~ Action ou vérité ? ~
Ce matin-là, les pupilles de Miss Peregrine avaient décidé d'aller pique-niquer en haut des falaises bordant l'île de Cairnholm.
Ils avaient emporté tout ce dont ils auraient besoin dans de grands paniers en osier et s'étaient équipés d'une grande nappe rouge et blanche.
Miss Peregrine leur avait donné son autorisation à condition qu'ils se montrent très prudents et que les plus grands promettent de veiller sur les plus petits.
***
Sur le chemin, tout le monde était très excité. Les petites couraient dans tous les sens en criant comme des putois.
Les autres, plus réservés, se contentaient de sourire.
A la sortie de la forêt, Bronwyn se prit les pieds dans un racine et s'écrasa de tout son long sur le sol. Elle se mit à brailler à pleins poumons en tenant son genou écorché. Victor se précipita avant qu'elle ne s'énerve encore plus et ne commence à passer sa colère contre les pauvres autres qui ne lui avaient rien fait.
Claire s'arrêta de courir et passa le reste du trajet à regarder ses pieds pour être sûre de ne pas faire la même erreur que son amie. Cela lui valu de se cogner plusieurs fois la tête contre des troncs qui se trouvaient malencontreusement en travers de son chemin.
L'ambiance était un peu plombée quand ils arrivèrent enfin là où ils avaient prévu de s'installer. Heureusement, quand Emma et Horace commencèrent à sortir les sandwiches des paniers, les enfants se remirent à discuter joyeusement, parlant les uns par-dessus les autres de telle sorte qu'il était impossible de comprendre quoi que ce soit.
Bronwyn, qui avait maintenant un gros pansement sur sa blessure, réclama à être servie la première car elle était « souffrante ». Hugh attrapa au volé le sandwich qu'Emma lança à la petite fille et ricana. Bronwyn devint toute rouge et commença à vociférer contre son camarade.
Emma lui en tendit un autre et lui promit qu'il était bien meilleur que celui de Hugh afin d'éviter toute altercation.
Le pique-nique se passa pour le mieux. Tout le monde mangea à sa faim et ensuite, chacun se posa dans l'herbe afin de digérer son repas.
Certains s'endormirent mais bien sûr, les petites, elles, refusèrent de faire la sieste et Fiona fut obligée d'aller jouer avec elles.
***
Plus tard dans l'après-midi, les enfants se réunirent tous en cercle pour jouer au jeu préféré d'Emma, action ou vérité. Ce fut elle qui commença.
« Millard, action ou vérité ?
- Vérité.
- Penses-tu vraiment que l'écriture de ton livre sur la journée du 3 septembre 1940 à Cairnholm soit utile ?
- Non mais ce sera un travail sans précédent et il sera donc forcément reconnu.
- Mouais, je n'en suis pas convaincue... A toi.
- Mmmm, voyons voir... Hugh ! Action ou vérité ?
- Quoi ? Mais pourquoi moi ? Pfff... vérité.
- Que ressens-tu réellement pour Olive ?
- Heu... (Il jeta un coup d'œil embarrassé à l'intéressée.) C'est une très bonne amie.
- Tu en es sûr ? susurra l'invisible. Elle n'est rien de plus à tes yeux ?
- Non. Bon, Claire, action ou vérité ?
- Action.
- Fais trois fois le tour du cercle à cloche-pied.
- D'accord.
Pendant que la fillette s'exécutant, Millard se pencha vers Olive, assise à sa droite. Il lui chuchota quelque chose à l'oreille qui la fit aussitôt virer au rouge pivoine. Elle jeta un regard gêné à Hugh puis laissa tomber ses cheveux devant son visage pour cacher son embarra.
- Fiona ! s'exclama Claire revenue à sa place, à bout de souffle.
- Je n'ai pas vraiment envie de bouger alors... vérité.
- C'est quoi ta plus grosse bêtise ?
- Je n'en ai pas vraiment mais je dirais que c'est la fois où je suis allée fouiller dans les affaires d'Enoch pour récupérer des cœurs, juste après mon arrivée dans la boucle. Je voulais voir si j'arrivais à y faire pousser quelque chose. Je vous rassure, ça ne marche pas.
- QUOI !? s'écria le lève-morts en relevant la tête du lapin mort qu'il était en train de tripoter.
Il s'était installé un peu à l'écart de ses camarades et avait catégoriquement refusé de jouer à ce « jeu puéril et immature ».
- Ne t'inquiètes pas, je n'y suis pas revenue une seconde fois ! Il faut dire que c'est assez morbide, là-bas ! »
Elle rit mais Enoch lui, semblait moyennement amusé. Il en profita pour rappeler à tout le monde que le premier qu'il surprendrait en train de fouiller dans autorisation dans son matériel ou dans ces affaires en général regretterait d'être né.
Claire se mit à pleurer et Olive cria à Enoch de rester avec ses morts et de laisser les vivants tranquilles. Pour tenter de détourner l'attention du sujet du moment, Fiona s'empressa de poser la question suivante. Elle était destinée à Horace.
Au fur et à mesure, les questions que les aînés se posaient devenaient de plus en plus osées et on finit par demander à Claire et Bronwyn d'aller jouer ailleurs lorsque qu'Olive fut contrainte de retirer son tee-shirt (ce qui fit étonnement rougir Hugh) et qu'Horace dû embrasser Fiona.
Elles râlèrent mais durent bien se résoudre à obéir. Ce fut d'ailleurs grâce à leur éloignement du groupe qu'elle remarquèrent quelques temps plus tard un étrange individu qui s'approchait du petit groupe. Vêtu d'un costume noir parfaitement repassé, ce qui n'était pas coutume sur cette île rustique, il semblait très sûr de ce qu'il faisait. En voyant les deux petites filles qui jouaient à se poursuivre, il s'approcha d'elles.
« Bonjours mes petites. Je cherche les pupilles de la boucle de Miss Peregrine, ça vous dit quelque chose ?
Les gamines, trop jeunes pour se méfier de cet homme qui n'avait rien à faire dans leur boucle, lui répondirent fièrement que oui, forcément, puisque qu'elles en faisaient partie.
- Oh, très bien, s'étonna l'inconnu. Je ne m'y attendais pas mais bon. Et les autres, où sont-ils ? Ne me dites pas que vous êtes seules ici !
- Non, rit Bronwyn comme s'il venait de dire une énormité. Ils jouent en haut de la colline mais on pas le droit de rester parce qu'on est « trop jeunes » apparemment. Je ne veux pas dire mais j'ai plus de soixante-dix ans, je ne pense pas qu'on puisse dire que c'est jeune ! »
L'homme acquiesça comme s'il comprenait sa révolte puis les laissa pour aller trouver l'endroit qu'elles lui avaient indiqué.
***
Quand l'homme en noir arriva en vue du groupe des particuliers toujours assis en cercle, il eut la chance d'assister à un curieux spectacle de danse donné par Victor. Prudemment, l'intru s'avança vers eux.
« Bonjour, s'annonça-t-il d'une voix chantante.
Les huit enfants de la boucle du 3 septembre 1940 sursautèrent et se tournèrent vers lui d'un même mouvement, méfiants. Olive se dépêcha de se rhabiller et Millard descendit des genoux de Hugh sur lesquels il avait dû s'asseoir, se faisant le plus discret possible afin que l'autre ne remarque pas sa présence.
- Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Comment êtes-vous rentrés dans la boucle ? interrogea Emma d'une traite.
- Oula, du calme, il n'y a pas le feu ! Je m'appelle Norbert Fluck. Je suis particulier comme vous et je venais rendre visite à votre Ombrune mais je me suis perdu. Heureusement, j'ai pu retomber sur mes pattes et ceci grâce à vos petites camarades.
- Vous voulez parler de Claire et Bronwyn ?
- Je n'ai pas eut le temps de leur demander leurs noms mais oui, je suppose que c'est elles qui jouent à chat en contrebas. »
Les particuliers ne semblaient pas convaincus par l'histoire de l'homme, surtout qu'il refusait de parler de son pouvoir, mais il était bon parleur et après un moment de discutions, ils finirent par accepter de les laisser jouer avec eux à action ou vérité pour leur prouver sa bonne foi.
***
« Olive, commença-t-il. Action ou vérité ?
- Action.
- Montre-moi quelle est ta particularité.
La jeune fille se leva sans rechigner et ôta ses chaussures de plomb tout en se retenant à Victor.
- A moi, dit-elle ensuite en refermant les crochets qui maintenait ses pieds au sol. Emma, action ou vérité ?
- Vérité ?
- Es-tu toujours amoureuse d'Abe ?
- Oui, je pense. Enfin si se languir de quelqu'un qui ne revient pas peut encore être appelé de l'amour... »
Le jeu continua aussi, les enfants lâchant confidences sur confidences et se surpassaient en actions saugrenues. L'homme en noir, étrangement, ne participait presque pas. Chaque fois qu'il était interrogé, il choisissait toujours vérité et trouvait des moyens subtils de détourner la question pour ne pas avoir à y répondre.
Si les enfants avaient été dans un autre lieu, un autre jour et avec autre chose en tête que l'amusement, ils se seraient surement rendus compte que quelque chose clochait mais ce ne fut pas le cas. C'était limite s'ils n'oubliaient pas qu'un parfait inconnu se trouvait parmi eux.
Et ce dernier profitait de cet avantage pour enregistrer toutes les informations qu'il arrivait à glaner et planifier la façon dont il allait s'y prendre pour agir et accomplir sa sinistre besogne. Celle-ci ne le ravissait pas et il aurait d'ailleurs préféré que ce soit un autre que lui en soit chargé mais comme souvent, le hasard de la courte-paille l'avait désigné lui et pas un autre. Foutu manque de bol...
« Norbert, action ou vérité ? demanda Emma qui ne semblait jamais se lasser de ce jeu ni être à court d'idées.
- Vérité.
- Ça change. Bon, quelle a été ta plus grosse honte dans ta vie ?
- Je ne pense pas avoir eu de « plus grande honte ». Horace, action ou vérité ?
Le garçon choisit action d'un ton morne. Il commençait à en avoir assez de ce jeu et cela se lisait dans son attitude. Norbert ne dit rien. Les enfants le pressèrent de donner son gage à Horace mais il s'obstinait à refuser.
- J'ai envie de tester un nouveau concept, expliqua-t-il. Je ne dirais l'action qu'à la personne concernée et les autres devraient deviner de quoi il s'agit lorsqu'il s'exécutera. »
Hugh et Fiona échangèrent un regard interrogateur. Ils commençaient à sentir le piège se refermer sur eux mais pas Horace apparemment car il qui se leva et se dandina comme si de rien était jusqu'à l'inconnu qui lui chuchota quelque chose à l'oreille. Les yeux du garçon en redingote changèrent alors. Ils passèrent du marron au noir pendant une fraction de seconde, si bien qu'aucun de ses amis n'eut le temps de s'en rendre compte.
Il se tourna ensuite vers ses camarades et son regard sans expression se focalisa sur Enoch. Il s'avança vers lui, le contourna et vint placer ses mains sur ses épaules comme un père pourrait le faire avec son enfant.
Tous les regards étaient rivés sur les deux garçons et celui en redingote, bien conscient de ce fait, prit tout son temps pour faire remonter ses doigts le long du cou de son ami tétanisé et de le serrer de toutes ses forces.
« Horace mais qu'est-ce que... MAIS LACHE LE TU VA LE TUER !!!
Emma tenta de s'interposer entre ses camarades mais Horace l'envoya balader d'un geste brusque. Les enfants ne savaient plus quoi penser. Le particulier aux rêves prémonitoires était-il devenu fou ?
Et puis la voix de Norbert se fit entendre et les cloua sur place de surprise. Son ton, si chaleureux quelques instants auparavant était à présent dur et tranchant lorsqu'il leur dit :
- C'est le but recherché.
- C... Comment ? demanda Fiona sans oser comprendre.
- C'est exactement ce que je lui ai ordonné de faire : tuer Enoch.
- Mais pourquoi ? Et comment se fait-il qu'Horace vous obéisse ?
- Il semblerait qu'il a compris qu'il fallait mieux se ranger dans mon camp si l'on voulait être du bon côté de la lame. »
Les enfants avaient envie de vomir en l'entendant parler ainsi. Ils n'avaient aucune idée de ce que pouvaient bien être les intentions de cet inconnu mais une chose était sûre : elles n'étaient certainement pas des plus pacifiques.
« Lâche-moi ! Lâche-moi ! Lâche-moi ! », hurla la voix d'Horace.
Tous les regards se tournèrent vers lui, que Victor était en train de tenter de décrocher du cou d'Enoch. Le devin se débattait farouchement mais il ne pouvait pas faire grand-chose face à la force légendaire du jeune hercule.
Ce dernier ordonna à sa sœur, que le vacarme avait fait rappliquer ainsi que Claire, de venir lui prêter main forte. Malheureusement, au moment où elle allait s'exécuter, Norbert se jeta sur la fillette et, la tenant fermement par le bras, lui dicta :
« Tue Olive. Egorge-toi, écartèle-la, fais ce que tu veux mais tue-la.
- Eh, pourquoi moi !? se plaignit la jeune fille plume comme si on venait de lui annoncer que c'était à son tour de faire la vaisselle.
- Bronwyn, intervint Hugh. Tu n'as pas intérêt à la toucher ou sinon... »
La petite hercule tourna son regard vide vers lui puis le détourna pour reporter son attention sur sa cible prédestinée. Avec la même lenteur que Horace avant elle, elle s'approcha de la particulière plus légère que l'air.
Hugh cria et se jeta sur la fillette pour la plaquer au sol. Il semblait habité d'une rage sauvage, comme si son instinct animal avait repris le dessus, l'empêchant d'aligner deux pensées concrètes. Il roua de coups le corps dur comme de l'acier de la fillette mais elle n'y prêtait aucune attention, regardant toujours Olive.
« Hugh ! essaya de raisonner cette dernière. Arrête, tu vois bien que ça ne sert à rien ! Et puis c'est Bronwyn : je suis sûre qu'elle ne me ferra aucun mal. Pas vrai ma chérie ?
- N'en soit pas si certaine, la coupa Norbert en sortant de nulle part pour venir poser sa main dans le dos de l'adolescente rousse. Tu penses peut-être que tes amis peuvent se montrer suffisamment puissants pour contrer mon pouvoir mais tu te trompes : il est bien supérieur aux leurs. Mais puisque cette misérable gamine ne semble pas capable de faire ce que je lui demande dans les temps, je vais passer au plan B. Olive, vas te jeter du haut de la falaise. Il m'a semblé constater que nous nous trouvons à une distance respectable de la mer, avec un peu de chance du finira brouillée avant même d'avoir eut le temps de te noyer. »
Les yeux d'Olive changèrent comme ceux d'Horace avant elle et elle se dirigea vers le bord de la falaise en marchant à la manière d'un patin, plus du tout maître de ses mouvements. Hugh relâcha Bronwyn et se précipita à la suite d'Olive en braillant le nom de son amie à pleins poumons.
L'homme en noir venu semer le chao parmi les particuliers sourit méchamment de le voir si désespéré.
Ce fut d'ailleurs parce qu'il regardait Hugh et Olive que Norbert ne se rendit pas tout de suite compte de la présence de Victor derrière lui. Ce petit moment d'inattention permit au particulier de se saisir de lui. Il l'emprisonna dans ses bras maigrichons mais néanmoins si puissants et serra jusqu'à ce que l'autre ait du mal à respirer.
Norbert essaya de faire tomber son assaillant sous son emprise comme il l'avait fait avec Horace, Bronwyn et Olive – car oui, c'était bien cela sa particularité – mais le manque d'air dans ses poumons lui brouillait le cerveau et le faisait paniquer si bien qu'il lui était incapable de trouver un endroit de peau nue où poser sa paume maléfique.
Il finit par tomber dans les pommes et le jeune homme pu enfin l'emmailloter dans la nappe afin de l'empêcher de bouger lorsqu'il se réveillerait (s'il se réveillait).
C'est ainsi que Victor mit hors d'état de nuire cet homme qui voulait en faire autant avec eux, les forçant à se décimer les uns les autres.
Mais le problème n'était pas encore résolu. En effet, Horace se débattait toujours pour tenter d'échapper à l'étreinte de Fiona et Emma qui le planquaient au sol, Enoch agonisait dans l'herbe, des traces rouge sang en guise de collier, Hugh essayait tant bien que mal de retenir Olive de sauter dans le vide et Bronwyn courait dans leur direction, la bave aux lèvres.
Victor soupira. Il ne savait pas combien de temps durerait le contrôle de Norbert sur ses victimes mais il espérait qu'il n'était pas éternel car sinon, ils auraient quelques petits problèmes supplémentaires.
« Vic ! Viens nous aider à maintenir Horace !
La voix de Fiona sortit Victor de ses pensées et il se dépêcha d'aller aider ses amies. Ensembles, ils se chargèrent de saucissonner le jeune particulier rêveur à un arbre puis Victor et Fiona allèrent prêter mais forte à Hugh tandis qu'Emma allait inspecter les blessures d'Enoch et chargeait Claire d'aller prévenir Miss Peregrine de ce qui venait de se passer.
La petite fille en robe rose ne se fit pas prier, trop contente de pouvoir fuir la vue du spectacle affreux qui s'offrait à ses yeux.
En réalité, Millard était déjà retourné au manoir chercher la directrice, profitant du fait que Norbert ignorait son existence et qu'il ne pouvait pas le voir mais cela, Emma l'ignorait.
***
Au bord de la falaise, le combat faisait rage entre les trois enfants particuliers. Hugh avait le plus grand mal à retenir Bronwyn et Olive d'exécuter leur sombre besogne, autrement dit de tuer la jeune fille au poids plume. Ce fut donc dire son soulagement lorsqu'il vit le garçon à la force herculéenne et la jeune herboriste arriver vers lui.
Sans dire un mot, Victor saisit sa petite sœur par la taille et la fit décoller de terre. Débarrassé de cette ennemie de taille, le garçon aux abeille pu sans problème attraper à son tour Olive qui ne pesait en tout et pour tout que quelques misérables kilos et la ramener en lieu sûr.
Là, Fiona fit pousser de longues tiges solides qu'elle enroula autour des chevilles de ses amies afin de les maintenir à l'endroit où elles se trouvaient en attendant de trouver quoi faire d'elles.
***
En traversant la forêt à l'intérieur de laquelle le manoir de Miss Peregrine et ses pupilles était bâti, Claire eut la surprise de tomber nez à nez avec son Ombrune. La croyant seule, elle l'interrogea sur la façon dont elle avait été mise au courant des évènements puis Millard se manifesta et la petite fille eut sa réponse.
Ne voyant pas perdre plus de temps que nécessaire, Miss Peregrine hâta ses deux protégés vers l'endroit où se trouvaient les autres et ils arrivèrent quelques minutes plus tard sur le lieu où les enfants avaient pique-niqué.
La créatrice de la boucle du 3 septembre 1940 fut surprise de trouver ses pupilles assis dans l'herbe, rouges et échevelés mais calmes. Elle alla les rejoindre de son petit pas pressé puis, arrivant à leur hauteur, remarqua Bronwyn, Olive et Horace enrubannés dans des lianes et le corps inanimé de Norbert à leurs pieds.
« Mais que s'est-il passé ici ? Monsieur Nullings, vous n'aviez parlé d'un inconnu entré clandestinement dans notre boucle mais vous ne m'aviez pas prévenue qu'il se serait passé un tel carnage !
- Mais c'est que je l'ignorais, se justifia l'invisible. Je suis parti avant que ça ne tourne au vinaigre.
- Heu... Miss ? demanda Victor d'une petite voix. Tout à l'heure, j'ai tenté de retenir cet individu (il pointa Norbert du doigt) de faire plus de mal que ce n'était déjà le cas à mes amis mais je crois que j'y suis allé un peu fort... J'ai peur qu'il soit mort mais je vous assure que ce n'était pas du tout mon intention ! Je ne suis pas un meurtrier...
- Je le sais bien, Monsieur Bruntley, et je ne vous en tiendrais pas rigueur si jamais... Vous y seriez « aller un peu trop fort », comme vous dites. »
Victor soupira, soulagé d'un poids. Bronwyn, Olive et Horace qui ne bougeaient plus depuis un petit moment, se mirent à gigoter faiblement. La petite fille à la chevelure bouclée leva à tête et regarda autour d'elle d'un air hagard.
« Mais qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-elle, sincèrement étonnée.
- Ah, ils reprennent leurs esprits, s'enthousiasma Millard. Voilà un problème de moins à régler.
- Vous ne vous souvenez pas de ce qui s'est passé ? s'étonna Fiona en desserrant leurs liens afin de leur permettre de s'en dégager.
- Non, répondit Olive. Je me rappelle juste d'avoir vu Bronwyn courir vers moi puis plus rien, le noir total.
- Pourquoi j'ai couru vers toi ? interrogea la petite fille qui avait grippé sur les genoux de son frère et qui avait posé sa tête sur son épaule.
- Je crois que c'est mieux que tu l'ignores, intervint Enoch, plus doux et attentionné qu'à l'accoutumée.
Puis sa nature véritable reprit le dessus et il ajouta en ricanant :
- Olive tu aurais dû voir la tête que faisait Hugh lorsque tu menaçais de te suicider ! On aurait dit que c'était lui qui était sur le point de mourir...
- C'est faux ! s'insurgea Hugh un peu trop énergiquement tandis que le rouge lui montait inexorablement aux joues.
- Il suffit ! coupa Miss Peregrine. J'aimerais qu'on m'explique concrètement ce qui vint de se passer. Et sans omettre d'éléments, je vous prie. »
Les dix enfants de la boucle du 3 septembre 1940 se lancèrent alors dans une description détaillée de leur mésaventure, leurs voix se superposant les unes sur les autres dans un joyeux brouhaha.
***
Une fois que Miss Peregrine eut en mains toutes les pièces du puzzle (résultat qui ne fut pas si simple à obtenir), elle alla inspecter le presque cadavre de Norbert Fluck. L'homme ne bougeait pas mais apparemment il n'était pas totalement mort, comme le laissait deviner le sifflement qui s'échappait de ses lèvres bleues entrouvertes.
« Monsieur Fluck ?
Le ton de la femme oiseau était si froid que l'homme en noir ouvrit les yeux et fixa son regard vitreux dans le sien.
- Mnmmgh ?
- J'aurais besoin que vous répondiez à quelques questions que j'ai à vous poser. Premièrement, qui vous a envoyer ici ? Deuxièmement : Dans quel but ? Est-ce uniquement pou décimer mes pupilles ou bien y a-t-il autre chose derrière ? Troisièmement : Comment connaissez-vous l'entrée de notre boucle ? Etes-vous le seul à savoir où elle se situe ?
Norbert marmonna quelque chose d'incompréhensible. Il ne semblait pas en état de répondre à de telles interrogations. Puis, soudainement, ses yeux se mirent à rouler dans leurs orbites avant de se focaliser sur un point dans le lointain et de s'immobiliser. Sa respiration cessa de siffler et son cœur de battre. Il était mort.
- Oups, quel manque de chance, marmonna Enoch avec dédain juste assez fort pour être entendu de tous.
- Monsieur O'Connor, au lieu de raconter des sottises, veuillez courir au manoir chercher le matériel qu'il vous faut pour ranimer cet homme le temps que j'obtienne les réponses que j'attends.
- Mais...
- Pas de discussion ! »
Le ton de la directrice était sans appel et le lève-mort se hâta de lui obéir.
***
Il revint un quart d'heure plus tard les bras chargés de bocaux remplis de liquides brunâtres dans lesquels flottaient d'étranges objets peu ragoûtants. Ses amis s'écartèrent du corps mort de Norbert et le garçon se mit au travail.
Il ouvrit délicatement la cage thoracique de l'homme, trafiqua quelque chose à l'intérieur, y incéra un cœur, appuya dessus à plusieurs reprises puis marmonna quelques formules. Comme il ne se passait rien, il recommença et cette fois-ci, l'individu vêtu de noir se redressa. Il semblait un peu sonné en voyant les regards des particuliers braqués sur lui puis se reprit et lâcha comme une supplication :
« S'il-vous-plait, laissez-moi repartir...
- Pas question ! dit fermement Miss Peregrine. Donnez-moi d'abord mes réponses.
Norbert s'exécuta sans opposer de résistance, bien trop pressé de retourner dans l'au-delà.
- C'est Caul, votre frère et le chef des estres qui m'a envoyé. Pourquoi moi ? Parce que je suis le seul, à part lui, encore doté de ma particularité et qu'elle était bien utile pour la mission. J'étais chargé de tuer vos protégés puis de vous capturer pour vous ramener à lui. Je ne savais absolument pas que votre boucle se trouvait ici et j'y suis arrivé un peu par hasard. Les autres ne sont pas au courant : je n'avais pas encore trouvé le temps de les contacter lorsque je suis tombé sur vos pupilles. Est-ce que je peux y aller maintenant ? »
Rassurée de savoir qu'ils ne risquaient pas à tous moments de se faire envahir pas une armée d'estre, l'Ombrune hocha la tête et le mort laissa retomber sa tête dans l'herbe avant de fermer les paupières pour de bon cette fois.
Miss Peregrine demanda à Victor de transporter le cadavre jusqu'à la falaise et de le faire disparaitre dans les flots pendant qu'elle ramenait les autres enfants à l'abris du manoir. Là, elle leur prépara à tous un bon bol de chocolat chaud avant de les envoyer se coucher de bonne heure afin de leur permettre de se remettre de leurs émotions.
============================
Alors ? Des avis sur cette nouvelle ? Perso je l'aime bien.
PS : vu que j'ai également fini d'écrire la nouvelle suivante, je vais aussi la publier aujourd'hui, histoire d'être débarassée. Et la description de la boucle de Miss Ramier avec.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top