Chapitre 1 - Le vaurien de Fearghasdan
— Toi ! Reviens ici tout de suite !
Et voilà que la meilleure partie commençait.
Son capuchon noir rabattu sur la tête, Duncan se faufila entre les badauds, foulant de ses bottes les vieux pavés de pierre. Quelques exclamations s'élevèrent sur son passage, mais il n'y prêta pas attention. Son unique objectif consistait à s'éloigner au plus vite du marché, afin de se fondre dans les étroites ruelles obscures.
— Rattrapez-le ! C'est un voleur !
S'il en jugeait aux éclats de voix qui lui parvenaient, son poursuivant se trouvait à une dizaine de mètres derrière lui. Il resserra sa prise sur sa sacoche et accéléra encore, sans tenir compte de la panique qu'il répandait autour de lui. Le marché nocturne de Fearghasdan, charmante petite cité de la Terre des Loups de l'Émeraude, était généralement un lieu de promenade pour les riches familles des environs. Celles-ci avaient la chance de pouvoir se permettre d'acheter des babioles parfaitement inutiles, cédant ainsi aux caprices de leurs bruyants enfants.
Or l'objet que venait de dérober Duncan était tout sauf une babiole.
S'il parvenait à le rapporter au plus puissant contrebandier de la région, alors ce serait peut-être la dernière fois qu'il volait.
— Attends un peu que je te tienne, sale petit...
Mille invectives suivirent la menace de celui qui l'avait pris en chasse, or elles se révélèrent particulièrement utiles à Duncan. Il nota qu'il avait un peu plus d'avance qu'il ne le pensait, mais que ce sale Cailean ne paraissait guère essoufflé. Un bandit de la vallée contre un vaurien de la montagne, songea le loup-garou avec une pointe d'amusement. Que le meilleur gagne...
Il parvint rapidement à quitter l'allée principale et s'engagea dans une rue à peine moins peuplée. Il évita un gamin qui se trouvait sur son chemin, ce qui lui fit perdre de précieuses secondes. Cependant, mieux valait ralentir que d'éclater la tête de ce petit contre un trottoir... Cailean ne dut pas s'embêter avec ces précautions, puisque des pleurs ne tardèrent pas à résonner contre les murs de pierre sombres.
Duncan tâcha de ne pas faire d'états d'âme et ne perdit pas de temps en se retournant. Il se concentra sur son souffle, ainsi que sur ce qui l'environnait. Son poursuivant étant au moins aussi aguerri que lui, la course risquait d'être longue, sauf s'il utilisait la ruse pour le semer. Or la ruse n'est pas franchement ton fort.
Malgré sa capuche qui amenuisait de moitié son champ visuel, il savait exactement quels virages prendre, quels obstacles éviter... En bon natif de Fearghasdan, il connaissait le village comme sa poche. D'ordinaire, cet avantage, couplé à son endurance et sa capacité à se fondre dans l'ombre, suffisait pour qu'il échappe à ceux qui le traquaient. Malheureusement, celui qu'il venait de voler n'était pas n'importe qui.
Tout comme lui, Cailean était un brigand. Un brigand qui se faisait passer pour un noble ramoneur, très demandé dans un coin où les cheminées brûlaient à longueur de journée. Le visage dissimulé par la suie, il se faisait inviter dans de belles demeures, puis en profitait pour subtiliser de discrets objets de valeur. Il les revendait ensuite discrètement sur les étals des marchés, réussissant à en tirer une petite fortune.
Cette activité obligeait l'escroc à changer fréquemment de région, afin de ne pas se faire repérer. Cela faisait presque un mois qu'il traînait dans ce village, ce qui signifiait qu'il allait bientôt devoir partir. Il pensait sûrement clôturer son séjour en beauté avec ce qui devait être la meilleure trouvaille de sa vie, mais Duncan n'entendait pas le laisser s'en tirer à si bon compte.
Ce soir, ce serait lui que cette bague, sertie de la plus brillante des améthystes, rendrait riche.
Ou du moins, lui permettrait de faire autre chose que survivre le temps de quelques années.
— Je vais éclater ta tête contre un mur et laisser les rats ronger ta cervelle ! rugit Cailean.
Du très haut niveau, vraiment, songea Duncan en se navrant que cet abruti ne soit pas fatigué pour un sou. Loin de lui l'envie de se montrer méprisant envers ces pauvres garçons qui venaient de la vallée, or il fallait bien admettre qu'ils étaient tous plus sots les uns que les autres... On critiquait les loups de la montagne à cause de leur accent à couper au couteau, mais selon lui, les pauvres diables qui peuplaient la...
— Comhnall, ce type a volé la bague !
Soudain, Duncan crut entendre une nouvelle paire de bottes se lancer à sa poursuite. Il prit la peine de se retourner et constata qu'effectivement, un deuxième homme s'était joint à Cailean.
Cela ne le surprit pas outre mesure, puisqu'il savait qu'en débarquant ici, le faux ramoneur avait ramené avec lui d'autres imbéciles de la vallée. Il ne serait d'ailleurs pas étonnant qu'il en croise encore trois ou quatre sur son chemin.
Le loup-garou tourna si brusquement à une intersection qu'il manqua de déraper. L'éclairage se faisait de plus en plus faible à mesure qu'il s'éloignait des riches quartiers, les habitants de ces misérables ruelles n'ayant même pas les moyens d'accrocher un lampion à leur porte. L'air frais cinglant son visage, Duncan se laissa porter par le vent, la violence des bourrasques lui indiquant qu'il se rapprochait de sa destination.
Quand celle-ci se profila, symbolisée par un mur crénelé envahi par la mousse, il allongea ses foulées afin de prendre le maximum d'élan, puis sauta. Le bout de ses doigts agrippa le sommet de la paroi. À la force de ses bras, il se hissa entre deux créneaux, avant de se tenir en équilibre dessus. Il prit garde à ne pas basculer en arrière, car de l'autre côté de ce mur s'étendait... le vide.
Un vide d'apparence sans fin, au bout duquel l'attendait en réalité le flanc rocailleux de la montagne, prêt à le réduire en charpie s'il s'aventurait à tomber.
Il y aurait eu de quoi avoir peur, pourtant Duncan n'était jamais aussi serein que lorsqu'il arpentait les remparts de Fearghasdan, l'une des uniques cités fortifiées de la Terre de l'Émeraude.
— Eh bien ! ricana Cailean en le rattrapant. Tu veux jouer à chat perché, hein ?
Lui et son acolyte s'arrêtèrent au pied de la muraille. Leur respiration émettait de légers sifflements, mais aux lueurs de détermination qui brillaient dans leur regard, il était clair qu'ils ne comptaient pas lâcher l'affaire.
— Où est-ce que tu vas aller, maintenant ? s'amusa le bandit en désignant les créneaux. Tu crois vraiment qu'une fichue bague vaut le coup de se jeter dans le vide ?
Non, cependant pour te clouer le bec, peut-être que ça en vaudrait la peine, grommela le voleur intérieurement.
Au lieu de se perdre en paroles, il donna une impulsion à ses jambes et commença à courir sur le rempart. Certains auraient vu les créneaux comme des obstacles, mais ils permettaient à Duncan de maintenir un rythme et de rester concentré.
Cailean et Comhnall se lancèrent à sa poursuite le long du mur et ne tardèrent pas à le devancer de plusieurs mètres. Évoluer sur le sol plat était évidemment plus facile, surtout que la mousse qui grignotait la muraille était dangereusement glissante. Néanmoins, hors de question de ralentir... surtout que son piège allait bientôt se refermer sur ses poursuivants.
Après quelques dizaines de mètres de course, les deux escrocs se retrouvèrent obligés de s'arrêter, le mur d'une immense habitation se dressant devant eux. Comme le rempart longeait la bâtisse sur sa façade donnant sur le vide, Duncan put tranquillement poursuivre sa route, alors que Cailean et Comhnall restèrent coincés. Il les entendit pester tout en essayant de monter sur la muraille, sans succès.
— Espèce de chien ! hurlèrent-ils par-dessus le cri du vent. Tu ne perds rien pour attendre !
Le voleur ne se laissa pas déconcentrer et longea le mur prudemment, le rempart se faisant plus étroit au fil des mètres. Les bourrasques menaçaient de le faire chanceler, donc il se permit de troquer la course contre la marche. De toute façon, Cailean et le bougre qui lui servait de complice avaient certainement renoncé à le suivre. Ils devaient être en train de faire le tour du bâtiment, afin de le réceptionner de l'autre côté et lui coller une belle raclée.
Seule la lune, à moitié pleine, éclairait ses pas prudents. Il ôta son capuchon, tout en gardant une main en contact avec la paroi faite de pierres aussi vieilles que le monde. L'impitoyable froid du nord attaquait chaque parcelle de sa peau, mais ainsi, en parfait équilibre entre le vide et les étoiles, il se sentait mieux que nulle part ailleurs.
Ici, personne ne venait jamais l'embêter. Et c'était cela qu'il aimait.
La solitude, sa compagne depuis toujours, l'enfermait dans une douce tranquillité. Une tranquillité uniquement troublée par les bruits de la nature, qui ne l'obligeaient pas à leur répondre, ni à articuler des mots qu'il peinait à prononcer.
Quand il errait sur les remparts, il se savait en sécurité, sans être obligé de supporter la société de qui que ce soit. Enfin, cela, c'était ce que d'ordinaire, il se plaisait à croire...
Car lorsqu'une étoile, sûrement fraîchement tombée du ciel, se dressa devant lui, toutes ses certitudes volèrent en éclats.
Elle se tourna dans sa direction et alors... il la vit.
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