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Rogue réapparut une heure plus tard, comme promis. Ils se mirent en route dans la cuisine et entreprirent de préparer à manger. L'ambiance n'était pas tout à fait détendue, sans pour autant être hostile. Rogue semblait épuisé. Et Harry n'osait pas pousser sa chance trop loin, aussi se contentait-il de suivre les instructions de Rogue en silence.
Ils mangèrent dans un calme poli.
Puis chacun se retira sans un mot supplémentaire.
Le lendemain, le ton de Rogue semblait s'être assoupli. Harry ne savait toujours pas comment se positionner. Il sentait tout de même qu'il devait dire quelque chose.
C'est pourquoi, alors que Rogue s'installait dans le salon, Harry se hasarda à lancer :
« Je sais que notre dernière session s'est plutôt mal passée, mais si vous avez besoin de brasser des Potions... Vous n'avez qu'à le dire. Ça ne me dérange pas. Suivre vos instructions a quelque chose d'apaisant. Si vous n'étiez pas Severus Rogue, je me permettrais d'ajouter que les moments sont agréables. Mais je ne voudrais pas ternir votre réputation, conclut-il avec un sourire timide. »
Il loupa le tressautement au coin des lèvres de Rogue.
Il y eut un long moment de silence, durant lequel Harry se demanda s'il avait rêvé ses propres paroles.
Finalement la voix de Rogue retentit entre eux, lasse, mais pas venimeuse :
« Je ne peux pas Harry. Je ne supporte pas de vous voir manipuler, là où j'en suis incapable. Je ne supporte pas de vous voir vous, de tous les sorciers, être plus capable de faire des potions basiques que je ne le suis. Ça m'est invivable. Ce que j'aimais dans les potions je l'ai perdu. J'apprécie votre aide mais je ne peux pas l'accepter, conclut-il doucement. »
Harry ne répondit rien. Il se contenta de sourire à son interlocuteur.
Il s'assit dans le fauteuil qui était devenu sien et laissa la confession de Rogue s'étioler entre eux.
Severus était perdu dans ses pensées, un livre éventré sur ses genoux. Ses sentiments envers le jeune Potter étaient contradictoires. Sa présence apportait avec elle un lot de souvenirs sur lesquels Severus avait soigneusement évité de s'attarder.
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9 janvier 1998
L'air glacial de Poudlard mordait la peau de Severus, malgré ses lourdes capes noires. Le froid ne semblait plus le quitter ces derniers temps. Son corps avait maigri et son teint était plus maladif que jamais. Il monta les escaliers menant à son bureau d'un pas éreinté.
L'ombre des torches découpait une expression sévère sur son visage maigre. Il déboucha sur un bureau sombre et austère. Il était si peu présent que les divers objets fantaisistes d'Albus avaient fini par prendre la poussière. Pas qu'il aurait osé s'en servir de toute manière.
Il y avait une pile assez impressionnante de lettres qui jonchaient le sol. Il les brûla d'un geste distrait sans même les consulter. Le papier doré sur son bureau attira cependant on regard. C'était l'emballage habituel que Minerva réservait pour son anniversaire. D'un geste automatique, il l'ouvrit. Le contenu se métamorphosa en une inscription virulente. Un bruit strident retentit dans ses oreilles alors que les lettres s'imprimaient en rouge vif dans sa rétine.
« Traître »
Severus soupira et se détourna de l'accusation. Il n'y aurait pas de verre de whisky au coin du feu en la compagnie de Minerva cette année.
Peu importait, il avait plus important à faire que célébrer son stupide anniversaire. Il alla chercher l'épée de Gryffondor et la contempla un instant entre ses doigts. Elle semblait étrangement tiède pour une arme. Il ne prit pas le temps de s'attarder plus que cela et transplana dans la forêt de Dean.
Severus apparut devant une masse d'arbres noirs. Entre eux se trouvait une mare d'eau gelée. Severus posa l'épée au creux d'un arbre et alors qu'il reculait d'un pas, l'épée se téléporta en un éclair sous la mare d'eau gelée. Il leva les yeux au ciel. C'était un caprice digne de son possesseur.
Severus conjura son Patronus et le laissa flotter jusqu'à Potter. Logiquement, il aurait dû s'en aller aussitôt. Il n'avait aucune raison, aucune envie de rester les pieds dans la neige à attendre le Sauveur du monde sorcier. Pourtant Severus s'attarda.
Harry Potter finit par émerger du noir de la nuit. Et Severus ne put s'empêcher de l'observer de manière presque avide. Au cours des derniers mois, Severus avait dû trouver une raison farouche pour garder la tête haute et ne pas perdre de vue son objectif. Sa survie n'était pas un motif assez convaincant. Plus maintenant. Celle de Harry, en revanche... Severus avait fini par s'accrocher aux yeux verts du gamin pour tenir bon, comme à peu près la moitié de la population sorcière. C'était assez pathétique. Mais se battre pour que le gosse ait le droit de vivre ne serait-ce qu'un bout de vie décente avait du sens là où se battre pour que Severus survive à un fou furieux dans un monde où tout le monde le détestait n'en avait aucun.
Peut-être qu'à travers Harry, c'était une part de lui-même que Severus essayait de sauver. Malgré lui, Severus avait fini par faire des recherches assez poussées sur l'insupportable Gryffondor. Il avait découvert son passé chez les Dursleys, reflétant une partie de sa propre enfance. Bien sûr, Harry était maintenant plus entouré que lui ne l'avait jamais été. Malgré tout c'était pour ses enfants négligés que Severus se battait. Il y avait quelque chose en lui qui s'agitait et s'activait presque contre son gré.
C'était un Harry mal rasé et hagard qui se tenait devant lui. Les derniers mois de lutte et d'errance s'inscrivaient dans sa silhouette maigre. Il était loin le Potter haineux qui lui courait après. Il avait devant lui un homme qui semblait avoir vieilli de trente ans. Quelque chose remua en Severus. Et quelque part voir Harry dans un état si pitoyable ne fit que renforcer sa détermination.
Harry commença à se déshabiller afin de sauter dans la mare et Severus se détourna. Il était peut-être désespéré et possédait une morale assez douteuse, mais il n'était pas un voyeur. Il transplana sans un regard en arrière.
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2 mai 1998
La guerre battait son plein.
Le Seigneur des Ténèbres appelait Severus. Dès lors qu'il transplana dans la Cabane Hurlante, Severus sut que c'était la fin. Il éprouva un mélange de soulagement et de frustration légère. Il ne saurait jamais comment terminait cette foutue guerre. Mais bientôt il n'aurait même plus conscience d'avoir traversé une guerre. L'épuisement s'achevait enfin.
Le Seigneur des Ténèbres prit la parole et Severus écouta son monologue narcissique d'une oreille distraite, concentré sur la fin imminente qui l'attendait. Il sentit un sort le traverser et Severus s'effondra sur le sol. Il ne savait pas exactement quel sort l'avait frappé. Cela n'avait plus d'importance. Il pensa brièvement au spectacle indigne de sa mort. Mais après tout, était-ce réellement important dorénavant ?
Il sentit les crocs de Nagini s'enfoncer dans ses mains et il eut un tressautement de douleur involontaire. Il eut vaguement conscience du Seigneur des Ténèbres qui s'en allait.
Il adressa une dernière pensée à Potter, priant pour que le stupide gosse réussisse à se sauver.
À ce moment précis son visage flou apparu devant ses yeux. Severus pensa à l'hallucination d'un homme au bord de la mort.
Une flopée de souvenirs s'imposa brutalement à lui. Il se souvint d'Albus. Des jours avant sa mort. Et de ses confessions. Le garçon devait mourir. Severus sentit le désespoir s'abattre sur lui. Il n'avait pas conscience d'avoir connu ces moments. Soit son esprit les avaient bloqués pour lui permettre d'avancer ces derniers mois. Soit Albus s'était arrangé pour qu'il ne débloque cette conscience qu'au moment venu, sachant que Severus refuserait de se battre si ce n'était pour Harry. Severus n'était pas Albus, et il n'avait que faire du plus grand bien et de la société sorcière.
Peu importait la raison de cette omission, la conscience accrue d'avoir échoué était assez pour miner Severus aux abords de sa mort. Il détestait d'autant plus Albus de lui avoir remis la lourde tâche d'achever le garçon. Une larme roula sur sa joue et il conjura Harry d'emporter ses souvenirs.
Il entendit le Gryffondor babiller quelque chose, sans comprendre tout à fait de qui se passait. Il sentit une fiole sur sa joue, alors que ses souvenirs étaient recueillis. Puis quelque chose de froid qui glissa dans sa gorge. Il reconnut vaguement le goût d'un anti-venin et voulut immédiatement recracher le contenu. Son corps engourdit n'obéit malheureusement pas. Et Severus voulut maudire le foutu gosse pour l'obliger à assister à son exécution.
Harry s'en alla et laissa Severus à une guérison certaine.
L'anti-venin était médiocre. Mais pas totalement inefficace. Severus était maintenant douloureusement conscient de sa plaie aux mains. Et douloureusement vivant.
Il se releva en maudissant la terre entière. Il se décida à se rendre dans la Forêt Interdite puisque c'était le lieu que le Seigneur des Ténèbres avait choisi pour l'exécution du gosse.
Il trouva la petite clairière et se tapit derrière un arbre. Les Mangemorts étaient tellement excités par la suite des événements que personne ne le remarqua.
Le temps passa dans un brouillard étrange dû à la douleur dans ses mains. Et Severus eut à peine conscience de voir Potter qui se tenait debout devant eux. L'instant d'après, il s'écroulait par terre frappé d'un éclair vert. Severus retint un haut-le-coeur. Il regarda Narcissa s'agenouiller près du corps amaigri de Harry. Avant de détruire tout ses espoirs en affirmant ce qu'il avait craint pendant des années durant.
Harry Potter était mort.
Le constat acheva Severus et ses jambes le lâchèrent. Il s'effondra sur le sol de la Forêt Interdite, incapable de digérer la nouvelle. Tout cela n'avait servi à rien. Harry Potter était mort, sacrifié pour la survie du monde sorcier. Severus avait envie de vomir.
Les Mangemorts traversèrent les bois avec des cris de triomphe et Severus n'était même plus concerné par la possibilité qu'ils le trouvent.
Il resta une durée indéterminé, abattu sur le sol de mousse, incapable de bouger.
Au bout d'un moment, des cris de victoire retentirent et Severus trouva la force de s'en aller.
Il n'avait plus rien à faire ici. Peu lui importait qui avait gagné, finalement.
Il transplana dans sa maison et s'écroula sur le fauteuil le plus proche.
Ce n'est que le lendemain, lorsque la Gazette du Sorcier se faufila entre les fenêtres poussiéreuses de sa maison, que Severus appris que Harry Potter avait survécu une nouvelle fois.
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2 juin 1998
Cela faisait maintenant un mois depuis la fin de la Bataille Finale.
Severus sortait de St Mangouste et de longs entretiens avec divers médecins à propos de ses mains. Son nom avait été blanchi par Potter et il avait eu droit à des soins de première qualité.
Severus rentrait chez lui avec un lourd verdict : ses mains étaient endommagées de façon irréversible. Il était handicapé. À vie.
La première chose que fit Severus fut de s'enfermer dans son laboratoire. Sans prendre le temps de se calmer, il dévissa divers bocaux de manière frénétique et se mit en tête de brasser n'importe quoi. Une potion de régénération sanguine, c'était basique et peu digne de son niveau en Potions mais il avait besoin de brasser pour se calmer.
Les tressautements dans ses mains renversèrent de la poudre de scarabée partout sur le sol. Il se coupa une dizaine de fois en voulant tailler des feuilles de bourrache. Il avait versé trop de sang de crapaud et la potion avait une couleur déplorable. Des bulles commençaient à se former dangereusement à la surface de son chaudron. Severus tenta tant bien que mal d'ajouter des fèves pour calmer l'ébullition. Mais il en versa plus qu'il n'en fallait.
Le chaudron allait exploser.
Severus s'empara de sa baguette. Mais ses mains handicapées l'empêchaient d'effectuer correctement le sort d'évaporation.
Le chaudron lui explosa au visage comme un débutant de première année.
Plus que la mixture brûlante, c'était la honte et la colère qui le dévoraient.
Severus se releva d'un bond en ignorant ses vêtements fumants et son visage touché. Il arracha les papiers sur les murs, le livre étalé sur son plan de travail. Il déchira des années entières de recherches, les réduisant en confettis de ses mains inaptes. Sa colère épuisée il se laissa tomber sur le sol et contempla son laboratoire saccagé. Son écriture serrée se déliait en poussière sur le sol de pierre. Il était devenu plus doué pour saccager que pour créer.
Il ne pourrait plus jamais brasser de potions.
Severus se sentit vomir.
Depuis toujours, les Potions accompagnaient Severus. Elles l'apaisaient, le consolaient quand Severus constatait son inaptitude à entretenir des relations saines avec les gens. Les Potions étaient son échappatoire. Elles avaient permis à Severus de canaliser son énergie dans quelque chose de plus beau, de plus utile. Elles étaient l'oeuvre de sa vie. Il était certes bon en Magie Noire mais c'était incomparable avec son amour pour les Potions. Elles étaient la constante de sa vie. Elles représentaient la stabilité, la sécurité. Peu impotait ce qui advenait, Severus pouvait toujours se reposait sur cette aptitude. C'était une certitude. Severus ne s'aimait pas beaucoup mais il savait qu'il était bon en Potions.
Ce n'était plus le cas.
Severus voulait mourir.
Il maudissait Potter et sa foutue bonté.
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Severus fut ramené à l'instant présent par ne lumière émanant de Potter.
Le sorcier avait fait apparaître une sorte de canevas lumineux entre ses mains. Il l'observa calmement. Potter lui inspirait un mélange de soulagement et d'amertume. Il était la preuve que les années de guerre n'étaient pas vaines. Il avait survécu et c'était pour Severus la seule chose valable à ses yeux. Pourtant Potter était aveugle. Et il n'avait aucune idée de comment était sa vie. D'un autre côté, Severus était condamné à une existence pitoyable et c'était en partie la faute de Potter. Si Potter n'avait pas insisté pour le sauver, Severus n'aurait pas été condamné à une vie sans saveur.
Severus devait toutefois reconnaître que le jeune homme s'était montré poli et agréable malgré la mauvaise humeur de Severus. Ce dernier appréciait secrètement son effort. Et quand sa colère ne le submergeait pas, il était plutôt reconnaissant de la présence du sorcier. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu contact avec qui que ce soit. Il avait refusé de parler à quiconque et avait coupé les ponts avec tout le monde. Même Minerva. Un peu de compagnie était étrangement rafraîchissant. Le fait que ce soit Potter avait également quelque chose d'apaisant et de familier. C'était pourquoi il avait décidé d'essayer d'être le plus indulgent possible avec le jeune homme.
« Que faites-vous ? Demanda Severus poliment. »
Potter releva ses yeux vides vers lui.
« Je joue de la musique.
- Auriez-vous l'obligeance d'expliciter la nature de votre... instrument ?
- C'est mon noyau magique.
- Je vous demande pardon ?
- J'étais aussi perplexe que vous, au départ. Depuis que j'ai perdu ma vie, je suis beaucoup plus connecté à mes autres sens. Et également à ma magie. Je serai incapable de vous expliquer comment cela fonctionne, mais j'arrive à y accéder. Elle prend la forme de ce grand patchwork. Et quand j'effleure les différents fils de lumière, elle joue des mélodies différentes. Ce n'est pas très utile mais c'est quelque chose de très apaisant. J'ai l'impression que cela participe à me connecter avec mon corps et à ne pas perdre ma capacité à pratiquer la magie.
- Je n'entends rien de tel.
- Ah vraiment ? Pourtant vous voyez la lumière, n'est-ce pas ?
- Oui. Comment la voyez-vous ?
- Je ne sais pas. C'est plus complexe que le simple sens de la vue. J'en ai une conscience intuitive. Sûrement parce que c'est une partie de moi.
- C'est intéressant, en réalité. Vous n'en avez jamais parlé à personne ?
- Pas vraiment.
- Vous êtes décidément plein de surprises Potter.
- Je préférais quand vous m'appeliez Harry.
- Entendu, Harry. »
Il sourit avec un hochement de tête satisfait. Severus observa qu'un des fils du noyau magique changea de couleur.
« Vous voyez, mon noyau magique apprécie, constata-t-il avec un sourire.
- Est-ce vraiment lié ?
- Évidemment, approuva Harry. La magie est fortement liée à nous, à nos émotions et nos pensées. C'est ce qui explique la magie accidentelle. »
Severus était secrètement impressionné. Harry se révélait être un jeune homme plein de mystères et de ressources. Plus qu'il ne l'avait imaginé de prime abord. Bien sûr, il était encore trop tôt pour verbaliser une telle pensée.
Il se contenta d'une approbation courtoise.
Et Harry lui rendit un sourire chaleureux.
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Coucou, je sais pas vraiment si y'a des gens qui lisent encore cette histoire mais voilà regardez je la continue et je devrais la finir un jour haha.
J'espère que le chapitre était clair et qu'il vous a plu.
Bonne journée/soirée à vous :)
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