Chapitre 9 - Partie 5 - Un double apprentissage
J'étais encore plus furieux contre elle. Faisait-elle vraiment exprès de m'envoyer travailler avec des personnes que je haïssais ? D'abord Morior puis maintenant Selina.
— De toute façon, Selina va refuser de travailler avec moi, j'enchaînai, presque soulagé à cette pensée.
— Mais aucun de vous n'aura le choix, rétorqua sèchement Maman. C'est un ordre de la part de votre déesse. Va trouver Selina et ramène-la ici.
***
Cette seconde allusion à son titre divin me mit hors de moi, mais je parvins à contrôler de justesse ma colère. Sans lui adresser la moindre autre parole, je pris congé d'elle et quittai le palais royal pour me rendre à la vaste demeure d'Hector. Tout comme le château, elle était faite en brique et quelques petits rubis ornaient les portes et les contours des fenêtres. Je pénétrai à l'intérieur du bâtiment et parcourus rapidement le hall d'entrée où de nombreux gardes étaient postés à côté de chaque colonne. Après avoir emprunté un large escalier pour me rendre à l'étage, je me dirigeai vers un domestique habillé d'un uniforme rouge qui gardait une petite porte sertie de rubis, pour lui demander :
— Excusez-moi, mais savez-vous où je peux trouver Selina ?
— Mademoiselle Selina s'entraîne et ne souhaite pas recevoir de visite, me répondit froidement le valet sans m'adresser la moindre politesse.
Apparemment c'était de coutume que d'être désagréable envers le prince de Flamea. Refusant de me laisser démonter, j'insistai :
— C'est un ordre de Flora.
Le domestique parut soudainement embêté et il finit par déclarer toujours aussi froidement :
— Vous la trouverez derrière cette porte.
Il s'écarta d'un pas et m'ouvrit ladite porte.
— Merci, lâchai-je simplement sans le regarder.
Je pénétrai dans la pièce et le domestique claqua la porte derrière moi. La gentillesse et la politesse existaient-elles vraiment dans ce monde barbare ?
Le valet insolent ne m'avait pas menti en annonçant que Selina était très occupée : elle me tournait le dos et ne s'apercevait même pas de ma présence. Un grand arc rouge flamboyant à la main, elle se tenait fièrement debout, face à trois cibles aux cercles blancs et rouges. Un décor très surprenant pour les appartements d'une petite fille noble ; la quasi-totalité de sa chambre était dédiée à son entraînement, son lit, son bureau et sa commode étant relayés dans un coin de la pièce.
N'osant faire remarquer ma présence, je l'observai bander soigneusement son arc, se concentrer quelques instants, avant de décocher sa flèche aux plumes rouges qui fendit l'air avant d'atterrir un plein centre de la cible. Je retins un cri de stupeur et d'admiration, et je la vis se diriger d'un pas vif vers la deuxième cible. Elle réarma rapidement son arc, avant de le bander, et sans cesser de marcher, elle décocha la flèche qui atterrit une nouvelle fois en plein cœur. Elle se dirigea en courant vers la troisième cible et, tout en tournoyant sur elle-même, elle décocha sa dernière flèche qui atterrit dans le mille. Je laissai échapper un petit cri d'admiration face à cette incroyable prestation et je ne pus m'empêcher de la féliciter :
— Bravo, c'était vraiment parfait !
S'apercevant enfin de ma présence, elle se retourna vers moi, afficha un sourire orgueilleux et riposta avec arrogance :
— Tu es jaloux ? D'un côté, je te comprends. N'avoir aucun talent est vraiment malheureux...
Inutile de préciser que je regrettais déjà d'avoir félicité cette désagréable petite fille. Souhaitant affirmer ma supériorité divine face à elle, je démentis sur un ton fier :
— Détrompe-toi : je suis télépathe.
— Alors, j'espère sincèrement qu'il existe une loi règlementant l'usage de la télépathie, rétorqua-t-elle avec son habituelle insolence.
— Crois-tu vraiment que les dieux fixeraient des limites à leurs propres pouvoirs ?
Selina se tut et baissa les yeux, incapable de contrer ma remarque.
— De toute façon, je ne suis pas venu ici pour me vanter, poursuivis-je d'un ton pourtant chargé de fierté, tout en passant une main dans mes cheveux d'un geste machinal. Sa Majesté demande à te voir.
— Pourquoi ?
— Tu le sauras bien assez tôt.
Je commençai à m'éloigner signe que toute négociation était impossible et Selina m'emboîta le pas. Nous passâmes devant le domestique aigri qui ne put s'empêcher de demander à mon intention :
— Où comptez-vous aller comme cela avec Mademoiselle Selina ?
— Juste au palais royal, Albert, répondit calmement Selina. Pas besoin de t'inquiéter.
Selina lui adressa un sourire sympathique que le dénommé Albert lui rendit avec empressement. Comme quoi il lui était possible de se montrer aimable. Cependant, Albert finit par se retourner vers moi et me foudroya du regard, tout en grommelant quelque chose d'incompréhensible. Nous parvînmes tout de même à passer et, de retour au palais, Maman annonça le projet à Selina devant moi. Je dus me faire violence pour ne pas l'interrompre dans son exposé. L'entendre une première fois avait déjà été désagréable, mais une seconde fois était insupportable. Une fois qu'elle eut fini, Selina déclara poliment en s'inclinant respectueusement :
— Je suis très honorée, Majesté, de l'estime que vous avez de moi. Malheureusement, je ne puis accepter un si important rôle.
— Tu es parfaitement capable d'accomplir ce projet, contra Maman d'un ton doux et sympathique, avant de se raffermir : Ne cherche pas à te défiler devant ton devoir.
— Mais... commença Selina, avant de se raviser devant l'expression sévère de Maman que ni elle ni moi n'étions capables de braver. Très bien, je me plie à votre volonté, Majesté.
À ces mots, elle effectua une révérence que je jugeai exagérée mais j'étais trop déçu pour m'y intéresser. Dommage qu'elle n'eût pas été suffisamment insolente pour lutter contre la volonté de Maman...
— Il vous faudra trouver un endroit pour travailler et je propose que vous vous mettiez en quête de ce lieu demain, dès l'aube, poursuivit Maman d'un ton toujours aussi directif. Est-ce clair ?
Une proposition qui n'en était finalement pas une et cela m'énerva encore plus. Surtout que nous dûmes tous les deux approuver à contrecœur. Maman nous congédia alors et dès que nous fûmes suffisamment éloignés, Selina déclara tout en me foudroyant du regard :
— Tu es peut-être le futur de prince de Flamea, mais c'est dans ton intérêt de ne pas me donner d'ordres.
La colère m'envahit à nouveau face à ces paroles et je répliquai du tact au tact :
— C'est également dans le tien de cesser d'être impolie envers le futur prince et dieu protecteur de Flamea.
Cette collaboration commençait à merveille et je maudis intérieurement Maman une fois de plus. Selina et moi nous séparâmes et je regagnai ma chambre confortable que j'aurais mieux fait de ne pas quitter ces derniers jours.
***
Lorsque je descendis dans la salle du trône le matin suivant, j'eus la surprise de constater que Maman était absente. En revanche, un petit mot, écrit avec de soigneuses lettres rouges, était déposé sur son fauteuil royal. Je m'empressai de le saisir et le parcourus rapidement :
« Je suis partie rendre visite à ton père et Mylena. Je reviens bientôt. Et n'oublie pas ta mission avec Selina. Maman. »
Ce message ne fit que m'exaspérer davantage. Comme si je pouvais oublier le projet avec Selina, alors qu'il était l'une de mes deux plus grandes sources de contrariété ! Tout en méditant ce que Maman pouvait bien faire sur Laïa, je quittai sans me presser le palais royal. Nous n'avions même pas fixé de lieu ou d'horaire pour se retrouver avec Selina et je poussai un soupir ; ce projet était voué à l'échec c'était évident, pourtant il était capital pour Flamea...
Alors que je parcourais d'un pas nonchalant le vaste couloir sortant de la salle du trône, des cris perçants retentirent soudainement, me faisant sursauter. Sans même que je ne pusse analyser davantage la situation, un garde équipé d'une corne d'alarme se précipita à l'intérieur du château, me bousculant au passage, en hurlant à travers sa corne :
— Au feu ! Au feu ! Évacuez immédiatement ! Regagnez le plus vite possible dans le calme le point de ralliement !
Au feu ? Un incendie s'était déclaré sur Flamea ? Certes, ils y étaient plus fréquents que sur les autres planètes en raison de l'activité volcanique de la planète, mais c'était le premier depuis sept ans. Je ne me rappelais pas très bien le dernier, étant trop jeune pour cela, et je n'avais jamais vraiment demandé de précisions. Quant au point de ralliement mentionné par le garde, il s'agissait d'une grande cage faite de briques, appelée plus communément le Refuge, où nous étions tous à l'abri du feu, mais, malheureusement, pas de la chaleur étouffante.
Je me précipitai hors du palais, suivant le mouvement de quelques gardes. Je découvris alors que l'incendie s'était déclaré dans la cour de la demeure d'Hector, commençant à présent à envahir le manoir. Heureusement, je parvins rapidement à trouver Hector, qui était déjà à dehors, guidant les habitants à travers les flammes, vers le Refuge. Il semblait terriblement inquiet et cette inquiétude me gagna l'instant d'après. Si mes souvenirs étaient bons, la dernière fois, c'était Maman qui était parvenue à stopper l'incendie grâce à ses pouvoirs. Ma gorge se serra alors que je me rappelais le mot qu'elle m'avait laissé ce matin ; elle n'était pas là pour résoudre ce problème... Pourquoi le feu se déclarait-il pile le jour où Maman était sur Laïa ?
Je me dirigeai vers Hector et demandai :
— Qu'est-ce qui a provoqué l'incendie ?
— Je ne sais pas vraiment. Vous, avancez, arrêtez de regarder derrière vous ! s'exclama-t-il à l'intention d'un habitant qui semblait terrorisé. C'est Albert qui l'a remarqué le premier et rapidement, heureusement pour nous, enchaîna-t-il à mon intention, tout en continuant de guider le gens. Vu l'ampleur de ce feu, je doute que nous aurions été vivants si nous étions sortis plus tard. Mais, où est Sa Majesté ?
— Elle est partie sur Laïa ce matin.
— Quoi ?
— Elle m'a laissé un mot comme quoi elle reviendrait bientôt...
— Mais quelle malchance !
— Oui. Reste-t-il encore des habitants dans votre demeure ?
— Non, je crois que ce sont les derniers. Venez, Altesse, il faut que nous allions sur Laïa pour ramener Sa Majesté.
Il m'attrapa la main sans attendre ma confirmation pour invoquer l'Argentus. Ce fut à cet instant précis qu'un cri perçant résonna dans mon esprit :
— Le feu... Tout est revenu... MAMAN !
Je sursautai face à cet appel de détresse et je retirai immédiatement ma main de celle d'Hector en l'interpelant. Le général me dévisagea d'un air surpris et je m'exclamai :
— Quelqu'un a besoin d'aide, vous l'avez entendu !
Les yeux d'Hector étaient devenus tout ronds, comme s'il me prenait pour un fou. Je compris alors que ces paroles n'avaient pas été proférées oralement mais qu'il s'agissait plutôt de pensées que j'avais perçues involontairement. Je regardai autour de moi, tentant de comprendre qui en était l'expéditeur mais il n'y avait que des flammes jaillissant de plus belle. Alors que je me tournai vers Hector dans l'intention de lui expliquer la situation, je l'entendis de nouveau, plus puissante que précédemment :
— Non... Ne pars pas, ne me laisse pas, Maman ! Tu dois rester, tu dois vivre ! MAMAN !
J'eus à peine le temps d'analyser plus longtemps ces paroles que j'entendis un cri de détresse. Cette fois, il était réel et non mental, car Hector se retourna précipitamment vers moi. Nous scrutâmes les alentours, jusqu'à ce que nous apercevions une fillette de l'autre côté des flammes jaillissantes. Non, ce n'était pas n'importe quelle enfant, c'était...
— Selina ! s'écria Hector, en s'élançant en direction de sa fille sans réfléchir davantage. Ne bouge pas, je vais te chercher !
— Hector ! protestai-je, tentant de retenir vainement le capitaine de l'armée. C'est du suicide !
La seule réponse que j'obtiens du général de Flamea fut ce râle courageux :
— Je ne peux pas laisser ma fille mourir sous mes yeux sans rien faire !
***
La transmission s'arrêta à ce moment critique et Arachtus se retira de l'esprit d'une Elena toute déboussolée. Elle cligna plusieurs fois des yeux pour revenir à la réalité avant de s'exclamer :
— Mais, quoi ? Non... Arachtus, tu ne peux pas t'arrêter là ! C'est trop horrible !
— Tu devras pourtant t'y faire, répondit calmement le dieu avec un immense sourire à moitié moqueur. Cela permettra de mettre en valeur la scène qui suit.
Elena poussa un râle, avant de demander avec curiosité, en espérant en apprendre davantage :
— C'est toi qui vas réussir à sauver Selina ?
Arachtus laissa échapper un petit rire et il secoua la tête :
— Croyais-tu vraiment que ton stratagème pour en savoir plus allait marcher, Elena ? Non, je ne te dirai rien de plus. Tu verras demain...
Il commença à se diriger docilement vers l'enceinte de la prison, mais Elena n'avait guère envie de s'arrêter à un tel moment. Ayant compris qu'Arachtus ne lui donnerait pas davantage d'informations sur l'incendie, elle se contenta de déclarer :
— J'aime bien que tu me montres tes entraînements avec Morior...
— Toi tu n'as pas compris qu'ils étaient un calvaire, la charria Arachtus bien qu'il eût compris où elle voulait en venir.
— Non, je ne parlais pas de ça, corrigea la jeune femme d'un ton à moitié exaspéré. Je voulais dire que ça m'était utile aussi, j'ai appris quelques choses sur mon propre pouvoir.
— Je sais, Elena. Tu as cruellement manqué d'un mentor lors de ta jeunesse.
La jeune femme baissa les épaules. Le dieu avait raison : elle avait manqué tant de choses pendant sa jeunesse basée sur des mensonges...
— Rentrons, Elena, si tu le veux bien.
La déesse de Marina n'opposa pas davantage à sa décision et ce fut ainsi qu'elle quitta Arachtus.
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