Chapitre 13 - Prête à tomber

Dès que la porte de sa chambre fut refermée, Isabella s'éloigna des deux rustres qui lui tenaient compagnie. Elle se dirigea vers un battant qui menait à son petit salon, puis l'ouvrit en grand.

— Passez par la sortie qui mène au fond du couloir, ordonna-t-elle aux vampires. Nul besoin que je vous montre le chemin, vous le connaissez.

Ce n'était pas la première fois qu'elle ramenait ici Khyle et son semblable dont elle avait oublié le prénom. Chacun avait déjà eu l'occasion de la distraire... avec une certaine médiocrité, elle devait l'avouer. Quoi qu'il en était, leurs pauvres performances lui importaient peu.

À présent, elle voulait uniquement qu'ils s'en aillent et la laissent tranquille.

— Mais... Vous ne voulez pas que...

Khyle désigna le lit aussi blanc que le reste de la pièce. Comme Isabella sentait des tremblements agiter ses bras, elle les croisa fermement sur sa poitrine.

— Je n'ai plus envie. Sortez sans vous faire remarquer par les gardes.

Les deux vampires se concertèrent du regard et haussèrent les épaules en même temps. La princesse espéra qu'ils n'émettraient pas une nouvelle protestation, car elle doutait de pouvoir rester impassible encore très longtemps.

Heureusement, ils partirent sans demander leur reste. Isabella s'assura qu'ils prenaient bien la direction du passage qu'elle leur avait indiqué, puis ferma la porte.

Enfin seule, loin de l'agitation de la fête, le silence l'accabla.

Ses sanglots éclatèrent brusquement, las d'avoir été retenus toute la nuit.

Une sensation de vertige s'empara d'elle, comme chaque fois que ses yeux se gonflaient de larmes. Elle appuya une main contre un mur pour ne pas tomber, ses pleurs la secouant si fort qu'elle ne pouvait plus respirer.

Elle avait l'habitude que ses nuits se terminent ainsi. C'était même ce qu'elle souhaitait. Tout ce qu'elle accomplissait au cours de la soirée avait pour unique but de mener à ce moment. Cette fois-ci encore plus que toutes les autres.

Elle s'éloigna du mur pour chanceler vers sa salle de bain. La quantité de sang qu'elle avait ingurgitée lui revint en mémoire et un atroce sentiment de honte la submergea. Elle attrapa la brosse à dents argentée qui trainait sur une étagère et se l'enfonça dans la gorge. Un haut-le-coeur ne tarda pas à la secouer, mais elle ne réussit à cracher que de la salive. Son organisme avait déjà assimilé l'hémoglobine. Il s'en était servi pour que ses veines vampiriques régénèrent du sang, afin que son corps ne se dessèche pas.

Pourtant, Isabella était persuadée qu'à force de pleurer, elle disparaîtrait. Elle fondrait littéralement en une rivière de larmes.

Voyant que sa brosse à dents ne lui servait à rien, elle la jeta loin d'elle. Elle voulait désespérément que son corps ressente le vide qui minait sa conscience. Cela faisait plus de mille ans qu'elle fonctionnait comme ça. Elle n'avait qu'à croiser son pauvre reflet dans une glace pour s'en rappeler.

Ce reflet immonde qu'elle avait tout fait pour détester.

Un millénaire plus tôt, elle avait déjà fait en sorte que le miroir lui renvoie l'image d'un corps aussi pitoyable qu'elle. Un corps qu'elle mépriserait autant qu'elle se méprisait.

Cette nuit encore, elle avait tout fait pour se haïr. Faire semblant que ces fêtes stupides la divertissaient, écarter les cuisses au-dessus d'inconnus afin que cela remonte aux oreilles de son père... Jusque-là, ce dernier était la principale raison de ses actes. Certes, elle voulait que le monde entier la haïsse, mais elle tenait particulièrement à décevoir toutes les attentes du roi. Lui montrer qu'elle n'était qu'une épine dans son existence.

Néanmoins, la réapparition d'une personne qu'elle pensait ne jamais revoir avait changé la donne. Elle s'était donc appliquée à ce que lui aussi, soit dégoûté par elle. Après son comportement des derniers jours, et en particulier celui de ce soir, elle doutait que son sort lui importe encore.

Elle quitta la salle de bain pour revenir dans sa chambre. Sans même vraiment s'en rendre compte, elle s'approcha de la porte-fenêtre qui menait sur son balcon. Elle souleva le loquet et une bourrasque de vent envoya le battant contre un petit guéridon. Le vase en porcelaine posé dessus se fracassa au sol. La violence du bruit transit Isabella, dont les sanglots repartirent de plus belle.

Par miracle, de l'air frais réussit à infiltrer ses poumons. Se concentrer sur cette fraîcheur l'aida petit à petit à redonner un semblant de rythme à sa respiration. Celle-ci avait beau lui être inutile, le simple fait d'inspirer et d'expirer aida la tempête qui tourbillonnait en elle à se calmer.

Elle se tempéra suffisamment pour qu'Isabella sache quoi faire.

Lentement, elle s'approcha de la balustrade en pierre du balcon. Elle posa ses mains tremblantes dessus, puis risqua un coup d'oeil vers le vide. La nuit rendait invisibles les rochers de la falaise, pourtant ils étaient bien présents. Des centaines de mètres plus bas.

Elle leva brièvement les yeux vers le ciel noir, où aucune étoile ne brillait. Même si le soleil ne tarderait sûrement pas à se lever, seules les ténèbres l'entouraient.

Elle se demanda d'abord si elle serait capable de tenir en équilibre debout sur la rambarde. Cela pouvait paraître étonnant, mais malgré le nombre d'années qu'elle avait passées au palais, jamais elle ne s'était aventurée à essayer.

Isabella commença par s'assoir sur la balustrade, qui n'était large que d'une vingtaine de centimètres. Elle s'accroupit dessus, puis se releva avec une extrême lenteur, ses vertiges lui criant de rester assise. Elle les ignora, tout comme la porte-fenêtre qui ne cessait de claquer derrière elle, se concentrant seulement sur le vent qui la faisait doucement tanguer.

Maintenant qu'elle était debout, le fait de se laisser basculer dans le vide lui paraissait encore plus simple. Il lui suffirait de sauter, ou de juste détendre les muscles de ses jambes et s'incliner vers l'avant. Le vide l'aspirerait et le temps de sa chute, elle pourrait expérimenter ce que les oiseaux ressentaient lorsqu'ils volaient. Quand elle était petite, leur capacité à planer au-dessus des arbres l'avait toujours émerveillée. Elle s'imaginait le sentiment de plénitude que cela devait être, la liberté de ne plus ressentir aucune attache...

Lâcher prise et voler jusqu'à s'écraser contre les rochers était tout ce qu'elle voulait. Tout ce qu'elle méritait.

C'était la meilleure chose qui pouvait arriver, à la fois à elle et à ceux qui l'entouraient.

Si elle se laissait tomber, tout s'arrêterait maintenant. Elle n'aurait plus jamais à se lever de son lit, plus jamais besoin de faire semblant d'aimer une vie qu'elle détestait et surtout... Elle n'aurait plus à vivre en tant qu'Isabella.

Un léger sanglot s'échappa de sa gorge nouée, et elle ne put s'empêcher d'avoir une dernière pensée pour son père. Elle allait l'abandonner. Le laisser seul pour affronter l'éternité qu'il devait endurer. Cependant, ce fut précisément cette image de lui, débarrassé de toute attache, qui la conforta dans l'idée qu'elle faisait le bon choix.

Elle sentit une nouvelle bourrasque de vent commencer à s'élever. Au lieu de lutter contre celle-ci et crisper un peu plus ses pieds nus, elle se détendit, commença à laisser son buste aller vers l'avant et...

— A... Attendez !

Isabella se redressa brusquement, si bien qu'elle faillit tomber en arrière sur le balcon. Elle se stabilisa juste à temps et sa tête se mit à lui tourner. Elle trouva le courage de la pivoter en direction du nouveau venu, qui venait de dépasser la porte-fenêtre.

— Res... Restez où vous êtes ! lui ordonna-t-elle comme il faisait mine d'approcher.

Le garde leva doucement les mains, pareil à s'il voulait calmer un animal imprévisible.

— Il... Il faut que vous descendiez, déclara-t-il en faisant un pas supplémentaire. 

— Laissez-moi tranquille !

Sa voix étranglée et éraillée par les larmes le figea.

— Votre... Votre Altesse, insista-t-il à voix basse, il faut que...

— Sortez d'ici, le coupa-t-elle en tournant de nouveau la tête vers le vide. Je... Je n'ai pas besoin de vous.

Pourquoi était-il entré ? Pourquoi n'était-il pas à son poste devant la porte ? Pourquoi était-il toujours en service, d'ailleurs ? Aucun autre garde n'était venu le relayer ? Dans ce cas, où était Millie, où...

— Je... Je ne peux pas.

Elle tâcha de faire comme si elle ne l'avait pas entendu. Il fallait qu'il s'en aille. Elle ne voulait pas tomber devant lui, mais elle le ferait s'il s'obstinait à rester.

— Je... Je vous assure que vous ne voulez pas sauter.

Isabella se réintéressa à lui, interloquée par cette remarque.

— Vous ne me connaissez pas, répliqua-t-elle en essayant de contrôler ses tremblements. Qu'est-ce qui vous dit que je ne veux pas le faire ?

Depuis qu'elle l'avait rencontré, ce garde était un mystère. Ou plutôt, il était devenu une énigme le jour où Daniel l'avait présenté en tant que nouveau soldat. Avant cela, lorsqu'elle l'avait croisé pour la première fois dans ce village de la Terre de l'Émeraude, il n'était qu'un séduisant loup-garou censé ne jamais la revoir.

Mais voilà qu'il était réapparu, et sous la forme d'un immortel, qui plus est.

— Parce que personne n'a envie de s'écraser contre des rochers et sentir tous ses membres se dis... disloquer.

Elle éclata d'un faux rire.

— La chute me tuerait sur le coup. Je ne sentirais rien.

Même un vampire ne pouvait survivre à une telle chute. L'un de ses bras partirait d'un côté, l'une de ses jambes de l'autre... Son corps serait en bien trop mauvais état pour qu'un simple pouvoir de cicatrisation rapide soit utile.

— Ce... Ce n'est pas sûr.

Ses yeux d'un si captivant bleu-vert ne la quittaient pas, guettant le moindre de ses frémissements.

— Dans mon village, beaucoup de gens sont tombés ou se sont jetés des remparts. Certains racontent qu'ils les ont entendus agoniser de longues minutes avant qu'ils ne meurent.

Malgré elle, Isabella frissonna.

— Ça m'est... Ça m'est égal, trancha-t-elle cependant.

Quelques souffrances pour clore son existence ne seraient pas déméritées.

— Votre... Votre père va me tuer.

Ces paroles lui firent lever les yeux au ciel. Ses paupières douloureuses lui rappelèrent qu'elle pleurait toujours et elle se maudit aussitôt. Pourquoi fallait-il que ce garde la voie dans cet état ? Et puis qu'est-ce que ça peut te faire ? se raisonna-t-elle. Elle ne serait bientôt plus que de la chair écrabouillée, alors peu importait.

— Je... Je suis chargé de vous surveiller, il... Sa Majesté va me tuer s'il vous arrive quelque chose.

Alors que jusque-là, il paraissait bourru et peu loquace, voilà qu'il semblait décidé à lui tenir la conversation. Au cours des jours précédents, il avait certes tenté une approche, or elle l'avait senti fort peu à l'aise.

— Vous n'aurez qu'à vous enfuir d'ici avant qu'il apprenne ma mort et il ne vous tuera pas, rétorqua-t-elle.

Parler de sa mort lui faisait étrange. Plus qu'elle ne l'aurait cru, elle devait l'admettre. Toutefois, elle chassa aussitôt l'idée de descendre de la balustrade.

— Vous... Vous ne pouvez pas faire ça à votre père. Ce n'est pas pour vous culpa... culpabiliser, mais il serait très mal si...

— Au contraire, je peux vous jurer qu'il se porterait bien mieux si je n'étais pas... pas là.

Sa voix trembla sur la fin de sa phrase, car elle savait qu'elle énonçait la pure vérité. La vie de son père aurait été bien différente si elle n'y avait pas fait irruption.

La disparition de sa fille lui ferait peut-être mal au début, néanmoins il s'en remettrait. Il n'aurait pas d'autre choix que de s'en remettre, de toute façon.

— Moi je... Je ne me porterais pas mieux.

Isabella essaya de l'ignorer, mais sa curiosité prit le dessus. Si elle devait mourir d'ici peu, autant le faire en ayant le moins de questions en suspens.

— Pourquoi êtes-vous revenu ? l'interrogea-t-elle dans un souffle.

Lorsqu'elle avait quitté la Terre de l'Émeraude, il lui avait fallu quelques jours avant d'oublier ce loup-garou. Leur rencontre avait contrarié ses plans, cependant elle ne lui en avait pas voulu. Les remparts de ce village inconnu l'avaient attirée comme un aimant, de même que le vide et sa promesse d'une longue chute. Contre toute attente, l'arrivée de ce lycanthrope avait fait cesser cette attraction.

— Eh... Eh bien... Parce que je n'arrêtais pas de penser à vous.

À peine eut-il prononcé ces mots qu'il écarquilla les yeux, comme si lui-même ne croyait pas ce qu'il venait de dire.

Même si son accent et sa voix grave ne rendaient pas ses paroles toujours claires, Isabella était à peu près persuadée d'avoir bien entendu.

— À moi ? s'exclama-t-elle.

Un petit rire incrédule faillit lui échapper. Cela était tout simplement impossible. Ils s'étaient à peine vus quelques minutes, en pleine nuit, sur un rempart longeant une sorte de maison close... Un détail lui revint toutefois à l'esprit.

— C'est à cause de la broche que je vous ai donnée ? tenta-t-elle, sans conviction.

Était-il à ce point dans la misère, pour s'attacher ainsi à la première "bienfaitrice" venue ?

— Non... Non, c'est pour... Pour vous.

Elle était si perdue qu'elle manqua d'oublier dans quelle position elle se trouvait. Un léger déséquilibre la chahuta et le garde fit un nouveau pas vers elle.

— Restez où vous êtes, siffla-t-elle encore une fois en se concentrant sur ses pieds. Et puis arrêtez de raconter n'importe quoi. Vous ne connaissez rien de moi et... J'ose espérer que votre séjour ici vous a permis de le comprendre.

Il dut saisir la référence à son comportement lors de la fête, car il cilla.

— Je... Je ne prétends pas tout connaître de vous, admit-il. Mais... Si je ne vous avais pas cernée un minimum, je ne pense pas que j'aurais deviné ce que... Ce que vous êtes en train de faire.

Isabella n'avait pas l'habitude qu'on lui coupe le sifflet, pourtant cette remarque y parvint.

— Je ne vois pas comment c'est possible, reconnut-elle en conservant une pointe de dédain.

Plus elle lui parlait, plus une part d'elle lui criait de descendre de cette rambarde. Elle voulait toujours que tout s'arrête, seulement... Et si elle se laissait au moins le temps d'en savoir davantage sur ce drôle d'énergumène ? Tu ne réussirais qu'à lui faire du mal, se raisonna-t-elle. C'était ce qu'elle faisait, tôt ou tard, à tous ceux qui la côtoyaient...

— Je... Je ne m'explique pas tout non plus, articula-t-il avec une franchise qui la déconcerta. Je sais simplement que beaucoup de gens de mon village ont décidé de sauter du haut des remparts et... J'ai eu le sen... sentiment que vous étiez là-bas pour la même chose. Quant à ce soir...

Il désigna la porte-fenêtre derrière eux.

— Je n'arrêtais pas de l'entendre claquer, j'ai entendu le vase se briser et... Comme je n'entendais pas d'autres... bruits, je...

Gêné, il se déroba un instant à son regard. Isabella comprit que s'il n'avait pas été un vampire, il aurait rougi jusqu'aux oreilles. Cette idée eut un doux effet sur elle, qu'en dépit de ses efforts, elle échoua à réprimer.

Elle ne répondit rien et un silence s'installa. Aucun bruit ne troublait la nuit, si ce n'était le froissement de sa fine robe blanche, battue par la brise. Le ciel commençait doucement à s'éclaircir, signe que le soleil allait bientôt se lever. Deux options se proposaient à Isabella : tomber maintenant, ou attendre que les rayons de l'astre du jour la brûlent. À moins qu'elle ne se laisse tenter par une autre solution...

— Est-ce... Est-ce que vous voulez bien descendre, maintenant ?

La douceur de sa question la fit frissonner. Absolument rien n'était cohérent chez ce garçon. Elle ne comprenait pas ses motivations et à vrai dire, elle-même ne se comprenait pas. Si elle voulait vraiment mourir, pourquoi avait-il réussi par deux fois à faire vaciller sa résolution ?

— Qui vous dit que je ne vais pas sauter ? répliqua-t-elle.

Il haussa les épaules avec une certaine raideur.

— Cela doit faire un quart d'heure que vous êtes ici. Vous seriez déjà tombée, si c'était réellement ce que vous souhaitiez.

Il disait vrai. Sans qu'Isabella ne s'en rende vraiment compte, la tempête en elle s'était calmée. Elle savait qu'elle ressurgirait plus tard, que ce n'était qu'une question de temps avant que l'instant fatidique n'arrive, néanmoins...

Elle essaya de bouger ses pieds, mais se rendit compte que les muscles de ceux-ci étaient tétanisés. Elle les avait tellement crispés, par peur de tomber, qu'elle ne pouvait plus bouger d'un millimètre.

— Est-ce que vous pouvez... m'aider ? murmura-t-elle difficilement.

Devoir s'en remettre à lui lui coûtait. Rien que cela constituait une bonne raison de se jeter dans le vide. Or plus elle fixait l'étendue sombre sous ses pieds, moins elle avait envie d'y sombrer.

Le garde s'approcha lentement, craignant sans doute que le moindre geste brusque ne la fasse basculer. Un sentiment d'urgence s'emparait peu à peu d'Isabella, qui se mit à trembler de tous ses membres. Elle se maudit de réagir ainsi, passant désormais pour la pire des poules mouillées. Cependant, dès que les doigts du jeune homme effleurèrent les siens, elle se raidit aussitôt.

Elle plongea son regard dans ses iris aussi saisissants que des turquoises, puis réussit à faire pivoter ses pieds, centimètre après centimètre.

— Est-ce que je peux...

Il désigna sa taille et Isabella hocha la tête tel un automate. Il posa sur elle des mains un peu hésitantes, puis la souleva doucement, afin de la reposer sur le sol du balcon.

Elle apprécia tant ce retour à la "terre ferme" qu'elle resta immobile pendant quelques instants, son corps tout proche du sien. Lui non plus ne bougea pas d'un pouce, ayant apparemment oublié qu'il la tenait toujours par la taille. Un envoûtement semblait empêcher leurs regards de se détacher l'un de l'autre, mais la princesse finit par trouver la force de le rompre.

— Co... Comment vous appelez-vous ? l'interrogea-t-elle en reculant.

Sa question le fit cligner des paupières et il retira aussitôt ses mains, qu'il se mit à triturer.

— Dun... Duncan, lâcha-t-il après avoir pris une seconde pour réfléchir.

Aucun commentaire ne lui vint à l'esprit, alors elle se contenta de se tourner vers la porte-fenêtre. À force de claquer, l'un des carreaux du battant s'était brisé.

Elle regagna l'intérieur de sa chambre et marcha sur les débris du vase cassé. Elle grimaça et boitilla jusqu'à son lit, sur lequel elle se laissa tomber.

— Vous voulez que j'apporte quelque chose ? s'affola le garde. Vous...

— Les vampires ont un pouvoir de cicatrisation quasi immédiat, lui rappela-t-elle.

— Oh... Euh... Oui, bien sûr, fit-il en se grattant l'arrière de la tête.

Voilà encore un signe qu'il n'était pas habitué à sa nouvelle condition depuis longtemps... Mille et une questions brûlaient les lèvres d'Isabella, mais s'allonger sur son matelas lui avait fait réaliser à quel point elle était fatiguée. Elle ne rêvait que de s'enfoncer entre ses coussins et se laisser emporter par le sommeil, où plus aucune pensée ne viendrait la tourmenter.

— Vous pouvez partir, marmonna-t-elle en abattant un bras sur ses yeux. Je n'ai plus l'intention de prendre l'air, rassurez-vous.

— Hors de question que je vous laisse seule.

Elle leva son bras et redressa légèrement la tête pour le regarder. Droit comme un piquet, il se tenait à côté de la porte-fenêtre, qu'il avait pris soin de fermer. À son expression résolue – qui faillit la faire sourire – elle comprit qu'il ne changerait pas d'avis. Du reste, elle était trop épuisée pour argumenter.

— Alors couchez-vous ici, lui indiqua-t-elle en tapant le dessus-de-lit blanc.

Il se décomposa et cette drôle de vision la conforta dans l'idée qu'elle avait bien fait de ne pas sauter.

— Ne faites pas votre louveteau effarouché, fit-elle mine de s'exaspérer. Le matelas mesure au moins deux mètres, je ne vous toucherai même pas et...

Elle s'interrompit, sa mine de plus en plus pantoise manquant de la faire éclater de rire.

— Vous comptez réellement passer la journée à me regarder dormir ?

Il parcourut rapidement la pièce du regard, en recherche d'une quelconque activité.

— Je... Je vais dormir aussi alors, décréta-t-il.

Sous le regard incrédule d'Isabella, il ferma les volets et éteignit toutes les lumières, avant de se coucher par terre, sur le tapis à côté du lit.

— Vous allez avoir le dos en compote, protesta-t-elle. Je...

— Dormir au sol ne m'a jamais dérangé.

Résignée, elle lui envoya tout de même un coussin à l'aveuglette, afin qu'il ait au moins un oreiller. Il émit un petit marmonnement et elle comprit qu'il se l'était certainement reçu en plein sur la tête.

— Merci, articula-t-il malgré tout.

Il lui vint à l'esprit que cela aurait sûrement été à elle de le remercier. Toutefois, elle n'était pas sûre que ce sursis, qu'elle avait consenti à s'accorder, soit un bien plutôt qu'un mal... Quelle est la prochaine chose que tu détruiras ? lui susurra une petite voix.

Elle l'ignora et se concentra plutôt sur la respiration de son voisin, qui constituait un agréable fond sonore. Au bout de quelques minutes, elle sombra enfin dans un profond sommeil.

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