Chapitre 20 - Un nouvel ami

— Je peux t'aider ?

Duncan sursauta. Il se tourna vivement vers le garde qui venait de surgir dans le couloir. Malgré son audition surnaturelle, il ne l'avait pas entendu arriver, ce qui était sûrement dû à la discrétion déployée par le soldat.

— Je... Il m'a semblé entendre du bruit, donc je suis venu vérifier que tout était en ordre.

Même à ses propres oreilles, son mensonge sonna extrêmement faux. Son collègue le fixa d'un air scrutateur.

— Du bruit ? s'étonna-t-il. Personne ne vient jamais par ici.

C'était précisément la raison pour laquelle Duncan avait décidé de chercher la théière dans les environs...

— Je... Euh... Vous y êtes bien vous, non ?

Il fut le premier surpris par sa repartie. L'inconnu ouvrit de grands yeux et l'ancien loup prit sur lui pour ne pas se décomposer sur place.

— Je suis assigné à la surveillance de ce secteur, l'informa-t-il d'un ton sec. Ce qui n'est pas ton cas.

Pourquoi surveillez-vous cet endroit si vous prétendez que personne n'y vient ? eut-il envie de rétorquer. Il n'en eut cependant pas l'audace, pour le plus grand bien de sa survie...

— C'est... Enfin... Je suis nouveau, balbutia-t-il finalement. Je me suis perdu et... Ce couloir n'est pas très rassurant, donc dans ma panique j'imagine que... Je me suis inventé ces bruits.

Ses paroles contenaient une part de vérité, ce qui l'aida à les prononcer de manière convaincante.

Le corridor non éclairé, ainsi que les pièces attenantes qu'il avait entrepris d'explorer, étaient assez terrifiants. Situés au sommet de l'aile ouest, les lieux se composaient de murs délabrés, de vieilles réserves où s'entassaient mille contenants en bois, de vieux objets datant d'un autre temps... Duncan avait eu à forcer des serrures afin d'accéder à certaines salles. C'était pour lui un jeu d'enfants, mais une pointe de culpabilité n'avait pas manqué de le tenailler. Toutefois, il avait fait taire ses scrupules, persuadé que la théière se trouvait dans cette zone.

Un peu plus tôt, après que la princesse lui ait annoncé vouloir être seule, il était rentré à sa chambre. Il y avait pris un bain et s'était changé, puis s'était résolu à tenter des recherches. Il ne pouvait pas oublier les paroles de Viktor, et même s'il n'accordait aucune estime à ce vieux vampire, il l'avait aidé. C'était désormais à lui de remplir sa part du marché. Cela ne lui disait rien de trahir ainsi la confiance d'Isabella et du roi, mais il détestait ne pas tenir une promesse.

Il devait au moins essayer de retrouver ce misérable objet de porcelaine, ne serait-ce que pour dire qu'il avait réellement tenté.

Il avait donc tant bien que mal joué le naïf auprès d'un domestique, qui lui paraissait encore plus benêt que lui. Il avait prétendu que Son Altesse lui avait confié un objet à placer sous haute sécurité, sans préciser où il pourrait le faire. Un peu pris au dépourvu, le pauvre valet lui avait suggéré de tenter dans les réserves de l'aile ouest. Les mille et une babioles poussiéreuses qu'il y avait découvert lui avaient donné un soupçon d'espoir.

Néanmoins, il n'avait pour le moment pas mis la main sur la moindre théière.

— Je vous déconseille de vous aventurer à cet étage, déclara le soldat avec sévérité. Je vous laisse le bénéfice du doute pour cette fois, mais vous ne vous en tirerez pas si facilement une seconde.

Duncan acquiesça et s'empressa de dépasser le garde pour quitter les lieux.

Il s'attendait à pouvoir s'isoler tranquillement dans sa chambre, or Daniel se tenait devant la porte de celle-ci.

— Ah, te voilà. Je t'attendais.

Quelque chose dans son expression indiqua à l'ancien loup qu'il ne lui rendait pas une visite amicale. Ses bras étaient fermement croisés sur son torse, presque tout aussi massif que le sien.

— Il... Il y a un problème ? s'enquit Duncan. Je ne suis pas de service aujourd'hui, donc je me suis permis d'aller faire un tour dans le palais et...

Il ne termina pas sa phrase, ne trouvant pas quoi dire. Se pouvait-il que le soldat qui l'avait surpris ait défié les lois du temps et de l'espace pour venir en informer Daniel ?

Le voleur savait très bien que c'était impossible, alors il s'efforça de tempérer sa drôle d'appréhension.

— Ne t'inquiète pas, tu n'as pas à me rendre de comptes sur tes activités, déclara le garde en s'adossant à la porte. Mais j'ai remarqué que tu ne passais pas beaucoup de temps dans ta chambre...

Il n'eut pas besoin de préciser pour que Duncan comprenne qu'il parlait des matins et des après-midi.

— Je ne voudrais pas me montrer intrusif, cependant... Cela m'intrigue un peu. Tu n'as pas de problèmes dont je devrais avoir connaissance, au moins ?

Théoriquement, le jeune vampire s'était fait embaucher par Sa Majesté, et n'avait donc à rendre des comptes qu'à celui-ci. Toutefois, il avait compris que Daniel était en quelque sorte le "capitaine" des gardes royaux, et que son statut était supérieur à celui de ses collègues.

Heureusement, deux ou trois jours plus tôt, Isabella l'avait informé que le soldat commençait à avoir des soupçons sur lui. Ils s'étaient accordés sur une version à fournir en cas d'un petit interrogatoire tel que celui-ci.

— Au... Aucun problème, le détrompa-t-il en s'efforçant d'avoir l'air assez calme. Au contraire, je... Je m'entends bien avec quelques femmes de chambre, qui travaillent dans l'aile est.

Il se gratta la nuque, mortifié de devoir passer pour un tel coureur de jupons. Néanmoins, la princesse avait affirmé que c'était un mensonge auquel Daniel croirait aisément. Sa gêne apparente l'aida à se fondre dans son rôle, et son interlocuteur se détendit.

— Je vois, fit-il en riant doucement. C'est ce que quelqu'un m'avait laissé entendre, mais j'avais un peu de mal à y croire. Sans vouloir te vexer, tu n'as pas vraiment les manières d'un débauché...

Duncan choisit de prendre cette remarque comme un compliment. Il s'attendit à ce que Daniel le laisse accéder à sa chambre, or il ne bougea pas d'un pouce.

— De qui s'agit-il ? lui demanda-t-il avec un petit sourire de conspirateur.

L'ancien loup voulut se terrer dans un trou. Allaient-ils vraiment parler de... ce genre de choses ?

— A... Amalia, la plupart du temps, articula-t-il, conformément à ce que Son Altesse lui avait conseillé.

Daniel parut retenir un gloussement.

— Non pas que je veuille me montrer rabat-joie, mais... Laisse tomber, se reprit-il. Ce n'est pas correct de commérer là-dessus.

Duncan savait très bien ce qu'il avait voulu dire : cette Amalia était connue pour avoir couché avec la moitié du château. Isabella le lui avait affirmé sans la moindre vergogne.

C'était d'ailleurs la raison pour laquelle la princesse lui avait suggéré d'utiliser cette Neutre comme alibi. Cela était si peu étonnant venant d'Amalia que Daniel n'irait sûrement pas demander confirmation à l'intéressée.

Utiliser la réputation d'une jeune fille déplaisait au voleur. Mais lorsqu'il lui avait fait part de ses réserves, Isabella les avait balayées d'un revers de la main.

— Quoi qu'il en soit, je suis content que tu aies réussi à t'intégrer, conclut Daniel en lui envoyant une vive tape sur l'épaule.

Duncan lui grimaça un sourire et le garde finit enfin par s'éloigner. Le jeune vampire se précipita à l'intérieur de sa chambre, bienheureux de pouvoir y trouver refuge.

Il passa les jours suivants à craindre que Daniel ne découvre sa supercherie. Ses craintes amusaient la princesse, qui un soir, lui lança :

— Cela vous embêterait à ce point qu'il sache que vous dormez avec moi ?

Ils marchaient dans les rues de Mendoza, en direction de la taverne où jouaient les Dorémi Horizons. C'était cette nuit que devait se tenir la petite soirée dansante, annoncée par les serveurs de l'établissement.

— Ne... N'irait-il pas s'imaginer des choses ? répondit-il sans dissimuler sa gêne.

Sa remarque eut au moins le mérite de la faire sourire.

— Sûrement, admit-elle. Mais serait-ce si dramatique ?

Son petit air espiègle eut un drôle d'effet – tout sauf désagréable – sur Duncan. Il se força cependant à se ressaisir.

— Et vous, cela ne vous dérangerait pas qu'il le sache ? osa-t-il demander. Il pourrait chercher à savoir pourquoi j'ai commencé à passer mes journées avec vous et...

En la voyant se rembrunir, il s'en voulut d'avoir retourné la question contre elle. Quelle idée de lui rappeler pourquoi il ne la laissait pas seule !

— Il s'en tiendrait à l'idée que vous couchez avec moi, affirma-t-elle, sans paraître réellement croire à ses propos.

Il ne jugea pas utile d'ajouter quoi que ce soit. Le reste du trajet fut uniquement animé par les bruits ambiants : claquements de sabots et de talons sur les pavés, discussions bruyantes entre les passants, éclats de rire provenant des tavernes...

Quand ils arrivèrent aux abords du lieu de la fête, une excitation générale régnait. Beaucoup plus de curieux que d'habitude s'étaient déplacés, ce qui obligea Isabella et Duncan à patienter dans la rue, alors même qu'ils étaient en avance. Le garde espéra qu'il resterait assez de place pour que la princesse et lui puissent entrer, sans quoi elle serait certainement déçue. Il lui vint à l'esprit qu'ils pourraient utiliser son titre d'Altesse Royale pour s'en assurer, mais il se sentit aussitôt honteux. Depuis quand te mets-tu à penser ainsi ? se morigéna-t-il.

Il n'avait aucune envie de jouer les privilégiés, seulement... Il refusait de voir Isabella triste, quand bien même cela aurait simplement été pour un petit concert raté. Par chance, ils purent entrer dans la taverne, ce qui ne fut pas le cas de tous ceux qui se trouvaient derrière eux.

Aménagement d'une piste de danse oblige, la capacité de la salle s'en voyait quelque peu diminuée. La majorité des tables avait disparu, et celles restantes avaient été poussées contre les murs. Cela laissait ainsi moins de places assises, au plus grand dam de Duncan. Les serveurs veillaient à ce qu'un nombre raisonnable de personnes debout s'entassent au centre de la pièce, où tout le monde allait danser. L'endroit était trop exigu pour supporter des débordements.

Isabella semblait déterminée à rester au beau milieu, prête à valser dès que la musique commencerait. L'ancien loup, à l'inverse, se fraya un chemin afin d'arriver au niveau des murs et des chaises mises à disposition. Un siège était miraculeusement disponible.

— Qu'est-ce que vous faites ? l'interpella la princesse en le rattrapant. Vous n'allez tout de même pas passer la nuit assis comme un vieux papy !

En dépit du brouhaha, quelques autres clients l'entendirent et rirent sous cape. Duncan les ignora, préférant les entendre se moquer de lui pour rester assis plutôt que pour ses inexistants talents de danseur.

— Je ne... Je n'ai pas l'intention de danser, lui annonça-t-il en posant un coude sur la table près de lui.

— Quel intérêt de venir à une soirée dansante si vous comptez vous fossiliser au bord de la piste ?

Elle paraissait sincèrement atterrée, sans qu'il ne parvienne à comprendre pourquoi.

— Cela ne change rien pour vous, argua-t-il doucement. Ne faites pas attention à moi, allez vous amuser avec les autres. Vous n'aviez de toute façon pas pré... prévu de danser avec moi, si ?

Il avait prononcé sa dernière question sur un ton qui s'apparentait à celui de la plaisanterie. En voyant Isabella baisser la tête, il comprit qu'il venait peut-être de commettre une erreur. Était-ce vraiment de la tristesse qui se peignait sur le visage de Son Altesse ? Il en eut la brève impression, avant qu'elle ne se recompose un masque de désinvolture.

— Comme vous voudrez, fit-elle en haussant les épaules. Mais si vous parvenez à sortir le balai enfoncé dans votre derrière, vous savez où me trouver.

Et sans se préoccuper de sa mine consternée, elle tourna les talons. Duncan tenta de la suivre du regard, mais sa petite et frêle silhouette fut rapidement engloutie par la foule.

Lorsqu'un serveur passa à son niveau, il commanda un verre de sang. Une fois servi, il noya son trouble en dégustant l'hémoglobine. Cependant, le goût métallique du liquide rouge ne parvint à le détourner de la scène qui venait de se jouer. Il se répétait en boucle ses paroles et celles d'Isabella, essayant tant bien que mal de saisir ce qui l'avait déçue. Il en venait toujours à la même conclusion, or celle-ci lui paraissait désespérément... improbable.

Il était absolument impossible que la princesse ait eu envie de danser avec lui, n'est-ce pas ?

Elle ne le voyait que comme son garde du corps qui prenait sa mission un peu trop au sérieux et la collait telle une sangsue. Certes, elle partageait quelques moments agréables en sa compagnie, comme leurs sorties ici même, néanmoins... Elle se serait ridiculisée en dansant avec l'empoté qu'il était. Pire encore, elle aurait dû établir un contact physique, presque intime, avec lui. Comment aurait-elle pu désirer cela ?

Comment aurait-elle pu le désirer, lui ?

Calme-toi, grommela-t-il intérieurement, agacé par sa capacité à tout dramatiser. Les musiciens ne tardèrent pas à faire leur entrée, sous les bruyantes acclamations des clients. Ils débutèrent ensuite une musique entraînante, propice à la valse. Des couples se formèrent rapidement sur la piste, alors que les timides comme Duncan restaient à leur place.

Malgré ses efforts pour se concentrer sur la musique et son verre de sang, il ne put empêcher ses yeux de parcourir la salle, en quête d'Isabella. Il lui fallut attendre plusieurs minutes avant de la repérer, au bras d'un jeune homme d'à peu près leur âge. Bien plus à l'aise que l'ancien loup, l'inconnu faisait tournoyer la princesse avec insouciance. Son Altesse riait avec un naturel qui aurait dû ravir Duncan, toutefois...

Il entendit son gobelet métallique émettre un drôle de bruit et se rendit compte qu'il le déformait avec son poing.

Il serra et desserra ses phalanges pour se calmer, jugeant lui-même sa réaction complètement stupide.

— Vous allez bien ?

Le voleur tourna la tête vers la droite. De l'autre côté de la petite table ronde, une jeune fille blonde était assise et sirotait une boisson. Il la reconnut comme étant celle à qui Isabella avait donné son chapeau, la première fois qu'ils étaient venus ici. Elle fixait le pauvre verre qu'il venait de maltraiter.

— Euh... Oui.

Ce fut tout ce qu'il parvint à marmonner. Il baissa les yeux en direction du sol, espérant que la fille n'allait pas poursuivre la conversation.

— Elle est très jolie, continua-t-elle pourtant.

Duncan se redressa et l'interrogea du regard. De qui parlait-elle ?

— La demoiselle avec qui vous venez toujours, précisa-t-elle avec un petit sourire. N'était-ce pas elle que vous regardiez ?

Il n'aurait jamais qualifié Isabella de "très jolie", ce qui expliquait pourquoi il n'avait pas compris. Elle était magnifique, extraordinaire, envoûtante et... Du calme, s'astreignit-il pour la millième fois de la soirée.

— Pas spécialement, mentit-il.

Il avait de toute façon trop peu articulé pour qu'elle le comprenne.

— Vous êtes ensemble depuis longtemps ? s'enquit-elle.

Le voleur manqua de s'étrangler.

— Par... Pardon ?

— Vous allez me prendre pour une folle furieuse, mais... J'ai remarqué comment vous la regardez, que ce soit aujourd'hui ou les nuits précédentes. Et surtout, j'ai vu à quel point elle vous regarde, elle.

Sans la sincère douceur qui se dégageait de sa voix, Duncan aurait cru qu'elle se moquait de lui.

— Je... Vous devez faire erreur, déclara-t-il poliment.

Or elle continua à lui sourire d'un air entendu, avant de reporter son attention sur les danseurs.

Le jeune vampire tenta de ne pas se laisser déstabiliser par ces étranges paroles. Cette fille ne connaissait rien de lui, ni d'Isabella. Ce n'était pas en les observant de loin deux ou trois fois qu'elle avait pu se rendre compte de quoi que ce soit. Surtout lorsqu'il n'y avait à se rendre compte de rien.

Les musiques et les danses s'enchaînèrent, sans que Duncan ne bouge de sa place. Il préférait observer la princesse de loin, même si plus la nuit défilait, plus un pincement lui tenaillait le coeur. Et s'il réussissait à faire un effort pour la rejoindre ? Et si c'était vraiment ce qu'elle voulait ?

Seule la fin du concert mit un terme à ses tergiversations. Pendant que le joyeux public riait et applaudissait les Dorémi Horizons, Isabella se fraya un chemin pour rejoindre Duncan. Elle n'était pas repassée le voir depuis le début des festivités.

— Venez avec moi, l'enjoignit-elle avec enthousiasme. Je voudrais aller parler aux musiciens.

Cette fois, il la suivit docilement et ils s'approchèrent de la petite estrade. Les membres du groupe s'éclipsèrent par une porte dérobée, que Son Altesse s'empressa de franchir. Duncan n'eut pas le temps de protester qu'ils se trouvaient déjà dans un petit couloir sombre, en compagnie des cinq jeunes hommes.

— Nous pouvons vous aider ? les interrogea l'un d'eux avec un petit sourire hésitant.

— En réalité, je crois plutôt que c'est moi qui peux vous aider, lança la princesse d'un air malicieux.

Sûrement croyaient-ils avoir affaire à une admiratrice un peu trop zélée, ce qui expliquait leurs mines perplexes. Le soldat était tout aussi intrigué et sceptique qu'eux.

— Ce n'est pas tous les jours que j'ai à l'annoncer comme ça, mais... Je suis la princesse, avoua-t-elle.

Duncan écarquilla les yeux en même temps que les musiciens. La danse lui avait-elle à ce point fait perdre l'esprit ?

— La... La princesse Isabella ? finit par balbutier un blondinet.

— Tout à fait, approuva-t-elle avec un certain amusement. Je n'ai pas vraiment de moyen de vous le prouver, donc vous devrez vous contenter de me croire.

Le groupe cligna des paupières, puis chacun s'inclina dans une petite révérence maladroite, en bégayant des formules de politesse.

— C'est mon garde du corps, ajouta-t-elle quand ils se mirent à observer Duncan.

Ce dernier se sentit brièvement gêné par tant de regards. Cependant, l'attention des jeunes hommes se reporta bien vite sur Son Altesse.

— Comment vous appelez-vous ? leur demanda-t-elle comme ils restaient muets.

Un grand brun retrouva finalement l'usage de la parole.

— Je... Je m'appelle James, se présenta-t-il. Et voici Javadd, Edward, William, et un autre James.

Ils inclinèrent tous la tête à l'entente de leur nom. Ils étaient bien moins à l'aise à présent que lorsqu'ils se trouvaient sur scène.

Isabella posa quelques questions anodines sur leur groupe, avant d'en venir au fait :

— Est-ce que vous accepteriez de vous produire au palais ?

Leurs mines éberluées étaient presque comiques.

— Vous pourriez jouer dans la salle d'opéra, ou dans l'une des salles de bal. Cela vous permettrait de gagner en notoriété et d'être invités aux quatre coins du royaume.

Ils se concertèrent du regard, une conversation silencieuse paraissant se jouer entre eux.

— Nous vous remercions infiniment pour votre proposition, Votre Altesse, déclara le dénommé Edward au bout de quelques secondes. C'est une opportunité incroyable pour nous, mais sans vouloir vous offenser, nous nous devons d'y réfléchir et d'en discuter.

Sa voix avait quelque chose de très charmant, qui couplée à son physique avantageux, aurait rendu jaloux n'importe quel homme. Du moins, c'est ce dont Duncan essayait de se convaincre, pour expliquer ses poings serrés. Depuis le début de la conversation, il trouvait qu'Isabella regardait un peu trop ce garçon.

— Nous n'aurions jamais pensé cela possible, renchérit le James aux cheveux blonds. C'est... incroyable.

La princesse leur indiqua qu'elle comprenait et que rien ne pressait. De toute façon, une autre fête serait organisée dans peu de temps, ce qui leur donnerait l'occasion de se revoir.

Duncan et Isabella quittèrent bientôt la taverne. Dès qu'ils atteignirent la rue, elle l'interrogea :

— Qu'est-ce qui vous arrive ?

L'ancien loup essaya de retrouver son sang-froid. C'était déjà la deuxième fois de la nuit que quelqu'un lui trouvait un comportement étrange.

— Rien, je... Je suis juste un peu fatigué, prétendit-il en continuant à marcher.

Le regard perçant de Son Altesse lui indiqua clairement qu'elle ne le croyait pas.

— Vous... Vous vous êtes bien amusée ? la questionna-t-il avec un semblant de légèreté.

Elle sembla un instant considérer l'idée d'insister, mais s'abstint.

— C'était pas mal. Cela me coûte de vous l'admettre, or je dois reconnaître que les instruments percent moins les tympans que ceux de mes fêtes. Par contre, c'est dommage qu'il n'y ait pas de cerceau suspendu au plafond...

Sachant très bien qu'elle disait cela pour le taquiner, il lui rendit son sourire.

— Je ne pense pas qu'ils connaissent cette pratique, osa-t-il répondre. Vous devriez la leur présenter.

Elle gloussa et ils poursuivirent leur trajet dans une ambiance détendue. Ils étaient en train de traverser un quartier plus calme, quand un drôle de bruit les interpella. Duncan se figea et posa la main sur son poignard, échaudé par l'expérience avec les brigands et celle avec Viktor. Quand le son se répéta, il comprit qu'il ne s'agissait que d'un aboiement de chien, provenant d'une ruelle voisine. Il se remit en marche, mais Isabella ne le suivit pas.

— Qu'est-ce...

— Attendez, le coupa-t-elle en lui faisant signe de se taire.

Il s'exécuta et tendit l'oreille, ne comprenant pas ce qui retenait son attention. À force de déployer son audition surnaturelle, il finit par distinguer un bruit à peine perceptible, aussi doux que celui d'un carillon. Il était presque entièrement recouvert par les jappements du chien.

La princesse se précipita dans la ruelle obscure. Plutôt que de tenter vainement de la dissuader, Duncan décida de la suivre. Ils se retrouvèrent au bout d'une impasse, où un gros chien gris hurlait après un cageot abandonné.

— Va-t'en ! ordonna Isabella au clébard enragé.

L'intéressé l'ignora royalement.

— Sinon je t'étouffe avec ta queue ! le menaça-t-elle.

— Je doute qu'il comprenne ce que vous dites, commenta l'ancien loup en fronçant les sourcils.

Il avait du mal à saisir la raison d'une telle haine envers ce pauvre animal. Elle eut beau s'acharner à lui crier dessus, sa voix cristalline n'impressionna guère la bête.

— Aidez-moi à le faire partir d'ici ! s'exclama-t-elle en se tournant vers Duncan.

D'abord un peu confus, il finit par repérer une poubelle métallique qui traînait non loin. Il en attrapa le couvercle et abattit plusieurs fois son poignard dessus, de manière à produire un insupportable tintamarre. Cela réussit à effrayer l'animal, qui s'aplatit avant de détaler.

Dès qu'il eut quitté l'impasse, Isabella s'agenouilla près du cageot afin de le soulever. Le voleur s'approcha et découvrit un minuscule chaton, que Son Altesse s'empressa de prendre entre ses mains.

— Ne t'inquiète pas, le méchant toutou est parti, lui murmura-t-elle pour tenter de calmer ses miaulements paniqués.

L'animal semblait tout maigre et son pelage tigré était clairsemé. Duncan inspecta l'impasse, mais ne repéra pas la potentielle mère du chaton, ni ses frères et soeurs.

— Vous pensez qu'on peut le garder ? demanda la princesse sans cesser de caresser le petit félin.

Ce dernier se lova un peu plus entre ses paumes et ferma ses adorables petites paupières. Comme l'ancien loup ne répondait pas, Isabella leva vers lui un regard implorant.

— Eh bien... Personnellement, je n'y vois pas d'inconvénient, mais il faudra sûrement aussi voir avec votre père.

Le visage de la vampire s'illumina, et Duncan se sentit gagné par la plus douce des émotions.

Toutefois, lorsqu'ils reprirent leur route avec un petit être en plus, la perplexité le gagna. Isabella venait-elle vraiment de tuer trois personnes et de sauver un chaton dans la même semaine ?

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