~7~ Le secret de Floch
Trois longs mois se sont écoulés depuis que j'ai rejoint l'équipe et maintenant, tous mes doutes se sont envolés. Jamais je n'ai été si comblé socialement. J'ai de vrais amis et un acolyte parfait qui vient fréquemment à mon appartement. Comme il est très gentil, dévoué et drôle, ma mère et ma mamie adorent déjà Jean. D'ailleurs, les petits caïds qui me causaient des soucis à mon arrivée dans l'école ont complètement arrêté de s'en prendre à moi. Ils doivent avoir trouvé une nouvelle activité plus amusante.
Aujourd'hui, Floch est un peu distrait au travail. Moins enjoué que d'habitude, il reste dans son coin à classer des mangas et faire un peu de ménage. Même lorsqu'il n'y a pas de clients, mon collègue ne m'adresse que brièvement la parole. Qu'est-ce qui lui arrive? Même si je me fais probablement du souci pour rien, je m'inquiète pour le roux qui met toujours de la vie autour de lui. Plus le temps passe, plus il devient un très bon ami.
À l'école, Floch passe son temps avec un petit groupe de garçons que Thomas qualifie sans gentillesse de « nerds accros à Minecraft ». Parfois, je les regarde de loin lorsqu'ils sont assis à leur table habituelle et le roux parait sincèrement s'ennuyer puisque ses amis ont le nez collé contre leur téléphone. Ils lui parlent à peine, même si ce dernier tente de faire la conversation. C'est triste de voir à quel point un écran peut nous éloigner des gens...
J'ai offert à mon collègue de joindre l'équipe de baseball, mais il dit qu'il n'aime pas le sport. Même en essayant d'insister, il a refusé de céder. Floch aime bien ses amis malgré tout et il a peur de ne pas être à sa place avec des garçons plus populaires qui jugeraient sa personnalité. Les joueurs ne sont pas comme ça, mais le roux est têtu comme une mule sur le sujet.
-Dis Marco, souffle Floch à la fin de la journée, je peux te demander un service? Surtout, si tu ne veux pas, ne te force pas pour moi! D'accord?
Je termine de ranger la caisse avant de tourner mon attention vers Floch avec curiosité. Est-ce ça qui le tracassait? Le roux n'ose pas croiser mon regard, jouant nerveusement avec ses doigts. Pour l'encourager, je souris :
-Bien sûr. Tu peux me demander ce que tu veux.
-Hum... voilà... demain, ma mère et mon beau père se sont fait inviter à une formation très importante qui pourrait leur permettre d'aussi ajouter quelques repas japonais dans la boutique. Rien de très extravagant, surement des ramens, des mochis et des onigiris. Ça fait longtemps qu'ils veulent investir là-dedans. Sauf que vois-tu, demain j'ai un rendez-vous chez le médecin et ils ne veulent pas que j'y aille seul... Hum... Tu accepterais de m'y accompagner? Ce ne serait pas long!
Un rendez-vous chez le médecin? Pourquoi a-t-il aussi stressé pour me demander quelque chose d'aussi banal!
-Je vais venir avec toi, répondis-je, ça me fait même plaisir.
Floch lève les yeux vers moi, surpris. Il parait déjà soulagé.
-C'est vrai? Merci beaucoup, Marco! Tu es vraiment un ami génial.
Sans prévenir, le garçon se jette dans mes bras pour me remercier. Un peu surpris sur le coup, je viens près tomber sur le derrière, mais je me retiens de justesse pour répondre à l'étreinte. Un sourire sur les lèvres, Floch reste ainsi une bonne minute avant de finalement me lâcher pour me donner l'heure où je dois le rejoindre à la station métro.
***
Je n'ai pas l'habitude de prendre le métro. Habituellement, ma mamie préfère qu'on prenne la voiture. Elle a facilement mal au dos, donc c'est beaucoup plus confortable pour elle et ainsi, elle n'a pas besoin de marcher inutilement. Ce moyen de transport est presque un mystère pour moi, donc j'attends Floch avant de payer mon ticket pour ne pas faire de bêtises.
-Je croyais arriver d'avance, rigole mon collègue en me voyant l'attendre, tu es là depuis longtemps?
-Non... hum, comment je suis censé m'acheter le billet?
-Ne t'en fais pas, c'est moi qui paie tout!
Même si ça m'embarrasse que Floch me paie quelque chose, je le regarde avancer vers la billetterie et parler avec l'homme stoïque assis derrière sa vitrine. Pourquoi les personnes qui travaillent dans ce genre d'endroit semblent-elles toujours détester leur travail? L'employé remet deux petites cartes magnétiques à mon ami qui m'en tend une.
-Merci, le remerciai-je, tu n'étais pas obligé de payer pour moi.
-Tu as la gentillesse de m'accompagner, donc c'est la moindre des choses. Je sais que c'est chiant d'aller à l'hôpital.
Le roux me fait signe de le suivre et il m'explique comment passer le tourniquet avec ma carte magnétique. Nous descendons un escalier de béton avant d'arriver près du tunnel où nous devons attendre notre moyen de transport. À cette heure de la journée, il n'y a pas beaucoup de gens donc nous n'avons pas à nous faufiler pour pénétrer dans le métro très propre. Floch se laisse tomber sur un petit banc blanc à l'intérieur, puis je m'installe près de lui.
Nous arrivons à notre arrêt après dix minutes. Encore une fois, le garçon est moins bavard que d'habitude, même s'il semble faire un effort pour continuer à me sourire. Serait-il stressé? Il ne devrait pas angoisser pour un simple examen de routine... Si ça se trouve, mon ami doit passer des prises de sang et il a peur des aiguilles. Ça me fera plaisir de lui serrer la main s'il a besoin de quelqu'un pour le calmer.
L'hôpital se trouve juste à côté de la station de métro, mais je ne connais pas très bien ce lieu que je ne visite pratiquement jamais. Floch est plus habitué que moi et il me guide sans hésiter à la bonne porte, mordillant sa lèvre avec angoisse.
L'odeur de désinfectant qui trône dans la bâtisse est déplaisante, tout comme les murs d'un blanc nacré et le silence lourd des gens malades. Quand j'étais plus jeune, j'ai déjà voulu être infirmier avant de réaliser tout le poids moral que ce travail apporte. Même si aider les gens en difficulté est quelque chose que j'apprécie, je n'aurais pas le moral requis pour supporter de voir des malades souffrir ou mourir. Il faut être très fort mentalement pour pratiquer ce métier.
Plutôt que de s'arrêter au kiosque d'informations, Floch va directement à l'ascenseur et il appuie sur un bouton sans dire un mot. Vient-il souvent ici? L'inquiétude prend le dessus lorsque la porte s'ouvre sur l'étage de cardiologie. Derrière son bureau, une dame en tenue blanche nous sourit gentiment.
-Bonjour, Floch, le salut la dame, tu ne viens pas avec tes parents aujourd'hui?
-Non, ils avaient un rendez-vous important. C'est un ami qui m'accompagne.
-Je vois. Tu n'as qu'à te changer et attendre dans la salle d'attente avec ton ami.
Le roux hoche positivement la tête et je le suis jusqu'au vestiaire où il enfile une horrible jaquette d'hôpital bleu. Qu'est-ce qui se passe? Même si mon collègue ne me dit rien, c'est facile de comprendre que tout ça n'est pas un simple examen de routine! Est-il malade? Dès que nous nous assoyons dans la petite salle d'attente presque vide, je décide de le questionner :
-Pourquoi dois-tu passer un examen en cardiologie et pourquoi la femme à l'accueil semble-t-elle te connaitre? Tu viens souvent?
Floch grimace, agacé par mes questions. Il n'ose pas croiser mon regard.
-Je vais tout t'expliquer plus tard, soupire-t-il, d'accord? Tu n'as pas à t'inquiéter, c'est juste un examen de routine... Je viens souvent, c'est pour ça qu'elle me connait.
-Un examen de routine? Pour quoi, au juste?
-Soit patient... Je ne veux pas t'en parler ici. Je hais cet endroit.
Voyant qu'il ne semble pas prêt à m'éclairer, je décide de me taire. Ça ne me plait pas de rester dans l'ignorance, mais je ne peux pas le forcer à se confier s'il n'a pas envie. Un médecin à l'air jovial ne tarde pas à venir chercher son patient, me laissant seul avec mes questions.
***
De retour dans le métro, Floch reste muet, perdu dans ses pensées. Il n'a pas dit un mot depuis qu'il est sorti de l'hôpital, surement convaincu que j'ai déjà oublié toutes mes questions. Il se trompe! S'il ne voulait pas se confier, alors il n'aurait pas dû me demander de l'accompagner à ce rendez-vous.
-Floch, déclarai-je, j'aimerais savoir...
-Si je te le dis, tu ne me regarderas plus de la même façon, répond-il, la dernière chose que je veux de la part des gens, c'est de la pitié. Surtout de la part d'un ami que j'apprécie beaucoup.
-Floch... Pourquoi mon regard changerait-il? Si je veux savoir, c'est parce que je m'inquiète. Tu es malade?
Le garçon pince les lèvres, hésitant. Moins il parle, plus mes craintes augmentent. Mon cœur se serre désagréablement sous l'inquiétude. Mon collègue est quelqu'un de très important à mes yeux. Non seulement c'est un ami duquel je suis très proche, mais en plus, sa présence dans ma vie me rend très heureux. Floch est unique.
-Ils commencent à parler de me mettre sur la liste des transplantations cardiaque, explique-t-il, hum... Depuis que je suis petit, les médecins savent que j'ai une malformation du cœur. Ils espéraient que ça se stabiliserait avec le temps, mais récemment ça a empiré. Je t'assure que ce n'est pas si grave... Je peux quand même avoir une vie normale. Ce n'est même pas encore certain que je vais avoir besoin d'une greffe... Je... Je ne suis même pas malade!
Il se force à me sourire pour me rassurer, mais tout ce qu'il dira ne suffira pas à chasser cette angoisse qui s'est répandue dans tout mon corps. Une greffe de cœur... Comment peut-il dire que ce n'est rien de grave ?! C'est la première fois que je rencontre une personne ayant ce genre de problème, donc j'ignore quoi dire pour le rassurer. Pour me rassurer. Si je connaissais mieux le sujet, je pourrais lui dire que ça va aller, mais l'idée même de la transplantation est terrifiante.
-Marco, souffle-t-il, ne fait pas cette tête. Je t'assure que tout va bien! Je... Je n'en parle jamais pour ne pas inquiéter les gens. Ça semble gros dit comme ça, mais le médecin me dit de ne pas m'en faire. On peut se fier à l'avis d'un pro, non? Marco... ne change pas ta façon de me voir, s'il te plait. Je suis normal, d'accord? Juste Floch.
À la fin de sa dernière phrase, sa voix se brise. Est-ce que Floch va pleurer? Si seulement j'avais su quoi répondre, ce garçon ne serait pas au bord des larmes en cet instant! Je ne veux pas voir un ami pleurer... Même si je m'inquiète pour lui, changer ma manière d'agir après qu'il se soit confié à moi serait un affront.
Pour chasser sa tristesse et ses craintes, mes mains se glissent dans le dos du roux et je l'attire contre moi dans une étreinte. Le garçon s'agrippe à mon chandail comme si sa vie en dépendait, luttant contre les larmes qui remplissent ses beaux yeux marrons.
-Floch... Je te promets de ne pas changer ma manière d'agir avec toi. Sache seulement que je serrai toujours là pour te supporter, donc n'aie plus peur de te confier à moi. D'accord?
-D'accord...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top