Point de vue: Solle

J'appuie la compresse que m'a donné le médecin une dernière fois sur mon visage avant de la jeter tout en priant pour que le capitaine ne remarque pas mon oeil au beurre noir.

C'est peine perdue évidemment et je sens son regard me détailler de la tête au pieds à peine ai-je fait un pas dans la salle.

Luis et moi sommes les plus jeunes gardes de notre section. Tous les autres ont deux à six ans de plus que nous. On pourrais penser que le fait d'être les seuls à avoir 18 ans nous a rapprochés. C'était vrai les trois premières années de notre formation mais un an après notre promotion il m'a avoué être amoureux de moi. Sur le moment j'ai paniqué et ai balbutier quelque chose  avant de partir rapidement. Le lendemain, lorsque j'ai voulu m'expliquer et lui dire que je le considérais comme mon meilleur ami mais rien de plus, il m'a repoussée et a mis fin à notre amitié. Il est vrai que j'aurai pu faire preuve d'un peu de tact mais il ne m'a pas vraiment aidée non plus. Depuis, il me déteste et fait tout pour que je sois renvoyée.

Le problème est qu'il est mon capitaine et moi une simple espionne. Une femme ayant réussi à intégrer la garde royale, en principe exclusivement masculine, certes, mais une femme quand même. Le moindre signe de faiblesse de ma part peu être un motif pour me mettre à la porte.

Je me met au garde à vous, au bout de la ligne comme l'exige le règlement. Notre capitaine, suivit de son lieutenant nous inspecte un à un. Il s'arrête devant moi et son regard se fixe sur l'estafilade sur ma joue.

"-Une espionne blessée est une espionne repérée.

Une espionne repérée est une espionne qui a faillit à son devoir.

Une espionne qui a faillit à son devoir est une espionne morte.

Une espionne morte est une espionne qui n'a plus aucune utilité.

Et une espionne qui n'a plus aucune utilité est une espionne à la porte.

Il y a donc deux solutions, toutes deux approuvée par le commandant en chef: un renvoi ou..."

***

Tu vas y arriver, tu es forte. Tu vas y arriver, tu es forte." Je me répète ces mots en boucle, comme un mantra en attendant mon tour. Lorsqu'il arrive enfin, je monte sur l'estrade dressée au centre de la cour et me place en son centre.

Mon capitaine s'avance, se place à côté de moi, face aux différentes sessions et énonce les charges. "A faillit à son devoir en se faisant repérer lors d'une mission, etc ...". Je n'en écoute même pas la moitié, les connaissant par cœur après avoir lue la fiche une bonne dizaine de fois. Mes yeux restent fixés sur No et Julian, mes deux meilleurs amis, restés dans la section en dessous de la mienne.

Luis a terminé. Il sort un poignard de son sac et me le tend.

J'ai deux options: m'incliner et retourner au rang de simple domestique que j'occupais avant ou...

J'inspire profondément et attrape le poignard. Mon choix est fait.

Je me tourne vers les soldats rassemblés devant l'estrade et lève le poignard à hauteur de mon cou. Au fond de la cour, mes deux amis m'implorent du regard. Je détourne les yeux et me concentre.

Mon plus grand rêve depuis que je suis toute petite n'est pas, contrairement aux autres petites filles, de rencontrer le prince charmant et d'avoir beaucoup d'enfant mais d'intégrer la garde royale. Aujourd'hui je peux abandonner tout ce dont je rêve depuis ma plus tendre enfance ou...

Je raffermit ma prise sur le poignard. Il n'y a plus de place pour le doute, il n'y en as jamais eu. J'ai pris ma décision et j'irais jusqu'au bout même s'il faut en passer par là.

D'un geste sec et précis, je tranche la première mèche de mes cheveux et la regarde tomber jusqu'au sol avant de continuer avec les autres. Mon travail terminé, je passe ma main sur ma nuque pour m'assurer qu'il ne reste aucunes mèches. Je ne rencontre que du vide. Satisfaite, je range le poignard à ma ceinture, m'incline devant le commandant en chef et quitte la scène pour rejoindre ma section.

Je l'ai fait! Je l'ai fait!!!!! J'ai envie de hurler, de sauter de joie, de mettre mon poing dans la figure de Luis, de rire et de pleurer, tout ça en même temps. Mais je me retiens car cela me vaudrais sûrement une autre punition et je n'ais vraiment pas le temps pour ça.

Les regards me suivent jusqu'à ce que j'ai regagné ma place. J'ai l'habitude. Je suis différente avec mes longs cheveux blancs, mes oreilles pointues et surtout, une volonté de me battre totalement incongrue pour une fille.

Une fois, j'ai demandé à ma mère si tout cela me rendais inférieure aux autres. Elle s'est arrêtée, s'est accroupie à ma hauteur et m'a dit, en me regardant droit dans les yeux:

"-Tu es une étoile ma chérie. Une étoile certes un peu différente mais une étoile quand même. Et un jour, j'en suis sûre, tu brilleras plus fort que toutes les autres."

Fin

851 mots

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