Petits Meurtres du Verger

[Je demande aux EditionsManticores de venir me conseiller sur ce texte. Je m'engage à rester respectueuse et demande à tous mes lecteurs de l'être également.]


Ce texte a été écrit dans le cadres de la XXIIe Joute Wattpadienne dont les consignes étaient les suivantes :

- Ce sujet est l'occasion de mettre en scène des aliments du quotidien. Ils seront les acteurs principaux de votre histoire qui prendra la forme d'un Thriller.

-  15 000 caractères, espaces comprises


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Le jus gicle soudain. Et l'orange gémit sous la lame qui s'abat, encore et encore, s'enfonçant dans sa chair molle. Son sang doré s'écoule et goutte tristement, seul témoin et seule trace du crime.


Bonjour. Je me présente : mon nom est Margarita. Juan Margarita. Ballon gonflable de mon état, détective privé. Je débute dans la profession.

Et autant mettre les choses au point tout de suite, je suis déjà surchargé de travail.

Depuis quelques jours - ou plutôt quelques nuits - un tueur en série sévit dans la cuisine, prenant ses victimes de façon aléatoire.

Chaque matin ou presque, c'est le même spectacle. Horreur, désolation ! Nous ne pouvons que constater le déchaînement de violence, la tragique barbarie. Les fruits disparaissent un à un. Nous retrouvons parfois des cadavres atrocement mutilés mais la plupart du temps ils sont introuvables, comme volatilisés. 

Et je sais que beaucoup ont du mal à s'endormir le soir. Peut-être sera-ce l'un de leurs proches qui sera attaqué ? Ou bien eux-mêmes ? Difficile donc de trouver le sommeil, vous vous en doutez bien quand il est impossible d'affirmer pouvoir survivre à la nuit. C'est là le plus terrible dans cette triste affaire, l'imprévisibilité, l'incertitude... 

Qui sera frappé ? Quand ? Il y a parfois des jours de répit, vides de meurtres et d'enlèvement. Trop rares et ternis par la peur du lendemain.

Voilà pourquoi l'on a fait appel à mes services. Les fruits m'ont demandé de trouver le coupable. En effet, on peut dire que je domine les débats. Sans vouloir me vanter. Mais le fait est que je suis le mieux placé, flottant librement dans l'air, pour résoudre tout cela. Enfin, librement n'est pas tout à fait le terme exact.

En tout cas, de la poignée de la cuisinière où l'on m'a solidement attaché, j'embrasse du regard la cuisine tout entière.

Mais pour être honnête, je ne sais pas trop comment m'y prendre avec cette enquête. J'hésite sur la conduite à tenir. Je dois me pencher sur la scène de crime puis interroger les témoins, c'est bien ça ?

Alors, commençons par la scène de crime. La dernière victime en date, celle de ce matin, est une jeune orange dont le corps a été dissimulé. Cependant restent sur le plan de travail, près de l'évier, du jus et des restes de pulpe. Ces traces et surtout leur emplacement semblent incriminer les humains.

Mais justement, ces attaques furtives et discrètes ne ressemblent pas à l'homme. Ce grand prédateur n'agit jamais en silence, la nuit. De plus, il nettoie toujours tout après son passage. Ce qui se passe en ce moment ne correspond pas son mode opératoire.

De plus, les oranges jurent sur leurs grands dieux qu'elles n'ont été ni tâtées ni palpées, que nul homme ne les a touchées ou tenues dans sa main comme il le fait habituellement pour choisir sa proie.

Alors, pourquoi les assassinats sont-ils perpétrés sur le plan de travail ? Est-ce une mise en scène grossière pour accuser les hommes ?

Mais j'entends parler les fruits ! Approchons-nous autant que possible pour entendre leur discussion... 

Le citron, juché tout en haut du compotier s'adresse à tous.

 "Ce sont les étrangers les coupables ! Il règne une telle insécurité ici. Par leur faute ! Si vous me choisissez comme chef, je vous protègerai. Nous prendrons des mesures ! Les fruits exotiques seront mis à l'écart ! Nous créerons une milice pour protéger et défendre les nôtres, avec des tours de garde la nuit. Nous rallierons le couteau à notre cause..."

Le couteau ! Suis-je bête ? Pourquoi n'y ai-je pas songé avant ? 

Je reporte mon attention sur le discours. Hélas, les mangues, goyaves et autres fruits venus de loin sont déjà peu aimés par leurs concitoyens. Et il est vrai que la campagne redoublée du citron contre eux suite aux meurtres n'arrange pas les choses. La plus grande fierté de cet agrume amer et jaloux est de n'avoir connu que quelques heures en camion, comparé aux longues heures de traversée de tous horizons. 

Et ses nombreux partisans de renchérir : les fruits sont gâtés après un tel voyage et néfastes aux Européens ! Dans la cuisine, la hiérarchie est définie par ce critère.

Heureusement que la vieille noix qui jouit d'un grand prestige chez nous dû à son ancienneté apporte un contrepoids au citron. 

Elle aussi aime à nous parler de son passé et raconte souvent son histoire. Sa jeunesse dans le noyer au branches noueuses, aux feuilles vertes et dorées, le chant des oiseaux, l'automne passé dans l'humus et les feuilles, l'odeur du sous-bois, le danger des écureuils.

Mon histoire est bien moins palpitante. Fabriqué en usine et offert aux acheteurs de pizzas dans la pizzéria de mon propriétaire, je n'ai pas connu et ne connaîtrai certainement jamais le monde extérieur.

Mais cessons là de nous apitoyer. J'ai une affaire à résoudre. 

Il faut que je demande de l'aide à Noix. Elle, si vieille et si sage, saura m'aider à interroger le couteau. Qui y a-t-il dans la cuisine de si coupant, de si dangereux ? Je savais que j'avais oublié une étape dans ma prise en main de l'enquête, mais voilà mon suspect n°1.

Je remarque soudain que sa lame est salie, maculée de jus. 

Eurêka ! J'ai trouvé notre coupable ! Mais la noix me décourage aussitôt. L'ustensile est schizophrène et très facile à manipuler. Il n'est pas responsable de ses actes. Il est probablement l'instrument du crime mais un autre le guide. Qui ? Quels sont ses motifs ?

L'interrogatoire n'a rien donné. Que faire ? Essayer d'isoler le couteau ? L'assassin trouvera probablement un autre moyen de commettre ses forfaits mais c'est un début.

Je pense que le fait que les assassinats se déroulent la nuit est un élément clé de l'enquête. Hélas, la nuit est sombre et pleine de terreurs. Tous dorment.

Tous ? Non ! Les plantes restent éveillées la nuit.

"Polet, ma sœur Polet, n'as-tu rien vu venir ?"

Mais la plante se tait. Elle ne parlera pas.


Sonia se lève en soupirant. Cinq heures du matin. Il fait encore nuit. Elle a été mutée il y a quelques jours à plusieurs heures de route de chez elle. Et devoir se lever très tôt lui a fait prendre une nouvelle habitude. Chaque matin, avant de partir, dans la cuisine encore sombre, elle boit un jus de fruit.

En passant, elle donne une pichenette au ballon que ses enfants ont ramené de la pizzeria. Il est dégonflé maintenant, il va falloir le jeter.



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