~ Le 3 septembre 1940 ~
Millard referma d'un coup sec le petit cahier de cuir noir posé sur ses genoux. Il venait de passer l'après-midi à travailler sur son projet de compte rendu des activités des habitants de Cairnholm le 3 septembre 1940 et, bien que cela soit passionnant, ce n'en restait pas moins épuisant.
Le garçon invisible se leva et étira ses membres ankylosés en baillant bruyamment. Deux femmes passant par là jetèrent un regard intrigué dans sa direction. Il ne s'en préoccupa pas. Même si elles se rendaient compte de son existence, il lui suffirait d'attendre le lendemain et elles auraient tout oublié. C'était l'un des avantages de vivre dans une boucle.
Millard rassembla ses affaires puis prit tranquillement le chemin du manoir. Là-bas, il retrouva Emma et Fiona occupée à préparer un grand plat de carottes pour le dîner. Il passa un moment à les aider puis monta dans sa chambre. Il avait décidé que le lendemain, il irait recenser le comportement des habitants de Cairnholm au Priest Hole.
Après le repas, un petit groupe d'enfants se réuni autour de la table du salon pour jouer aux cartes. Millard ne se joignit pas à eux. Il n'en avait pas l'énergie et il savait que même si ça avait été le cas, les autres n'auraient pas voulu de lui : ils craignaient qu'il ne triche en se servant de sa particularité.
C'était l'un des aspects de son pouvoir que le jeune invisible détestait. Celui qui lui rappelait sans cesse qu'il ne pourrait jamais être comme les autres. Qu'il était trop différent. Pourtant, Millard adorait être invisible mais parfois, cela lui pesait quelques peu.
Claire hurla et posa son paquet de cartes sur la table. Millard sursauta. Les autres félicitèrent la petite fille qui venait de marquer un point puis reprirent leur partie comme si de rien était. Exaspéré, l'invisible quitta discrètement la pièce. De toute façons, personne ne devait s'être aperçu de sa présence.
***
Millard arriva au Priest Hole vers six heures du matin : il ne voulait rien manquer de l'activité des clients.
Se faufilant entre les tables et les chaises encore vides à cette heure-ci, il alla prendre place sur les escaliers menants aux appartements du barman. Il attendit un moment sans que rien ne se passe de concret en notant les moindres faits et gestes de l'homme debout derrière le comptoir.
Vers huit heures, quelques clients venant petit-déjeuner pointèrent le bout de leur nez. Il ne se passa rien de vraiment passionnant. Millard nota tout de même qu'un homme volait en douce une assiette de bacon et que deux autres se disputaient pour savoir qui s'assierait à côté de Mademoiselle Quelquechose.
Au bout de deux heures à observer, Millard commença à trouver le temps long. Ce n'était pas qu'il commençait à s'ennuyer mais presque. Les clients du pub semblaient tous suivre le même scénario : ils buvaient chopes sur chopes jusqu'à être complètement ivres puis rotaient bruyamment avant de rouler sous leur table. Cela était d'un déprimant...
Le garçon invisible se leva puis se faufila entre les chaises pour rejoindre l'angle opposé de la salle depuis lequel il espérait voir des choses plus intéressantes.
Ce fut là, posté sous la fenêtre, qu'il repéra un évènement anormal. En effet, sur la place du village, devant le Priest Hole, une jeune femme d'une vingtaine d'années avançait d'un pas pressé en direction du bois.
Cela aurait pu paraitre normal pour quiconque d'autre mais Millard avait une connaissance pour le moins approfondie de l'activité des habitants de Cairnholm. Il savait donc parfaitement que cette femme n'avait rien à faire ici à ce moment-là.
Il vérifia tout de même à la page correspondante dans son petit cahier. Mademoiselle Abbott, place, dix heures. Non, vraiment, personne n'était censé se trouver à cet endroit.
Millard se dépêcha de sortir du Priest Hole (de toutes façons, il aurait largement le temps les autres jours de finir son travail) et s'enfonça sur le chemin emprunté par la fille des Abbott quelques instants auparavant. Malheureusement, il n'avait pas été assez rapide et la jeune femme avait déjà disparut.
Millard suivit les empruntes de pieds que les semelles de la dame avaient laissées sur le sentier. Ses pas le menèrent tout de même jusqu'au milieu du marécage bordant le manoir. Là, la bouillasse d'eau et de terre moisie devenaient tellement épaisse que les empruntes de l'étrangère disparaissaient complètement. Plus aucune trace de la jeune femme.
C'était comme si elle s'était volatilisée.
Frustré, le jeune invisible rentra au manoir sans avoir terminé tout ce qu'il avait décidé d'accomplir dans la journée.
***
Là-bas, il retrouva Hugh et Olive qui bronzaient dans le jardin en discutant paresseusement. Ces deux-là étaient vraiment toujours fourrés ensemble. Millard alla les rejoindre et tenta de leur expliquer l'étrange phénomène auquel il venait d'être confronté. Ses amis lui firent gentiment comprendre qu'ils n'en avaient rien à faire.
Cela n'était pas pour améliorer l'humeur du jeune invisible qui repartit en tapant des pieds.
Quand il se fut suffisamment éloigné, Millard se retourna. Hugh et Olive avaient roulé dans l'herbe et le garçon aux abeilles se faisait littéralement attaquer par des touffes d'herbe que sa camarade lui jetait à la figure. Cela n'avait pourtant pas l'air de lui déplaire et il riait aux éclats.
Ce spectacle rappela alors cruellement à Millard que personne ne le regarderait jamais lui avec le regard que posait Olive sur son ami à ce moment-là. Personne ne jouerait jamais ce petit jeu de séduction. Jamais. Et tout cela pour la simple et bonne raison qu'on ne peut pas tomber amoureux de quelqu'un qu'on ne voit pas. N'est-ce pas ?
Avant que la mélancolie ne s'installe dans son esprit, l'invisible reprit son chemin et décida d'aller tenter sa chance avec les autres particuliers de la boucle : après tout, ils n'étaient probablement pas tous aussi bornés que Hugh et Olive et l'un d'entre eux accepterait peut-être d'accorder du crédit à son histoire.
***
Malheureusement, il ne trouva personne dans le salon mis à part Bronwyn et Claire qui jouaient aux poupées, assises par terre sur le tapis. Ne souhaitant pas plus que ça discuter avec elles, Millard tenta de se faire le plus discret possible en passant devant la salle où elles se trouvaient. Habituellement, il était très doué pour ce petit jeu mais les deux benjamines de la boucles semblaient avoir développé un radar à invisibles et savait toujours qu'il était là lorsque c'était le cas.
Elles ne manquèrent donc pas de se rendre compte de sa présence et se précipitèrent vers lui en lui braillant de venir jouer avec elles. Ne sachant pas comment refuser, il les suivit jusqu'au centre du salon.
Bronwyn lui fourra une poupée à la robe rose bonbon et aux cheveux beaucoup trop blonds coiffés d'un petit bonnet dans les mains.
« Bon qu'est-ce que je dois faire ? demanda-t-il avec lassitude aux fillettes en prenant place à leurs côtés.
- Et ben tu es une grande dame et tu ne vis pas dans une boucle et tu cherche un amoureux mais tu en trouves pas alors tu es triste et nous on doit te consoler.
L'explication de Bronwyn avait suffit à perdre le jeune invisible mais il hocha tout de même la tête en faisant mine d'avoir saisit.
- On va dire que là c'est ta maison et que là c'est celle de Wyn et que là c'est la mienne » s'enthousiasma Claire en indiqua divers endroits.
Millard passa ensuite une bonne demi-heure à s'ennuyer en compagnie des deux petites filles sans oser le leur dire de peur de les fâcher. Enfin, surtout de peur de fâcher Bronwyn qui avait la mauvaise tendance à piquer des crises de colères incontrôlables et très dévastatrices.
***
Finalement, ce fut Emma qui le sauva des griffes de Bronwyn et Claire en le priant de venir l'aider à préparer le déjeuner. Il accepta avec soulagement.
Pendant qu'ils étaient tous deux en train d'éplucher l'énorme carotte que Fiona avait fait pousser sous les ordres de Miss Peregrine un peu plus tôt dans la matinée, le jeune invisible tenta subtilement de faire venir le sujet de sa découverte sur le tapis.
Emma semblait plutôt intéressée mais malheureusement, au moment de lui dire explicitement ce qui s'était passé, Horace appela la jeune fille à l'aide pour venir chauffer l'eau de son bain.
Millard, une nouvelle fois laissé en plan, soupira puis décréta intérieurement que puisque personne ne semblait avoir l'intention de l'aider, il retournerait le lendemain enquêter sans en parler à ses camarades et percerait seul cet étrange mystère.
***
C'est ainsi que le jour suivant, alors que tout le monde dormait encore dans la boucle, Millard Nullings se dirigea vers l'endroit où il avait vu pour la dernière fois la jeune femme qui occupait toutes ses pensées depuis la veille. Hélas, il eut beau chercher dans tous les recoins de la forêt, il ne trouva nul trace de sa présence.
Ne sachant que penser et excédé par son impuissance, le particulier finit par rentrer au manoir et passa la journée dans sa chambre sans vouloir adresser la parole à quiconque.
Ses camarades étaient certes inquiets mais prenant son comportement pour un petit moment de déprime assez fréquent chez les particuliers vivant dans la boucle, ils ne s'en préoccupèrent pas plus que cela.
***
Il était vingt-deux heures. Les enfants de la boucle du 3 septembre 1940 dormaient tous à points fermés. Tous, sauf un.
En effet, Millard ne parvenait pas à trouver le sommeil. Il se tournait et se retournait dans son lit sans parvenir à trouver une position confortable.
Il faisait beaucoup trop chaud sous sa couverture. D'un coup de pied, il l'envoya valdinguer un peu plus loin. Il s'apprêtait à faire de même avec son oreiller quand un bruit le stoppa net dans son élan.
Quelque chose ou quelqu'un toquait contre sa fenêtre. Pétrifié de peur, Millard n'osa pas faire un seul mouvement. Les coups devinrent plus insistants. Le doute n'était plus possible : un individu avait réussit à escalader la façade du manoir sur trois étages et était à présent tranquillement installé sur le rebord de sa fenêtre, juste derrière la vitre.
Millard savait que l'option la plus raisonnable aurait été d'aller prévenir Miss Peregrine qui elle, aurait su comment réagir mais sa curiosité était trop grande et il finit par se lever, non pour aller chercher de l'aide, mais pour s'approcher de la fenêtre.
Il resta un moment sans bouger, hésitant, puis prit son courage à deux mains et tira le rideau d'un coup sec.
Ce qu'il découvrit de l'autre côté le laissa coi.
La femme du Priest Hole. Celle qu'il avait traquée en vain durant les dernières vingt-quatre heures.
Un soulagement sans nom envahi le particulier. Il savait qu'elle ne lui ferait aucun mal. Il ouvrit la fenêtre.
La jeune femme le regarda sans le voir pendant un moment. Elle ne semblait nullement impressionnée de voir des objets bouger tout seul. Au contraire, elle sauta lestement à l'intérieur de la chambre de Millard, alla s'asseoir sur le lit et demanda posément tout en replaçant comme il faut sa robe autour de ses jambes :
« Alors c'est toi qui m'a suivie l'autre jour.
- Qu... quoi ?
L'intruse leva les yeux au ciel comme si le garçon venait de prononcer quelque chose de vraiment stupide.
- Tu ne pensais tout de même pas que je ne m'étais pas aperçue de ta présence ?
- Eh bien si, justement.
- Ce n'est pas parce que tu es invisible que personne ne peut te remarquer, tu sais. La preuve est que j'y suis parvenue.
Cette fois, ce fut à Millard de prendre un air exaspéré. Il parlait avec cette fille depuis moins d'un minute et elle commençait déjà à lui taper sur les nerfs avec ses grands airs supérieurs.
- C'est génial. Mais je suppose que ce n'est pas pour m'informer de mon indiscrétion que tu es venue me voir, non ? Tu n'as pas des choses autrement plus importantes à me révéler ? Par exemple comment se fait-il que tu sois ici alors que tu appartiens à la boucle ?
- En fait, je suis venue te demander de m'aider.
Millard en resta stupéfait.
- De t'aider ? Mais à quoi ?
- Eh bien vois-tu, je ne devrais pas me trouver ici. Normalement, je vis à Londres mais, plus rien n'est normal à présent...
L'inconnue avait les yeux perdus dans le vague. Elle semblait malheureuse. Millard eut soudain pitié d'elle et toute sa mauvaise humeur retomba d'un coup.
- Jusque là ma famille avait été plutôt bien épargnée par les bombardements mais il y a quelques jours, alors que je m'étais absentée pour mon travail, les allemands ont encore frappé. Mon mari et mes deux fils ont péris. Ils n'avaient pas cinq ans. Comme je n'avais pas d'autre option, j'ai demandé à ma sœur jumelle si je pouvais venir trouver refuge ici, sur cette île. Durant mon séjour, je me suis aventurée plus loin pour découvrir un peu Cairholm et c'est comme cela que je suis atterri là. Ça fait six jours que je tourne en boucle. Je ne sais pas où nous sommes ni ce qui m'est arrivé. Mais j'ai vu tellement de choses folles en ce labste de temps que je n'ai même pas été choquée quand je me suis rendue compte de ta présence. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai pensé que, étant donné ton apparence... singulière, tu serais peut-être en mesure de m'en apprendre plus sur ce qui m'arrive.
- Oui, sûrement mais ça veux dire... que tu t'es perdue dans la boucle ? Ça veut dire que tu es particulière !
- C'est quoi une boucle ? Et oui, je suis particulièrement douée pour m'attirer des problèmes.
- Non, non, tu ne comprends pas... Bon, j'ai compris, je vais te faire un petit exposé. Alors déjà, l'endroit où tu te trouves - où nous nous trouvons - se nomme une boucle. C'est un espace isolé dans le temps. En gros, nous sommes aujourd'hui en 1940, le 3 septembre plus exactement et demain, nous serons encore le 3 septembre 1940.
- Tu veux dire que le même jour se répète à l'infini ?
- Exactement, mais nous avons l'impression d'y vivre en continu.
- Mais comment cela est-il possible ?
- Ah, nous abordons la deuxième partie de mes explications, la plus délicate. L'humanité comme tu la connais est divisée en deux branches : les normaux comme tout le monde que tu connais, et les particuliers comme moi ou tous les habitants de cette maison.
- Particuliers, ça veut dire que vous êtes tous comme toi ? Invisibles, je veux dire.
- Non. Je suis le seul. Les autres possèdent chacun un pouvoir propre à eux-même. Bronwyn et Victor par exemple, ont la force de dix hommes. Et Fiona peut contrôler la végétation. Quelle est le tien ?
La fille rit.
- Je n'en ai pas. Je suis une femme tout ce qu'il y a de plus normal. D'ailleurs, je ne devrais pas tarder à me réveiller dans mon lit normal aux côtés de ma sœur normale, sur une île normale.
- C'est impossible : les humains ordinaires ne peuvent pas pénétrer dans les boucles.
- Eh bien, je suis l'exception qui confirme la règle !
- Arrête, tu le fais exprès. Tu as forcément remarqué quelque chose de spécial chez toi, un don ou une particularité physique que tu ne retrouve pas chez les autres, non ?
Elle réfléchit un instant puis dit, songeuse :
- Maintenant que tu le dis, il me semble que lorsque j'ai des émotions vraiment fortes, ma peau se met à luir faiblement... Un peu comme si elle était fluorescente. La dernière fois que ça m'est arrivé, c'est quand j'ai réalisé que j'étais entrée quelque part où il ne fallait pas... Dans la boucle, donc.
- Ah, tu vois, j'en étais sûr ! Bienvenue dans la famille... Mmmm, par contre, je crois que j'ai omis de te demander ton nom. Quel mauvais hôte je fais !
- Juliette. Je m'appelle Juliette.
- Enchanté Juliette. Moi c'est Millard. Je te présenterais mes amis demain mais en attendant, il faut dormir. Tu n'as qu'à prendre mon lit, je vais dormir sur le tapis.
- Oh non, je ne vais pas t'imposer ça !
- Prends le lit je te dis : tu en as plus besoin que moi. »
***
« Mais c'était ma place ! Enoch va-t'en !
- Qui part à la chasse perd sa place !
- Qui part à la pêche la repêche ! Maintenant rend-la moi où je t'explose la tête !
- Enoch ! Bronwyn ! Vous voulez pas faire un peu moins de bruit ? Il n'est que huit heures du matin et vous êtes déjà en train de brailler ! »
Emma n'avait pas tord : leurs cris résonnaient dans toute la maisonnée, au plus grand bonheur des enfants.
Millard, que cette agitation venait de réveiller, décida de descendre déjeuner. Puis il se souvint de Juliette qui dormait toujours près de lui. Il se tourna vers elle et constata qu'elle était assise bien droite sur le lit de l'invisible et n'attendait que lui pour aller faire la connaissance des autres pupilles de Miss Peregrine.
« On y va ? » demanda-t-elle en guise de bonjour tout en sautant sur ses pieds.
Le garçon la conduisit dans le salon où ils retrouvèrent Bronwyn et Enoch assis à un bout et l'autre de la table et qui se fusillait mutuellement du regard en mangeant leurs œufs. En les entendant entrer, ils relevèrent la tête vers les nouveaux arrivants et regardèrent Juliette avec des yeux ronds.
« C'est qui elle ? interrogea la petite hercule, résumant les pensées de chacun.
- Heu... commença Millard.
Il fut interrompu par Emma, Hugh et Fiona qui venaient de faire leur apparition dans la salle.
- Millard, pourquoi t'as ramené ta copine ici ?
- Je... balbutia l'invisible en rougissant, bien que personne ne puisse le remarquer.
- Je ne suis pas sa copine, coupa Juliette en relevant le menton en signe de défi. Et ce n'est pas la faute de Millard si je suis ici. Je me suis perdue. »
Elle leur conta alors toute son histoire comme elle l'avait fait un peu plus tôt avec Millard mais en rajoutant quelques éléments pour la rendre encore plus tragique. Les enfants l'écoutaient avec attention, captivés.
Et puis Miss Peregrine rentra du marché et, après s'être à son tour étonné de la présence de Juliette, elle voulu à son tour connaître ses mésaventures et la jeune fille recommença.
***
« ...et c'est ainsi que vous êtes arrivée parmi nous, devina Miss Peregrine une fois que Juliette lui eut tout expliqué. Oh, ma pauvre enfant. Vous êtes évidemment la bienvenue dans ce manoir et pourrez y séjourner aussi longtemps que vous le souhaiterez.
- Merci madame, répondit poliment la jeune femme. Mais je ne voudrais pas faire attendre plus longtemps ma sœur. La pauvre doit déjà se faire un sang d'encre de ne plus me voir depuis presque une semaine... Je ne voudrais pas qu'elle ne s'inquiète plus que nécessaire pour moi. Et puis l'idée de rester coincée ici pour l'éternité ne m'enchante guère, sans vouloir vous vexer.
- Vous en êtes bien sûre ? C'est que le monde n'est pas sans danger pour les particuliers. Je suppose que Monsieur Nullings a déjà dû vous parler des monstres qui rôdent dans le présent et dans toutes les époques à la recherche d'âmes de gens comme vous et moi à dévorer.
Juliette frissonna.
- Non. Il n'a pas aborder le sujet.
- Je ne voulais pas l'effrayer, se justifia l'intéressé.
- Vous avez bien fait. Il n'empêche, il faut que vous soyez prévenue, Mademoiselle. Si vous ressortez de cette boucle, votre vie ne sera plus jamais la même. Vous devrez sans cesse être sur vos gardes.
- Je... Laissez-moi un moment pour y réfléchir. »
La particulière s'écarta de la foule qui s'était formée autour d'elle et alla regarder par la fenêtre. Elle resta un long moment à regarder ainsi le ciel tandis que les autres enfants attendaient, impatients de connaître sa réponse. Finalement, elle se retourna vers eux et déclara d'un ton résolu :
« Ma vie n'est plus la même depuis que des monstres autrement plus terribles que ceux que vous venez de me décrire ont fait succomber ceux que j'aimais le plus au monde. Et avec la guerre, je dois déjà faire attention à chacune de mes actions. Je ne pense pas que la situation sera bien pire si je retourne dans mon monde. C'est donc ce que je vais faire, pardon si cela vous déçoit. Et ne vous en faites pas : je ne révèlerais votre secret à personne.
- Je vous crois et je comprends votre décision, répondit résolument l'Ombrune. Et ce choix vous appartient entièrement. Je chargerais Monsieur Nullings de vous raccompagnez jusqu'à la sortie de notre boucle mais avant, je vous invite, si vous le voulez bien, à rester manger avec nous ce midi. Les enfants n'ont pas souvent de la visite et ils aimeraient grandement faire connaissance avec vous, n'est-ce pas les enfants ? »
Un concert d'exclamations lui répondit et Juliette, attendrie, accepta de bon cœur l'invitation.
***
« Et ça c'est ma poupée. Avant elle s'appelait Bronwyn 2 mais maintenant c'est Juliette parce que je t'aime trop !
- Moi je l'aime encore plus que toi !
- C'est pas vrai ! Et pis d'façons t'en sais quoi, toi ?
- J'en sais que...
- Bronwyn ! Claire ! Vous pourriez nous rendre Juliette s'il-vous-plait ? »
La jeune femme était prisonnière des deux petites depuis déjà un bout de temps et, même si elle les trouvaient adorables, elle aurait voulu pouvoir aller parler avec des gens plus proches de son âge. L'intervention d'Emma lui donnait justement ce qu'elle souhaitait.
« Oh mais dis-donc, comment vous faites pour les supporter au quotidien, ces deux là, demanda-t-elle en arrivant au niveau de Millard, Fiona et Emma.
- T'inquiète, avec l'expérience on fini par s'y habituer, répondit le garçon invisible avec un clin d'œil que nul ne pu voir.
- Bon, dit Fiona. Nous allons finir de te faire visiter le jardin puis tu iras dire au-revoir aux autres et Millard te racompagnera dans le présent, ça te va ?
Juliette opina du chef.
- Parfait. »
***
Les trois adolescents conduisirent alors leur nouvelle amie à travers les haies bien taillées, les pelouses soigneusement entretenues et les constructions végétales de la jeune herboriste. Cette dernière n'était d'ailleurs pas peu fière de son travail et n'avait de cesse de commenter tout ce qui passait à la portée du regard de la jeune femme.
« Et celui-ci, disait-elle, c'est Adam. Je l'ai créé suite à des instructions de Miss Peregrine qui voulait quelque chose qui représenterait la création de la vie et donc l'origine de nos particularités pour décorer le jardin. Cela m'est donc venu naturellement.
Millard, qui se retenait depuis un bon moment de lui faire part de son agacement vis à vis de ses explications, ne pu se retenir plus longtemps.
- Fiona, ça t'embêterais d'arrêter ? Tu vois bien que ça ne l'intéresse pas, alors pourquoi insister ?
- Oh toi, ça va ! Si nous avions été dans le village, ce serait toi qui aurait joué le rôle du guide touristique et ça aurait été encore plus long et ennuyant !
- C'est faux, tu...
- STOP ! les coupa Juliette. Je n'ai plus que quelques heures à passer avec vous alors j'aimerais que vous ne vous disputiez pas pendant ce labste de temps !
Millard et Fiona, honteux, baissèrent la tête.
- Oui, tu as raison. Excuse-nous.
- Ça ne fait rien. Allez, présentez moi vos amis : j'aimerais avoir fait la connaissance de tout de monde avant de partir. »
***
Juliette tint à rester au moins vingt minutes avec chaque particulier, les remerciant pour leur hospitalité et leur gentillesse. Elle termina par Miss Peregrine.
« Ma chère enfant, lui dit gravement cette dernière après l'avoir serrée dans ses bras. Vous ne serez pas restée longtemps avec nous mais sachez que nous le regretteront et que votre présence parmis nous va nous manquer. Mais comme je vous l'ai dit, je ne veux pas entraver la liberté de mes pupilles, même si vous n'en êtes pas vraiment une. Allez maintenant, faites ce que bon vous semble, profitez de votre vie, soyez heureuse mais surtout, surtout, prenez garde à vous.
- Je vous promet que tout ira bien. Et vous aussi allez me manquer. Mais je suis certaine que nous nous reverrons un jour. En attendant, au revoir Miss ! »
Elle adressa un signe de main à l'Ombrune, embrassa Emma et Fiona puis alla rejoindre Millard qui la conduisit vers le cairn ouvrant l'entrée vers son monde à elle.
***
« Au-revoir Millard, lui dit-elle en déposant un baiser sur sa joue invisible. Je te souhaite tout le bonheur du monde, mon ami.
- De même. J'ai été ravi de te rencontrer.
Ils restèrent un moment silencieux, gênés, puis Juliette déclara :
- Je n'aime pas les adieux. Je trouve ça trop triste. Alors on ne va pas s'éterniser dessus, ça te va ?
- Oui. »
Elle ouvrit la bouche comme pour ajouter quelque chose puis se ravisa et tourna les talons. Alors qu'elle s'enfonçait dans le bois, Millard la retint un instant.
« Eh, Juliette ? (Elle se retourna) Je suis sûr que tu vas retrouver un homme capable de t'aimer et qui saura te faire oublier le drame que tu as subit. »
La jeune femme sourit puis disparu entre les feuillages. Le garçon regarda pendant de longues secondes l'endroit où elle se trouvait plus tôt.
Enfin, il se détourna et retourna dans sa boucle, à vivre chaque jours la même journée mais à l'abri de la guerre et de ses souffrances.
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Qu'avez-vous pensé de cette nouvelle, qui met plus en avant Millard au lieu de Hugh et Olive comme c'est le cas souvent ?
Moi je l'aime plutôt bien, même si elle me rappelle un peu trop « Pas si jolie, Kaylee », pas vous ?
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