Le temps ne compte pas pour ceux qui l'ignorent... ou presque

« Le temps ne compte pas pour ceux qui l'ignorent. »
Proverbe géorgien

De premiers rayons de soleils vinrent dissimuler les étoiles, et bientôt la Lune. Aucun nuage à l'horizon.
Le gazouillis des oiseaux, le clapotis de l'eau, le frottement des feuilles... Madeleine inspira profondément pour s'imprégner de cet air de campagne. Elle ne s'était jamais posée quelque part aussi longtemps. Toutes ces couleurs, ces odeurs, tous ces sons, lui étaient désormais presque familiers. «Presque» car Madeleine s'accoutumait de peu, ne s'attachait jamais, vivait au jour le jour, sans ce soucier de rien, encore moins de ce que pouvaient lui coûter ses « folies », comme disait son fils Jacques.
Jacques avait 42 ans, soit presque dix ans de plus que sa femme, Francesca, une italienne qui n'avait jamais vraiment mis les pieds en Italie, ses parents ayant quittés le pays lorsqu'elle avait deux mois et n'y étant jamais retourné depuis. Cependant elle ne se lassait pas de décrire Venise et Rome et surnommait son Jacques «pasta». Elle prétendait, en effet, adorer les pâtes (plus que les parties de jambes en l'air avec son mari, ce qui évidement frustrait ce dernier).

Madeleine fut tirée de ses pensées par une voix d'homme clamant le célèbre poème de Paul Eluard intitulé « liberté ». Elle lâcha à contre cœur le paysage qui s'offrait à elle, attrapa son téléphone, et interrompu le poème qui lui servait de sonnerie en acceptant l'appel de Jacques (justement).
"-Allô Jacques ?
-Salut maman. désolé de te déranger, je voulais simplement m'assurer que tu venais toujours samedi.
- ...
-Maman ?
- ...
-Tu as complètement oublié, C'est ça ? fit Jacques déçu.
-Non, non, pas du tout, simplement la connection est très mauvaise ici, je te l'ai déjà dis. Impossible de prendre un billet de train jusqu'à maintenant !
-Menteuse !
-Tu oses traiter ta mère de menteuse ?! s'offusqua Madeleine.
Elle entendit son fils souffler.
-Je t'en prie, pour une fois, viens...
-...
- Si tu ne le fais pas pour moi, fais le pour César et Victoria.
Le cœur de Madeleine se serra.
- ... ok, fit-elle finalement.
-Merci.
- ...
-Bon je te laisse. Préviens moi quand tu auras ton billet.
-Je te préviendrais, promis... est-ce que César et Victoria..."
... mais Jacques avait raccroché.
Madeleine ne put empêcher une larme de couler... son fils avait trouvé de quoi la convaincre: César et Victoria. Les deux jumeaux avaient maintenant six ans. Madeleine ne comptait plus que l'âge de ses deux petits enfants chéris. Cela faisait bien longtemps qu'elle ne retenait plus délibérément le sien, ni celui de son fils.
Madeleine avait tout simplement cessé de se rapporter au temps... ou presque.
Elle vivait l'instant présent, sans redouter ce que pouvait lui réserver l'avenir... ou presque.

*

Madeleine consulta sa montre puis le panneau d'affichage devant elle, sur lequel ne voulait pas apparaître son train.
Foutue SNCF ! Vivement la concurrence ! pesta-t-elle intérieurement, alors qu'on annonçait au bout d'une demi-heure que son train aurait du retard.
Elle se posa dans un café, dépouilla un kiosque à journaux de ses magazines botaniques.
Comme son train n'avait pas l'air pressé d'arriver, car sa marge de retard augmentait inlassablement, Madeleine quitta la gare et visita ses alentours.
Enfin, après deux heures d'attente, le train entra en gare.
Alors qu'elle s'apprêtait à gravir les quelques marches qui la séparait de son wagon, un jeune homme lui proposa son aide. Madeleine crue rêver. On aura tout vu ! Songea-t-elle. Pour qui se prend-t-il celui là ?! Quel manque de tact ! Il ne voit pas qu'il m'insulte ! Traite moi de vielle impotente tant que t'y est mon gars !
-Non merci, c'est gentil à vous mais je me suis débrouillée jusqu'ici, ça devrait aller, finit-elle simplement par dire.
Elle fit du mieux qu'elle pu pour paraître reconnaissante et, après un dernier sourire hypocrite, rejoignit sa place avec un mal de dos insupportable... peut-être que j'aurais du accepter finalement, se dit-elle, fouillant dans son sac de quoi atténuer la douleur. Mais non ! Que dis-tu Madeleine ! se ressaisit-elle cependant, très vite.

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