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Rogue et Harry étaient tranquillement attablés dans une atmosphère confortable. Cela faisait plusieurs fois que Harry leur préparait à manger et l'activité était maintenant moins tendue, plus naturelle.

Leur cohabitation se faisait petit à petit.

Après manger, Harry entendit Rogue s'installer dans le salon. Il décida de tenter sa chance et rejoignit son ancien professeur, son instrument à la main.

Severus remarqua que Potter venait lui tenir compagnie. Pas qu'il en ait particulièrement besoin en vue de son activité qui consistait à apprécier une après-midi de lecture. Le sorcier amena avec lui un étui. Il tâtonna jusqu'au fauteuil et déposa l'étui sur le siège. Il l'ouvrit délicatement et demanda :

« Cela vous dérange-t-il ? »

Severus observa un instant le violon entre les mains de Potter.

« Faites comme chez vous M. Potter, je vous en prie, conclut-il avec une pointe de sarcasme. »

Cependant Potter ne sembla pas s'en affliger. Il s'empara de son instrument et commença à jouer une lente mélodie. Malgré lui, Severus sentit son regard être attiré par la vue de Potter. Outre le fait que le bruit n'était pas franchement propice à la concentration (cela étant dit, cela ne dérangeait pas Severus d'ordinaire), il était étrangement curieux de voir Potter à l'oeuvre.

Le jeune sorcier avait fermé ses yeux vides et semblait concentré sur le positionnement de son bras. L'air qui emplissait la pièce était simple et tranquille. Pourtant il y avait quelque chose d'assez fascinant dans la façon dont Potter jouait. Severus n'aurait su décrire ce dont il s'agissait précisément. C'était dans la posture et les traits de Potter. Il y avait quelque chose de singulier.

Finalement, Potter s'arrêta et Severus en profita pour l'interroger :

« Où avez-vous appris à jouer ?

- Un de mes amants me l'a appris, lors de mes nombreux voyages. Il m'a appris à jouer malgré mon handicap. La mémoire corporelle a fait le reste.

- Je vois, répondit-il simplement. »

Harry joua encore quelques instants avant de reposer l'instrument avec précaution.

« Souhaitez-vous que nous essayons de brasser des potions ? Je ne parle pas de potion pour ma vue. Je n'ai pas grand espoir d'y faire grand chose. Et quoiqu'il en soit cela ne me dérange pas tant. Je suppose simplement que vous pourriez en avoir besoin.

- Dois-je vous rappeler votre piètre niveau en Potions, Potter ? »

Harry s'autorisa un léger rire.

« Vous avez bien raison. Cela dit, peut-être qu'avec un instructeur comme vous, je serais capable de quelque chose de pas trop mauvais.

- Dois-je également vous rappeler que j'ai été votre enseignant pendant de nombreuses années et que vos résultats étaient déplorables ?

- Vous étiez mon professeur. Peut-être que si nous usions du même schéma que pour la cuisine nous arriverions à quelque chose de potable ? »

Il y eut un long silence méditatif de la part de Rogue.

« Nous pourrions essayer, concéda-t-il dans un souffle. »

.

Harry se tenait debout de façon raide dans la pièce. Il se demanda à quoi ressemblait son environnement. Était-ce aussi sombre et peu accueillant que les cachots à Poudlard ?

Il n'osa pas formuler sa question à voix haute, de toute évidence.

« Que voulez-vous brasser ? Demanda-t-il à la place.

- La question n'est pas ce que je souhaite brasser mais ce que vous êtes capable de brasser sans concocter un échec dangereux et non-identifiable, Potter. »

Harry se contenta d'acquiescer doucement.

« Pouvons-nous faire quelque chose pour vos mains ?

- Prenez le chaudron sur votre droite, se contenta-t-il d'ordonner sèchement. »

Harry s'exécuta sas un mot.

« Nous allons brasser une simple potion de régénération sanguine, Potter. C'est basique et assez inutile mais cela devrait permettre d'évaluer votre capacité à brasser. Allumez un feu doux. Non, un peu moins fort. Oui, c'est cela. Saisissez-vous du troisième bocal sur l'étagère du bas. Bien. Ouvrez-le. Sortez délicatement une des feuilles. Posez-là devant vous, sur la planche à découper. Saisissez-vous du couteau sur votre droite. Bien. Maintenant Potter, concentrez vous. Je veux que vous éminciez la feuille finement, dans le sens de la fibre. C'est trop gros. C'est déjà plus acceptable. Continuez ainsi. Maintenant Potter, le bocal sur la deuxième étagère en partant du bas, celui tout à gauche. Précisément celui-là. Munissez-vous de la louche en face de vous et versez en deux dans le chaudron. Bien. Vous pouvez maintenant ajouter la feuille que vous avez coupée. »

Harry sentit Rogue se rapprocher dans son dos, sans doute pour surveiller le contenu du chaudron.

« Emparez-vous de l'agitateur et remuez trois fois dans le sens des aiguilles d'une montre. Plus doucement Potter !! Nous ne sommes pas en train de touiller les pâtes. Un peu de délicatesse. »

Harry laissa échapper un léger sourire. Malgré la sévérité de Rogue, il y avait quelque chose d'apaisant dans ce processus de guidage. Les potions étaient certes plus complexes que la cuisine et nécessitaient plus de rigueur. Pourtant Harry aimait être dirigé par la voix de Rogue. C'était apaisant d'avoir une personne prête à palier son handicap sans pour autant montrer de la pitié. Harry aimait assez l'équilibre dans leur coopération. Il y avait quelque chose de soulageant à constater qu'il était toujours capable de produire des choses utiles et n'était pas totalement inapte et inutile.

« Attrapez la poudre dans le bocal tout à droite de l'étagère supérieure. Ajoutez deux cuillères dosées à la préparation. Remuez cinq fois dans le sens anti-horaire. Puis sept fois dans le sens inverse. Maintenant épluchez les fruits dans le troisième bocal de l'étagère inférieure. Coupez-les en quatre, avant de les écraser. »

Harry s'exécuta et attendit la prochaine instruction. Il attendit... Et elle ne vint pas. Un léger sifflement se dégagea du chaudron.

« Rogue, que dois-je faire ensuite ?

- Sortez, ordonna-t-il d'une voix froide.

- Je vous demande pardon ?

- Dégagez Potter, je ne veux plus vous voir ici, cracha-t-il.

- Si j'ai fait quelque chose-

- Je vous ai dit de foutre le camp ! Explosa-t-il, plein de venin. »

Harry reposa les ustensiles et s'éloigna rapidement, quoique maladroitement du laboratoire de Potions. Il retourna dans sa chambre et prit soin de s'occuper silencieusement.

Quand Harry estima qu'il était l'heure du repas, il sortit de sa chambre et appela doucement Rogue. Il savait que le concerné était retourné dans sa chambre car il avait entendu la porte claquer il y a quelques temps.

« Foutez-moi la paix Potter, vint la voix étouffé par la porte.

- Il est l'heure de manger, déclara-t-il simplement.

- Je n'ai pas faim. »

Il y eut un silence.

« J'ai besoin de vous pour faire à manger, insista Harry d'une voix douce.

- Eh bien vous crèverez de faim Potter. Bonne nuit. »

Harry n'insista pas et se résolut à se coucher sans manger ce soir-là.

.

Harry se réveilla en ayant une légère faim. Il se décida à se rendre dans la cuisine dans l'espoir que Rogue se soit remis de la veille. Il n'y avait malheureusement personne dans la cuisine ni dans le salon. Harry se résolut à attendre dans ce qui était maintenant son fauteuil, priant pour que Rogue décide de sortir de sa chambre à un moment ou à un autre.

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Finalement, après une durée indéterminée quoique excessivement longue, Harry décida d'aller toquer à la porte de son hôte.

« Allez vous faire foutre, je vous ai demandé de me laisser en paix. »

Harry se sentit perdre patience. Le fait qu'il n'ait rien avalé depuis pratiquement un jour entier n'aidait en rien.

« Ouvrez la putain de porte Rogue ! »

Un courant d'air indiqua à Harry que sa requête avait été exaucée avec une certaine violence.

« Je vous ai dit de dégager Potter, sortez de ma maison si il le faut mais je ne veux plus vous voir, conclut-il avec fureur.

- Merde, mais c'est quoi votre problème Rogue ? Je comprends que votre incapacité à brasser des Potions soit un sujet délicat mais je pensais que nous étions arrivés à une entente vous et moi !

- Vous et moi, Potter ? Entendez-vous les inepties que vous débitez ? À croire qu'être aveugle vous a rendu encore plus stupide que vous ne l'étiez déjà !

- Putain mais qu'est-ce que vous avez contre moi à la fin ?! Ce n'est pas ma faute si vous êtes incapable d'utiliser vos foutues mains !!

- Il se trouve que vous êtes précisément la cause de mon incapacité à utiliser mes mains, hurla-t-il, furieux. »

Harry ouvrit la bouche pour répondre quand l'information fit le chemin jusqu'à son cerveau.

« Je vous demande pardon ? Demanda-t-il, la colère remplacée momentanément par le choc.

- Parfaitement Potter, si vous aviez cessé de vouloir jouer les héros ridicules nous n'en serions pas là, cracha-t-il, toujours aussi véhément.

- Quand cela ?

- À votre avis Potter ?!

- Durant la bataille finale ?

- On s'approche, Potter, félicitations.

- Mais, vous souffriez d'une hémorragie à cause de Voldemort. Et Nagini avait mordu vos mains. Si Hermione n'avait pas soigné votre plaie et si je ne vous avait pas administré l'anti-venin... Vous seriez mort ce soir-là. »

Rogue ne répondit rien. Et Harry comprit.

« Vous ne comptiez pas survivre... Vous n'avez jamais eu l'intention de vivre après ce jour-là, constata-t-il. »

Il y eut un silence qui en dit long.

« Que pensez-vous que votre médiocre potion a fait Potter ?

- Eh bien, en toute logique, je l'avais brassé justement en cas d'attaque de Nagini, pour empêcher tout empoisonnement.

- Cela n'a fait que stopper la répartition du venin, Potter. Vous avez concentré la douleur dans mes mains. Cela a grandement affecté mes nerfs. Pas assez pour qu'ils soient détruits et donc réparables, cependant. Juste assez pour que nous en soyons ici, vous et moi, à partager une maison et tenter de cohabiter ensemble parce que le Ministère a décidé qu'il avait mieux à faire que de s'occuper des rescapés. Vous êtes satisfait ? »

Harry était tout le contraire.

« Je n'avais aucune idée de tout cela. Je suis vraiment désolé, Rogue. Vraiment. »

Rogue lui jeta un regard las que Harry ne put percevoir.

« C'est tout le problème avec vous, Potter. Vous ne pensez pas, conclut-il, d'une voix plus éreintée que haineuse. »

Harry ne répondit rien. Il n'y avait rien à dire. Rogue était handicapé à vie, privé de la chose qu'il aimait le plus par sa faute. Il comprenait amplement les réactions explosives de l'homme.

« Je serai là dans une heure pour préparer le repas. J'ai besoin de repos d'ici-là, conclut-il d'une voix lasse. »

Harry acquiesça et laissa son ancien professeur seul. Il y avait beaucoup de choses à digérer entre eux.

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