Le vieux monsieur flippant
J'étais la petite nouvelle en ville. Mes pères et moi venions d'emménager et je n'avais pas encore d'ami.e.s. C'était le soir d'Halloween et je traînais un peu en attendant que le soir tombe. Je regardais passer les gens.
Un groupe d'enfants et d'adolescents est passé près de moi. L'un d'eux, le plus grand, s'est arrêté et m'a regardée de la tête aux pieds. Il devait avoir au moins quinze ans, j'en avais neuf. Je me suis sentie très mal à l'aise.
- Tu viens d'où ? m'a-t-il demandé.
- J'habite là, ai-je répondu en montrant ma maison du doigt. Je m'appelle...
- C'est moi le chef, ici, a-t-il coupé. On m'appelle le roi ! Tu veux voir un truc super ?
- Heu...
- Retrouve-nous ici à 18h00 !
Les autres enfants se sont mis à pouffer de rire.
- On va bien s'amuser !
- On va balancer des œufs sur la maison de M. Pourri ! Là, la maison toute moche au bout de la rue !
- Pourquoi ? ai-je demandé timidement.
- Il nous donne jamais de bonbons !
- Et il est moche ! On lui balance de la farine aussi ! a pouffé une petite fille. C'est très drôle !
- Et personne nous punit jamais !
- Mais il le mérite ! C'est un sale type !
- Alors, tu vas venir ?
J'ai répondu réfléchi un instant, puis répondu oui et ils sont partis en rigolant. Je suis rentrée en réfléchissant à ce qui allait se passer. Lancer des œufs sur sa maison ? Je pouvais faire beaucoup mieux. J'ai attrapé des œufs, de l'eau, de la farine et j'ai préparé mon arme secrète que j'ai enveloppée dans du papier blanc. Je savais que j'allais faire un malheur avec. Ensuite, j'ai rejoint les autres enfants. Ils étaient déjà en train de balancer du papier toilette dans les arbres de ce monsieur et des œufs sur ses vitres.
- T'as quoi, là ? a demandé leroi.
- Ma super bombe. J'aimerais la lui donner en main propre.
- Ouah, t'es courageuse, la nouvelle ! Vas-y, montre-nous ce que tu sais faire !
Les autres se sont cachés dans les buissons en riant et j'ai sonné à la porte. Rien ne s'est passé. J'ai sonné plusieurs fois et un vieux monsieur a ouvert brutalement et m'a fusillée du regard.
- Je ne donne pas de bonbons ! a-t-il crié.
- D'accord. Je suis juste là pour vous faire un cadeau.
- Quoi ?!
- Je m'appelle Nat et je viens d'emménager. Je n'ai pas encore d'ami.e.s alors je vous apporte ça. C'est la tarte pommes-cannelle de ma grand-mère. Elle l'appelle la super bombe parce que c'est une explosion de saveurs à chaque bouchée.
- Quoi ?!
Il m'a regardée avec des yeux ronds. Je me suis sentie vraiment gênée.
- Vous n'aimez pas les pommes, Monsieur ?
- Si...
- Vous êtes allergique ? Végane ?
- Non ! Je... tu es gentille. Merci.
Il avait l'air au bord des larmes. Il a pris la tarte et refermé la porte. J'ai fait demi-tour, les autres enfants sont sortis des buissons et leroi m'a applaudie.
- Bien joué, la nouvelle ! Y'a quoi, dans cette tarte ? Des cailloux ? De la merde ?
- Non, juste des bons ingrédients : des pommes, du beurre...
- Je vois pas l'intérêt !
- Tout le monde devrait avoir quelque chose de bon à manger à Halloween !
Je le pensais vraiment. Mes pères m'ont toujours dit d'être sympa avec mes voisines et voisins âgés et j'avais de la peine pour ce monsieur. Je voulais lui remonter le moral avec ce gâteau. Je ne pensais pas que ce serait un problème.
- Mais t'es bête, ou quoi ?!
- Non, je...
Soudain, il m'a giflée tellement fort que je suis tombée par terre !
- Pauvre conne ! a-t-il hurlé. Halloween, c'est les adultes qui donnent des trucs super aux enfants, pas le contraire ! T'es nulle de gâcher Halloween ! C'est moi qui devrait être en train de manger cette tarte ! Faites-lui sa fête, à cette bouffonne !
Je me suis mise à pleurer. J'étais terrifiée. Les enfants se sont tous rapprochés de moi. L'un d'eux a brandi un œuf, un autre l'a imité. Je me suis faite toute petite. Et puis soudain, le méchant garçon s'est plié en deux et s'est mis à vomir. Je peux me tromper mais je crois qu'il y avait des trucs bizarres qui bougeaient dans son vomi. Plus personne n'osait bouger. Et puis quelqu'un a crié :
- Cours, Natacha !
C'était le vieux monsieur qui me faisait signe de partir depuis la porte. Je suis partie en courant, j'ai senti un œuf s'écraser dans mes cheveux mais je ne me suis pas retournée. Je suis arrivée à la maison en larmes et j'ai tout raconté à mes pères. Ils m'ont consolée, m'ont lavé les cheveux et on a passé la soirée à regarder de vieux épisodes de « Fais-moi peur ». Les volets étaient fermés et on a entendu des tas d'œufs s'écraser dessus. Mes papas m'ont promis que le lendemain, ils iraient parler aux parents de ces enfants.
*
Le lendemain, mon papa Georges, qui est plombier, a été appelé en urgence par quatre ou cinq personnes différentes ! Je suis allée jouer dans le jardin avec mon papa Michel. A notre grande surprise, nos volets étaient parfaitement intacts. Et puis un vieux monsieur s'est présenté et je l'ai tout de suite reconnu :
- Bonjour, je m'appelle Pierre Gouri, je suis votre voisin. J'habite au bout de la rue. J'ai déjà rencontré votre petite Natacha hier. Vous avez vraiment une enfant remarquable : elle m'a offert une délicieuse tarte aux pommes ! Seulement, cette tarte est beaucoup trop grande pour une seule personne. J'aimerais vous inviter à dîner ce soir pour qu'on la mange ensemble.
Quand il a dit ça, quelque chose m'est revenu en mémoire : la veille, il m'avait appelée par mon prénom alors que je m'étais présentée par mon diminutif, qui peut aussi correspondre à Nathalie ou Natalya, par exemple. Comment savait-il que je m'appelle Natacha ? C'était bizarre.
On a donc passé la soirée chez lui. A l'intérieur de sa maison, tout était à la fois bizarre et joli. Il avait une étagère avec plein d'objets de tous les pays du monde. Le repas était délicieux, tout le monde m'a complimentée pour ma super bombe et ensuite, les adultes ont bavardé sur le canapé pendant que je jouais avec le chat noir, Hadès. M. Gouri nous a parlé de ses voyages autour du monde. Il en avait vu, des choses !
- J'ai beaucoup échangé avec des sorcières en Europe, en Afrique et en Asie, a-t-il expliqué.
- On fête Halloween, là-bas ? ai-je demandé.
- Oui, bien sûr ! A l'occasion, on peut recevoir la visite d'esprits de l'au-delà, ce qui requiert le plus grand calme et le plus grand respect. La plupart des sorciers que j'ai rencontrés seraient horrifiés de voir des enfants lancer des œufs sur des maisons ou dégrader des jardins. C'est dénaturer le sens sacré d'Halloween !
- On peut vraiment communiquer avec les esprits ?!
- Il te fait marcher ! m'a dit mon papa Georges.
- A propos, a ajouté mon papa Michel, vous devriez vraiment porter plainte contre ces gamins. Ils n'ont pas le droit de vous harceler comme ils l'ont fait.
- Oh, ce n'est vraiment pas la peine. J'ai ensorcelé ma maison. A chaque fois qu'un enfant balance un truc comestible sur mes murs, ce truc se retrouve dans son estomac au coup de minuit qui suit. Ils se sont tous mis à vomir au milieu de la nuit.
- Et les trucs non comestibles comme le pécu ? ai-je demandé.
- Eh bien, ils vont boucher leurs toilettes !
Mes pères ont éclaté de rire mais je savais que M. Gouri ne plaisantait pas. Mon papa Georges avait réparé énormément de toilettes dans la journée, ça ne pouvait pas être une coïncidence. Mon gentil voisin était un sorcier.
*
Les années ont passé, je suis restée dans cette ville jusqu'à mon départ pour la fac et M. Gouri est devenu comme un membre de notre famille. Je passais du temps chez lui à chaque fois que mes parents avaient besoin d'un baby-sitter. A chaque Halloween, je lui apportais une super bombe et on la mangeait ensemble. Il m'a enseigné la magie, aussi. Maintenant, je peux jeter des sorts aux sales gosses qui vandalisent les maisons des autres ou attaquent les enfants plus petits. Si un jour, vous pensez à balancer un œuf sur une maison, réfléchissez-y à deux fois. Vous pourriez tomber sur moi...
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