait crié au scandale et que le dirigeant ne s'en sortirait pas. Elle l'avait insulté de tous les noms et elle agressait toute personne qui lui adressait la parole, hormis sa famille. Elle les détestait, eux qui l'avaient regardé se consumer braise par braise et qui n'avaient rien fait pour l'aider. Elle haïssait même Emilia, celle qui avait été la seule amie de son premier né qui ne l'avait pas dissuadé de commettre cet acte de détresse. Elle avait le cœur empli de hargne et de malheur, mais lorsqu'elle vit l'épitaphe de son fils, elle ne put que lui donner raison et elle commença à faire son deuil sans blâmer les responsables de cet affreux forfait. Le jour de l'enterrement, Dimitri ne parvint pas à déchiffrer les hiéroglyphes qui étaient inscrits sur la pierre tombale de son alter ego. Ce fut uniquement lorsqu'il fut seul dans le cimetière que le blondin put lire ce qu'on retiendrait de cet homme qui était devenu poussière. Il posa ses iris curieux sur le marbre et murmura comme un secret :

« Ci-gît Leonhard Abel Galdurson : un fils, un frère, un ami. Rappelez-vous de cet être sage malgré son manque de langage. Souvenez-vous de son adage : son âme perdue au milieu des nuages murmure toujours que son nom est le pardon. ».

Oui, pardonner, c'était ce qu'il aurait désiré faire de son vivant, mais il n'en avait pas eu la force. Alors, il le faisait dans sa mort. Il souhaitait que tous ceux qui continueraient de vivre après sa disparition ne se sentissent pas chargés d'un lourd fardeau de culpabilité. Il ne voulait pas que ses proches pussent penser que ce fut de leur faute s'il était parti si tôt. Pour ce faire, ils devraient se pardonner à eux-mêmes, eux, responsables de sa lente descente dans les abysses mortuaires. Ils devraient se regarder en face et ils n'auraient rien pour soulager leur confiance car quand bien même ils rejetteraient une énième fois la faute sur lui en prétendant qu'il les détestait, il y avait une preuve immuable qu'il était passé à autre chose. Peut-être était-il vraiment parti pour un monde meilleur. Quoiqu'il en fût, conserver une quelconque rancœur dans son cercueil aurait rendu la boîte encore plus inconfortable qu'elle ne devait l'être. S'il était parti, c'était pour devenir libre, posséder de la rancune aurait achevé de le retenir prisonnier sur terre. Alors, il s'était délesté de tout et il leur avait offert quelque chose qu'ils ne méritaient pas : son pardon.

Subitement, tout devint noir. Dimitri ignorait ce qu'il se passait et cela le fit frémir de peur bien qu'il ne poussât aucun cri. Il préférait attendre de comprendre ce qu'il se passait encore. Aveuglé, il utilisa ses autres sens et notamment son ouïe. L'oreille tendue, il perçut une conversation qu'entretenaient plusieurs personnes et il entendit le bruit de machines. Quand ses iris purent enfin percevoir son environnement, il vit une chambre d'hôpital aux murs maculés. Néanmoins, il ne se fit pas à cela, il savait que cela pouvait être trompeur. Ce qui le rassura sur son sort, ce fut quand il ressentit re le moindre de ses os le brûler d'une douleur intense. Il émit un léger sourire, soulagé de ne plus se trouver dans une de ces dimensions parallèles qui lui flanquaient la frousse plus qu'autre chose. Cette douleur percutante qui le transperçait de toute part lui offrait une certitude qui le rassura derechef : il était revenu du côté de la vie.

J'espère vous retrouver demain pour la suite des aventures de Dimitri !

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