~20~ La naissance de l'amour
Six journées se sont écoulées depuis mon arrivée sur cette ferme.
Aider à faire le train chaque soir et chaque matin, c'est une tâche ardue, mais je crois commencer à bien m'en sortir. Niccolo ne se plaint presque plus de ma présence, même s'il continue de me dévisager avec dégout. Les gens de la ville sont-ils si horribles à ses yeux? J'aimerais que nous nous entendions bien, mais s'il ne fait pas d'effort de son côté, c'est une mission impossible. Au moins, il prépare les meilleurs repas que je n'ai jamais mangés. Chaque soir, le blond innove en nous présentant de nouvelles recettes de son cru. Si nous restons ici trop longtemps, mon ventre risque de gonfler à force de manger comme un porc.
La grand-mère de Jean est une femme admirable. Très travaillante, même à son âge, elle se lève chaque matin aux petites heures pour commencer sa besogne. Que ce soit le ménage, réparer quelque chose ou ramasser les œufs de poules, rien ne l'arrête. Les dames de cette époque sont un véritable exemple à suivre pour la gent féminine moderne. Elle peut tout faire avec peu, ne se plaignant jamais et remerciant constamment la vie pour ce qu'elle possède. Ancienne partisane du mouvement suffragette, madame Kirstein m'a avoué être déçue par l'évolution du féministe et d'être heureuse de ne pas être née à cette époque de débauche.
Bien qu'elle soit très ouverte d'esprit sur plusieurs sujets tels que l'homosexualité, la transsexualité et ce genre de chose, la femme a passé une soirée complète à donner son opinion sur diverses actualités qui la déçoivent, comme les manifestations de fille topless, la dévirilisation de l'homme, la glorification de la femme-objet ou encore l'hypersexualisation. L'écouter parler m'a grandement fait réfléchir, surtout en sentant sa profonde tristesse face à l'humain qui semble à ses yeux rétrograder. Le pire selon elle, c'est que cette mentalité affecte les jeunes qui grandissent en croyant que montrer son corps est la normalité. Cette banalisation du sexe est un fléau pour les générations futures.
En me souvenant du discours de Floch envers Hitch, je me dis qu'il aurait adoré discuter avec cette dame qui partage son idéologie. Ils auraient probablement pu en parler une nuit complète autour d'un bon café.
-Je suis triste de partir demain, avoue Jean en dégustant sa glace au chocolat, je trouve qu'on s'amuse beaucoup, ici.
-Je suis d'accord, affirmai-je, j'aime ta grand-mère. C'est une femme admirable. Je crois qu'elle s'entendrait bien avec ma mamie.
-Je sais! Je l'adore. Ça me rend triste de ne pas la voir plus souvent. On vit loin, donc c'est compliqué. Au moins, elle n'est pas seule grâce à Niccolo. Il a peut-être un sale caractère, mais je lui suis reconnaissant de veiller sur elle.
Assis à la table de pique-nique devant le bar laitier du village, nous sommes venus à vélo afin de déguster une succulente glace. C'est demain que les vacances s'achèvent... Je ne suis pas pressé de rentrer chez moi. Même si j'appelle chaque soir ma mère et ma mamie, cet environnement campagnard me remonte le moral. L'air pur et la liberté aident mon cœur à se sentir en paix, tout comme la présence de mon meilleur ami. Nous étions déjà proches avant de venir ici, mais le fréquenter sans répits pendant six jours nous a rapprochés.
J'ai appris plusieurs choses à son sujet, dont le fait qu'il passe près d'une demi-heure sous la douche chaque soir tout en chantant des classiques québécois. Sa voix n'est pas horrible, mais les murs sont si peu isolés que toute la maison entend ce concert forcé. Il y a deux jours, Niccolo a perdu patience. Il a rempli une chaudière d'eau glacée et il est pénétré dans la salle de bain pour la jeter sur mon ami. Jamais je n'aurais cru entendre Jean crier avec une voix si aiguë.
-Au fait, ce soir, on fait ce qu'on a dit? S'enquiert Jean, j'ai toujours voulu essayer ça quand j'étais petit, mais ma mère disait que j'aurais froid. C'est injuste.
-Promis, Jean, on le fait.
Je souris avec amusement en croquant dans mon cornet alors que Jean parait excité par ma réponse. Il est adorable ainsi. Mon meilleur ami souhaite que nous passions la nuit à la belle étoile, dans la boite du vieux pick-up de sa grand-mère. L'idée me plait même si je sens que la rosée matinale va être désagréable, tout comme le soleil qui viendra nous frapper trop tôt de sa lumière.
Une fois notre dessert englouti, nous sautons sur notre vélo afin de retourner à la ferme. L'engin que j'utilise est très ancien. Rouillé à divers endroits, le guidon est un peu rude à manier et le siège est trop haut. Nous avons essayé de le descendre, mais le temps a usé les boulons qui sont désormais prisonnier de leur place. Je commence à m'habituer à manier cette bête sur deux roues malgré ses nombreux défauts.
***
Le soir venu, Jean et moi remplissons la boite du pick-up d'oreillers et de couvertures afin d'être confortables. Tous les deux vêtus de nos pyjamas les plus chauds, nous nous installons dans notre nid afin d'admirer les étoiles. Le ciel est magnifique en campagne. En ville, la pollution lumineuse rend la visibilité réduite. Pourtant, j'adore ce paysage nocturne. Quand j'étais petit, j'aimais penser que les taches de rousseur qui couvre mon corps représentaient une constellation.
-Je suis heureux qu'il fasse chaud, déclare Jean en plaçant ses bras derrière sa tête, c'est une nuit parfaite pour dormir dehors. Au moins, Niccolo ne va pas nous réveiller à cinq heures demain matin. Je n'ai pas apprécié quand il m'a jeté en bas de mon lit. Le sol est dur.
-Ne cri pas victoire trop vite, répliquai-je, Niccolo ne va surement pas nous laisser tranquilles pour le dernier jour. Il ne veut pas l'admettre, mais il ne se passe plus de notre aide sur la ferme.
-Mouin... N'empêche, il lui faudrait une fille pour le dompter. S'il tombait amoureux, je suis sûr qu'il deviendrait un peu moins grognon. Tu sais, au début il croyait que t'étais mon petit ami! J'ai trouvé ça marrant.
Jean rit en faisant cette remarque et un faible sourire amusé se dessine sur mes lèvres. Petit ami... Plus les jours passent, plus le temps où j'étais en couple me parait lointain. Souvent, il m'arrive de regarder des garçons et d'en trouver certains très beaux, de m'imaginer à quoi ressemblerait une relation avec eux. Dès que je réalise la tournure de mes pensées, je m'empresse de les chasser, trouvant ça irrespectueux envers Floch. Sept mois, c'est trop peu pour passer à autre chose. Je n'ai pas le droit.
-Hey... pourquoi tu sembles triste tout à coup? S'inquiète Jean, j'ai dit quelque chose de mal?
-Non, ne t'en fais pas. Tu vas trouver ça idiot, mais je culpabilise. Depuis quelques jours, je commence à être tenté par l'idée de flirter et de peut-être me donner la chance de retomber amoureux. C'est mal, parce que Floch n'est pas partie depuis longtemps... Je... J'avais promis de l'aimer éternellement.
Mes yeux se remplissent d'eau, venant gâcher le moment qui était censé être amusant. Pourquoi est-ce que je deviens si émotif d'un coup? Jean réalise que je vais mal et il m'attire dans ses bras chauds pour consoler. J'enfouis mon visage couvert de larmes dans son cou, essayant de me calmer. Sa main vient caresser tendrement mes cheveux d'un geste réconfortant, accélérant mon rythme cardiaque. Mon meilleur ami sait comment m'aider.
-Floch n'était pas un garçon égocentrique, affirme doucement Jean, il voulait ton bonheur avant tout. Là où il est, je suis certain qu'il souhaite de tout cœur que tu retrouves le sourire. Il n'y a pas de temps minimum de jours avant de pouvoir passer à autre chose. Si l'amour te tombe à nouveau dessus, c'est tout ce qui compte, non?
-Peut-être... J'ai juste l'impression de le trahir.
-Marco. Tu es vivant et tu as un cœur. C'est normal qu'un jour, tu veuilles à nouveau une relation. Mon grand-père du côté de ma mère par exemple, quand sa femme est morte, il a rencontré une autre madame avec qui il a terminé sa vie. Ça l'a rendu heureux et ça l'a aidé à terminer son deuil. Il aimait quand même ma grand-mère, jusqu'à la fin, mais son cœur était assez grand pour deux. C'est juste différent.
-Hum...
Mon cœur serait-il assez grand pour deux personnes? Depuis un certain temps, il a commencé à s'accélérer fréquemment en présence d'un garçon. Quand je le vois, mon ventre se serre et je me sens rassuré, heureux. Serait-ce possible que ce soit de l'amour qui renaisse? Mon subconscient a choisi la pire personne qui soit. Non seulement il est hétérosexuel, mais tenter un jour quelque chose avec lui pourrait gâcher notre magnifique amitié.
-Maintenant, je veux que tu essaies de sourire et que tu profites de dormir à la belle étoile, ordonne Jean en agrippant mes joues, sourie!
Il essaie de tirer sur ma bouche pour me forcer à lui offrir un beau sourire, ce que je fais sans m'en rendre compte. Jean est une perle et c'est pour cette raison que je tombe amoureux de lui...
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