Liena

Il était une fois une petite fille. Elle était belle comme un ange, il émanait d'elle une attraction mélancolique telle que tous se retournaient sur son passage. Elle avait de longs cheveux clairs qu'elle laissait toujours voler librement dans son dos, et s'entourait d'une grande cape sombre. Le tissu épais la protégeait du froid et de la pluie, elle ne le quittait jamais. Son visage, au lieu de s'illuminer d'un grand sourire comme celui des autres enfants, restait neutre en permanence. Elle ne savait pas sourire. Cette petite fille était triste. Elle portait aux chevilles des poids maquillés en deux sortes de bracelets aux reflets métalliques.

Elle s'appelait Liena, et tirait derrière elle comme héritage la cause de ces lourds bracelets. Si elle les enlevait, elle s'envolait. Ç'avait toujours été ainsi. Et plus elle avait grandi, plus la distance entre elle et le sol s'était agrandie. Elle avait été abandonnée à la naissance, sans doute ses parents n'avaient-ils pas voulu d'une enfant aussi différente. Elle errait depuis des années, passant d'auberges en auberges pour marchander un repas ou une nuit passée sous un toit. Ce soir-là, elle était épuisée par son vagabondage. Elle marchait sur les chemins boueux, pieds nus, depuis l'aube et n'avait plus qu'une envie : dormir. Elle aperçut alors, au sommet d'une petite colline, une maison au toit de chaume abîmé mais aux fenêtres illuminées. Liena s'approcha, puisant dans ses dernières forces pour grimper la pente qui menait au bâtiment. Les brigands n'allaient pas tarder à sortir, elle devait faire attention pour ne pas se faire dépouiller – encore aurait-il fallu qu'elle possédât quelque chose.

Elle remarqua qu'une lanterne était allumée au-dessus de la porte, et éclairait l'inscription ''Au Cochon Volant'' qui devait être le nom de la taverne. La petite fille poussa le lourd battant de bois, fut surprise de sentir une bonne odeur de viande monter à ses narines. Elle entra timidement dans la pièce animée, observant les gens riant et buvant dans une bonne humeur évidente. Un couple mangeait dans un coin, mais la plupart des convives avaient une choppe à la main et trinquaient avec des grands sourires. Elle se glissa entre les clients, s'approcha du bar, et tenta d'intercepter l'attention d'une des serveuses. Elle n'y parvint pas et se laissa glisser au sol, ramenant ses genoux contre son buste. Elle entoura ses jambes de sa cape, en rabattit la capuche sur ses cheveux, posa son front sur son avant-bras. Elle s'endormit aussitôt.

Quand elle se réveilla quelques heures plus tard, il y avait toujours autant de bruit dans la salle animée, même si la moitié des clients était partie. Ceux qui restaient commençaient à avoir abusé de la boisson, et certains étaient affalés par terre ou sur les tables de bois. Liena essaya de comprendre ce qui l'avait réveillée, et ses yeux tombèrent sur un jeune homme qui la regardait avec un air inquiet. Il lui demanda quelque chose, mais son cerveau fatigué ne lui permit pas de comprendre quoi. Elle luttait contre le sommeil alors qu'il passait son bras dans son dos. Elle sentit vaguement une main glisser derrière ses genoux, puis s'endormit quand sa tête rencontra le tissu de la tunique du jeune homme.

Cette fois-ci, lorsqu'elle ouvrit les yeux, tout était silencieux. Elle était dans une petite pièce peu éclairée, quelques rayons de soleil filtrant entre les planches des murs, mais sans fenêtre. Le plafond était très bas, et composé d'un enchevêtrement de poutres qui lui fit comprendre qu'elle se trouvait probablement dans un grenier. Elle se redressa, cherchant des yeux une porte, mais ne put que se rendre compte qu'elle se trouvait sur une paillasse à même le sol, recouverte d'une épaisse couverture. Liena constata ensuite qu'elle était habillée d'une chemise longue qui ne lui appartenait pas, et que ses vêtements et sa cape n'étaient pas dans la pièce. Elle commença à se poser des questions, eut un soupir de soulagement en constatant qu'elle avait toujours ses poids aux pieds, puis s'extirpa finalement du lit. Elle se rendit compte qu'une trappe se trouvait à sa droite, et décida de l'ouvrir.

Elle descendit l'échelle qui menait à sa pièce, et se retrouva dans une assez grande salle à vivre, meublée de deux tables, de chaises, d'un fauteuil visiblement aussi âgé qu'elle, et d'une grande armoire qui recouvrait un mur entier. En face, une cheminée dans laquelle quelques cendres rougeoyaient encore, et devant laquelle Liena alla s'asseoir. Elle se doutait qu'elle se trouvait encore dans l'auberge de la veille, puisqu'elle sentait encore les relents de la cuisine qu'elle avait découvert en entrant, mais n'avait aucune idée d'où. Puis, une porte s'ouvrit et une voix masculine s'éleva :

- Tu es réveillée ? J'espère que tu as bien dormi.

Liena se retourna et acquiesça d'un air méfiant. C'était le jeune homme de la soirée, un chapeau dans la main et une veste sur le dos. Ses joues roses et ses cheveux humides indiquèrent à la petite fille qu'il venait de rentrer, et que le jour n'était pas encore trop avancé, puisqu'il restait de la rosée. Il s'approcha d'elle, lui tendit la main pour la relever, puis l'entraîna vers une pièce adjacente, dont Liena n'avait pas décelé la porte, cachée derrière l'échelle.

- Je m'appelle Limerick, lui apprit-il en s'effaçant pour la laisser pénétrer dans une immense cuisine dans laquelle s'affairaient une dizaine de personnes.
- Liena, lâcha-t-elle dans un souffle.

Il lui sourit et l'invita à s'installer à une petite table d'un bois clair, coincée entre un four à pain et un établi recouvert de toutes sortes d'ustensiles ménagers. Il lui amena ensuite de grosses tartines, de la confiture et deux pommes, qu'il déposa devant elle avant de tirer un tabouret de sous l'établi pour s'installer à côté de la petite fille.

- Tu as dormi plus d'une journée, tu nous as inquiétés...
- De quoi ? l'interrogea-t-elle à voix basse tout en étalant la confiture sur son pain.

Elle avait trop faim pour laisser la place à la méfiance qui, d'ordinaire, était de mise avec elle.

- Je t'ai trouvée à l'auberge vendredi soir, endormie un peu avant minuit. J'ai voulu te réveiller pour que tu ne te fasses pas embêter par nos clients, mais tu t'es rendormie aussitôt, alors j'ai préféré aller t'installer au calme. Sauf que comme il ne nous restait plus de chambre, j'ai dû te coucher dans le grenier, je suis désolé pour ça. Et tu ne te réveilles que maintenant, ce qui me fait me dire que j'ai bien fait de ne pas te laisser en bas.

- C'est quel jour, qu'on est ?
- Dimanche, répondit-il sans tenir rigueur de sa façon de parler.

Liena fronça les sourcils, elle ne pensait pas être si fatiguée que ça. Sans doute avait-elle trop poussé son corps hors de ses limites. Elle remercia donc son hôte qui lui répondit par un sourire sincère. Il lui dit ensuite qu'il allait chercher ses vêtements que sa mère avait lavés puis étendus, et s'éclipsa, la laissant seule avec sa nourriture qu'elle termina jusqu'à la dernière miette. Elle avait encore faim, mais beaucoup moins, alors elle proposa aux cuisiniers – qui continuaient leur travail sans lui prêter attention – de les aider. Ils refusèrent gentiment, et une femme assez ronde aux joues rouges à force de rester proche du feu lui indiqua la porte en ajoutant :

- Va voir Marianne, mon petit, elle te dira si elle veut de l'aide.
- Où c'est qu'elle est ? Qui c'est ?
- Va devant l'auberge, à c't'heure elle fait les comptes.

La petite fille hocha la tête et quitta la salle à la chaleur accueillante. Elle passa par le grand salon à nouveau, et ouvrit timidement la porte par laquelle Limerick était arrivé pour se retrouver dehors. L'air était encore frais malgré les quelques rayons de soleil qui passaient au travers des nuages. Elle regretta de ne pas avoir sa cape, fit trois pas pour se repérer, et se rendit compte qu'elle se trouvait derrière l'auberge. La partie publique devait donc se trouver de l'autre côté de la cuisine. Liena constata qu'il existait un étage – sans doute pour les chambres –au-dessus de ce qu'elle supposait être la salle de restauration. Elle contourna le bâtiment et tomba sur une dame assise sur un banc, le dos bien droit et le visage protégé de l'astre solaire par un chapeau à larges bords orné d'un ruban. Elle s'approcha d'un pas hésitant et constata que la dame tenait entre ses mains un carnet aux coinsabîmés, et un crayon de bois.

- Excusez, c'est bien vous Marianne ? demanda la fillette en parlant le meilleur langage qu'elle put trouver dans sa mémoire.

La dame releva la tête et posa sur elle un regard bienveillant et maternel. Un regard très doux.

- C'est moi. Tu as pris ton temps pour te réveiller, dis-moi...

Liena baissa les yeux mais un rire fluet l'interrompit dans sa recherche d'excuse.

- Approche-toi. Vas-tu mieux ? As-tu mangé quelque chose ?

La fillette hocha la tête par deux fois en se campant devant la femme au visage souriant. Celle-ci passa ses mains sur ses joues, son nez et son front avant de se lever, abandonnant son cahier sur le banc de pierre. Elle lui prit la main pour l'emmener à sa suite vers l'arrière du bâtiment. Au lieu de pousser la porte par laquelle Liena était sortie une dizaine de minutes plus tôt, elle continua jusqu'à arriver devant un rideau qu'elle tira d'un coup sec. Elle indiqua la pièce à la petite fille puis lui dit qu'elle revenait, et s'en alla d'un pas rapide.

Liena constata qu'elle se trouvait dans une salle de bain, mais qu'il n'y avait pas de baignoire ni de bassine. Elle se défit de sa seule chemise, puis la plia soigneusement pour la poser sur une petite étagère de bois. Elle entendit ensuite Marianne revenir, suivie d'une autre personne. Elle cacha par réflexe son corps, mais seule la dame passa le rideau, une bassine dans les mains.

- Prête ? L'eau ne sera pas chaude, la prévint-elle.

La petite fille opina du chef et glapit quand l'eau glissa dans ses cheveux, son dos, son ventre et ses jambes. Marianne faisait en sorte de réguler le jet, et Liena put se débarrasser avec délice de toute la crasse accumulée depuis son dernier bain – dans une rivière. Elle frotta vigoureusement sa peau avec un savon fait d'herbes, puis demanda si Marianne pouvait l'aider à se rincer. Celle-ci approuva, sortit pour prendre une seconde bassine des mains de la personne qui l'accompagnait et qu'elle congédia, puis revint pour terminer le lavage de la petite. Liena se sentait terriblement bien, malgré la fraîcheur du liquide qui lui brûlait la peau.

Quand elle eut fini, la dame lui donna un grand drap pour qu'elle se sèche, et lui indiqua qu'elle l'attendait dehors. La fillette prit son temps pour faire disparaître toute trace d'eau de son corps, puis entendit des pas cavaler dehors.

- Tiens, Maman, tu n'aurais pas vu Liena ? La petite qu'on a récupérée vendredi !

L'intéressée reconnut la voix de Limerick, et se demanda pourquoi il la cherchait,avant de se souvenir qu'elle était partie de la cuisine alors qu'il voulait lui ramener ses vêtements.

- Si, elle se lave.
- Oh...Eh bien, je... Hum... Tu lui donneras ses habits, s'il te plaît.

Sur ces paroles, il s'en alla rapidement, et Marianne passa le bras au bord du rideau, son vieux tee-shirt rapiécé et son pantalon de toile dans la main. Liena s'en saisit, constata avec gêne qu'ils étaient propres et que les trous avaient été recousus. Elle les enfila, se sentant aussitôt bien plus à l'aise qu'avec la chemise qu'elle portait jusque là, puis sortit rejoindre la jolie dame qui rit en lui disant qu'il fallait s'occuper de ses cheveux. Elle l'entraîna donc dans la maison, la fit s'asseoir dans le grand salon, et réapparut avec une brosse et un tissus pour éviter de mettre de l'eau partout.

- Limerick ? Viens donc coiffer la petite, je dois finir les comptes !

Son fils arriva rapidement, se munit de la brosse et commença à la passer dans les cheveux clairs. La dame disparut par la porte, ses pas s'évanouissant sur les graviers. Limerick usant de mouvements lents, redoublant de prudence et de douceur au moindre nœud.

- Merci pour mes habits, lâcha soudain Liena.
- C'est normal.

Elle ne trouvait pas. Ou en tous cas, personne ne l'avait jamais fait pour elle. Une question traversa soudainement son esprit et elle se mit à paniquer.

- Tu as... enlevé mes bracelets ?
- Bracelets ?
- Autour de mes chevilles.

Il sembla réfléchir un instant car la brosse resta en suspend, puis il reprit son activité.

- J'ai voulu, mais je n'ai pas trouvé l'ouverture. Pourquoi ?

Elle ne répondit pas, soulagée. Il finit alors de démêler ses mèches, les sécha du mieux qu'il put, puis commença à les tresser de ses doigts habiles. Il ne savait pas trop comment interpréter le silence de la petite fille, elle semblait lui cacher quelque chose. Ou plutôt, elle semblait cacher quelque chose à tous. Il avait l'impression qu'elle avait passé toute sa vie toute seule, sans personne sur qui se reposer ni personne à qui se confier. Si c'était le cas, cela expliquerait son visage triste et ses yeux ternes. Et ce serait également la chose la plus triste qu'il lui eût donné de voir de toute sa vie.

- Tu veux m'en parler ?

Elle se retourna vers lui alors qu'il attachait ses cheveux avec deux rubans dont la couleur s'était ternie avec le temps, fier de son travail. Elle lui jeta un regard apeuré et curieux en même temps, elle n'en revenait pas qu'il lui proposât de se confier, elle qui avait toujours répugné les gens. Lui, avait l'impression qu'elle n'avait envie que d'une chose : enfin partager son secret avec quelqu'un. Mais elle n'ouvrait pas la bouche. Alors il la fit se lever, et la serra contre lui comme il l'aurait fait avec sa petite sœur, si la maladie ne l'avait pas emportée quelques années plus tôt.

- Je suis comme ça depuis que je suis née, commença alors la fillette en entourant de ses bras la taille du jeune homme.

Il ne la poussa pas à continuer malgré sa curiosité immense, car il savait que la brusquer la ferait se renfermer sur elle-même. Alors il caressa doucement son dos en la berçant sans réellement y penser. Et elle se mit à pleurer silencieusement. Il sentait à peine son petit corps trembloter contre lui.

- Les gens disent que je suis une sorcière, une erreur. Je... vole.

Liena s'éloigna de Limerick pour le fixer dans les yeux ; alors qu'il essayait de mettre sa part rationnelle de côté pour comprendre ce qu'elle lui disait. Il resta longuement immobile, tenta de comprendre ce qu'elle pouvait bien vouloir dire par ces deux mots. "Je vole".

Voyant qu'il était sceptique, la fillette se baissa, manipula quelques secondes le poids accroché à sa cheville droite, le détacha, et le laissa glisser de son pied jusqu'au sol.Ses orteils se décolèrent alors lentement du parquet irrégulier, et elle fit les mêmes mouvements pour le second bracelet. Quand il libéra son pied, elle se mit à flotter au milieu de la pièce, environ un mètre et demi au-dessus du sol. Subjugué, Limerick se frotta plusieurs fois les yeux. Il n'en revenait pas.

- Incroyable...
- Non ! répliqua-t-elle, au bord des larmes.

Il se pencha alors, ramassa les poids et l'aida à les rattacher pour qu'elle retrouve une adhérence normale. Elle le regarda longuement, se demandant s'il allait l'abandonner comme tous les autres. Mais il n'en fit rien. Au contraire, il s'interrogeait déjà sur la façon de mettre ce don à profit.

- Tu peux décider de la hauteur à laquelle tu t'élèves ?
- Je ne suis pas une sorcière ! se récria-t-elle, et il comprit qu'elle n'avait jamais essayer de cultiver son don.
- Bien sûr que non ! Mais si tu parviens à choisir de combien tu t'envoles, tu pourrais faire des choses superbes !

Liena réfléchit un instant, se rendit compte qu'il était visiblement sérieux, et comprit aussi que, si elle parvenait à utiliser sa malédiction pour en faire un don, elle pourrait aider Marianne et Limerick pour les remercier de l'avoir recueillie. Elle hocha alors la tête, et il resserra la ceinture de sa tunique avec un sourire satisfait et un regard de braise.

- Tu vas voir, on va s'entraîner pour que tu y arrives ! Je ne te laisserai pas tomber, crois-moi !

Elle le suivit à l'extérieur, le regarda installer de la paille sur la terre pour qu'elle ne se blesse pas, et lui proposa de retirer ses entraves. Elle s'en défaussa sans attendre, et s'envola dans le ciel. Pour une fois, elle essayait de pousser son don à son maximum, plutôt que de le refréner. Pour la première fois, elle tentait d'aller toujours plus haut, toujours plus loin. Elle regarda alors en dessous, Limerick lui faisait de grands gestes depuis la terre ferme. Et, pour la première fois, elle sourit.






Re-salut !

Voilà le défi que ma soeur m'avait lancé : à partir d'un dessin, je devais imaginer l'histoire du personnage. C'est ainsi que Liena est née :')

ça vous a plu ? Dites-moi ce que vous en avez pensé !

Gros bisous !
Nezy ^^


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