Version de @Melody Slytherin
La main fouettant l'air chaud de la vielle berline, Madeleine toussa quelque peu, raclant la bile qui s'était accumulée au fond de sa gorge. Face au regard vainqueur que lui adressait ce fils, qui ne finirait jamais hélas de l'exaspérer, elle laissa un long soupir glisser au travers de ses lèvres gercées, alors que la portière de la voiture claquait derrière elle. La démarche hésitante, elle sortit doucement, et lentement, étira dans un craquement sonore les articulations de son dos voûté, que l'âge hélas continuait inlassablement de marquer. Aujourd'hui, derrière ce fard à joue, ce rouge à lèvre carmin et ses talonnettes en cuir; au-delà de cette façade qu'elle n'avait quittée depuis des années, même volontairement cessé de compter, se révélait l'imposante réalité de son âge. Elle venait d'avoir 60 ans. Soixante longues et insipides lames de rasoir qui s'enfonçaient doucement dans sa chair lui arrachant une grimace mauvaise. Les plaies se consolaient des larmes, la douleur s'apaisait du brasier de l'amour maternel... Si seulement elle avait pu se souvenir de l'un comme de l'autre. Par miracle, si seulement voire ainsi l'embrassade affectueuse de ces chérubins privés de leurs ailes, mais diablement agiles, autour de ses maigres cuisses lui donnait un second souffle qu'elle n'espérait plus ! Si seulement LUI, ne lui rappelait pas la douloureuse course du temps. Chaque pas, chaque mètre qui les séparait représentait dangereusement à ses yeux cet immense fossé qui se creusait au plus profond d'elle-même, déchirant ses entrailles, tordant son estomac. Contrairement à ce qu'elle aurait voulu croire, ni les ridules qui se plissaient lorsqu'IL battait des cils, ni les sillons qui se dessinaient dans le creux de ses joues, ni les marques des combats que la vie lui avait fait livrer ne s'imposèrent à sa vue. Pas même la silhouette avachie, les épaules plaquées en avant, les pieds bots, n'avaient eu raison de cette vision surréaliste. Mais...ses pupilles sombres ne voyaient que celles dans lesquelles elles s'étaient noyées dans sa jeunesse, ne percevait que la clarté de leur océan, la vigueur de la jeunesse perdue. Sa jeunesse à Lui. Celle qui se lisait dans son sourire tiré, sa démarche maladroite et guillerette, ses cheveux parsemés s'élevant au gré du vent. La respiration haletante, la poitrine emprisonnée d'une cage dont elle voulait à tout prix oublier les barreaux, Madeleine luttait pour ne point laisser ces siècles de souffrance perler au coin de ses yeux. Pour chasser de son esprit, tout ce que SON absence avait impliqué : les bleus qu'il ne verrait jamais, les questions auxquelles la vielle femme n'avait jamais espéré la moindre réponse, l'enfant qui par sa faute, avait grandi au près d'un père qui ne l'avait jamais aimé. Elle avait été une mère odieuse, incapable d'aimer, car par la faute de cet homme, elle avait perdu le cœur vif et audacieux qui avait fait ses années lycées. Le seul garçon qui s'était intéressé à autre chose que son physique de Victory Miss, le seul qui aurait pu l'écouter des heures jouer au rythme des airs de piano jazz qu'ils appréciaient, ceux des pubs ou leur âge, quelle ironie, leur interdisait l'accès. José... L'unique être qui avait osé s'affranchir de Paul, avant de succomber à son tour face au Roi, pauvre fou qu'il était, pour une Reine qui ne souhaitait que se réfugier dans ses Tours. Le dernier qui pour elle, avait renversé l'échiquier. Celui qui avait d'elle plus qu'un simple pion. Alors, en dépit des mots, des remords, elle se serait avancée vers lui, et de ses biens maigres bras elle l'aurait enlacé. Elle aurait laissé sa carrure frêle et souple l'envelopper, et réchauffer pas à pas la moindre de ses cellules, enivrer chacun de ses tissus, revigorer en elle des sensations qu'elle ne connaissait point, des souvenirs enfouis, que le temps ne pouvait décemment effacer. Elle se serait blotti dans le creux de ce cou qu'elle découvrit un soir au clair de lune, sous la fraicheur du soir, et aurait prié pour que ce moment suspendu dans le temps, demeure ainsi éternellement. « Maman, est ce que tout va bien ? Je sais que ce n'est pas facile pour toi mais.... Fais-le. Pour moi. Je t'en supplie. Allez viens, prends ma main. On va sortir de cette voiture, et tu vas vivre. D'accord ? » - Je lui tendais la main, plaçant mes phalanges abîmées dans le creux de ses doigts, alors qu'au dehors le soleil m'éblouissait. Et là, dans l'auréole solaire, il était là. Comme s'il n'était jamais parti.
- MelodySlytherin -
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