Chapitre 20 - L'art de se détester
Anya fit tourner une dernière fois sa petite boîte à musique. La douce mélodie tinta dans le silence de la chambre, puis s'acheva au bout de quelques secondes. La louve se pencha au-dessus du lit de Marcus, qui dormait à poings fermés.
Il lui avait fallu une bonne demi-heure avant de réussir à calmer le petit, qui avait apparemment fait un cauchemar. Comme il ne parlait pas encore très bien, elle n'avait pas exactement compris ce qui le tourmentait. Il avait bredouillé quelque chose à propos de son papa qui lui manquait, alors Anya avait essayé de lui lire une histoire. Celle-ci ayant échoué à l'endormir, elle avait attrapé une vieille boîte à musique qui traînait sur la table de nuit. Au bout d'une dizaine d'écoutes, ses petits yeux avaient fini par se calmer.
Anya aurait presque pu s'endormir avec lui, si ses pensées n'étaient pas si agitées. Elle avait d'abord eu du mal à se concentrer sur l'histoire, ce qui expliquait peut-être pourquoi sa voix n'avait pas endormi Marcus. Ses bafouillages successifs et ses marques d'agacement n'avaient pas dû lui échapper. Elle avait ensuite remonté machinalement la boîte à musique chaque fois qu'elle s'arrêtait, sans prêter attention à la mélodie.
Elle sortit à pas de louve de la chambre, en évitant les jouets qui jonchaient le sol. L'obscurité ne fut pas de son côté et elle manqua d'envoyer un coup de pied dans un cube en bois. Quand elle atteignit la porte, celle-ci s'ouvrit en grinçant légèrement. Elle entendit Marcus remuer dans son lit et se figea, or il ne grogna pas.
Elle réussit enfin à sortir et à refermer le battant, sans remarquer l'ombre qui s'étirait dans le couloir. Ce ne fut qu'en se tournant qu'elle remarqua sa présence... et sursauta comme une jument apeurée.
— Je ne pensais pas que ma beauté pouvait effrayer à ce point, la taquina Rowan.
— Je... Je ne vous avais pas vu, balbutia-t-elle en portant une main à son coeur. Vous attendez depuis longtemps ?
Elle n'avait même pas réagi à son trait d'humour, trop sonnée pour l'avoir vraiment remarqué.
— Pas plus de cinq minutes. J'étais étonné que vous ayez besoin d'autant de temps pour calmer Marcus, alors j'ai voulu voir s'il y avait un problème.
Elle hocha la tête, sans que ce soit vraiment nécessaire.
— Il a fini par s'endormir. Nous pouvons retourner en bas, si vous voulez.
Là encore, elle ignorait pourquoi elle avait rajouté ce "si vous voulez". Le bal dont ils étaient les invités d'honneur se déroulait au rez-de-chaussée. Ils n'avaient aucune raison de ne pas y reparaître.
— À vrai dire, fit-il en esquissant un pas vers elle, je crois que nous devrions parler de... quelque chose.
Ses yeux marron exprimaient une intensité rare, qui lui fit perdre tous ses moyens. Elle resta quelques secondes sans rien dire, avant de brusquement retrouver l'usage de la parole :
— Si... Si vous voulez, mais... Nous ferions peut-être mieux d'aller ailleurs. Je n'ai pas envie qu'il se réveille de nouveau.
Elle désigna la porte et Rowan acquiesça. La domestique chargée de surveiller Marcus revint au même moment et remercia Anya de l'avoir calmé. Apparemment, elle s'était sentie quelque peu dépassée par la situation, ce que la louve ne pouvait lui reprocher.
Elle-même n'était pas très sûre de ce qu'elle faisait en entraînant Rowan vers un couloir isolé, un peu trop proche de leurs chambres... Pourquoi penses-tu à cela, d'ailleurs ? Ce n'était qu'un couloir comme les autres, où ils allaient avoir une discussion on ne peut plus ordinaire et...
— Vous avez froid ?
Cette question la surprit et elle interrogea Rowan du regard.
— Vous avez les bras si croisés qu'on vous croirait sortie de la banquise.
Elle ne s'en était même pas aperçue. Elle prit sur elle pour se détendre, mais ce fut bientôt l'un de ses bracelets qui dut supporter sa tension. Ses doigts s'acharnèrent sur la chaînette en argent, tandis qu'elle attendait la suite.
— Alors ? le pressa-t-elle au terme d'un silence insupportable. De quoi vouliez-vous parler ?
Son regard croisa le sien et la réponse flotta entre eux, à la fois invisible et terriblement palpable. Bien sûr, chacun la connaissait déjà.
Les battements de son coeur l'étourdissaient tellement qu'elle ne le vit même pas s'approcher. Elle n'échappa à son regard qu'en fermant les yeux, au moment où il vint poser ses lèvres sur les siennes.
En s'éloignant de la salle de bal, elle savait que ceci risquait de se produire. Sûrement était-ce pour cette raison qu'elle l'avait emmené jusqu'ici, où presque personne ne risquait de les voir. Rien n'aurait dû la surprendre et pourtant... De sa vie, jamais quelque chose ne l'avait rendue aussi confuse.
Elle embrassa Rowan avec une fougue qu'elle ne se soupçonnait pas, comme si cela faisait des mois qu'elle en rêvait. Elle s'était toujours refusée d'y penser, d'imaginer un seul instant ce que ce contact pourrait provoquer en elle, d'envisager sérieusement Rowan si près d'elle et...
— Qu'est-ce... Qu'est-ce que vous faites ? l'interrogea-t-elle en s'écartant.
Cette question s'adressait davantage à elle qu'à lui. Un éclair de lucidité lui avait fait réaliser qui elle était en train d'embrasser et la folie que cela représentait. Pourquoi Rowan l'embrassait-il ? Pourquoi embrassait-elle Rowan ?
Pire que tout, pourquoi avait-elle terriblement envie de recommencer ?
— Je... Je ne sais pas, avoua-t-il, le souffle court.
Elle prit conscience de son propre essoufflement et surtout, de son coeur qui tambourinait à toute vitesse. Pas une seule fois elle n'avait ressenti cela avec Clark.
L'image de ce dernier apparut soudain dans son esprit et la fit reculer d'un pas.
— Nous... Nous ne pouvons pas faire ça, tenta-t-elle de se raisonner. Je suis encore mariée à Clark et...
— Oui, la coupa brutalement Rowan, comme si ses esprits lui revenaient aussi. Vous êtes encore mariée...
— Mais nous ne sommes plus ensemble, songea-t-elle à voix haute.
Elle ne saisit pas tout de suite pourquoi elle avait ajouté cela. Elle ne le comprit que lorsqu'elle revient vers Rowan et que ses lèvres écrasèrent de nouveau les siennes.
Elle songea à toutes les fois où elle avait cru ne rien pouvoir ressentir, où elle s'était imaginée avec un coeur de glace impossible à dégeler. Désormais, elle se rendait compte de tout ce qu'elle pouvait éprouver, de tous ses sens qui s'éveillaient. Elle aurait voulu pouvoir se fondre dans les mains de Rowan, qui encerclaient son cou pour la rapprocher. La chaleur qu'il dégageait finissait de la rendre folle et embrasait tout son corps. Elle aurait souhaité qu'il ne s'éloigne jamais, qu'il continue à prendre possession de ses lèvres jusqu'à...
— An... Anya, vraiment il... On ne devrait pas continuer.
Il la lâcha et se détourna brusquement, laissant un froid glacial tomber sur elle. Il faisait tout sauf frais dans ce couloir, où quelques chandeliers apportaient un doux éclairage, mais la louve se sentit gelée. Ses joues étaient pourtant encore brûlantes, tout comme ses lèvres fébriles.
— Je ne sais vraiment pas pourquoi nous faisons ça, reconnut-elle dans un souffle. Ni pourquoi je...
Ni pourquoi un tel désir la consumait. Elle voulait bien croire que cela faisait plus de deux ans qu'elle n'avait pas eu de relation physique avec qui que ce soit, cependant... Quelque chose d'incroyablement fort la poussait vers Rowan, sans que cela n'ait à voir avec un simple manque.
Ce ne pouvait être un manque, puisqu'elle n'avait jamais ressenti cela auparavant. Il s'agissait d'un sentiment tout nouveau, qu'elle ne pouvait pas encore clairement expliquer.
— Nous avons passé trop de temps à nous détester, déclara-t-il, dos à elle. Et je... Je ne comprends pas pourquoi tout changerait maintenant et...
Il se refusait à lui faire face, cherchant sans doute à retrouver son sang froid. Anya essaya de fixer le tapis bleu, tout en recommençant à tirer sur son bracelet.
— Nous... Nous devons juste être un peu perdus, hésita-t-elle sans conviction. Vivre loin du palais nous a changé les idées et... Ça nous les change tellement que nous ne savons plus où nous en sommes.
Du coin de l'oeil, elle le vit hocher la tête lentement.
— C'est... C'est ça, acquiesça-t-il d'une voix grave. C'est bien connu que les voyages peuvent donner une impression d'irréalité et... Nous sommes juste aveuglés pour le moment, c'est tout.
Elle se força à se ranger de son avis et articula un bref assentiment. Il fut suivi par un silence insoutenable, pendant lequel elle essaya de prendre de longues inspirations. Hélas, cela ne suffit pas à apaiser son coeur, ni la fièvre qui la menaçait.
Finalement, Rowan se retourna vers elle. Une nouvelle fois, ses yeux brillants capturèrent les siens et elle manqua de chanceler.
— Vous me détestez toujours, n'est-ce pas ? demanda-t-elle pour donner le change.
Jamais elle ne s'était entendu une voix aussi faible. Elle aurait dû se maudire pour cela, mais dans l'immédiat, il s'agissait du cadet de ses soucis.
— Toujours.
Cette confirmation aurait dû sceller la question, or ce fut tout l'inverse.
Une seconde plus tard, il recommença à l'embrasser.
Cette fois-ci, Anya abandonna tout reste de retenue. Elle sentit son torse la pousser contre le mur et se laissa faire, son dos heurtant la paroi. Le choc ne lui fit même pas mal, trop occupée qu'elle était à caresser ses cheveux et à le rapprocher d'elle. Chacun mettait une telle passion dans leurs baisers que ses lèvres en devenaient presque douloureuses. Cela ne l'empêcha pas d'en réclamer davantage et de poursuivre jusqu'à être essoufflée.
Les hanches de Rowan plaquaient toujours plus les siennes contre le mur, si bien qu'elle finit par écarter les jambes. Malgré les épais jupons de sa robe, elle sentit à quel point il voulait d'elle. Cette découverte accentua le désir qui lui serrait le ventre et elle enfonça un peu plus les doigts dans ses cheveux. Il quitta ses lèvres pour venir mordiller son cou, lui arrachant un petit bruit discret. Cela dut malgré tout suffire à lui rappeler où ils se trouvaient, et l'urgence à ne pas rester ici.
— Votre chambre ? murmura-t-il contre sa peau.
Pour toute réponse, elle le poussa en direction d'une porte blanche, à seulement quelques mètres d'eux. Ils l'atteignirent à pas titubants, refusant presque de s'écarter l'un de l'autre. Quand ils furent enfin à l'intérieur, ils prirent soin de verrouiller la serrure et laissèrent libre cours à leur passion.
Ils s'embrassèrent quelques secondes contre le battant, puis se mirent en quête du lit. Anya guida Rowan dans la pénombre, mais au lieu de sentir le matelas moelleux, elle rencontra bientôt du bois.
Elle se détourna du loup pour examiner son environnement de plus près, à la seule lumière du clair de lune. Elle distingua bientôt le faible scintillement d'un porte-plume, ainsi qu'une vieille chaise de bureau. Quelle imbécile, se morigéna-t-elle. Dans son emportement, elle avait confondu la porte de sa chambre avec celle de la pièce voisine : son ancien bureau. Si cela ne montrait pas dans quel état elle se trouvait !
— J'imagine que nous devons ressortir, observa Rowan.
Néanmoins, aucun des deux n'en avait le courage.
— Pas forcément, suggéra-t-elle, juste avant de reprendre où ils en étaient.
Son imagination n'eut aucun mal à rejoindre la sienne. Il la fit reculer jusqu'à ce qu'elle soit assise sur le bureau et elle passa ses jambes autour de lui. Il attrapa ses cuisses, toujours dissimulées par sa robe, puis elle estima qu'il était temps de le débarrasser de sa veste. Elle s'attaqua ensuite à sa chemise, tout en aventurant ses lèvres près de son oreille. Cela sembla lui plaire, puisqu'un léger grognement lui échappa.
— Tu es vraiment insupportable, l'entendit-elle susurrer.
Il attrapa les lacets qui retenaient le haut de sa robe et en défit le noeud.
— Pas plus que toi, répondit-elle en retirant ses longues manches en satin bleu.
Elle se retrouva bientôt en sous-vêtements, ce qui ne suffit pas à la refroidir. Quand ses mains parcourent le torse de Rowan, afin de descendre jusqu'à sa ceinture, elle sentit sa peau tout aussi chaude.
Leurs regards se croisèrent un bref instant, au cours duquel le temps parut se suspendre. Anya songea qu'ils auraient pu tout arrêter maintenant, se rhabiller et redescendre au bal. Échanger un baiser à l'angle d'un couloir était une chose, aller jusqu'au bout de ce qu'ils s'apprêtaient à faire en constituait une autre.
Cependant, ils étaient tous les deux trop fous pour s'éloigner.
Quand Rowan se repencha vers elle, Anya perdit toute idée de s'arrêter.
Note de l'auteure :
Comme l'a un jour si bien dit cette chère Isabella : "Et après, on dit que nous autres vampires sommes des dépravés"... 👀👀
Non plus sérieusement, ce n'est pas souvent que mes persos passent vraiment à l'action avant de s'être fait une graaande déclaration, ça m'a un peu perturbée 😂 Ayons une petite pensée pour Clark qui disait à Eleanor "Naaan mais ils m'ont jamais vraiment trompé, tranquille" 🤡
Pour ceux qui (comme moi) ont de la peine pour ce pauvre Clarkou, ne vous inquiétez pas : il mérite mieux et trouvera sa Eleanor 💖 (ces sages paroles contrastent un peu trop avec le chapitre, oups)
À très vite ! 😘❤️
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