Les stridules des criquets emplissaient l'atmosphère autour de la jeune femme. Une faible pluie brumait, recouvrant les pavés d'une petite couche d'eau. Le vent s'étant calmé, la température d'automne se faisait plus confortable ce soir-là. 

Une silhouette féminine se promenait tranquillement dans le décor, ne faisant presque pas de bruit. Émilie revenait tout juste de son cour de peinture, qui lui était donné par un veil homme connu dans son petit coin de pays. 

Depuis que récemment, elle s'était décidée à peinturer plus sérieusement, elle comprenait enfin son talent et voulait le partager au monde. Elle s'était donc mise à la recherche d'une âme bonne qui pourrait devenir son enseignant, son mentor. Plusieurs artistes avaient refusé sa demande, certains étaient trop débordés, d'autres simplement désintéressés de ses oeuvres. Elle finit par tomber sur le vieux Montbel qui se fit une joie de l'accueillir et de lui enseigner. Elle n'était pas sa seule élève, chaque année le peintre âgé accueillait chez lui deux ou trois jeunes artistes qui désiraient consacrer un peu de leur temps à la peinture ou au dessin. Émilie côtoyait donc deux autres garçons, Mathieu et Paul, tous deux très gentils et passionnés d'art.

- Attention à droite! cria soudain un clocher qui conduisait un carrosse de bois.

Émilie fit un petit bond à gauche pour ne pas être percutée des chevaux et de l'habitacle qu'ils tiraient.

- Un peu plus et ils vous piétineraient, lança une voix familière derrière elle.

Elle soupira, un sourire en coin

- N'est-ce pas mal prudent qu'une jeune et jolie femme se promène seule un soir de pluie? reprit la voix masculine.

- Je ne vois pas pourquoi je devrais m'inquiéter. Regardez autour de vous, répondit-elle en ouvrant ses bras, montrant les rues désertes.

- Et bien, moi je suis là...

Le jeune homme fit de grand pas vers elle pour la rattraper et se mit à marcher à côté de la fille qui semblait habituée de ce genre de comportement.

- Paul, lança-t-elle, combien de fois vais-je devoir vous répéter que je suis capable de marcher seule jusqu'à chez moi. Rien ne peut m'arriver, vous le savez.

- Peut-être bien...

- Mais...? dit-elle, le regardant comme si elle savait déjà ce qu'il allait dire.

- Mais je préfère vous raccompagner. 

Elle rit, faisant sourire Paul qui se mit à rire timidement.

Les deux continuèrent à marcher tranquillement vers la demeure d'Émilie, sans échanger d'autres mots. Parfois, seule la compagnie de l'autre était suffisante et ils ne ressentaient aucunement le besoin de se parler pour être à l'aise. 

Quelques minutes plus tard, ils étaient déjà aux pieds des logements où vivait Émilie. Elle vivait seule avec une amie qui ne semblait jamais être au pays. Cette dernière voyageait beaucoup avec son mari qui était bien fortuné. Chaque fois qu'elle revenait, elle offrait à Émilie et à ses autres amis plusieurs petits biens qu'elle s'était procurée lors de ses voyages. Cette fois-ci n'était pas différente de d'habitude, sa colocataire, Florence, était partie en Europe par bateau et ne reviendrait que dans deux mois.

Sentant son cœur se resserrer dans sa poitrine alors qu'elle posa le pied sur la première marche, Émilie se retourna vers Paul qui n'avait pas bougé du milieu de la rue où elle se tenait en sa compagnie quelques instants plus tôt. 

- Voulez-vous monter? demanda-t-elle sans plus attendre, le regard intensément fixé dans celui de Paul.

- Avec joie. répondit-il simplement. 

Décidemment, les deux avaient la même idée en tête. Ils gravirent les escaliers de l'immeuble construit une dizaine d'année auparavant et entrèrent dans l'appartement de la jeune femme. Un grand gramophone contrastait étrangement dans le décor du petit appartement d'Émilie. Une mélodie enjouée s'ensuivit alors pendant plus d'une demi heure, avec une pause entre deux morceaux le temps de changer le disque. Les voisins qui s'étaient habitués à entendre jouer le gramophone de la jeune peintre ne se doutèrent de rien.

Ce soir là, les deux jeunes artistes s'étaient avoué leur amour.