Chapitre 6 - Lune de miel
Pour leur lune de miel, Clark et Anya avaient été envoyés dans le nord de la Terre du Diamant. Le Grand Alpha y possédait une résidence, non loin de la frontière avec la Terre de l'Émeraude.
Perdue au milieu de vastes prairies verdoyantes, la propriété donnait l'impression d'être seul au monde. De splendides forêts offraient la possibilité de se balader à cheval pendant des heures, ce qui ravissait Anya. Clark ne lui avait pas menti en promettant qu'elle pourrait faire ce qu'elle voudrait pendant leur voyage : il la laissait profiter de ses journées comme elle le souhaitait.
Au tout début de leur séjour, il s'était joint à elle pour une promenade, mais sa jument avait manqué de le faire tomber. La jeune fille avait tenté de lui expliquer que l'animal devait ressentir sa peur, or il n'avait pas vraiment réussi à se calmer.
— Je... Je suis sûr que je vais me casser un bras si je continue, avait-il bafouillé en descendant de sa monture. On pourrait s'arrêter là pour déjeuner, non ?
Anya n'avait pu réprimer un léger rire, comme chaque fois que son mari sursautait dès qu'un cheval reniflait trop fort. Ils avaient pris une petite pause moyennement méritée, en s'installant pour un pique-nique au milieu des bois. Ils étaient ensuite repartis jusqu'à leur villa, sans que Clark ne soit victime de la moindre chute.
Malgré tout, il avait préféré éviter de renouveler l'expérience les jours suivants, soi-disant afin de préparer des gâteaux pour sa femme et les domestiques. Anya le soupçonnait surtout de s'ennuyer en sa compagnie, ce dont elle ne pouvait le blâmer.
Effectivement, dès qu'ils prévoyaient une activité tous les deux, ils se retrouvaient rapidement à n'avoir... rien à se dire.
Rien à se dire, sauf quand cette activité impliquait qu'ils soient débarrassés de leurs vêtements. Car en l'occurrence, ils s'étaient découvert une excellente complicité dans ces circonstances.
Leur nuit de noces s'était déroulée bien différemment de ce qu'Anya aurait pu imaginer. À son grand étonnement, cela n'avait rien eu d'horrible ou de terrifiant. Au contraire, tout s'était révélé si agréable qu'elle en était venue à se poser des questions. Pourquoi tout le monde en faisait un tel mystère si cela procurait des sensations si... spéciales ?
Elle avait eu sa réponse au bout de quelques jours, à force de renouveler l'expérience. Les moments qu'elle passait avec Clark tournaient en boucle dans son esprit, presque au point de tourner à l'obsession. Lorsqu'elle était loin de lui, elle pensait à ce qu'ils pourraient faire, et lorsqu'elle se trouvait enfin avec lui... Ils mettaient ses rêveries en application. Ils prenaient d'abord le temps d'échanger quelques banalités, puis sans qu'ils ne s'en rendent vraiment compte, une sorte de tension explosait entre eux.
Cette manière de fonctionner convenait bien à Anya, même si cela risquait d'ébranler ses résolutions. Pour le moment, elle ne ressentait que de l'attirance envers Clark, mais elle craignait que ces rapprochements finissent par changer la donne. De plus, que se passerait-il si son mari se mettait à développer des sentiments pour elle ? Elle se retrouvait partagée entre son besoin de maintenir une certaine distance, et son envie de profiter des excellents côtés du mariage. Un jour, tu devras sûrement faire un choix.
Néanmoins, les dilemmes viendraient en temps voulu. En pleine lune de miel, elle ne pouvait de toute façon amorcer aucune action pour aider les Neutres. Il lui faudrait attendre d'être revenue au palais avant de commencer à prospecter les différentes possibilités.
Autant transformer cette semaine d'inactivité en quelque chose de plutôt plaisant.
Après avoir passé le début de l'après-midi à se promener dans la forêt, elle décida de rendre visite à Clark. Elle s'apprêtait à se diriger vers les cuisines, quand un domestique l'informa qu'il se trouvait dans un bureau. Se repérer dans la villa n'était heureusement pas compliqué, puisqu'elle était bien plus petite que le palais. Elle prit la peine de frapper avant d'ouvrir la porte, puis découvrit Clark en train de se masser les tempes.
— Il y a un problème ? s'enquit-elle, un peu inquiète.
Ce n'était pas la première fois qu'elle le voyait grimacer ou presser les mains sur ses yeux. Au cours de leur voyage, il avait essayé de lire un livre pour s'occuper, mais l'exercice avait rapidement eu l'air de devenir douloureux.
— Juste une migraine. Ça m'arrive souvent lorsque je reste concentré sur quelque chose, ou quand je réfléchis trop. Ce n'est pas bien grave.
Anya contourna le bureau et s'intéressa aux documents éparpillés devant lui. Des colonnes de chiffres et de différentes données s'éparpillaient à n'en plus finir. L'écriture se faisait si minuscule que même sans problèmes de vue, la louve peinait à la déchiffrer.
— De quoi s'agit-il ?
— Mon père m'a laissé quelques... travaux à achever avant la fin de la semaine. Nos prisons sont actuellement surpeuplées, donc il m'a chargé d'examiner quelques cas. Mais je ne veux pas t'ennuyer avec ça, ne t'en fais pas.
La jeune fille ne masqua pas sa surprise. Le Grand Alpha ne pouvait donc pas le laisser tranquille pour son voyage de noces ? Elle savait certes que les dirigeants croulaient sous le travail, toutefois Clark ne serait absent qu'une semaine.
— Je peux t'aider, si tu as besoin. Que faut-il faire, exactement ?
De toute évidence, il n'était pas disposé à passer du temps avec elle. Du moins, pas de la manière dont elle l'avait espéré. Étant donné qu'hormis les balades à cheval, elle ne voyait absolument pas comment s'occuper, autant chercher à se rendre utile.
— Chaque ligne décrit la situation d'un prisonnier et la raison pour laquelle il a été arrêté ou condamné. Je dois évaluer chaque situation et décider si certains peuvent être libérés.
— Ne serait-ce pas plutôt le rôle d'un juge ou... de ce qui s'en rapproche ?
Cette manière de faire semblait plutôt arbitraire, ou du moins, expéditive.
— Si, soupira-t-il avec lassitude. Mais ils sont eux-mêmes surchargés de travail, alors mon père a estimé que je pourrais m'occuper de ça.
Anya supposa que déléguer ce genre de tâches était habituel pour les futurs alphas. Elle attrapa une chaise et la rapprocha du bureau, avant de s'emparer d'un document.
— Oh, tu... Tu n'es pas obligée de t'embêter, ce n'est pas très passionnant.
— Je n'ai rien d'autre à faire, assura-t-elle avec un léger sourire. Et il faut que je commence à m'intéresser aux affaires de la Terre des Loups. J'aurai bien un rôle à jouer lorsque nous serons de retour au palais, non ?
Dès l'instant où elle avait accepté ses fiançailles avec le futur Grand Alpha, elle s'était consacrée à l'étude du système politique du pays. Quelques bases lui avaient bien sûr été inculquées tout au long de sa vie, mais elle tenait à approfondir ses connaissances.
— Tant que je ne suis pas Grand Alpha, ton principal travail consistera à... oeuvrer pour l'image de notre famille. Nous assisterons ensemble à différents événements, où nous devrons sourire et nous montrer agréables... J'ai conscience que ce n'est pas ce qu'il y a de plus valorisant, j'en suis désolé.
La jeune fille croyait déjà savoir qu'un entretien avec des couturiers était prévu à son retour au château. Tous s'attelleraient à prendre ses mesures, ainsi qu'à lui présenter différents croquis et échantillons de tissus. L'objectif serait de lui constituer une garde-robe riche et variée, afin qu'elle brille lors de chacune de ses apparitions.
— Cela ne m'embête pas, répondit-elle en baissant les yeux sur son document rempli de colonnes. Il y a pire que d'assister à des réceptions.
Clark acquiesça un peu maladroitement, puis chacun se concentra sur son travail. Anya étudia le premier cas présenté par la feuille qu'elle tenait. Il s'agissait de celui d'une louve qui avait tenu des propos injurieux à l'égard d'un vampire, soi-disant parce qu'il l'avait "regardée de travers". Pouvait-on réellement finir emprisonnée pour une telle broutille ?
— Que dois-je faire si j'estime qu'une personne doit être libérée ?
— Tu dessines une croix au bout de sa ligne. Si une sorte d'étoile a déjà été inscrite, il faut que tu lises l'un des documents annexes laissés par mon père. Il y a rajouté d'éventuelles circonstances atténuantes ou aggravantes.
Il désigna une pile de papiers entassés au milieu du bureau. Comme une étoile venait effectivement s'ajouter à la fin de la première ligne, Anya dut chercher l'annexe qui correspondait à Tania du Diamant, la louve emprisonnée. Elle eut tôt fait de trouver cet exercice stupide et fastidieux. À quoi bon ordonner les informations dans un tableau s'il fallait ensuite passer cinq minutes à chercher un document complémentaire ?
Finalement, elle décréta que la place de Tania du Diamant ne se trouvait pas derrière les barreaux. Même si elle avait souhaité au vampire de "noircir au soleil" ou de retourner sur son "royaume de dépravés", il existait de pires crimes. Le juge avait estimé que son comportement représentait un danger pour la paix inter-espèces, or les buveurs de sang étaient capables de bien pire.
La louve passa en revue les détenus suivants, dont les comportements se révélaient plus ou moins effrayants. Certains avaient simplement organisé un vol de bijoux sans valeur, tandis que d'autres s'étaient rendus coupables de meurtre. La question était bien sûr rapidement tranchée pour ces derniers.
Au bout d'une heure à inscrire ou non des croix dans le tableau, Anya commença à ressentir un léger mal de tête. Malgré la bonne luminosité du bureau, déchiffrer cette écriture en pattes de mouche devenait une épreuve.
— Est-ce réellement le Grand Alpha qui écrit de manière si... serrée ?
Elle s'était retenue d'employer le terme "illisible", par crainte de froisser Clark.
— Il le fait un peu exprès, marmonna-t-il en se frottant les yeux pour la énième fois. Il sait que je vois mal, alors...
Il s'interrompit et lui jeta un coup d'oeil gêné, comme s'il avait brièvement oublié à qui il s'adressait.
— Enfin... C'est sa manière d'écrire.
Anya hocha la tête, sans être pleinement convaincue. Elle n'oubliait pas la mise en garde de son père, qui émettait de sérieuses réserves vis-à-vis d'Arthur. Nul n'ignorait que les alphas pouvaient être sujets à des déséquilibres mentaux, plus ou moins importants. Certains réussissaient parfaitement à mener une vie ordinaire, tandis que d'autres devaient sans arrêt combattre leurs pulsions.
De ce qu'elle avait pu voir de lui, le Grand Alpha ne semblait souffrir d'aucun problème. Néanmoins, les propos d'Ingvar et l'étrange attitude de Clark incitaient à la vigilance.
Elle reprit sa lecture du tableau, impatiente qu'un domestique vienne les convoquer pour le dîner. Elle ne regrettait pas d'aider le futur dirigeant, mais elle avouait avoir connu plus divertissant... L'encrier où ils trempaient leurs plumes se vidait, obligeant leurs croix à être de moins en moins visibles. La jeune fille commençait à remettre en cause l'intérêt de ce travail, quand une ligne attira son attention.
Rodolphe (Neutre). 29 ans. Arrêté sur la Terre du Diamant pour achat illégal de Neutres. Semble nourrir des idées radicales qui pourraient nuire à la paix avec les vampires. Incarcéré à la prison de Bois-Noir. Aucun propriétaire connu, va être proposé à l'emploi ou à la vente si libération.
Anya relut plusieurs fois ces mots. Pourquoi un Neutre aurait-il essayé d'en acheter un autre ? Ce comportement aurait pu être jugé immoral, si les "idées radicales" mentionnées n'appelaient pas à se poser des questions. Malheureusement, aucun document supplémentaire ne venait donner plus d'indications.
Il était pour le moment impossible d'en tirer la moindre conclusion, mais dans sa situation, la louve devait évaluer chaque piste qui pourrait contribuer à son projet.
— Où se situe Bois-Noir, exactement ?
— À l'ouest de la Terre du Diamant, pas très loin de la Frontière, répondit Clark sans relever la tête. Ce n'est pas l'endroit le plus fréquentable de la région, il y a beaucoup de vampires clandestins.
Voilà qui n'encourageait pas vraiment à s'y rendre. De toute manière, Anya n'aurait pu effectuer un pareil voyage, encore moins afin de se déplacer dans une prison.
— Existe-t-il un moyen d'avoir... des informations plus précises sur certains prisonniers ?
Cette fois-ci, sa question interpella suffisamment Clark pour qu'il se désintéresse de ses documents. La jeune fille crispa les doigts sur sa feuille, consciente de ne pas s'être montrée assez subtile.
— Il est toujours possible d'écrire une lettre à la prison, ou à la guilde militaire du village. Mais ce n'est pas la peine de t'embêter avec ça, quel est le cas qui te pose problème ?
Il tendit la main pour qu'elle lui montre son tableau, mais elle balaya sa proposition d'un petit geste.
— Je n'avais pas de situation précise en tête. Je demandais juste par curiosité.
Il paraissait trop fatigué pour insister, alors il lâcha l'affaire. Anya passa les minutes suivantes à fixer sa plume, incertaine quant à la marche à suivre. Devait-elle chercher à contacter ce Neutre, au moins afin de découvrir quelles "idées radicales" il nourrissait ? Si oui, est-ce que cela l'obligerait à le laisser croupir en prison, au moins le temps de lui envoyer une lettre ? Les prisonniers pouvaient-ils seulement recevoir du courrier ?
Ces interrogations la taraudèrent toute la soirée, sans qu'elle n'arrive à trancher. En arrivant au palais, elle n'avait qu'une vague idée de ce qu'elle comptait faire pour aider les Neutres. Elle savait vouloir retrouver ses amis, mais il lui faudrait forcément une aide extérieure. Avant d'accorder sa confiance, elle devrait prendre toutes les précautions possibles.
Et si tu commençais par envoyer une lettre à la prison ? Elle pourrait se faire passer pour une connaissance du dénommé Rodolphe, à qui elle souhaiterait transmettre un message. Cependant, un problème majeur compromettait ce projet : le courrier des prisonniers – si tant est qu'ils en recevaient – devait être lu par les gardiens. Ils ne laisseraient sûrement pas le Neutre répondre à des questions sur son arrestation.
Juste avant d'aller se coucher, Anya en vint à une conclusion : si elle souhaitait en savoir plus sur Rodolphe, elle allait devoir lui faire passer un message discret et le libérer. Et cela, sans se déplacer à Bois-Noir et sans révéler sa véritable identité.
Bien sûr, elle ne devrait pas non plus éveiller les soupçons de Clark, ni ceux de quiconque au palais.
Cela ne faisait que quatre jours qu'elle était mariée, mais l'heure des secrets et autres manigances avait déjà sonné.
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