Chapitre 4 - Mariée en fuite
Quand il pensait au mariage de Clark, Rowan s'était toujours imaginé que ce serait un grand jour de fête. Il savait certes que son meilleur ami n'aurait pas le choix de sa promise, mais dans son esprit, il s'était figuré qu'un coup de foudre aurait lieu avant la cérémonie.
Or il fallait se rendre à l'évidence : ce n'était pas le cas.
Rowan ne se voyait pourtant pas comme un grand romantique, mais tout de même... Quelle femme aurait pu résister à son meilleur ami ?
— Je t'en supplie, aide-moi avec ces boutons, l'interpella le concerné. Je ne sais pas où mon père les a trouvés, ils ne tiennent pas en place et...
— Peut-être que si tu arrêtais de les triturer, ils ne tomberaient pas comme des mouches, lui conseilla gentiment Rowan en venant vers lui.
Il prit soin de remettre en place les boutons de manchette argentés choisis par Arthur, puis examina Clark de la tête aux pieds. Son père ne lui avait pas laissé le choix pour sa tenue, et on ne pouvait pas dire que le Grand Alpha avait très bon goût. Il avait attifé son fils d'un ensemble noir comme la nuit, qui donnait l'impression que Clark se rendait à un enterrement. La veste, presque boutonnée jusqu'au col, menaçait d'étouffer le pauvre marié, auquel son père avait interdit de porter ses lunettes.
— Je vais tomber devant tout le monde, les gens ne vont pas pouvoir s'empêcher de rigoler et Anya aura honte de moi. Ça va être une catastrophe.
Rowan l'aurait bien détrompé, si lui-même n'avait pas été si inquiet. La possibilité que Clark rate une marche ne le préoccupait pas trop, même si elle était à considérer sérieusement.
Il se tourmentait plutôt au sujet de ce que son ami était sur le point de faire, et des conséquences que cela entraînerait.
— Ressentir un peu de honte ne ferait pas de mal à ta fiancée. Cela la pousserait peut-être à arrêter ses stupides manières.
Insulter la mariée, surtout en un tel lieu, n'était peut-être pas très noble de sa part, or il s'en moquait. Ici, dans le petit local qui jouxtait la chapelle lunaire du palais, il régnait une ambiance solennelle qui incitait à la sagesse. Des fresques représentant la Lune et son ciel noir animaient les plafonds et les murs, rappelant les décors grandioses que l'on trouvait dans la chapelle. Une mince lucarne apportait un peu de lumière dans la pièce, qui servait uniquement à préparer les cérémonies.
— Ne sois pas méchant avec elle, soupira Clark. Ce n'est pas de sa faute si je ne lui plais pas...
Le futur Grand Alpha prenait les choses avec beaucoup de recul, ce dont Rowan était incapable.
— Tu ne mérites pas d'être avec une fille qui ne te considère pas à ta juste valeur. Tu es gentil avec elle, tu lui proposes des moments pour vous connaître, tu t'intéresses à ce qu'elle fait, tu lui prépares des gâteaux... Et mademoiselle continue à jouer les glaçons !
Le comportement d'Anya le mettait dans une rage folle. Quelques jours plus tôt, quand Clark lui avait fait goûter ses délicieux macarons et lui parlait de sa passion pour la pâtisserie, il avait bien senti qu'elle s'en moquait comme de sa première griffe. Il ne pouvait lui reprocher ce manque d'intérêt – lui-même préférait manger les gâteaux plutôt que d'en parler – mais quand Clark écoutait ce qu'elle disait, il faisait l'effort d'y mettre plus de coeur. Cela ne s'était pas arrangé lors des entrevues qui avaient suivi, puisque mademoiselle continuait de n'articuler que le strict minimum.
Cette louve du Saphir n'était que douée pour réciter des formules toutes faites, ou pour afficher un sourire vide et forcé.
— La situation est difficile pour elle aussi, lui rappela Clark. Elle ne me connaissait pas il y a une semaine et...
— Et toi non plus ! Pourtant, tu fais tout pour la mettre à l'aise et lui prouver que tu n'es pas un imbécile. Elle, elle se contente de... De dire que tu es "aimable" sans avoir l'air d'en penser un mot.
Il ne tenait pas à rajouter de l'huile sur le feu, cependant, il se sentait hors de lui. Dans moins de deux heures, Clark serait marié à cette inconnue qui semblait incapable d'éprouver quoi que ce soit.
— Je suis sûr qu'elle n'est pas méchante, avança son ami, toujours aussi aveugle. Et honnêtement, son comportement me blesserait peut-être si j'avais commencé à développer des sentiments pour elle, mais... Je ne peux pas dire que ce soit vraiment le cas.
Il baissa les yeux vers les carreaux de pierre qui jonchaient le sol. Rowan fut rassuré par cet aveu, autant qu'il l'alarma. Ses premières craintes lorsqu'il avait vu la jeune fille paraissaient se concrétiser.
— Ce n'est pas ton genre, n'est-ce pas ? Je l'ai su dès que j'ai posé les yeux sur elle.
Clark releva aussitôt la tête vers lui, confus.
— Je... Je n'ai pas de "genre", affirma-t-il. Comment pourrais-tu le savoir, alors que je n'ai jamais rencontré une fille qui m'ait vraiment plu ?
Pris à son propre piège, Rowan sentit ses joues s'échauffer et recula d'un pas. S'il savait qu'Anya ne correspondait pas à Clark, c'était justement... Parce qu'elle lui plaisait à lui. Seulement physiquement, maugréa-t-il en se remémorant les insupportables manières d'Anya. Chaque fois qu'il montrait une demoiselle de son goût à son ami, celui-ci ne témoignait pas de la plus petite marque d'intérêt.
Néanmoins, plutôt mourir que d'avouer que cette pimbêche ne l'avait pas laissé indifférent. Par chance, Clark enchaîna :
— Il faudrait être fou pour dire qu'elle n'est pas belle. Simplement, quand je la vois... Je ne sens pas de lien ou de réelle attirance entre nous. Et je... Je ne pense pas que je pourrais aller vers une fille si je ne ressens rien pour elle. Tu... comprends ce que je veux dire ?
À dire vrai, Rowan peinait à se mettre à sa place. Contrairement au futur dirigeant, il avait une fâcheuse tendance à s'enticher rapidement des jolies jeunes filles. Il avait déjà connu quelques relations d'un soir ou deux, tandis que Clark ne s'y était jamais intéressé.
Un brusque doute l'assaillit, qui le poussa à poser les mains sur les épaules du jeune loup.
— Si tu as quelque chose à me dire, c'est le moment, le confronta-t-il avec sérieux. Je sais que ton père t'a toujours mis dans la tête que tu devais avoir un héritier, mais tu as complètement le droit de préférer la gent masculine et...
— De... De quoi tu parles ? l'interrompit Clark en fronçant les sourcils. Je n'ai jamais eu plus d'intérêt pour les hommes que pour les femmes, enfin je... Je sais que je préfère les filles, je te remercie de t'en inquiéter une heure avant mon mariage.
Se sentant stupide, Rowan laissa retomber ses bras le long de son corps. Il s'apprêtait à dire une nouvelle ânerie, quand la porte du local s'ouvrit. Il s'attendit à ce qu'Arthur en surgisse avec sa mauvaise humeur, or il s'agissait de Jenna, l'une des plus anciennes femmes de chambre du palais.
— Toutes mes excuses de vous déranger ainsi, mais je crains que la situation ne l'exige. Mademoiselle Anya a disparu.
Rowan manqua de s'étrangler.
— Comment ça "disparu" ? s'exclama-t-il avant que Clark ne puisse réagir. C'est le jour de son mariage, elle ne doit pas passer inaperçue, si ?
— Elle était dans sa chambre avec sa mère et ses habilleuses, puis elle s'est enfuie en courant. Des gardes l'ont vue passer dans les couloirs, mais elle est désormais introuvable.
Le loup serra les poings jusqu'à entendre craquer ses doigts. Ce n'était pas le moment que cette gamine pourrie gâtée pique un caprice !
— Le Grand Alpha en a-t-il été informé ? s'enquit-il en redoutant la réponse.
Si Arthur avait vent de la situation, il irait aussitôt accuser son fils. À son grand soulagement, la domestique secoua la tête.
— Seulement quelques membres du personnel et monsieur le capitaine de la garde sont au courant. Dois-je aller trouver monsieur le Grand...
— Surtout pas, la coupa-t-il un peu abruptement. N'allons pas le déranger pour si peu, nous allons vite régler ce problème.
La femme de chambre s'inclina, puis repartit dans le couloir. Le loup voulut lui emboîter le pas, mais Clark le retint par la manche.
— Qu'est-ce que tu fais ? l'interrogea Rowan en essayant de se dégager. Si tu pars d'ici, ton père va se poser des questions. Je vais aller mettre un peu de plomb dans la cervelle de ta fiancée, il est hors de question qu'elle te pose un lapin !
Que cette fille ne soit pas digne de Clark passait encore, mais il refusait qu'elle l'humilie devant tout le monde. Pire, il ne pourrait tolérer qu'Arthur se défoule sur son fils à cause d'elle.
— Je ne veux pas la forcer à m'épouser. Si tu la retrouves et qu'elle veut tout abandonner, aide-la à s'enfuir.
Rowan considéra son ami comme s'il était devenu fou, or il paraissait on ne peut plus sérieux.
— Elle a dû se rendre compte qu'elle n'était pas prête pour tout ça, expliqua-t-il calmement. Cela vaut mieux pour nous deux et...
— Clark, pense un peu à toi pour une fois dans ta vie ! Tu n'as peut-être pas envie d'épouser cette fille, mais crois-moi, tu ne veux pas non plus voir la réaction de ton père si nous devons tout annuler.
Il détestait être obligé de lui faire peur, d'autant plus que Clark savait mieux que personne ce dont Arthur était capable. Néanmoins, il ne semblait pas réaliser l'ampleur de la catastrophe.
— La seule personne avec qui j'accepterai de m'enfuir, c'est toi, affirma Rowan en le regardant droit dans les yeux. Si tu veux qu'on mette en scène ta mort et qu'on disparaisse au fin fond de la Terre de l'Ambre, alors tu n'as qu'un seul mot à me dire.
Plus jeunes, ils s'imaginaient qu'ils pourraient vivre tous les deux, loin d'Arthur et de sa folie. Clark avait toutefois un trop grand sens du devoir pour passer à l'action.
— Tu sais très bien que c'est impossible. Rien ne pourrait jamais me faire abandonner mon peuple et...
— Alors je vais retrouver cette fille, et elle va t'épouser.
Il ne lui laissa pas le temps de protester et quitta la salle où se préparait le marié. Il claqua la porte et s'en alla d'un pas décidé, laissant claquer ses chaussures sur le sol. Sa rage était telle qu'il ne regardait même pas les domestiques qui s'affairaient pour les derniers préparatifs, ni les invités qui attendaient déjà la cérémonie. Il tirerait la mariée par sa traîne s'il le fallait, mais il ne la laisserait pas humilier Clark !
— Je peux savoir où tu vas d'un pas si pressé ?
Rowan s'arrêta net, tandis que le Grand Alpha plantait son regard ombrageux dans le sien.
— Ne devrais-tu pas plutôt être avec mon fils à une heure pareille ?
Heureusement que le jeune loup avait l'habitude de jouer les effrontés, sans quoi il aurait bien été capable de paniquer.
— Puisque vous avez refusé que je sois son garçon d'honneur, j'ai préféré éviter de m'attarder. J'ai oublié de mettre du parfum, et vous savez qu'un mariage est toujours une excellente occasion de faire des rencontres...
Il adressa un clin d'oeil insolent au dirigeant, qui crispa sa mâchoire. Il ne se donna même pas la peine de répondre et reprit sa route, en direction de l'endroit où se trouvait Clark. Rowan eut presque envie de revenir avec ce dernier, or il savait pertinemment qu'Arthur n'oserait rien faire à son fils le jour de son mariage. Un oeil au beurre noir ou une lèvre fendue auraient bien trop fait jaser...
Le jeune homme se remit en marche, avant de réaliser qu'il ne savait pas où aller. Il décida de commencer par les appartements de la mariée, afin de récolter quelques informations auprès des domestiques. Ceux-ci lui conseillèrent d'interroger les gardes, qui ne lui indiquèrent que de vagues directions. Apparemment, la demoiselle courait vite !
— Nous n'avons pas osé la suivre, se justifia l'un des soldats. Nous pensions qu'elle voulait juste aller prendre l'air... Votre père, monsieur le capitaine, a affirmé que nos camarades à l'entrée ne l'ont pas vue passer.
Rowan arpenta les différentes petites terrasses arrosées par une pluie battante, en vain. Elle ne pouvait pas s'être rendue dans un endroit qu'elle ne connaissait pas, si ? Il tâcha de se remémorer les lieux que Clark lui avait fait visiter, sans parvenir à déterminer lequel constituerait une meilleure cachette. S'il était une petite demoiselle riche qui chercherait à fuir son mariage, où irait-il se réfugier ? Tu te serais débrouillé au préalable pour ne pas te retrouver dans cette situation... Quelle idée d'accepter des fiançailles avec un inconnu, peu importe qu'il fût le prochain Grand Alpha !
En traversant le jardin-terrasse où avait eu lieu ce qui ressemblait presque à un goûter d'enfants, il se souvint d'un détail : mademoiselle Anya avait prétendu beaucoup aimer les chevaux. Il savait aussi qu'elle avait visité les écuries.
Aucune meilleure idée ne lui venant à l'esprit, il traversa une dizaine de couloirs et descendit plusieurs escaliers, jusqu'à atteindre l'arrière du palais. La pluie le fit rechigner à sortir dans la grande cour pavée de pierres, mais il s'y résolut. De toute façon, parcourir les petits jardins avait déjà contribué à mouiller sa veste. Il serait obligé d'en changer avant la cérémonie... si cérémonie il y avait.
Quand il posa le pied dehors, les nuages se liguèrent contre lui et le bombardèrent de mille gouttes. Par la Lune, est-ce seulement possible qu'il pleuve ainsi un jour de mariage ? Il pesta dans sa barbe autant qu'il le put, à la recherche du moindre palefrenier. Il se rappela ensuite qu'ils devaient sûrement avoir été réquisitionnés pour s'occuper des calèches des invités. Personne pour t'aider, donc.
Quand bien même cela aurait été le cas, qu'aurait-il pu dire ? Bonjour, n'auriez-vous pas vu une mariée en fuite ? Franchement, dans quelle situation le mettait cette fille !
Le garde-manger étant désert, il se mit en tête d'examiner chaque box, sans tenir compte de la pluie qui lui trempait le crâne. L'odeur du crottin lui piqua les narines, les palefreniers n'ayant visiblement pu s'acquitter de leur travail. Quelques chevaux soufflèrent des naseaux en le voyant inspecter leur petit logement, ou le dévisagèrent de leurs grands yeux noirs.
— Ne faites pas attention à moi, je ne fais que passer, marmonna-t-il en se penchant par-dessus un portillon. Une fille insupportable en robe blanche, ça ne vous dit rien ?
Anya n'étant pas dans ce box, il n'attendit même pas que les animaux se moquent de lui par un hennissement. Il passa au crible les derniers compartiments, presque désespéré. Si elle n'était pas dans ces maudites écuries, elle pouvait être n'importe où. Peut-être avait-elle même trouvé un moyen de quitter le palais, ou comptait-elle rester cachée jusqu'à la fin de la journée.
Il tenta un saut par la "crèche", où se trouvaient les poulains et leurs mères. Au vu du coeur de pierre de la demoiselle, il y avait peu de chances qu'elle ait décidé de s'y rendre, mais sur un malentendu...
Quand il pénétra dans la petite grange, il fut d'abord heureux de se retrouver au sec, puis grimaça face aux nouvelles effluves de crottin. Comment diable faisaient les garçons et filles d'écurie pour travailler ici ? Sans parler de la paille qui rendait chaque surface poussiéreuse.
Et justement, en s'intéressant à la terre et aux brins de foin qui jonchaient le sol, il remarqua des empreintes de pas sur les dalles de pierre. Gagné.
— Mademoiselle Anya, je sais que vous êtes là ! cria-t-il à travers la grange.
Il s'approcha des petits enclos où se trouvaient les nouveaux nés, consciencieusement surveillés par leurs mamans. Ces dames à quatre pattes le toisèrent du haut de leur cou fièrement dressé, l'air de désapprouver ses beuglements. Cela ne l'empêcha pas de recommencer :
— Vous allez sortir de votre cachette et vous dépêcher d'aller épouser Clark ! Si vous refusez, je trouverai le moyen d'empoisonner tous vos jolis chevaux sur la Terre du Saphir !
Comme choqué par ce coup bas, un poulain alezan choisit ce moment pour pousser un petit hennissement. Rowan faillit se sentir coupable, avant d'entendre un discret sanglot par-dessus le martèlement de la pluie. Il se dirigea vers l'enclos d'où il provenait, puis plissa les yeux.
Près d'un abreuvoir se tenait un monticule de chantilly, recroquevillé au milieu de la paille.
— Ah, vous voilà ! s'exclama-t-il. Au cas où vous l'auriez oublié, il y a un mariage qui vous attend. Vous feriez mieux de vous dépêcher !
Il avait conscience de se montrer rude, or elle ne méritait pas sa douceur. Toutefois, lorsque la chantilly leva son visage vers lui et qu'il vit ses yeux rougis de larmes, il ressentit un léger pincement au coeur.
— Laissez-moi tranquille, ordonna-t-elle d'une voix tremblotante, mais ferme. Je vais épouser votre ami, ne vous inquiétez pas.
Il s'approcha autant que possible de la barrière entrouverte, sans oser la franchir. Une jument et son petit se trouvaient dans l'enclos, ce qui l'encourageait à garder ses distances. Même si les animaux du palais étaient habitués aux loups-garous, certains se montraient agressifs dès qu'ils sentaient la présence d'un lycanthrope. La maman tolérait visiblement Anya dans sa pouponnière, mais rien ne promettait qu'il en serait de même pour le jeune homme.
— Vraiment ? fit-il, à moitié ironique. Pardonnez-moi d'en douter, puisque vous êtes actuellement cachée dans une crèche à poulains, avec du foin et du crottin sur votre robe !
Robe qui lui apparaissait comme une monstruosité. Trop de manches bouffantes tuait les manches bouffantes. Même la pluie, qui n'avait pas dû épargner Anya lorsqu'elle s'était rendue jusqu'à la grange, échouait à aplatir la jupe. L'humidité avait fait frisotter ses cheveux blonds, pourtant retenus en un chignon sophistiqué.
— Je... Je ne veux pas vous voir, asséna-t-elle en fixant un point droit devant elle. Laissez-moi et... Je reviendrai quand je le pourrai.
Rowan posa les mains sur la barrière et la serra autant que possible. Il sentait bien que mademoiselle n'était pas au meilleur de sa forme, toutefois...
— Clark est le futur Grand Alpha. Vous ne pouvez pas vous permettre de l'humilier en l'abandonnant le jour de son mariage !
Et surtout, elle ne pouvait pas ainsi l'exposer à la colère de son père. Il le refusait.
Anya ne se donna même pas la peine de répondre, ce qui eut le don de l'agacer davantage.
— Vous êtes sûrement habituée à ce qu'on vous passe tous vos caprices, mais vous auriez dû réfléchir à deux fois avant d'accepter ces fiançailles ! Ce n'est pas seulement votre chère petite personne qui est impliquée.
Elle leva les yeux au ciel, tandis qu'un sanglot agitait sa poitrine.
— Vous ne savez rien de moi, répliqua-t-elle.
Au-delà de sa froideur, il sentit que ces mots sonnaient comme les plus vrais qu'il lui avait entendus.
— Peut-être que si vous vous étiez un peu plus ouverte à Clark, au lieu de jouer les poupées de porcelaine, j'en saurais plus sur vous !
Après tout, même s'il n'avait pas assisté à toutes les entrevues entre elle et son ami, elle ne lui avait exposé qu'une seule de ses facettes : une demoiselle trop polie pour être franche, incapable de montrer un intérêt sincère pour autrui. Piquée au vif, elle se tourna vivement vers lui.
— Que je sache, ce n'est pas vous que je suis censée épouser. Pourquoi vous préoccupez-vous tant de moi ?
Il serra les dents, presque au point de les entendre grincer.
— Parce que vous devez vous marier avec mon meilleur ami ! Je ne le laisserai pas...
Il s'interrompit, se rappelant qu'il ne pouvait pas dire tout et n'importe quoi. Rowan avait beau chercher en permanence à le protéger, Clark restait le futur Grand Alpha. Anya devait continuer à croire qu'en théorie, il n'avait besoin de personne pour assurer ses arrières.
— Je suis attaché à lui, se reprit-il. Et je ne supporterai pas de voir quelqu'un l'humilier.
Il s'attendit à ce qu'elle se moque encore de lui, or elle n'en fit rien. Au contraire, ses yeux parurent même se voiler davantage.
— Rassurez-vous, je ne compte pas l'humilier. Je serai présente à la cérémonie, je répondrai "oui" lorsqu'on me demandera si je veux l'épouser, puis je lui serai fidèle jusqu'à la fin de ma vie.
Ce discours déconcerta Rowan, qui ne sut qu'en penser.
— Dans ce cas, pourquoi vous êtes-vous enfuie jusqu'ici ? Quel est le problème ?
Si elle lui répondait qu'il n'y en avait pas, il se jurait de lui faire avaler ses manches bouffantes. Elle resta silencieuse de longues secondes, concentrée sur le petit poulain. Celui-ci s'était tranquillement allongé à côté de sa mère, à quelques mètres d'Anya.
— Je crois que... j'ai sous-estimé les différents aspects du mariage, finit-elle par confesser.
Il attendit une précision, qui ne vint pas.
— Vous parlez de toutes les responsabilités qui accompagnent votre titre ? supposa-t-il sans conviction. Ce n'est pas si terrible que ça en a l'air, vous vous y ferez et...
Face à son absence de réaction, il en déduisit qu'il ne s'agissait pas de ça. Il se creusa un peu la tête, puis une explication lui vint.
— Si vous vous inquiétez par rapport à la lune de miel, je peux vous assurer que Clark ne vous forcera jamais à rien. Il n'est pas très...
Encore une fois, il s'interrompit avant de dire une bêtise. Son ami ne tenait peut-être pas à ce que sa future femme sache qu'il n'était pas vraiment "porté sur la chose".
— Je ne veux pas discuter de cela avec vous, lança-t-elle en le regardant de travers. Aborder un tel sujet est extrêmement inconvenant de votre part.
Le peu de compassion qu'elle commençait à lui inspirer s'évapora. Mademoiselle recommençait à le prendre de haut.
— Peut-être que si vous aviez pensé plus tôt à ce sujet "inconvenant", vous ne seriez pas en train de pleurer le jour de votre mariage !
— Je ne pleure pas ! Partez et ne m'adressez plus jamais la parole !
Son culot l'impressionna tellement qu'il éclata de rire.
— Vous ne pleurez pas, vraiment ? J'en déduis que vos larmes ne sont en fait que les postillons du poulain et...
— Cessez immédiatement ! s'emporta-t-elle en bondissant sur ses pieds. Vous n'êtes qu'un goujat mal éduqué, je me demande comment vous pouvez côtoyer le Grand Alpha ! Je serai bientôt la femme d'un futur dirigeant, vous devez me respecter !
Rowan aurait aimé pouvoir capturer le tableau qui s'offrait à lui : une mariée trempée jusqu'aux os, perdue dans une grange, aux côtés d'une pauvre jument qui la fixait d'un regard perplexe.
— Pour le moment, vous n'êtes qu'une gamine pourrie gâtée qui se retrouve à geindre au milieu du foin ! Vous étiez peut-être habituée à vivre comme une princesse sur la Terre du Saphir, mais ce n'est pas ici que vous allez nous imposer vos humeurs !
De sa vie, jamais il n'avait parlé ainsi à une demoiselle. Se disputer ou hausser le ton n'était pas dans ses habitudes. Néanmoins, pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, cette fille le faisait sortir de ses gonds. Cela n'avait rien à voir avec Clark, puisque Rowan avait toujours su qu'il devrait se marier. Il avait espéré que cette union apporte à son ami le bonheur qu'il méritait, mais Anya menaçait de réduire ce projet à néant.
Le regard furibond, la louve s'approcha de la barrière et la poussa si brusquement que Rowan manqua de tomber à la renverse. Elle prit soin de refermer l'enclos, puis quitta la grange sans un mot pour le jeune homme. Il s'élança à sa poursuite dans la cour toujours battue par la pluie et la retint par le poignet. Elle essaya de se dégager si vivement qu'elle faillit lui asséner un coup.
— Clark ne vous obligera pas à l'épouser, déclara-t-il sans relâcher sa prise. Et je ne le ferai pas non plus. Mais si vous voulez tout abandonner, dites au Grand Alpha que c'est uniquement de votre faute, je ne...
— Je ne vais pas abandonner ! Ayez l'obligeance de faire comme si rien ne s'était passé et vous serez le seul à vous souvenir de tout ça.
Elle le toisa avec une lueur de défi, qu'il ne sut comment interpréter. Des perles d'eau brillaient dans ses cils, sans qu'il ne puisse déterminer si la pluie noyait ses larmes, ou si elles avaient cessé de couler. Ses iris bleu foncé, à l'émotion indéchiffrable, lui apparaissaient comme deux saphirs perdus au fond de l'océan.
Un océan où elle semblait préférer sombrer, plutôt que de demander la moindre bouée.
Une part de lui avait envie de comprendre cette détresse, qui ne paraissait pas aussi futile qu'elle en avait l'air. Toutefois, à seulement quelques heures de la cérémonie, il ne pouvait se perdre dans les profondeurs du doute.
— Très bien, trancha-t-il en soutenant son regard. Mais vous allez d'abord me dire pourquoi vous avez accepté ces fiançailles. Est-ce seulement pour devenir la femme la plus puissante de la Terre des Loups ?
Clark n'avait bien sûr pas osé lui poser cette question. Au fond, quelle autre raison aurait pu justifier son choix ?
Il se prépara à entendre un mensonge absurde, proféré sans scrupule. Cependant, quand Anya lui répondit, il la sentit plus sincère que jamais :
— Croyez-le ou non, j'agis uniquement par devoir.
Envers qui ? aurait-il voulu demander. Il supposait qu'elle faisait allusion à ses parents, or il lui semblait déceler une conviction plus profonde. Encore plus personnelle qu'une simple envie d'inspirer la fierté.
Elle ne lui laissa pas le temps de réclamer des précisions, puisqu'elle libéra son poignet d'un mouvement vif.
Cette fois-ci, quand elle fila vers l'intérieur du palais, il ne chercha pas à la rattraper.
Note de l'auteure :
Quelle ambiance incroyable pour un mariage, franchement qui a déjà vu mieux ? 😅
Et Clark qui prétend ne pas avoir de style de fille alors qu'Anya est physiquement l'exact opposé d'Eleanor... Mouais 🤔
Plus sérieusement, merci beaucoup à vous tous d'avoir commencé l'histoire, j'espère que ce début vous plaît ! À très vite pour la suite ! 😘❤️
(PS : Le prochain chapitre est placé sous le signe de la Gênance, vous êtes prévenus 🙈)
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