Épilogue

• 370 ans plus tard •
(soit deux ans avant "Sang de Rose")

— Tu auras beau me raconter tout ce que tu veux, je trouverai toujours que notre royaume est plus agréable que la Terre des Loups.

Même si Isabella appréciait leurs escapades sur le territoire des lycanthropes, elle préférait lorsqu'ils restaient sur la Terre des Vampires. Rien ne pouvait égaler le sud de son pays, où des champs de vignes s'étendaient à perte de vue. Elle adorait peindre ce paysage baigné par le soleil doré, mais à la demande de Duncan, ils avaient fait varier leur destination.

— Je ne te dis pas le contraire, répondit-il. J'admets que Fearghasdan ne s'est pas tellement arrangée, avec les années...

Ils flânaient en effet dans les rues de son village natal, toujours aussi grises et crasseuses. Même s'ils étaient en plein été, un vent frais balayait la robe et les cheveux d'Isabella, qui finissait presque par avoir le tournis. Quelques décennies plus tôt, ils avaient déjà effectué un séjour sur la Terre de l'Émeraude, or cela n'avait pas suffi pour l'habituer à l'air de la montagne.

— Le village n'a pas survécu à ton départ ! fit-elle en prenant un air faussement dramatique. Les gens n'avaient plus personne pour les voler, alors ils se sont retrouvés étouffés par la richesse. Ils avaient tellement d'argent qu'ils ont décidé de quitter ce coin perdu pour emménager à la capitale. Tout est lié !

Son petit numéro le fit secouer la tête et esquisser un sourire.

— Tu es complètement folle, marmonna-t-il.

— Félicitations, il t'a fallu plus de trois siècles et demi pour t'en rendre compte. Mais je te rappelle quand même que de nous deux, c'est toi le plus fou. Tu as épousé une princesse tueuse, et pas qu'une fois !

Il lui fit signe de parler un peu moins fort, bien que les passants ne grouillent pas dans les rues. La nuit était tombée depuis peu de temps, et seuls quelques rares loups-garous s'adonnaient à une petite promenade nocturne. Toutefois, plus ils progressaient vers le centre de la cité fortifiée, plus les promeneurs étaient nombreux.

En théorie, personne ici ne connaissait Isabella. Personne ne pouvait non plus se douter que Son Altesse effectuait un petit séjour non officiel dans ce village, situé à des centaines de lieues de son palais royal. Néanmoins, s'ils voulaient rester tranquilles, mieux valait éviter de trop attirer l'attention en criant son titre sur tous les toits.

— Un point pour toi, admit-il en levant les mains.

Le coeur léger, elle gloussa, appréciant ces moments loin du château. Lorsqu'ils partaient en voyage secret rien que tous les deux, ils n'étaient plus obligés de jouer la comédie.

Car depuis trois cent soixante-dix ans, tromper tout le monde était devenu leur quotidien.

Deux années après leur rencontre, ils s'étaient mariés dans une demeure secrète, que le roi possédait près d'un lac. Seules quatre invités étaient présents : le père d'Isabella, Daniel, Martha, ainsi que Lorna, l'amie de Duncan. Cette dernière avait effectivement quitté Fearghasdan pour venir vivre au palais, et s'était même décidée à devenir une vampire. La principale raison de cette transformation portait le nom de Daniel, pour lequel elle avait aussitôt eu un faible. Il avait fallu attendre quelques années avant que cela ne devienne réciproque, mais un siècle plus tard, ils avaient commencé à fonder leur propre famille adoptive, à l'écart de la Cour.

Le mariage entre la princesse et l'ancien loup n'avait jamais été rendu public, et leur relation devait demeurer ignorée de tous. Hormis quelques menaces internes, la paix perdurait depuis des décennies, mais Isabella refusait de prendre le moindre risque. Il ne fallait pas que Duncan devienne une cible que l'on pouvait utiliser contre elle. Avec l'aide de Daniel, ils redoublaient de ruses pour semer le trouble parmi les courtisans. Ainsi, tout le monde croyait que ses gardes du corps servaient uniquement à réchauffer son lit.

Isabella aimait bien se servir de ces petits jeux pour rendre son mari un peu jaloux, surtout lors des rares fois où ils se disputaient. Cependant, cette comédie devenait parfois assez pesante, alors ils s'autorisaient quelques escapades loin de chez eux, où quasiment personne ne risquait de les reconnaître.

Ils poursuivirent leurs déambulations dans les ruelles obscures, Duncan ponctuant leur balade de quelques remarques sur le village. D'après lui, certains immeubles avaient été détruits ou refaçonnés, tandis que d'autres étaient restés identiques à son souvenir. Même si Isabella ne se lassait jamais du son de sa voix grave et de son accent – qui s'était curieusement accentué depuis leur arrivée ici – cette promenade commençait un peu à l'ennuyer.

Elle désespérait de trouver une occupation plus excitante, quand un drôle de petit établissement attira son attention.

— Ce ne serait pas un temple de la Lune ?

Comme il ne comprenait pas, elle désigna un bâtiment gris au toit triangulaire, dont l'entrée était gardée par d'imposantes colonnes de pierre.

— Euh... Si, approuva-t-il. Pourquoi ?

Elle lui jeta un regard appuyé, qui le fit froncer les sourcils. Lorsqu'il comprit, il poussa un long soupir.

— Isabella...

— S'il te plaît ! l'implora-t-elle d'un air théâtral.

— Tu ne trouves pas que j'ai déjà assez de bagues ? fit-il en désignant ses mains.

Effectivement, presque tous ses doigts étaient surmontés de petits anneaux métalliques.

— Les bagues te vont très bien et te donnent même un charme supplémentaire, répliqua-t-elle. Et puis, reconnais que ce serait drôle de le faire ici...

Au sourire qu'il tentait de réprimer, elle comprit qu'il était plus enthousiaste qu'il le prétendait. Cependant, il finit par lui attraper la main et l'entraîna en direction d'une autre ruelle.

— J'ai une meilleure idée.

Elle le suivit sans protester, curieuse de découvrir ce qu'il lui réservait. Ils atteignirent bientôt un marché nocturne, où des promeneurs circulaient entre des étals chargés de babioles. Duncan ne tarda pas à débusquer un vendeur de bijoux, et demanda à Isabella de choisir une bague. Celle-ci s'exécuta, puis l'ancien loup opta à son tour pour un anneau tout simple, qui devait certainement être en toc.

Une fois cela fait, il la guida de nouveau à travers les rues, jusqu'à atteindre un mur crénelé, situé en périphérie de la cité.

— Tu penses pouvoir monter ? s'enquit-il en désignant le rempart.

Sans se donner la peine de répondre, elle prit un peu d'élan et sauta pour agripper le haut de la muraille. Elle se hissa au sommet et épousseta sa robe blanche, légèrement salie par la mousse incrustée dans la pierre. Duncan la rejoignit, puis lui indiqua de marcher sur le rempart, en prenant garde à ne pas tomber.

Commençant à deviner ce qu'il avait en tête, elle obéit et avança devant lui, peu impressionnée par le vide infini qui s'étendait à sa gauche. La nuit rendait les montagnes environnantes quasiment invisibles, mais le clair de lune éclairait leurs contours, donnant une vague idée du spectacle visible pendant la journée. Lorsqu'ils longèrent la façade d'un bâtiment, Isabella ne se donna même pas la peine de s'y appuyer. Le vent ne soufflait plus très fort, ce qui évitait bien des déséquilibres.

— Arrête-toi ici, lui demanda-t-il au bout d'un moment.

Elle s'immobilisa et pivota vers lui.

— L'avantage de tels remparts, c'est que peu importe les siècles qui passent, ils restent les mêmes, déclara-t-il avec une pointe de nostalgie.

Il ne le disait jamais à la princesse, or elle savait que cet endroit devait parfois lui manquer. Comment ne pas regretter un lieu si exceptionnel, perdu entre le vide et les étoiles ? Toutefois, quand il se reconcentra sur elle, elle vit une douce étincelle briller dans ses iris bleu-vert.

— Alors, penses-tu toujours que ma femme soit du genre hystérique ? l'interrogea-t-il avec malice.

— Quoi ? s'exclama-t-elle en riant.

— C'est la première chose que tu m'as dite lorsque nous nous sommes rencontrés, juste ici.

En effet, il les avait bien ramenés exactement à l'endroit où leurs regards s'étaient croisés pour la première fois. Ils ignoraient si le bâtiment à côté d'eux était toujours un hôtel mal fréquenté, mais en tout cas, les volets étaient fermés.

À l'époque, quand Isabella avait posé les yeux sur Duncan, elle l'avait pris pour un goujat ayant filé en douce de l'hôtel. Elle s'était imaginé qu'il ne voulait pas que ses aventures remontent aux oreilles de sa femme, ou de sa fiancée...

— J'imagine que ce serait plutôt à toi de me le dire, lança-t-elle.

— Eh bien... Je dirais qu'en temps normal, tu es plutôt calme, mais dès qu'il s'agit des Dorémi Horiz...

— Ne parle pas des sujets qui fâchent ! l'interrompit-elle aussitôt.

Son groupe de musiciens préféré, qui avait pris l'habitude de se produire au palais plusieurs fois par an, avait annoncé sa séparation le mois dernier. Certes, d'autres petits orchestres pourraient reprendre leurs compositions, or ce ne serait plus jamais pareil.

— Je suis sûre qu'ils finiront par le regretter et reviendront me voir en rampant pour jouer au palais !

Il n'insista pas et sortit de sa poche un sachet de velours, dans lequel se trouvaient les deux bagues. Il prit d'abord celle que la princesse avait choisie et attrapa doucement sa main droite.

— Isabella Mendoza, acceptes-tu de rester ma femme du genre hystérique pour l'éternité ?

Elle lui rendit son sourire espiègle et ne put s'empêcher de rire. Environ tous les soixante-dix ans, ils s'amusaient à renouveler leurs voeux de mariage dans différentes villes, chaque fois sous de fausses identités. Ils se rendaient généralement dans un temple de la Lune, où les loups-garous célébraient leurs unions.

— Je n'ai pas encore trouvé mieux que toi, donc je vais dire oui, badina-t-elle après avoir fait mine de réfléchir.

Elle le laissa lui glisser l'alliance au doigt, juste au-dessus de celle qu'elle portait déjà. Lors de sa toute première demande en mariage, il lui avait offert la plus belle et surtout la plus spéciale des bagues : un anneau argenté serti d'une turquoise et de deux émeraudes. La première pierre était autrefois sur la broche qu'elle lui avait offerte, tandis que les autres servaient à Duncan lors de ses transformations en loup-garou. Comme elles lui étaient devenues inutiles, il les avait fait retirer de ses bagues pour les offrir à Isabella.

Contrairement à lui, la princesse ne pouvait porter en public toutes leurs alliances. Sur le soldat, cela passait pour une fantaisie insignifiante. Mais si Son Altesse s'aventurait à faire de même, les courtisans ne tarderaient pas à se poser des questions. Elle se contentait donc d'en porter une ou deux de temps à autre, ou d'arborer sa magnifique bague de fiançailles, dont personne ne connaissait la symbolique.

Elle s'empara de l'anneau qu'il restait dans le sachet, puis commença :

— Duncan Mendoza, acceptes-tu...

— Blackfire, la corrigea-t-il.

Elle le foudroya d'un regard noir.

— Tu es publiquement un Blackfire, mais officieusement, tu es un Mendoza, lui rappela-t-elle. Je n'ai toujours pas pardonné à mon père de t'avoir attribué au clan de cette...

À son regard malicieux, elle comprit qu'il avait fait exprès de la provoquer.

Au bout de quelques mois de relation avec sa réserviste, Sa Majesté avait nommé cheffe de clan cette fameuse Beatricia. Il avait auparavant obtenu confirmation qu'elle ne couchait pas avec son frère – ou du moins, qu'il n'était pas vraiment son frère – et le roi avait jugé bon de l'enrôler aussi comme dirigeant. Isabella aurait vite oublié cette drôle d'histoire, seulement si les deux chefs n'étaient pas si insupportables...

— Duncan Mendoza, reprit-elle d'un ton faussement solennel. Conssens-tu à rester mon prince secret jusqu'à la fin des temps ?

Même si cette petite mise en scène était plus censée les faire rire qu'autre chose, elle sentit malgré tout son coeur se gonfler. Cette douce émotion s'amplifia, surtout lorsqu'il répondit de sa voix rauque :

— Tu pourras me poser la question dans mille ans, la réponse sera toujours oui.

Elle s'empressa de lui passer la bague au doigt, puis se hissa sur la pointe des pieds pour l'embrasser. Il l'entoura de ses bras et lui rendit son baiser avec la même passion et la même douceur qu'au premier jour.

Bien sûr, au fil du temps, certaines choses changeaient. Vivre leur histoire dans l'ombre n'était pas toujours facile, et leur immortalité n'arrangeait rien. Parfois, le poids des années devenait difficile à porter. Les jours défilaient de manière infinie, quelques-uns se ressemblaient... Mais au fond, partager un tel amour transformait l'éternité en une bénédiction.

Peu importe les épreuves qu'ils devaient traverser, ils savaient pouvoir compter l'un sur l'autre.

Elle était toujours sa Isabella.

Et il restait son voleur au coeur de diamant.

FIN

Petit mot de la fin :

Bon bah voilà, c'est terminé... 😭 (Avouez que vous n'avez jamais lu un épilogue qui se déroule si longtemps après le dernier chapitre 😅😂)

Je vous remercie tous énormément d'avoir suivi cette histoire ! Comme vous saviez à peu près déjà comment elle allait se terminer, j'avais peur que vous soyez moins intéressés, mais vous avez continué à être présents et à poster plein d'adorables commentaires, merci infiniment ! ❤️❤️❤️❤️❤️

J'espère vraiment que cette "mini-histoire" vous a plu et qu'elle vous a permis de mieux connaître Duncan et Isabella ! Dans ma tête, avant de commencer à écrire, ils ne faisaient pas forcément partie de mes couples préférés, et j'avais peur que ce ne soit pas hyper joyeux, mais au final, j'ai adoré écrire sur eux ! 😍 Isa m'a quand même parfois un peu donné la migraine, parce que bon... Essayer de faire la psychologue de vampires multi-centenaires quand on est soi-même pas très stable mentalement, ça fait parfois un peu trop surchauffer le cerveau 🤯 (surtout quand je me suis rendu compte qu'inconsciemment, j'avais plus de points communs avec Isa que je ne le pensais 😳😂)

Et du coup, maintenant que vous avez lu l'histoire, j'attends votre verdict 😁 Duncan est-il :
Réponse A : le mec le plus romantique du monde
Réponse B : le mec le plus fou du monde
Réponse C : un psychopathe qui a fait tout et n'importe quoi pour retrouver une fille qu'il avait vu UNE FOIS dans sa vie
Réponse D : la dangereuse création d'une auteure ayant des attentes amoureuses niveau Damon Salvatore, Anthony Bridgerton et Mr Darcy

Je suis contente d'ENFIN pouvoir passer à la prochaine histoire sur le thème de Raiponce, ça va bientôt faire 2 ans que j'ai certaines scènes dans la tête (le problème c'est que c'est juste les moments romantiques... le reste vient moins facilement 😅) les persos en avaient vraiment marre d'attendre aussi !

Comme je vous l'avais dit à la fin de Sang de Rose, la prochaine histoire aura une taille "normale" et ne sera donc pas publiée dans ce recueil. Mais gardez-le quand même dans un petit coin de votre bibliothèque, car si tout va bien, Kristal aura sa petite histoire ici aussi (avoir un peu reparlé des sorciers m'a donné quelques idées 😇) et il se peut qu'un perso de la prochaine histoire ait la sienne également (je verrai au fur et à mesure avec vous si ça peut vous intéresser 🤔)

Pour ceux qui attendent surtout l'histoire sur le thème de Blanche-Neige, avec Danila et Marcus : ne vous inquiétez pas, elle est toujours au programme 😘

Je vais d'abord me concentrer sur l'histoire à venir, qui s'intitulera normalement Soleil d'Argent si je ne change pas d'avis. Elle se déroulera 21 ans avant Cendres de Lune et Sang de Rose, et sera plutôt centrée du côté des loups-garous. On retrouvera certains personnages que vous connaissez un peu (dont Mini Marcus), il y aura une petite enquête, on en saura plus sur les Chasseurs de vampires, les alphas... J'espère vraiment que ça vous plaira ! La publication devrait normalement commencer fin octobre/début novembre ! 💖

Encore merciii mille fois à tous d'avoir suivi cette histoire, n'hésitez pas à me laisser votre avis, vos remarques si vous en avez !

À bientôt ! ❤️

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