Jean a le nez fracturé.

L'immense pansement blanc qui couvre cette partie de son visage fait peine à voir et mon meilleur ami semble incapable de passer plus de deux minutes sans se plaindre de la douleur, tel un jeune enfant qui vient de s'écorcher le genou. Son comportement est mignon, mais ça me rappelle cruellement le courage avec lequel Floch a affronté sa maladie. Lui, jamais il ne s'est plaint de son sort. Mon amoureux préférait rassurer les autres plutôt que de s'apitoyer. Même au pire de sa forme, il gardait le sourire.

Peut-être qu'en parler davantage lui aurait fait du bien? Il faisait des efforts pour sa famille et moi, mais je réalise aujourd'hui que j'aurais dû le forcer à s'ouvrir sur le sujet. Il m'a déjà brièvement parlé de ses craintes, de ce qu'il imaginait voir une fois mort. Floch croyait au paradis et il souhaitait y retrouver ses grands-parents, peut-être trouver la force de pardonner à son père de l'avoir abandonné lorsqu'il était bébé. Il ne le connaissait pas et ça lui faisait mal. Mon roux voulait juste être heureux, enfin libre de faire ce qu'il veut sans craindre que son cœur le lâche, sans être attaché à cet hôpital qu'il détestait.

Cette discussion m'avait fait fondre en larmes. J'aurais dû écouter et rentrer dans le sujet, mais l'entendre parler de la mort avec tant de légèreté m'a brisé. Mon petit ami était un survivant, un soldat capable de se battre contre ce qui le rongeait de l'intérieur. Floch s'est tue en voyant ma tristesse. Il a cessé son monologue pour me serrer dans ses bras, puis il a délicatement chuchoté à mon oreille qu'il resterait toujours à mes côtés malgré tout.

Je sais que cette conversation était importante pour lui. Ne pas embarquer est un geste égoïste que je regrette aujourd'hui. C'est lui qui avait besoin de support, pas moi. S'il parlait de ses craintes, c'est qu'il en avait besoin et je n'ai pas été à la hauteur. J'étais son seul confident, mais j'étais incapable de lui tendre suffisamment l'oreille. Floch ne m'en veut surement pas de là où il est, cependant, je suis en colère contre moi-même.

-Tu crois qu'il va me rester une cicatrice, s'inquiète Jean, je ne veux pas me retrouver avec un nez de sorcière parce qu'un con m'a frappé. Peut-être que je vais être défiguré pour l'éternité? Mon beau visage est abimé.

-Jean, soupirai-je, le médecin a dit qu'il a souvent vue pire. C'est une toute petite fracture.

-Cette petite fracture fait encore un mal de chien! Je ne sens plus rien... Si ça se trouve, je pue des dessous-de-bras et je ne le sais même pas.

-Fermez-la, grogne Reiner, il arrive.

Cachés derrière le canapé du chalet, nous attendons tous l'arrivée de Thomas avec des petits chapeaux de fête en carton sur la tête. Il a pris la décision de déménager aux États-Unis en avance pour pratiquer son anglais pendant l'été, donc il part dans une semaine chez son père. Aujourd'hui, c'était nos derniers examens avant le début des vacances d'été. Je suis presque certain d'être l'un des meilleurs de ma classe malgré ma longue absence en cours. Mes études ardues ont porté fruit, bien que ce n'était qu'un moyen de ne plus penser à ma tristesse.

Dès que le blond pénètre dans la bâtisse, nous sortons de nos cachettes en criant « surprise », tout en envoyant des confettis sur le garçon. Une petite banderole est accrochée au-dessus de la table de la cuisine pour lui souhaiter un bon voyage, même si le talent artistique de Eren laisse à désirer. C'est difficile de lire ce qu'il a écrit malgré la grosseur des lettres et la difformité de ces dernières fait mal aux yeux.

Thomas nous regarde avec stupéfaction, étonné de nous voir réunis avec des chapeaux ridicules. J'ai moi-même préparé son gâteau de départ avec l'aide de Jean. En fait, je cuisinais et mon meilleur ami essayait de manger toute la pâte crue. Le résultat est mignon même si je suis loin d'être le plus talentueux en décoration. L'important, c'est le gout.

-En quel honneur j'ai le droit à cette surprise? S'étonne le blond, c'est pour mon anniversaire? C'était la semaine dernière, pourtant.

-Non, c'est une petite fête de départ, répond joyeusement Eren, on veut que tu t'ennuies de nous une fois aux États-Unis.

-Pas de risque. Avec mon accent, c'est certain que toutes les filles seront à mes pieds. Je vais être débordé, tu vois?

Eren rit, amusé par cette blague pas très drôle. Je ne comprendrai jamais leur obsession pour les filles... Il n'y a rien de glorieux à coucher avec tout ce qui bouge. Mon corps n'a pu être touché que par une personne et c'est parce que je croyais passer ma vie avec lui. S'offrir simplement à celui qu'on aime est ce qu'il y a de plus beau. Dans la société moderne, les gens ne réalisent malheureusement plus l'importance de se conserver. Le sexe est devenu banalisé, montré dès le plus jeune âge dans les films et les émissions. À quoi ça sert de montrer des scènes osées partout? On n'est pas obligés de voir ce que les personnages font au lit pour qu'une histoire soit bonne.

Ça me rend toujours triste de voir cette mentalité. À l'école, j'entends fréquemment mes amis parler de leur « plan cul » ou de ce genre de choses. Comment l'humain en est-il arrivé là? Quand est-ce que le sexe est devenu la base d'un couple? Ça m'a pris plusieurs mois avant de franchir le pas avec Floch et c'est parce que nous étions follement amoureux, prêts à nous offrir l'un à l'autre. Ce n'était pas le plus important, mais c'était magique puisque nous étions fusionnels. C'est triste de voir les gens qui veulent se conserver jusqu'au mariage être victimes de moqueries...

Pourquoi prôner la diversité et l'ouverture d'esprit si seule la mentalité progressiste est bienvenue? J'aurais aimé connaitre l'époque de la romance courtoise et de la galanterie, même si mon statut masculin m'aurait empêché de le vivre ouvertement.

J'entends parfois des gens dire qu'il faut « tester » la marchandise avant de l'acheter. Ça m'offusque, car quand on aime sincèrement, ce n'est pas le sexe qui va tout gâcher. S'il est mauvais, il peut toujours s'améliorer avec le temps. La vie n'est pas un porno! Faire la promotion de l'épanouissement sexuelle dans les écoles, encourager les jeunes à se dévergonder pour tester, c'est ridicule. L'humain n'est pas un animal en rut.

-Sincèrement, merci les mecs, déclare Thomas, ça me touche vraiment que vous soyez tous ici pour moi.

-J'espère que tu maitrises suffisamment l'anglais? S'inquiète Armin.

-Bien sûr! Yes, no, toaster!

Cette fois, je ris avec les autres. Malgré ses défauts, le blond sait être le centre de l'attention. J'aimerais avoir autant de facilité que lui à m'exprimer, jamais gêné de dire ce qui lui passe par la tête et faire des blagues. Reiner se contente de sourire, l'air angoissé et jouant avec quelque chose dans sa poche. Il doit être triste de savoir que son meilleur ami part pour un autre pays. À sa place, je serais détruit de voir Jean fuir loin de moi.

Les garçons ne tardent pas à se regrouper autour de leur jeu vidéo favori, soit Super Smash Bros. Comme toujours, ils parient sur leur victoire et Eren gagne presque toutes les parties, au grand dam de mon Jean qui se plaint que sa manette va mal. Ça m'amuse de le voir rejeter la faute sur un objet inanimé. À un moment, Thomas part à la salle de bain et Reiner lui enjambe le pas. Ils mettent du temps à revenir.

-Tu crois que Reiner a pris la décision de se déclarer à lui? Chuchote Jean à mon oreille, je crois que c'est pour ça qu'il était stressé.

-Hum... Thomas n'acceptera pas ses sentiments. C'est triste, mais il n'aime pas les garçons.

-Pauvre Reiner. J'espère que ça ne gâchera rien entre eux.

Curieux, nous fixons le couloir qui mène à la salle de bain, impatient de les voir revenir. Reiner est le premier à réapparaitre, la tête basse. Ça s'est passé. Même s'il essaie de ne pas montrer sa douleur, c'est lisible dans son regard vide. L'expression d'une personne qui se retient de fondre en larmes est la pire de toutes.

-Je vais prendre l'air, souffle-t-il d'une voix brisée.

Sur ce, le blond quitte le chalet, nous laissant sans réponse et inquiet. Son cœur doit être en miette. Thomas revient à son tour dans le salon, tout aussi triste et mal à l'aise. Il se laisse tomber sur le canapé en soupirant.

-Je n'avais pas hâte que ce jour arrive, avoue-t-il, ça me fait vraiment mal de devoir lui briser le cœur.

-Ce n'est pas de ta faute! Réplique Eren, il n'avait qu'à ne pas tomber amoureux de toi. Il devait savoir que toi, tu es un vrai mec.

-Un vrai mec? Ferme ta gueule, Eren. Reiner est cent fois plus viril que toi. Tu peux dire du mal de qui tu veux, mais pas de lui. Sa sexualité n'a rien à voir.

Eren se tait, surpris que Thomas lui parle sur ce ton. C'est la première fois que je l'entends être si froid avec son ami, signe qu'il doit sincèrement être bouleversé. Je me demande comment va Reiner. Mon regard se pose sur la porte d'entrée, puis je quitte le chalet pour le chercher. Laisser seul un ami qui souffre est impensable.

Le garçon est assis contre un arbre, la tête entre ses mains. Son corps tremble à cause des larmes qui coulent abondamment de ses yeux. Le voir ainsi, c'est douloureux. Je me laisse délicatement tomber près de lui, hésitant pour trouver les mots justes. Reiner essuie l'eau salée sur ses joues.

-Je n'aime pas qu'on me voie comme ça, souffle-t-il.

-Ne t'en fais pas, il n'y a rien de mal à pleurer, répondis-je sincèrement, tu veux m'en parler?

-Je lui ai écrit une lettre d'amour. Il ne ressent pas la même chose pour moi.

-Oh...

Incapable de le rassurer avec de simples paroles, je me contente d'attirer Reiner contre moi dans une étreinte tendre. J'espère que son cœur guérira rapidement. C'est une bonne personne qui mérite ce qu'il y a de mieux. D'ailleurs, ça fait un moment que j'ai remarqué qu'un joli garçon aux cheveux bruns ne cesse pas de le regarder. Très grand et solitaire, ce dernier semble trop gêné pour l'aborder. Peut-être que cette personne a de l'attirance pour mon ami?