Chapitre 5 - Grandes découvertes
— Vous voilà désormais unis par les liens du mariage. Que la Lune bénisse votre union.
Anya expira lentement, tandis que le Grand Alpha achevait la dernière cérémonie. Elle relâcha la main de Clark et se tourna vers ses parents, aux humeurs bien différentes. Sa mère souriait en essuyant ses larmes, à la fois heureuse et triste de voir sa fille enfin mariée. Dès le lendemain, Anya partirait pour son voyage de noces avec Clark, alors que Charlotta et Ingvar rentreraient sur la Terre du Saphir. Peut-être était-ce cette pensée qui ternissait le regard du vieux loup.
Toute la journée, Anya avait redouté le moment des adieux. Quand sa mère s'approcha d'elle pour lui attraper les mains, elle eut presque envie de la rejeter. Elle ne voulait pas la quitter tout de suite.
— Je ne sais même pas quoi te dire, avoua Charlotta en baissant les yeux. La maison va être tellement vide sans toi et...
La suite mourut dans sa gorge et Anya dut rassembler tout son sang-froid pour ne pas pleurer avec elle. Elle avait assez versé de larmes quelques heures plus tôt, juste avant la cérémonie principale. Celle-ci avait été légèrement retardée, le temps que la jeune fille enfile sa robe de rechange et que ses coiffeuses arrangent les dégâts. Quand elle avait posé un pied dans la chapelle lunaire, personne n'aurait pu deviner qu'elle s'était effondrée dans une grange juste avant.
Cette première cérémonie, principalement destinée au public, s'était déroulée sans le moindre encombre. Anya avait répondu par l'affirmative à la question fatidique, sous les yeux de centaines d'invités. Clark n'avait marqué qu'une brève hésitation, qu'elle espérait être la seule à avoir remarqué.
Ils avaient passé la journée à recevoir de multiples félicitations, avant d'assister à la soirée organisée en leur honneur. Ils s'étaient ensuite retirés avec leurs parents dans un petit jardin, afin de procéder à la cérémonie nocturne. Cette tradition permettait simplement à la Lune d'être témoin de leur union, même si en fonction des différentes croyances, elle pouvait être largement facultative. Comme le Grand Alpha tenait à suivre le protocole, Clark et Anya avaient donc renouvelé leurs voeux, mais simplement devant Ingvar, Charlotta et le dirigeant.
À présent, chacun n'avait plus qu'à aller se coucher.
— Vous me manquerez aussi, déclara la jeune louve en tâchant de retenir son émotion. Mais vous reviendrez quelques fois ici, n'est-ce pas ?
— Aussi souvent que nous le pourrons ! confirma sa mère. Nous pensons même acheter une résidence sur la Terre du Diamant.
— Cela serait inutile, intervint le Grand Alpha, qui ne perdait pas une miette de leur échange. Vous serez toujours les bienvenus au palais !
Anya aurait préféré qu'il s'éloigne le temps qu'elle dise au-revoir à sa famille, or il n'y semblait pas décidé. Clark avait au moins eu la décence de quitter le jardin et de l'attendre dans le couloir.
— C'est tellement gentil de votre part, s'émut Charlotta. Je sais que ma petite Anya sera entre de bonnes mains à vos côtés, sans cela je n'aurais jamais pu la laisser.
Le Grand Alpha lui adressa un sourire en portant une main à son coeur. Anya eut l'impression que son père le regardait de travers, ce qui ne l'aurait pas vraiment étonnée. Même s'il ne lui en avait jusque-là pas touché un mot, elle sentait qu'Ingvar ne l'appréciait qu'à moitié.
— Puis-je parler à ma fille un instant, je vous prie ? s'enquit le vieil homme d'un ton assez bourru.
Ce manque d'amabilité parut surprendre Arthur, qui consentit toutefois à sa demande.
— Naturellement, mon cher. Nous vous attendons dans le couloir.
Ingvar le regarda s'éloigner avec sa femme, puis porta son attention sur Anya.
— Tu trembles, lui fit-il remarquer.
D'un petit mouvement de sa canne, il désigna les mains qu'elle gardait croisées devant elle. Celles-ci tressautaient de temps à autre, au même titre que ses épaules parcourues de frissons.
— C'est... C'est juste le froid, prétendit-elle. On ne peut pas dire que le soleil se soit réjoui du mariage...
En effet, bien que la pluie ait cessé de tomber au cours de l'après-midi, la température n'avait pas dû dépasser une quinzaine de degrés. Ce n'était pas l'air nocturne qui allait désormais les réchauffer. Cependant, Ingvar savait qu'elle mentait.
— Le soleil n'est pas le seul, marmonna-t-il en grattant le pommeau de sa canne. Je t'avais dit que nous pouvions tout annuler à n'importe quel moment, mais tu as quand même tenu à aller jusqu'au bout.
Incapable de lui faire face, Anya détourna le regard vers l'une des plantes. Sa mère, présente dans sa chambre lorsqu'elle s'était enfuie, n'avait pas manqué d'aller raconter cet incident à Ingvar. Dès qu'elle était remontée dans le couloir pour finir de se préparer, Anya avait trouvé son père planté devant sa porte. Elle s'était obstinée à lui affirmer que tout allait bien, or le vieux loup n'était pas né de la dernière pluie.
— J'ai simplement eu un léger moment de doute, répéta-t-elle pour la énième fois de la journée. Il y avait aussi beaucoup de pression autour de la cérémonie et... Maintenant que les choses sont passées, je réalise que je n'avais pas à m'inquiéter.
Ce mensonge ne réussit pas à duper Ingvar, qui grommela des propos incompréhensibles. En réalité, Anya se sentait plus inquiète que jamais. Ce qu'elle avait passé la journée à redouter approchait dorénavant à grands pas. Il était néanmoins hors de question d'évoquer ce sujet devant son père. Déjà qu'elle s'en était sentie incapable avec sa mère, ce n'était certainement pas le vieil homme qui allait la pousser à se confier.
— Si je n'ai pas tout annulé à ta place ce matin, c'est uniquement parce que ton mari me plaît, déclara-t-il avec fermeté. Peu importe qu'il soit le futur Grand Alpha, je ne t'aurais jamais laissée l'épouser si j'avais eu le moindre doute à son sujet.
Elle en fut si surprise qu'elle osa lever la tête vers lui. Rares étaient les personnes qu'Ingvar appréciait. Avec sa maladresse et son évident manque d'assurance, Anya n'aurait jamais pensé que Clark obtienne les faveurs de son père.
— Je ne pense pas me tromper en affirmant que c'est un homme bon, poursuivit-il. Il n'est peut-être pas encore très sûr de lui, mais à son âge, c'est préférable. Il a eu le courage de venir nous demander ta main hier, ce qui a fini de me convaincre.
La jeune fille fronça les sourcils. Elle ignorait que Clark s'était donné cette peine.
— Il m'a aussi demandé si tu avais eu ton mot à dire dans la conclusion des fiançailles. Je lui ai expliqué que nous ne t'avons jamais forcée à quoi que ce soit et que la décision venait entièrement de ton fait. Il avait l'air vraiment soucieux de ton libre arbitre et notre réponse l'a rassuré.
Anya tenta d'assimiler cette information, qui la touchait plus qu'elle ne l'aurait dû.
— Son père ne m'a pas fait le même effet. Il y a quelque chose qui me dérange chez lui et...
— C'est le Grand Alpha, l'interrompit-elle en jetant un coup d'oeil vers la porte-fenêtre. Tu ne peux pas le critiquer comme ça et...
— Je m'en contrefiche. Ce n'est pas à mon âge que je vais me gêner pour dire ce que je pense. J'avais déjà remarqué quelque chose d'étrange chez lui lors de son séjour militaire, mais je n'arrive toujours pas à savoir ce que c'est.
La jeune fille ne sut quoi lui répondre. Elle aussi trouvait parfois les manières du Grand Alpha un peu exagérées, cependant elles ne la choquaient pas plus que cela.
— Il y a eu... des rumeurs, quand sa femme est morte, ajouta Ingvar à voix basse. Ce ne sont peut-être que des stupides ragots de militaires, mais... Certains soldats qui travaillaient dans son palais sont ensuite venus sur la Terre du Saphir. Ils m'ont rapporté que le petit avait tenu des propos étranges quand le corps a été découvert et...
Il ne termina pas, laissant Anya dans la plus obscure des perplexités. N'aurait-il donc pas pu trouver un autre jour que celui de son mariage pour lui raconter ça ?
— Officiellement, la mère de Clark s'est écroulée dans les escaliers à cause d'un problème cardiaque, se reprit-il en tapotant sa canne. Il est plus que probable qu'il s'agisse de la vérité, mais dans le doute... Méfie-toi du Grand Alpha.
La louve en venait presque à croire que son père devenait fou. Sous-entendait-il réellement que le Grand Alpha... aurait quelque chose à voir avec la mort de sa femme ? Si Ingvar n'avait pas affiché une mine aussi grave, elle aurait presque été tentée d'en rire.
— Je ferai attention, promit-elle sans creuser le sujet. Mais je ne pense pas que mon beau-père soit un criminel.
Du moins, elle ne l'espérait pas. Au vu des activités qu'elle souhaitait mener, mieux valait ne pas s'attirer de problèmes avec un Grand Alpha dérangé...
— Quoi qu'il en soit, tu pourras toujours revenir à la maison si quelque chose ne va pas, ajouta Ingvar avec une esquisse de sourire. Je n'ai toujours pas compris pourquoi tu tenais autant à ce mariage, mais si c'est vraiment ce que tu veux...
Elle hocha la tête, désireuse de chasser la moindre inquiétude. Elle avait longtemps hésité à confier ses projets à son père, mais elle savait déjà ce qu'il en aurait pensé. C'est trop dangereux. Les choses sont ainsi depuis trop longtemps, tu ne pourras pas les changer toute seule. Pourtant, il était celui qui lui avait appris qu'aucun combat n'était perdu d'avance. Avec les bonnes armes et la bonne stratégie, un soldat pouvait vaincre tout ce qui se dressait devant lui.
— J'ai dit à ton mari qu'il aurait été fou d'imaginer que nous aurions pu t'imposer quoi que ce soit, conclut le vieux loup. Ne laisse jamais personne te changer.
Elle acquiesça, la gorge nouée. Son père la raccompagna ensuite dans le couloir, où elle salua sa mère une dernière fois.
La jeune fille tâcha de maîtriser ses émotions, en se rappelant que ses parents reviendraient vite la voir. À dix-neuf ans, beaucoup de personnes étaient déjà mariées et contraintes d'habiter loin de leur famille. Malgré tout, l'idée de ne plus jamais vivre avec eux lui brisait le coeur.
Charlotta et Ingvar finirent par s'éloigner vers les quartiers réservés aux invités. Ils s'en iraient dès l'aube pour la Terre du Saphir, quand Clark et Anya partiraient en voyage. La louve ne se souvenait même plus de la destination exacte.
— Je suis désolé que vous... Que tu sois obligée de les quitter.
Elle se tourna vers Clark, qui se tenait adossé contre un mur. Le Grand Alpha étant parti avec ses parents, ils ne se retrouvaient désormais plus que tous les deux.
— Ce sont seulement les premiers jours qui seront durs, affirma-t-elle en relevant le menton. Je m'y ferai.
Juste après la première cérémonie, elle s'était résolue à le tutoyer. Lors de son petit "moment d'égarement" dans les écuries, elle avait réalisé qu'elle ne pourrait pas éternellement mettre de la distance entre elle et son mari. Mariage ne rimait pas uniquement avec alliance. En acceptant d'épouser Clark, elle s'engageait aussi à partager des choses avec lui.
Des choses qu'elle s'apprêtait justement à découvrir.
— Où devons-nous dormir ? s'enquit-elle pour éviter un silence.
Jusque-là, elle avait séjourné dans les appartements des invités. Il fallait dorénavant qu'elle vive avec son mari.
— Oh... Euh... Théoriquement, nous avons une chambre où nous devons rester tous les deux, mais... Si tu préfères, je peux te la laisser et aller dormir dans la mienne.
Anya avait rêvé d'entendre ces mots toute la journée. Même si Rowan avait avancé que Clark ne la forcerait "jamais à rien", elle avait douté que la prévenance de son fiancé aille jusqu'à lui faire une telle proposition.
Néanmoins, elle ne pouvait accepter.
— Cela ne m'embête pas que tu restes avec moi. Nous sommes... mariés, après tout.
Il réajusta ses lunettes dorées, visiblement assez déconcerté par la situation.
— C'est vrai, mais... Nous étions des inconnus il y a encore une semaine, donc si tu préfères attendre que nous nous connaissions mieux...
Anya voyait où il voulait en venir et dans d'autres circonstances, elle aurait certainement suivi son idée. Une raison l'empêchait toutefois d'y consentir : elle ne laisserait jamais Clark mieux la connaître.
— Je ne pense pas que ce soit préférable. Autant prendre de... bonnes habitudes dès maintenant.
La louve s'efforçait de parler d'un ton détaché et d'arborer une mine résolue. Il parut sceptique quelques instants, mais finit par hausser les épaules.
— C'est vous... C'est toi qui décides.
Elle attendit qu'il se dirige vers leur chambre, puis le suivit. Les escaliers et les corridors lui parurent plus courts que d'ordinaire, si bien qu'il se retrouva à déverrouiller leur porte un peu trop vite à son goût. Quand il l'invita à entrer, elle découvrit une chambre aux murs crème, relativement bien décorée. L'endroit s'apparentait plutôt à une suite, puisqu'un petit salon avait été aménagé devant le lit, avec une table et deux fauteuils.
Quelques chandelles avaient été allumées, ce qui échauffa les joues d'Anya. Comment de simples petites flammes pouvaient-elles engendrer une telle chaleur ? Lorsque Clark referma la porte derrière lui, elle remarqua qu'il était aussi écarlate qu'elle. Cependant, tous deux savaient que leur trouble n'était pas le fruit des bougies.
— Est-ce que... cela t'embête si je passe d'abord dans la salle de bain ?
Elle désigna un battant entrouvert, qui semblait donner sur une salle d'eau. Il secoua la tête et à bien y regarder, le fait qu'elle s'éloigne paraissait même l'arranger. Anya s'enferma donc dans la petite pièce, où elle trouva sa chemise de nuit pliée sur un tabouret.
Un peu plus tôt dans la journée, le choix de cette même chemise de nuit avait été à l'origine de sa fuite. Alors que les coiffeuses finissaient son chignon, une domestique était venue la voir pour qu'elle choisisse la tenue qu'elle préférait. Cela aurait pu rester parfaitement anecdotique, si la femme de chambre n'avait pas voulu user d'un commentaire un peu trop personnel... Je suis certaine que votre mari adorera celle-ci, s'était-elle amusée en lui présentant un vêtement. C'est celle qui s'enlève le plus facilement.
Ces mots avaient déclenché l'indignation de Charlotta, qui surveillait le travail des coiffeuses. Ma chère, faites donc un peu attention à ce que vous dites ! avait-elle réprimandé la domestique. Anya n'avait pu suivre la suite de l'échange, puisqu'elle avait senti de brusques larmes affluer à ses yeux. Elle s'était enfuie de sa chambre aussi vite que possible, gagnée par le besoin d'être seule.
Ses pieds avaient instinctivement pris la direction des écuries, sans qu'elle ne fasse attention à la pluie ou aux crottes de chevaux. Elle avait secrètement espéré que personne ne la découvre et qu'elle puisse rester dans cette étable jusqu'à la fin de la journée. Bien sûr, elle aurait fini par se ressaisir avant le début de la cérémonie, mais il avait fallu que ce rustre de Rowan mette la main sur elle...
Pour éviter de repenser à cet incident, elle entreprit de déboutonner sa robe. Le nombre indécent de boutons ne lui facilita pas la tâche et elle regretta presque la tenue souillée par la boue. En son for intérieur, elle avait toujours préféré sa robe de rechange à celle originairement choisie. Les manches bouffantes plaisaient surtout à sa mère.
Quand le vêtement tomba enfin sur le carrelage, elle profita du nécessaire de toilette pour se rafraîchir un peu. Elle enfila sa chemise de nuit bordée de dentelle, puis défit son chignon. Devait-elle tresser ses cheveux, ou valait-il mieux qu'elle les laisse détachés ? Elle opta pour la seconde option, puis observa son reflet dans le grand miroir sur pied.
Son teint encore plus pâle que d'ordinaire trahissait sa fatigue et son manque de sommeil. La nuit passée, elle n'avait pas dû dormir plus de deux ou trois heures. Malgré les efforts des coiffeuses, quelques frisottis dus à la pluie persistaient dans ses cheveux blonds. Elle essaya un peu de les brosser, mais cela ne fit qu'empirer les choses. Elle finit par examiner son corps, qui nageait un peu dans sa chemise. Elle avait toujours eu conscience d'être dénuée de jolies courbes, cependant... Jusque-là, cela ne l'avait jamais dérangée. À présent, elle se demandait ce qu'allait en penser Clark et...
Que celui qui a inventé le mariage soit maudit ! Pourquoi cela devait forcément impliquer de dormir avec son mari et lui faire des enfants ? Parce que la plupart du temps, les gens se marient lorsqu'ils s'aiment réellement. Pas par simple intérêt.
Lasse de ces tergiversations, elle prit plusieurs lentes inspirations, puis revint dans la chambre. Elle constata que Clark avait retiré ses chaussures et qu'il se tenait désormais assis au bord du lit. Occupé à déboutonner sa veste, il ne releva pas la tête tout de suite.
— Tu as... une préférence pour dormir d'un côté ou de l'autre ? l'interrogea-t-il en maltraitant un oeillet.
La jeune fille n'aurait jamais eu l'idée de poser la question.
— Peu importe, vous... Tu peux aller où tu veux.
Quand il réussit enfin à se débarrasser de sa veste, il posa les yeux sur Anya, qui guetta sa réaction. Il cligna les paupières, avant de se détourner une nouvelle fois. Ne sachant trop comment interpréter cette réaction, elle se tordit les doigts. D'un côté, cela l'aurait gênée qu'il la déshabille du regard, mais que se passerait-il s'il ne la trouvait pas du tout... attirante ?
Elle devait le reconnaître : elle ignorait précisément tout ce qui se produisait lors d'une nuit de noces. Néanmoins, elle savait que cela consistait en un rapprochement assez intime, qui impliquait qu'elle soit plus ou moins dénudée. Personne ne lui en avait jamais touché un mot, alors elle devait uniquement se référer aux quelques romans qu'elle avait lus. Hélas, les passages qui auraient pu lui être utiles manquaient cruellement de détails. Il lui semblait toutefois avoir compris que l'homme devait être un minimum séduit pour que... le rapprochement en question soit possible.
Tous ses espoirs reposaient sur le fait que Clark ait été plus instruit qu'elle sur le sujet. Sinon, seule la Lune pourrait les guider.
— Tu as besoin d'aide ? s'enquit-elle en le voyant se démener avec un bouton de manchette.
Elle s'approcha à pas prudents et s'accroupit face à lui. Il avait dû passer la journée à triturer ce bouton, puisqu'il avait fini par abîmer la chemise blanche. Il semblait désormais coincé dans le tissu.
— Je... Ce n'est rien, ne t'inquiète pas, prétendit-il en éloignant sa main. Ce stupide bouton n'arrêtait pas de tomber ce matin et maintenant... Il ne veut plus s'enlever.
Sa nervosité, pur reflet de la sienne, inquiéta Anya. Elle avait supposé qu'elle serait la plus perturbée par la situation, mais Clark n'était pas en reste.
— Est-ce que je peux te poser une question assez... personnelle ? hésita-t-elle sans le regarder.
Elle s'était jusque-là refusée de céder à la curiosité, persuadée que la vie de Clark ne la concernait pas. Toutefois, force était d'avouer que même si elle essayait de se convaincre du contraire, elle était véritablement concernée.
— Euh... Bien sûr.
Il semblait surpris par un tel revirement, elle qui n'avait jamais cherché à s'aventurer au-delà de la surface.
— Je voudrais juste savoir si... S'il y a déjà une autre... Une autre personne dans ta vie ?
Le futur Grand Alpha la fixa avec des yeux si ronds qu'elle se demanda si elle avait dit une énorme bêtise.
— Cela ne m'embêterait absolument pas que ce soit le cas, au contraire même, je...
Sentant qu'elle allait formuler une ânerie encore plus grande, elle tenta de se raccrocher aux branches :
— Je ne te demande pas cela par jalousie, simplement... Même si nous n'avons aucun sentiment l'un pour l'autre, je voudrais juste...
La gêne la ravagea et l'empêcha de continuer. Pourquoi était-ce donc si difficile d'énoncer ce qu'elle avait en tête ? Parce que tu peux difficilement lui demander s'il a assez d'expérience pour savoir ce que vous devez faire. Ce serait bien trop dégradant.
— Si c'est ta question, je n'ai pas de "maîtresse", ou quoi que ce soit de ce genre, répondit-il, l'air plus perdu que gêné. Je te promets que je n'en aurai jamais, je ne suis pas du tout... Est-ce que j'ai fait quelque chose qui t'aurait laissé penser que... je pourrais oser te faire ça ?
Cette possibilité paraissait l'horrifier, alors elle s'empressa de le détromper.
— Non, non... Bien sûr que non ! C'était juste une question pour mettre les choses au clair et...
Elle ne termina pas et fixa le tapis sous ses pieds.
— Est-ce que toi tu as déjà quelqu'un sur la Terre du Saphir ? l'interrogea-t-il sans animosité. Je suis vraiment désolé si tu as été obligée d'abandonner cette personne, ce...
— Quoi ? Non, je... Justement, je ne me suis jamais intéressée à ça.
Au point où elle en était, autant se montrer honnête. Aucun garçon n'avait jamais fait battre son coeur, si bien que c'était à se demander si elle en avait un. Au vu des choses qu'elle était capable de faire pour atteindre son but, elle commençait à songer qu'elle n'avait qu'un morceau de glace dans la poitrine.
— Oh... Eh bien... Moi non plus, à vrai dire.
Ces mots produisirent deux effets bien différents sur Anya : elle eut d'abord la sensation d'enfin trouver quelqu'un qui la comprenait, et en même temps... Par la Lune, quelle catastrophe.
— J'imagine donc que cela risque de... poser problème pour la suite.
Face à son absence de réponse, elle se risqua à croiser son regard. À sa mine plus perplexe que jamais, elle saisit qu'il ne comprenait pas où elle voulait en venir. Allait-elle réellement devoir formuler sa pensée à voix haute ?
— Nous venons de nous marier, commença-t-elle, complètement écarlate. Il faut donc que nous fassions en sorte de... Faire ce que font les gens mariés.
Ou ce que font ceux qui sont suffisamment attirés l'un vers l'autre sans attendre d'être mariés. Elle refusait cependant de préciser sa pensée. S'il ne comprenait pas, elle préférait presque rentrer sur la Terre du Saphir plutôt que de continuer cette horrible discussion.
— Oh, tu... Tu n'as pas à te mettre de pression pour ça, la rassura-t-il en virant lui aussi au rouge vif. Je ne sais pas trop ce que tu sais à ce sujet, mais...
— Presque rien du tout.
Mieux valait qu'il sache à quoi s'en tenir.
— J'ai du mal à comprendre comment nous pourrons nous en sortir si tu ne sais rien non plus, poursuivit-elle. C'est pour ça que...
— J'ai... Je sais ce que nous sommes censés faire.
Si cette réaction n'avait pas été disproportionnée, elle aurait presque pu soupirer de soulagement.
— Tu n'as pas à t'inquiéter pour ça, ajouta-t-il en soutenant son regard. Tout se passera bien si tu en as envie un jour, mais pour le moment... Tu ne penses pas que ce serait un peu précipité ?
Anya fut tentée de lui répondre que si, or elle voulait que les choses se passent cette nuit-là. Même si elle s'était entêtée à jouer les autruches pendant trop longtemps, elle avait finalement admis une chose : épouser Clark signifiait aussi lui donner un héritier. Et pour concevoir un héritier, il fallait vraisemblablement dépasser l'étape de la nuit de noces. Elle ne supporterait pas de se morfondre pendant toute leur lune de miel, sans savoir précisément ce qui l'attendait.
D'après ce qu'elle avait compris, il fallait parfois de nombreuses années à une femme avant de tomber enceinte. Autant être fixée et découvrir si coucher avec son mari était si terrible que ce qu'elle imaginait.
Et surtout, si Clark comptait attendre qu'ils développent des sentiments avant de passer à l'action, il finirait par se retrouver sans descendance.
— Je préfère que... Qu'on fasse ça dès maintenant.
Si on lui avait dit qu'elle tiendrait un jour une telle discussion avec quelqu'un, elle se serait tapé la tête contre les murs.
— Anya, je...
Son regard hésitant et embarrassé fit redoubler sa gêne. Elle se prit une nouvelle réalité en pleine figure : et si Clark n'avait pas du tout envie de coucher avec elle ? Et si elle était en train de le forcer à quelque chose sans en être consciente et...
— En fin de compte, je... Je ferais peut-être mieux de te laisser, bredouilla-t-elle en faisant mine de se relever. Tu n'as peut-être pas envie d'être avec moi, excuse-moi si...
Il l'interrompit en la retenant par le poignet. Elle baissa les yeux sur les doigts autour de sa peau, surprise que ce contact soit aussi doux. Il ne faisait preuve d'aucune autorité, contrairement à cet idiot de Rowan qui l'avait attrapée de la même façon.
Quand elle releva la tête vers Clark, elle réalisa à quel point il se trouvait proche d'elle. La lumière des chandelles se reflétait dans les verres de ses lunettes, au-delà desquelles brillaient ses yeux si particuliers. Ils semblaient la sonder, essayer de la comprendre, sans savoir qu'il s'agissait d'une mission impossible.
Cette intensité réussit à troubler Anya, qui retint son souffle lorsqu'il murmura :
— Si c'est vraiment ce que tu veux...
Pour toute réponse, elle hocha lentement la tête. Il hésita un dernier instant, puis posa les lèvres sur les siennes.
Dans les quelques romances mièvres qu'avait pu lire la jeune fille, le premier baiser entre l'héroïne et son soupirant était toujours décrit comme un tourbillon d'émotions. Anya, pour sa part, ne ressentit... rien.
Rien, si ce ne fut un frisson plutôt agréable qui la parcourut toute entière. Ce frisson se transforma en quelque chose d'encore plus troublant, lorsque Clark libéra son poignet et laissa glisser sa main le long de son bras.
Seules des pensées stupides défilaient dans son esprit, comme celle que son mari sentait divinement bon. Et que même si elle n'avait personne avec qui le comparer, il embrassait si bien qu'elle aurait facilement pu perdre la tête.
Et justement, quand elle se redressa pour passer les bras autour de son cou, elle se demanda si elle n'était pas devenue folle. Son coeur ne battait pas la chamade, mais quelque chose la poussait à réduire l'espace qui les séparait. Elle finit par se retrouver assise sur lui, les jambes écartées au niveau de son bassin.
Lorsque les mains de Clark s'aventurèrent près de ses cuisses, elle sentit que finalement, tout ne serait peut-être pas si horrible que ça...
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