Chapitre 18 - Un coup sur la tête

— Je vous avais dit que vous feriez le mauvais choix !

Rowan ne se donna même pas la peine de regarder Anya, trop occupé par sa jument. Lorsque la louve l'avait emmené dans ses immenses écuries afin qu'il choisisse sa monture, il avait pris le temps de s'intéresser aux différents chevaux. Opter pour la dénommée "Douce" lui avait semblé être une bonne idée, or il n'aurait pas pu davantage se tromper.

Depuis qu'ils avaient quitté le manoir, dix minutes plus tôt, la jument au nom trompeur avait déjà tenté de se débarrasser de lui trois fois.

— Vous êtes vraiment une petite sournoise, lança-t-il à Anya. Vous auriez pu me dire que je prenais le pire canasson de votre écurie !

La louve éclata de rire, fièrement perchée sur un cheval noir au pelage éclatant. Fier comme un paon, Tornade obéissait à sa cavalière au doigt et à l'oeil, et avançait d'un joli pas cadencé. À l'inverse, Douce amorçait une ruade à chaque occasion et se penchait sans cesse pour brouter l'herbe. À ce rythme-là, ils mettraient deux jours avant de réussir à se promener.

— Vous prévenir et rater le spectacle de voir Douce vous enquiquiner ? Certainement pas !

Elle rit de nouveau et Rowan marmonna des jurons à sa jument, qui s'était soudainement arrêtée au milieu du chemin. Il eut beau tapoter les flancs couleur crème de l'animal, celui-ci refusa de repartir.

— Et là, qu'est-ce que je suis censé faire ? fit à l'adresse d'Anya, désabusé. Vous allez m'insulter si j'ai le malheur de la frapper trop fort.

Lui-même détestait se montrer violent envers les bêtes, mais il voyait mal comment se faire obéir. Heureusement, Anya le prit en pitié et ordonna à la jument d'avancer :

— Douce ! Avance, ma grande ! On va faire un tour !

La concernée souffla des naseaux avec insolence, ce qui ne surprit pas Rowan.

— C'est un cheval, commenta-t-il. Pas un gentil toutou qui comprend tout ce qu'on lui dit.

— Figurez-vous que les chevaux ont de grandes capacités de compréhension ! Douce est simplement... un peu têtue. Elle est née ici et a toujours été comme ça. Un palefrenier m'avait aidé à la débourrer, mais...

— Oh, si vous vous êtes chargée de son éducation, je comprends qu'elle soit têtue ! l'interrompit-il d'un grand air théâtral. Telle mère, telle pouliche...

Elle leva les yeux au ciel, sans paraître trop offusquée. Elle réagissait de moins en moins à ses taquineries, ce qui interpellait un peu le loup. S'il avait su que l'air de la Terre du Saphir la rendrait si agréable, il l'aurait ramenée chez elle bien plus tôt.

Douce ne répondant pas aux sollicitations d'Anya, celle-ci finit par s'approcher avec Tornade. Elle se pencha pour attraper le filet de la jument et la força à avancer. L'animal se cala sur le pas de son congénère et Rowan poussa un soupir de soulagement.

Il put enfin admirer les magnifiques prairies qui entouraient le manoir, recouvertes de quelques restes de neige. Un lourd manteau n'était pas de trop pour affronter le froid, même si un soleil dénué de chaleur brillait au-dessus d'eux. Anya avait affirmé qu'il s'agissait d'une journée idéale pour se promener, et le loup ne pouvait qu'être de son avis. Il aurait apprécié une température un peu plus élevée, or il savait qu'il ne pouvait pas s'attendre à mieux dans la région. Le ciel dégagé permettait d'apercevoir les montagnes rocheuses qui s'élevaient au loin, recouvertes de glace.

— Nous allons rejoindre la forêt qui est là-bas, l'informa Anya en pointant du doigt des sapins qui bordaient la prairie. Si nous ne traînons pas trop, nous devrions avoir le temps de la traverser. Une petite surprise vous attendra de l'autre côté.

Intrigué, Rowan chercha à en savoir plus. Elle se garda cependant bien de l'éclairer.

— Vous ne serez pas déçu, lui promit-elle avec un petit air malicieux. Mais il faudra que nous fassions quelques portions du trajet au galop si nous ne voulons pas rentrer trop tard.

Des étincelles d'enthousiasme brillaient dans ses yeux et ses joues rosées arboraient un teint radieux. Malgré lui, Rowan l'avait toujours trouvée très belle, mais elle l'était encore plus lorsqu'elle n'affichait pas une moue méprisante. Sa cape bleu foncé, brodée de motifs au fil d'argent, lui seyait à merveille et...

— Je me suis mis de la paille sur le nez ? s'enquit-elle en se passant une main sur le visage.

Le loup cilla et Douce fit un pas de côté.

— Euh... Non, pourquoi ? Quelque chose vous gêne ?

Elle fronça les sourcils et il se demanda si elle avait tous ses esprits.

— Vous n'arrêtez pas de me regarder d'un drôle d'air. C'est aussi dérangeant que Marcus lorsqu'il se met à me fixer pendant cinq minutes comme s'il ne m'avait jamais vue.

Rowan déglutit et manqua de s'étouffer. Sa jument choisit ce moment pour se mettre à hennir en agitant son encolure, tirant ainsi sur ses rênes.

— Oh non, je... Je regardais la vue qui est derrière vous. Ces... Ces montagnes avec des prairies si proches, c'est rare !

Elle ne fut pas dupe et demeura perplexe. Avant qu'elle ne cherche à creuser, le loup s'empressa de changer de sujet :

— En parlant de Marcus, j'espère qu'il ne va pas trop fatiguer vos parents. Heureusement que presque tous ses jouets l'ont suivi jusqu'ici.

— Ma mère a de l'énergie à revendre, elle m'a dit qu'elle avait prévu plein d'activités pour l'amuser. Et vous pouvez être sûr que s'il ne supporte plus le petit, mon père ira s'exiler dans la bibliothèque.

Ils avaient prévu de s'absenter tout l'après-midi, abandonnant Marcus aux bons soins de ses grands-parents. Anya n'avait pas emmené avec eux Judith, la gouvernante qu'elle venait d'embaucher juste avant son départ du palais. Rowan savait que Charlotta se ferait un plaisir de garder le louveteau, qui devait de toute façon faire la sieste pendant trois ou quatre heures.

Cela laissait le temps aux deux loups d'être tranquilles, même si Anya semblait d'humeur à accélérer le pas :

— Nous pouvons essayer de rejoindre la forêt au galop. Vous pensez tenir le coup ?

Comment tenir le coup sur une jument complètement imprévisible, qui refusait déjà de faire trois foulées sans s'arrêter ? Rowan crut d'abord qu'Anya se moquait de lui, or elle avait l'air on ne peut plus sérieuse. Jouer les apeurés aurait blessé son orgueil, alors il acquiesça sans lui faire part de ses réserves.

— J'ose espérer que vous m'attendrez si Douce refuse de vous suivre, fit-il en sachant très bien qu'elle allait en rire.

Et en effet, elle ne se gêna pas pour glousser.

— Pourquoi vous venir en aide alors que l'idée de vous perdre dans les bois est si tentante ?

Comme chaque fois qu'ils se taquinaient, il prit cela pour un défi. Bien décidé à l'impressionner, il ordonna à Douce de galoper. Hélas, il eut beau maltraiter un peu ses flancs, elle refusa de ne serait-ce que partir au trot.

Un petit sourire malicieux s'agrandit sur les lèvres d'Anya.

— On se retrouve dans les bois, lança-t-elle avec un clin d'oeil.

Et rien qu'avec un simple mouvement de rênes, elle fit partir Tornade au galop.

Rowan se retrouva seul avec sa jument insupportable, qui paraissait décidée à brouter toute l'herbe de la prairie. Anya et son fidèle destrier noir s'éloignaient un peu plus à chaque seconde, filant vers la forêt. Le loup proféra mille jurons à l'encontre du monde entier, en particulier à l'adresse de Douce. Diantre, comment avait-il pu faire un tel mauvais choix ?

— Allez, s'il te plaît, remue ton gros popotin et rattrape ta maîtresse !

L'usage de cravaches ou de n'importe quelques autres instruments jugés trop "violents" étant proscrit par Anya, il se retrouva complètement démuni. Pourquoi donc avait-il accepté de partir en promenade avec quelqu'un qui n'avait pas du tout les mêmes habitudes que lui ? Il n'avait absolument jamais fait de mal à un animal, mais il ne voyait pas comment le faire avancer s'il n'avait rien pour le stimuler. S'il avait su, il aurait au moins demandé une carotte accrochée à un bâton pour encourager ce mulet...

— Vous êtes toujours là-bas ? cria Anya, qui avait arrêté Tornade pour se retourner.

Elle se trouvait tellement loin que seul le silence de la prairie permettait à Rowan de l'entendre.

— Non, à votre avis, marmonna-t-il dans sa barbe.

N'y tenant plus, il fit claquer une nouvelle fois ses jambes autour de la jument, dans un vain espoir de la secouer. Il dut même y aller un peu trop fort, car Douce releva brusquement la tête et s'élança à toute vitesse, droit devant elle.

— Ah ! Enfin ! s'exclama-t-il, victorieux.

Habitué à galoper avec les chevaux du palais, il s'accrocha fermement aux rênes et fléchit les genoux. Le vent froid lui fouetta le visage, or rien n'aurait pu gâcher sa joie d'avoir réussi à faire avancer ce canasson.

Il eut tôt fait de rattraper Anya, qui le fixait avec des yeux ébahis. Il n'eut même pas le temps de lui crier quoi que ce soit, puisque Douce fila devant elle sans s'arrêter. Les sabots de Tornade se firent bientôt entendre derrière eux et Rowan se retourna brièvement. Le cheval n'était qu'à quelques mètres du sien.

— Attention à la forêt ! le prévint Anya d'une voix forte. Le chemin n'est pas...

La suite échappa à ses oreilles, Douce allongeant encore ses foulées. Un début de peur envahit Rowan, qui sentait qu'il allait beaucoup trop vite. Les arbres se rapprochant à une vitesse folle, il se redressa et tira violemment sur ses rênes pour freiner la jument. Celle-ci se fit une joie de l'ignorer et accéléra encore, tel le cheval fou qu'elle était.

— Douce ! hurla-t-il. Oh !

Autant parler à un mur. Il entendit Anya aboyer quelque chose derrière lui, mais il ne parvint à percevoir le moindre mot. Il tira autant que possible sur ses rênes, dans le vain espoir que Douce retrouve la raison, or ce fut peine perdue. Elle le secouait tout entier, filant de plus en plus vite vers les sapins.

Lorsqu'ils ne furent plus qu'à une dizaine de mètres des troncs, Rowan s'imagina empalé dans une branche, ou la tête écrasée contre le sol. Clark apprendrait sa mort dans quelques jours et en serait si triste qu'il tomberait malade aussi. Arthur irait danser sur sa tombe dès qu'il serait rétabli, finirait par tuer son fils et...

Au lieu de les envoyer contre un sapin, Douce fila entre les troncs. Sans ralentir, elle se mit à faire du slalom et à enjamber tous les branchages qui se dressaient devant elle. Rowan s'en vit brièvement rassuré, avant de réaliser que la jument ne pourrait pas continuer comme ça éternellement. Il ignorait si Anya et Tornade réussissaient à les suivre, mais il n'était pas assez fou pour tourner la tête.

Au bout de quelques secondes de course, qui lui parurent interminables, un rocher impossible à contourner apparut devant Douce. Celle-ci s'arrêta aussi brusquement qu'elle s'était lancée et se cabra, ses pattes avant fièrement levées. Rowan n'eut pas le temps de se retenir à l'encolure et se sentit partir en arrière, tandis que la jument hennissait.

Le loup tomba à la renverse, sa tête cognant lourdement le sol.

Le souffle coupé, il ne put même pas crier. Son immobilité contrastait tellement avec le tumulte de la course qu'il y trouva un semblant de soulagement. Ce sentiment fut de courte durée, puisqu'il ne tarda pas à voir des sabots frôler dangereusement son visage.

Non seulement cette sale bête l'avait fait tomber, mais elle voulait aussi le piétiner !

Il sortit de son hébétude pour se redresser et échapper aux dangereux assauts de l'animal. Son dos, son crâne, ainsi que chacun de ses membres grognaient de douleur, or il irait prendre un bon bain chaud plus tard. Si cette jument cassait son merveilleux nez, il se jurait de l'envoyer à la boucherie.

— Rowan ! cria Anya. Attention !

Non, figurez-vous que je n'avais absolument pas compris que j'étais dans une situation délicate... Il s'éloigna autant que possible de Douce, se traînant dans la mousse et la terre. La jument ne cessait de s'agiter comme la folle qu'elle était, pareil à si elle exécutait un drôle de rituel lunaire.

— Douce ! Oh ! Calme-toi ! lui ordonna la louve.

Rowan ne savait pas vraiment quel miracle elle espérait en lui parlant ainsi. L'animal continua ses ruades pendant un petit moment, avant de s'arrêter et de s'ébrouer comme s'il sortait d'un tas de boue. Elle cessa enfin de faire claquer ses sabots de tous les côtés et respira aussi fort qu'un ours au museau bouché.

Anya descendit de Tornade et s'approcha doucement de la jument, qui chercha à la fuir. La louve lui murmura des mots bien trop gentils pour un canasson pareil, puis réussit à attraper les rênes. Elle caressa Douce et celle-ci finit par retrouver un semblant de calme.

— Vous allez bien ? demanda-t-elle ensuite à Rowan, qui avait toujours les fesses par terre. Je suis vraiment désolée, c'est la première fois qu'elle fait tomber quelqu'un...

— Ne vous inquiétez pas, la mousse a amorti ma chute, la rassura-t-il en se frottant l'arrière de la tête. Que diable donnez-vous à manger à vos chevaux ?

Il aurait sans doute de nombreuses courbatures le lendemain, or compte tenu de la situation, il ne s'en sortait pas si mal. Douce aurait pu lui fracasser le crâne contre un rocher, ou le piétiner jusqu'à ce qu'il soit en miettes.

Anya attacha rapidement la sale bête à un arbre, puis vint vers lui. Elle lui tendit une main pour l'aider à se relever et Rowan l'accepta sans broncher.

— Je suis vraiment désolée, répéta-t-elle tandis qu'il se hissait sur ses jambes. Si j'avais su qu'elle ferait ça, je vous aurais donné un autre cheval. Je m'en veux de ne pas avoir pris les choses au sérieux et...

— Tout va bien, détendez-vous, l'interrompit-il en pressant sa main. Je me serais volontiers passé de cette petite mésaventure, mais il n'y a pas mort de loup.

Elle paraissait réellement paniquée et navrée que sa jument ait pu lui causer de telles frayeurs. Un léger tournis empêchait Rowan d'avoir les idées claires, si bien qu'il ne remarqua pas tout de suite qu'il tenait toujours sa main. Il la lâcha en clignant les yeux, puis épousseta la mousse qui parsemait sa cape marron. Par chance, cette dernière n'avait pas été déchirée.

— Vous êtes sûr que vous ne vous êtes rien cassé ? s'inquiéta-t-elle comme il grimaçait.

Le loup essaya de marcher et malgré son pas claudiquant, il ne sentait pas une articulation le tenailler plus qu'une autre. Chacun de ses membres avait pris un sérieux choc, or tout lui semblait encore en place.

— Ça va aller, ne vous en faites pas. Vous me croirez si vous voulez, mais je me suis déjà fait plus de mal en tombant de mon lit !

Il disait cela pour l'amuser et vit ses joues retrouver quelques couleurs. Vue de l'extérieur, la course de Douce à travers les arbres avait dû être fort impressionnante aussi.

— Comment avez-vous réussi à nous suivre ? s'enquit-il en désignant Tornade. Vous auriez pu tomber, ou votre cheval aurait pu décider de devenir aussi fou que le mien.

— Tornade est le meilleur de notre écurie. Il est très rapide et agile, tout en sachant être calme et obéissant. On aurait du mal à le croire, mais lui et Douce ont le même père...

Rowan regarda tour à tour les deux animaux, qui ne se ressemblaient en rien. Tornade les fixait de ses grands yeux noirs, tandis que sa demi-soeur leur montrait sa croupe blanche.

— Cela prouve que la mère est un facteur important, commenta-t-il, pince-sans-rire.

Ses tentatives d'humour durent rassurer Anya, qui revint vers la jument dérangée afin de la détacher de l'arbre.

— Nous allons rentrer à pied chez mes parents. Tant pis pour la balade, nous verrons une autre fois.

— Mais j'étais curieux de voir votre surprise ! Est-ce trop loin pour que nous y allions à pied ?

Il préférait marcher sur les mains plutôt que de remonter sur Douce, toutefois il regrettait que cet incident ait gâché leur sortie.

— Nous pouvons tous les deux monter sur Tornade ? proposa-t-elle après avoir réfléchi un instant. Je vous promets qu'il est gentil, il ne nous fera pas un sale tour comme Douce.

Rowan examina le cheval noir, qui attendait sagement que sa maîtresse lui donne des directives.

— Et que voulez-vous faire de cet énergumène ? l'interrogea-t-il en désignant la jument. Je doute qu'elle accepte de nous suivre sans broncher.

Si cela ne tenait qu'à lui, il aurait abandonné ce maudit animal au milieu des bois. Cela lui apprendrait à se comporter comme une sauvageonne.

— Nous sommes encore dans notre domaine, donc nous pourrons la laisser brouter dans une prairie. Elle sera tranquille et je passerai la récupérer en rentrant.

Il trouvait que Douce s'en sortait un peu trop facilement dans cette histoire, or elle était de toute façon trop stupide pour comprendre la moindre punition.

Anya lui indiqua de monter sur Tornade et le loup prit sur lui pour étouffer ses craintes. Heureusement, dès qu'il eut son postérieur posé sur la selle, il sentit que le cheval était beaucoup moins agité que sa demi-soeur. Anya prit en charge cette dernière et la fit marcher à côté d'elle. Ils traversèrent une petite partie de la forêt au pas, avant de déboucher sur une clairière. Douce y fut libérée et Rowan fut bien heureux de la voir s'éloigner. Même si Anya n'était pas montée sur elle, il avait craint que la jument trouve un moyen de faire des siennes.

— Vous êtes sûre que Tornade va supporter notre poids à tous les deux ? demanda-t-il lorsqu'elle s'approcha de lui.

Il ne craignait pas tant pour le dos du pauvre cheval, que pour la proximité que cela induirait. Madame du Saphir allait devoir complètement se coller à lui et... Comment s'étaient-ils retrouvés dans cette situation, au juste ?

— Il est costaud, affirma-t-elle. Enlevez votre pied de cet étrier et installez-vous bien au fond de la selle, je vais me mettre devant.

Il s'exécuta sans broncher, persuadé qu'elle n'allait pas réussir à monter. Elle y parvint pourtant avec une agilité admirable et se retrouva assise entre les jambes de Rowan. Celui-ci essaya de maintenir un semblant d'espace entre eux, or il glissait irrémédiablement vers elle. Son torse soutenait son dos, ses cuisses touchaient les siennes, son entrejambe appuyait sur ses fesses...

— Vous n'avez qu'à me passer les rênes, ce sera plus simple, fit-elle en ajustant sa position.

Sa robe devait sûrement un peu la gêner, étant donné qu'elle ne pouvait pas librement l'étaler derrière elle. Rowan lui confia les rênes, ce qui évitait ainsi qu'il passe ses bras autour d'elle pour diriger l'animal.

Quand elle ordonna à Tornade d'avancer, le loup fut déséquilibré et se rattrapa à la taille d'Anya.

— Même si nous allons éviter d'aller au galop, accrochez-vous pour ne pas refaire un séjour par terre, lui conseilla-t-elle.

Si leur proximité la troublait, elle n'en montrait rien. Rowan choisit de se tenir à l'arrière de la selle, tandis que Tornade s'engageait dans un petit chemin de forêt. Il s'efforça de se concentrer sur les magnifiques sapins qui l'entouraient, mais leur odeur ne parvenait pas jusqu'à ses narines. Celles-ci étaient accaparées par les effluves d'un parfum fruité, qui se dégageait des cheveux d'Anya. Il en était tellement près qu'il pouvait admirer leurs différentes nuances de blond clair et leurs jolies ondulations.

Il savait que la louve ne pouvait pas deviner qu'il la regardait, pourtant il n'osait la fixer avec trop d'insistance. Ses yeux étaient cependant attirés par les lignes délicates de son cou chaque fois qu'elle tournait la tête. Il ne pouvait pas non plus ignorer la chaleur qui se dégageait d'elle, alors même qu'il était frigorifié. Il avait presque envie de se coller davantage contre elle, de sentir son parfum d'encore plus près, de... Ça y est, tu deviens fou.

— Vous n'avez pas trop mal ? lui demanda-t-elle au bout d'un long moment.

Complètement perdu par ses drôles de pensées, il ne comprit pas tout de suite où elle voulait en venir. Son manque de réaction dut l'interpeller, car elle lui jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule.

— Vous vous êtes endormi ?

— Quoi ? Euh... Non, bien sûr que non. Pourquoi devrais-je avoir mal en quelque part ?

— Vous venez de tomber de cheval, lui rappela-t-elle, comme si elle parlait à un demeuré. Cela a été un tel choc que votre mémoire a déjà trouvé un moyen de l'effacer ?

Il secoua vivement la tête, geste inutile puisqu'elle ne pouvait pas le voir.

— Non, j'étais juste... Un peu ailleurs. Il va falloir quelques jours à mon noble fessier pour se remettre, mais hormis cela, je me sens parfaitement bien.

Il n'eut aucun mal à supposer que l'allusion à son "noble fessier" l'avait fait lever les yeux au ciel.

— Cela ne vous embêtera donc pas si nous allons au trot ?

Et sans attendre de réponse, elle encouragea Tornade à avancer plus vite. Rowan n'eut d'autre choix que de se tenir à Anya, le trot du cheval étant presque aussi rapide qu'un galop. Différentes prairies et sentiers forestiers défilèrent autour d'eux, jusqu'à ce que la louve tire légèrement sur les rênes.

— Nous sommes presque arrivés, déclara-t-elle. La surprise vous attend derrière ces arbres.

Elle désigna une rangée de sapins qui se dressait encore devant eux. Tornade eut tôt fait de l'atteindre et Rowan put enfin découvrir la raison de leur sortie.

Et il fut loin d'être déçu. Anya les avait emmenés au sommet d'une falaise impressionnante, toute en roche. Au bas de celle-ci s'étendait une surface d'eau aussi bleue que le ciel, bordée par d'autres côtes abruptes. Des arbres et bosquets venaient apporter quelques touches de vert à ce paysage, qui paraissait infini. Les oiseaux semblaient presque voler au même niveau que les lointains sommets recouverts de neige, leurs larges ailes fièrement déployées.

— Eh bien, souffla Rowan, impressionné. J'imagine que cela valait la peine de faire cette magnifique chute...

— C'est le fjord le plus proche de chez nous. Certains sont encore plus beaux dans le reste de la région, mais il faut au moins un ou deux jours de trajet pour les atteindre.

Le loup imaginait mal qu'une autre beauté puisse surpasser celle de ce lieu. Il avait déjà entendu parler des magnifiques fjords de la Terre du Saphir, mais le froid glacial de cette région l'avait toujours poussé à ne pas s'y intéresser. À présent, même s'il n'aurait pas été contre quelques degrés de plus au thermomètre, il regrettait de ne pas avoir découvert cet endroit plus tôt.

— Alors ? fit-elle en se retournant vers lui. Qu'en dites-vous ?

Il se détourna de l'immensité bleue et verte pour se plonger dans une autre merveille : ses yeux aussi captivants qu'une pierre précieuse. Cela faisait plus de deux ans qu'il la connaissait, mais rares étaient les fois où il lui avait vu un sourire si étincelant. C'était cet éclat qui illuminait son regard et la rendait incroyablement belle.

— Je... Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau, murmura-t-il sans la quitter des yeux.

Le sourire d'Anya faiblit un peu, alors qu'un léger trouble voilait son regard. Son visage était tourné si près du sien qu'il pouvait admirer les minuscules taches de rousseur qui recouvraient son nez. Il ne les avait jusque-là jamais remarquées et à vrai dire, il ne put les fixer très longtemps. Son regard fléchit vers les lèvres rosées qui se trouvaient si proches, bien trop proches et...

— Nous... Nous n'avons qu'à faire un tour à pied, proposa-t-elle en se détournant. Tornade pourra brouter et se reposer.

Elle descendit sans attendre de réponse et Rowan se sentit soudain glacé jusqu'aux os. Il n'avait pas réalisé à quel point son contact l'avait réchauffé. Quand il jeta un coup d'oeil à Anya, il remarqua que celle-ci fuyait son regard, apparemment passionnée par le paysage.

Cela le conforta dans l'idée que quelque chose d'étrange venait de se produire et... Que la Lune te vienne en aide.

Si la louve ne s'était pas éloignée, il était à peu près certain qu'il aurait fini par l'embrasser.

Sa chute l'avait donc si violemment fait tomber sur la tête ?

Note de l'auteure :

Nous pouvons saluer la participation dévouée de Douce dans le projet de rapprocher Anya et Rowan... On peut toujours compter sur un cheval maléfique 😈

Sauf changement, il reste normalement 7 chapitres + l'épilogue avant la fin de l'histoire ! Ça ferait un total de 25 chapitres, ce qui est un peu plus que ce que j'avais prévu, mais avec des persos aussi têtes de mule c'est difficile de faire moins (oui oui c'est toujours de leur faute, jamais de la mienne évidemment... 😇)

À très vite ! 😘❤️

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