Chapitre 28 - Voleur de coeur

En vingt-deux ans d'existence, jamais Duncan ne s'était fait emprisonner. Ses multiples vols l'avaient amené à jouer avec le diable plusieurs fois, mais personne n'avait réussi à l'attraper. Or voilà qu'à présent, il se retrouvait enfermé dans une minuscule geôle, située à des centaines de mètres sous le palais.

On lui avait fait descendre de force des milliers de petites marches, jusqu'à atteindre un tunnel obscur. De grosses portes métalliques étaient encastrées dans la roche, sur toute la longueur du couloir, mais ce n'était pas dans l'une de ces cellules qu'il s'était fait enfermer. Les soldats l'avaient guidé tout au fond de la galerie souterraine, où étaient aménagés des cachots fermés par des barreaux.

L'espace était aussi étroit qu'un placard et il lui était impossible de s'allonger. Il ne pouvait que rester debout, ou s'asseoir en recroquevillant ses jambes contre lui. Ce genre de geôle était sûrement réservé aux prisonniers temporaires, qui allaient brûler au lever du soleil... Incapable de rester en place, il piétinait comme un taureau énervé, les pensées en ébullition.

Comment avait-il pu se faire avoir si facilement ?

Il savait certes depuis longtemps être benêt et stupide, or il se serait passé d'en recevoir une si violente confirmation. Imbécile, imbécile, imbécile, ne cessait-il de se répéter depuis qu'on l'avait abandonné ici. La notion du temps était difficile à conserver, cependant il supposait que moins d'une heure s'était écoulée. Il aurait dû profiter des dernières minutes qu'il lui restait pour faire le point sur sa vie, au lieu de quoi il se traitait de toutes les insultes possibles.

Si la veille, lorsqu'il s'endormait en caressant les cheveux d'Isabella, on lui avait dit qu'il mourrait le lendemain, il ne l'aurait pas cru. Il aurait pourtant dû se douter que cela était bien trop beau pour durer, et qu'il allait trouver le moyen de tout gâcher.

Diantre, pourquoi ne lui avait-il pas avoué toute la vérité plus tôt ? Il avait eu peur qu'elle prenne mal les choses, or maintenant, elle le voyait comme le pire des fripons. Tu mérites de brûler au soleil, lui chuchota sa conscience. En faisant preuve d'une telle lâcheté, il s'était montré indigne d'elle.

De lointains bruits résonnèrent dans le tunnel et firent cesser ses lamentations. Il crut d'abord que d'autres prisonniers s'agitaient, toutefois, il ne tarda pas à entendre des pas approcher. Il craignit d'abord que des soldats viennent le chercher pour son exécution, mais un espoir naquit quand il repéra Isabella.

— Je... Je t'en prie, il faut que tu m'écoutes, commença-t-il en se précipitant vers les barreaux.

La princesse posa un bref instant les yeux sur lui, puis se tourna vers Daniel, qui l'accompagnait.

— Laisse-nous, s'il te plaît, lui ordonna-t-elle.

Elle n'affichait pas le même air glacial que lorsqu'il l'avait quittée, ce qui le rassura un peu. Malgré tout, dès que le garde fut parti, il ne perdit pas une seconde avant de se lancer :

— Je sais que ce que t'a raconté Viktor a l'air vrai et...

— Écoute, le coupa-t-elle, il ne...

— Je t'en supplie, laisse-moi finir.

Elle lui adressa un drôle de regard, que sa torpeur l'empêcha d'interpréter. Elle croisa les bras sur sa poitrine et lui fit signe de poursuivre.

— Il est vrai que je ne t'ai pas tout dit, concernant mon passé de voleur. Je ne commettais pas que de simples vols à l'étalage pour récupérer une pomme ou du pain. J'aurais dû être plus précis et te dire que je travaillais souvent pour des réseaux, comme celui de Keith, qui me donnaient des missions particulières. Mais l'argent que je recevais me permettait juste de survivre quelques jours. Même en dormant sur un toit, j'étais à chaque fois obligé de recommencer à voler une semaine plus tard.

Il parlait si vite qu'il ne parvenait à contrôler son accent de la Terre de l'Émeraude. Il espérait que ses propos ressemblaient à autre chose que des marmonnements, néanmoins, il ne se laissa pas le temps de douter.

— Après t'avoir rencontrée, je n'arrêtais pas de penser à toi. Je te l'ai déjà dit et je sais à quel point cela peut paraître fou et insensé, mais... Je ne pouvais pas continuer ma vie comme si je n'avais pas croisé ton chemin. Je voulais être sûr que tu n'allais pas retenter de te faire du mal, alors je suis parti pour la Terre des Vampires. Grâce au vol d'une bague, je venais de gagner mille pièces d'or, ce qui était largement suffisant pour le voyage.

Elle connaissait déjà certains éléments de son récit, or il ressentait le besoin de les rappeler. Aussi bien pour elle que pour lui.

— Lorsqu'on m'a déposé à la Frontière, je me suis retrouvé bloqué. J'étais un loup-garou et sans l'autorisation de mon alpha, je ne pouvais pas me rendre sur le royaume. Viktor m'a entendu discuter avec l'une des personnes responsables des admissions et... Il est venu me trouver.

Évoquer le simple nom de l'ancien chef de clan lui donnait des envies de meurtre. Cependant, il fallait qu'il reste concentré et ne perde pas le fil de ses aveux.

— Je t'ai menti quand je t'ai dit qu'on m'avait vendu un sérum pour devenir un vampire. En réalité, c'est Viktor qui me l'a donné, car nous avions passé un accord. Il devait me former afin que je sois admis au sein de la garde royale, et en échange, je devais voler quelque chose pour lui... La théière.

Il s'efforçait de la regarder dans les yeux, mais ne pouvait s'empêcher de les baisser de temps à autre. Formuler les choses à voix haute lui faisait réaliser à quel point il avait été idiot de passer ce marché. Comment avait-il pu vouloir le bien de la princesse, et envisager de lui nuire en même temps ?

— Je t'assure que c'est l'unique chose que je devais voler. Et je n'avais aucune intention de te séduire pour parvenir à ce but. Je voulais juste te revoir, puis repartir une fois certain que tu allais bien. Mais les choses m'ont un peu échappé...

Il esquissa un faible sourire.

— Je pensais que m'en aller au bout de trois mois, voire même avant, serait simple. Or plus je te côtoyais, moins j'envisageais la possibilité de reprendre ma vie d'avant. Lorsque j'ai enfin vu la théière, dans la petite pièce que tu m'as montrée, je me suis dit que je ne la volerai pas. Mais Millie a commencé à me faire du chantage, elle menaçait de tout te dire si je ne respectais pas ma part du marché. J'ai passé ces dernières semaines à ne pas savoir quoi faire, jusqu'à ce que je prenne ma décision, hier.

Il prit sur lui pour soutenir son regard, espérant qu'elle saurait lire la vérité dans ses yeux.

— Je voulais tout t'avouer, déclara-t-il. Te dire que j'avais passé un marché avec Viktor, que j'étais certes venu pour t'aider, mais que je devais aussi te dérober quelque chose... Je voulais que ce soit moi qui te dise cela, et pas Millie. Les gardes sont arrivés pile au moment où j'allais me lancer. Je sais que ça semble impossible à croire, tu n'as aucune raison de me faire confiance, mais... Je te jure que j'avais renoncé à voler cette théière. J'ignore comment elle s'est retrouvée dans ma chambre et...

— Millie, l'interrompit Isabella.

Troublé par l'espèce de fièvre qui avait pris possession de lui, il échoua à comprendre.

— Qu... Quoi ?

— C'est Millie qui avait repéré la théière et l'a cachée dans ta chambre. J'imagine qu'elle a aussi fait de même avec la bague.

— La... La bague, c'était vraiment moi.

Ses sourcils se froncèrent, alors il s'empressa d'enchaîner :

— Je l'ai prise ce soir, afin de... de pouvoir faire fabriquer une autre bague à ta taille.

Une expression étrange, s'apparentant à de la perplexité, apparut sur le visage de la princesse.

— Pas pour te demander en mariage, la rassura-t-il à toute vitesse. Je voulais juste te faire un cadeau et...

Il empoigna les barreaux de métal, comme si cela pouvait lui donner du courage.

— Je comprendrais que tu ne veuilles plus jamais me faire confiance et que tu refuses de croire tout ce que je te dis. Malgré tout...

Il plongea les yeux dans ses magnifiques iris océan. S'il devait mourir au lever du soleil, ces deux perles étincelantes seraient la dernière merveille à laquelle il penserait.

— L'unique chose que je voulais vraiment voler, c'est ton coeur. Non pas pour m'attirer ta confiance et te trahir ensuite, mais simplement dans l'espoir que... Que tu m'aimes autant que je t'aime.

Pendant des semaines, il n'avait pas eu le courage de prononcer ces mots. Il s'était toujours dit que dévoiler ainsi ses sentiments le mettrait mal à l'aise. Isabella ne semblait pas une grande adepte des effusions de niaiserie, cependant... Maintenant que ces paroles étaient prononcées, il se sentait soulagé d'un poids.

Une part de lui était tombé amoureux d'elle à l'instant où son regard avait croisé le sien. Toutefois, plus il avait appris à la connaître, à découvrir quelle force elle cachait au fond d'elle, plus son amour s'était renforcé.

Même s'il ne battait plus, jamais son coeur n'avait autant vibré pour quelqu'un.

La princesse resta silencieuse quelques instants, qui commencèrent à le mettre au supplice. Allait-elle lui rire au nez ? Parce que je n'ai aucun sentiment pour lui, avait-elle asséné un peu plus tôt dans la nuit. Le pensait-elle vraiment ?

— C'est bon ? lui demanda-t-elle finalement, les bras toujours croisés. Tu as fini ?

Ne sachant quoi répondre, il se contenta d'un hochement de tête mal assuré. Il l'observa sortir un trousseau de la poche de sa robe et inspecter les clefs avec attention. Lorsqu'elle trouva la bonne, elle l'enfonça dans la serrure de la grille et la déverrouilla. Duncan relâcha les barreaux, sans oser esquisser un pas dehors.

— L'espace d'un instant, quand Viktor a dit que tu étais venu ici pour me séduire et me manipuler, j'ai eu peur.

Il retient son souffle, dans l'attente de la suite.

— J'ai eu peur, car j'ai réalisé que si cela avait réellement été ton but, tu aurais réussi.

Elle se rapprocha de lui avec lenteur, jusqu'à être obligée de lever la tête pour continuer à le regarder.

— D'ailleurs, je crois que tu as réussi le vol de ta vie. Parce que mon coeur t'appartient tout entier.

Et aux yeux de Duncan, cela valait plus que tous les diamants du monde.

Submergé par les plus douces des émotions, il posa ses lèvres sur les siennes et l'attira tout contre lui. Au fond, il avait davantage craint de l'avoir perdue que d'être sur le point de mourir. Aussi folle qu'était cette vérité, il aurait préféré quitter ce monde plutôt que vivre sans son amour. En à peine trois mois, elle avait complètement bouleversé son existence sans but ni attache, de la meilleure manière possible.

— Je suis désolée de t'avoir fait subir tout ça, fit-elle en se reculant et en désignant le cachot. Je savais depuis le début que Viktor mentait, mais je voulais découvrir ce qu'il avait derrière la tête.

Elle lui raconta comment s'était déroulé son entretien avec l'ancien chef de clan. Lorsqu'elle lui annonça que Viktor et Millie étaient désormais enfermés dans une geôle à l'entrée du tunnel, il écarquilla les yeux.

— Donc tu veux dire que... Que tu m'as toujours cru ?

Elle avait tellement bien joué la comédie qu'il avait eu de sérieux doutes sur ce qu'elle pensait de lui.

— Bien sûr que oui ! s'exclama-t-elle avec un petit rire. En voyant Viktor revenir comme une fleur, j'ai compris qu'il avait préparé un mauvais coup. Et surtout, j'ai suffisamment confiance en toi pour savoir que tu n'aurais jamais fait une chose pareille.

Cela le toucha, or il était encore chagriné par quelques regrets.

— Je m'en veux vraiment de ne pas t'avoir tout dit plus tôt, se navra-t-il en baissant la tête. J'avais tellement peur que tu interprètes mal les choses et...

Il soupira. Sa bêtise et son manque de confiance avaient failli lui faire perdre ce à quoi il tenait le plus.

— J'avoue que j'aurais préféré que tu m'en parles avant, admit-elle. Malgré tout, je comprends qu'il ne soit pas toujours facile de reconnaître certaines choses...

Comme elle prenait à son tour un air pensif, il laissa sa main venir tendrement caresser sa joue.

— Qu... Quoi qu'il en soit, si tu as besoin de certaines explications par rapport à ce que t'a dit Daniel à mon sujet, je répondrai à toutes tes questions. Je ne sais pas exactement ce qu'il a trouvé sur moi, mais je doute que ce soit très glorieux...

— Tu m'as déjà tout expliqué sans que je te le demande. Et en réalité, les informations que ses espions ont trouvées ne sont pas si terribles, le détrompa-t-elle. C'est vrai que sur le papier, tu n'as pas le profil parfait d'un garde irréprochable, cependant...

Elle retrouva son petit air malicieux qu'il aimait tant.

— Ta période d'essai arrive bientôt à son terme, et je suis obligée d'admettre que tu as su faire tes preuves. Tes compétences ont apporté satisfaction à ta princesse... dans absolument tous les domaines.

Il lui rendit son sourire, puis s'inquiéta lorsqu'il vit sa mine s'assombrir.

— J'ai aussi eu la confirmation de ce que je craignais, par rapport à ta nouvelle condition de vampire, se navra-t-elle. Viktor t'a bien fait boire le sang de mon père, et non pas un simple sérum. Cela t'a permis de te transformer malgré le fait que tu sois un loup, mais... De manière définitive.

Duncan ne sut trop qu'en penser. Il aurait évidemment préféré savoir depuis le début qu'il ne redeviendrait jamais un lycanthrope, toutefois...

— Ce n'est pas grave, décréta-t-il en haussant les épaules. De toute façon, si ce qu'il m'avait promis était vrai, j'aurais regretté de ne pas rester un vampire.

Elle le considéra d'un air dubitatif, comme si elle remettait un peu en doute sa santé mentale.

— Duncan, je ne crois pas que tu réalises tout ce que cela implique. Tu ne vieilliras plus, ne reverras que très rarement la lumière du jour, devras te nourrir de sang pour l'éternité... Et surtout, tu n'auras jamais d'enfants.

À voir son regard peiné, on aurait dit qu'elle s'attendait à ce qu'il fonde en larmes, ou pique une crise de colère. Or la réaction du jeune vampire fut tout autre :

— Je n'ai jamais vraiment considéré l'idée d'avoir des enfants un jour, avoua-t-il. Ils m'ont toujours fait un peu peur et...

Isabella gloussa.

— À moi aussi ! confirma-t-elle. Même avant de devenir vampire, j'ai toujours su que je n'en aurai pas !

Au moins étaient-ils sur la même longueur d'onde.

— Du moment que je suis avec toi, je ne regretterai jamais rien, affirma-t-il.

Il vit une douce émotion traverser ses yeux bleus et elle passa les bras autour de son cou. Son espièglerie ne tarda pas à ressurgir.

— Maintenant, tu sais quelle punition t'attend si tu refuses de me rejoindre dans la salle de bains, badina-t-elle en jetant un coup d'oeil au cachot miteux. Ne t'avise plus de partir sans me dire bonsoir...

— Ça ne devrait pas être un ordre trop compliqué à respecter, murmura-t-il en déposant un baiser au coin de ses lèvres.

Il ne comptait plus jamais la décevoir, de quelque manière que ce soit.

— Parfait, susurra-t-elle sans perdre de sa malice. Dans ce cas, je crois que nous pouvons remonter...

Ayant déjà un millier d'idées derrière la tête pour oublier cette nuit chaotique, il lui attrapa la main et la suivit vers la sortie.

Tandis qu'ils remontaient les marches menant à la surface, il eut une pensée pour le loup qu'il était autrefois. Un loup qui vivait au jour le jour, et pour lequel l'amour était tout à fait étranger.

À présent, voilà qu'il allait vivre pour l'éternité. Non seulement il allait vivre, mais il allait aussi aimer et être aimé par la femme la plus exceptionnelle du monde. 

Il aurait peut-être dû craindre que des ombres ne viennent obscurcir son bonheur, or ce n'était pas le cas.

Car maintenant qu'il était avec Isabella, il avait plus que jamais foi en l'avenir.

Note de l'auteure :

À samedi pour l'épilogue et de petites infos sur la prochaine histoire ! 😘❤️

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